BARTON FINK et AVE, CESAR ! des frères Coen par M. Bobine (1)
Adeptes de la grande toile, bonjour !
Aujourd'hui, on va parler d'un sujet qui fascine Hollywood
depuis que Hollywood existe...
un sujet qu'Hollywood a traité aussi bien à travers des comédies, des biopics,
des mélodrames, des film noirs, des comédies musicales,
des films néo-noirs, des thrillers historiques
voire même à travers des métafilms chelous…
Vous l'avez sans doute deviné
ce sujet qu'Hollywood adore traiter et bien, c'est...
Si l'histoire d'Hollywood commence modestement en 1910
avec le tournage de In Old California de D.W. Griffith,
il aura fallu seulement une petite dizaines d'années
pour que le nom de ce qui n'était à l'origine qu'une petite bourgade de Californie
ne devienne quasiment synonyme de cinéma pour une grande partie du public
et qu'à ce titre, le microcosme des studios avec ses stars,
ses réalisateurs et ses producteurs
ne devienne lui-même un sujet potentiel.
En 1923, on dénombre déjà pas moins de trois films sur le sujet :
Mary of the Movies,
Souls for Sale et le bien-nommé Hollywood.
Après tout, on a souvent présenté Hollywood
comme la matrice des mythes américains moderne.
Il est donc logique qu'Hollywood se soit attelé à écrire sa propre légende.
On n'est jamais mieux servi que par soi-même !
De la même façon,
il était logique que les frères Coen s'emparent à leur tour du sujet.
Eux qui n'ont eu de cesse de revisiter les mythes et les archétypes américains,
qu'il s'agisse de la figure du white trash, de celle du gangster,
du self-made man, du cow-boy, ou encore du chanteur folk.
Et comme les Coen ne font pas les choses à moitié,
ils y ont consacré les deux films radicalement différents
qui vont nous intéresser aujourd'hui,
Barton Fink et Ave, César !
Comme je le disais, Barton Fink et Ave, César ! sont des films très différents…
ne serait-ce que par leur genèses respectives.
Lorsqu'il sort en 1991,
Barton Fink est le 4e film réalisé par les frères Coen.
mais son script a en réalité été achevé avant celui de leur 3e film,
Miller's Crossing,
une histoire de guerre des gangs à l'époque de la Prohibition.
Avec sa large galerie de personnages et les multiples fils narratifs,
le script de Miller's Crossing s'est avéré tellement complexe
que les deux frangins ont ressenti le besoin de faire une pause
en plein milieu du processus d'écriture,
d'une part pour prendre un peu de recul par rapport à l'histoire,
d'autre part, pour se lancer dans un autre projet, plus simple,
qui leur permettrait de renouer avec une forme de spontanéité créative.
C'est ainsi qu'ils écriront le script de Barton Fink en à peine trois semaines
avant de retourner bosser sur Miller's Crossing,
et donc qu'ils avaient un script prêt à être tourné
à la sortie de Miller's Crossing !
Située en 1941,
Barton Fink raconte l'histoire d'un auteur new-yorkais
qui est recruté par un studio hollywoodien
suite au succès critique de sa première pièce de théâtre.
À peine débarqué à Hollywood,
on lui demande d'écrire une histoire pour un film de série B.
Mais ce qui devait être un simple scénario de commande
va pourtant se révéler une tâche impossible pour Barton Fink
qui n'arrive pas à voir au-delà de ses ambitions artistiques.
Alors que le studio attend de lui un script simple et efficace
à propos d'un prolo qui surmonte les difficultés de son quotidien grâce à la lutte,
lui veut créer une oeuvre qui transcende son sujet
et sublime le quotidien des gens ordinaires
pour en faire un art authentique imprégné par le réel.
e problème, c'est que Barton Fink est un intellectuel new-yorkais
complètement déconnecté de la réalité des classes populaires.
Comme le montre ses relations avec son voisin d'hôtel,
un simple représentant en assurance nommé Charlie,
sa vision des prolos est pleine de mépris de classe et de condescendance.
Il s'imagine être capable de dépeindre leur quotidien
grâce à ses talents d'artistes
mais il n'est même pas capable d'écouter lorsque Charlie essaie de lui raconter
quelques anecdotes qui pourraient lui servir de matière première.
Lorsque Barton Fink est projeté à Cannes en 1991,
les frères Coen ne sont pas encore les figures incontournables
qu'ils sont à l'heure actuelle…
et la critique a encore beaucoup de mal à cerner ces drôles de cinéastes
qui ont enchaîné un film noir à petit budget,
une comédie absurde avec des white trash
et un élégant film de gangsters.
De son côté, le public a certes fait un très bon accueil à Arizona Junior
mais il s'est poliment désintéressé de Miller's Crossing.
C'est donc à la surprise de pas mal de monde
que Barton Fink récolte pas moins de trois récompenses à Cannes :
meilleur réalisateur, meilleur acteur et palme d'or.
Il faut dire aussi que le film s'inspire assez ouvertement
de l'oeuvre du président du jury Roman Polanski,
et en particulier de films comme Répulsion ou Le Locataire.
Du coup, même si le succès cannois ne s'accompagnera pas d'un succès public,
il contribuera largement à entériner la légitimité artistique des frères Coen
et à faire d'eux des réalisateurs importants.
Ce qui nous amène donc à Avé César !
Sorti en 2016,
c'est le dix-septième film des frères Coen.
Depuis Barton Fink,
les deux frangins se sont non seulement attirés les faveurs du public
grâce à des comédies comme The Big Lebowski ou O Brother
mais ils ont également gagné leurs galons "d'auteurs" respectés par la critique
pour des films comme The Barber,
No Country for Old Men ou Inside Llewyn Davis.
Et contrairement à Barton Fink dont l'écriture fut extrêmement spontanée,
les prémisses de Ave, César ! remontent à 1999.
C'est lors d'une discussion avec George Clooney sur le tournage de O Brother
qu'ils évoquent une idée de scénario mettant en scène
un acteur de théâtre un peu ringard
qui essaie de monter une pièce sur la Rome antique au milieu des année 20.
Mais il faudra attendre 2013 et la sortie de Inside Llewyn Davis
pour que les Coen s'attèlent sérieusement au projet
et décident de changer complètement de contexte
pour s'intéresser au Hollywood de 1951.
Le film suit donc les mésaventures d'Eddie Mannix,
le principal homme de main d'un studio hollywoodien,
dont le travail consiste à s'assurer que rien ne vienne entraver
la bonne marche du studio.
En l'espace de deux jours seulement,
Mannix va donc devoir étouffer la grossesse hors mariage d'une starlette,
gérer l'incompatibilité artistique entre un réalisateur et un acteur,
arranger une amourette entre ce même acteur et une jeune actrice,
obtenir l'approbation de chefs religieux concernant le scénario d'Avé César,
un péplum à gros budget sur les débuts du christianisme
et surtout
gérer l'enlèvement de Baird Whitlock, la star principale du film,
par des scénaristes communistes…
le tout en maintenant à distance aussi bien deux éditorialistes avides de scandale
qu'un représentant de l'industrie aéronautique qui essaie de le débaucher.
Dans Barton Fink, l'environnement hollywoodien est anxiogène.
Les relations humaines y sont toujours imprégnées d'une menace latente.
Le climat de Californie est à la fois suffocant et moite.
Les personnages sont presque toujours en train de transpirer.
Le sound design met régulièrement l'accent
sur les aspects les plus répugnants de la physiologie humaine.
La photographie vaguement désaturée et les décors à moitié délabrés
contribuent à une atmosphère de déréliction omniprésente.
Et le climax du film assimile littéralement Hollywood à un Enfer
dont Barton Fink devient le prisonnier pour l'éternité.
À l'inverse, les couleurs de Ave, César sont éclatantes.
L'Hollywood dépeint par le film est un univers chatoyant
peuplé par des créatures au physique parfait.
Contrairement à Barton Fink où les tournages consistent
à multiplier inlassablement les prises
où des corps obscènes répètent des mouvements violents et grotesques,
les tournages de Avé, César sont des ballets parfaitement chorégraphiés.
Même si Hollywood présente une face moins reluisante,
celle-là même que Eddie Mannix a la lourde tâche de garder secrète,
on est loin de l'Enfer de Barton Fink.
C'est même tout le contraire.
Avec Avé, César,
les frères Coen tracent un parallèle direct entre le cinéma et la religion
et décrivent Hollywood comme un panthéon romain,
voire une sorte de paradis.
Les éléments qui rapprochent le cinéma de la religion sont omniprésents dans Ave César.
On peut citer par exemple le nom du studio fictif
pour lequel travaille Eddie Mannix, Capitol,
qui est à la fois le nom du studio pour lequel travaillait Barton Fink
mais aussi le nom de la colline où se situait le temple de Jupiter à Rome.
Il y a aussi le ballet aquatique
qui représente l'actrice DeeAnna Moran comme une déesse de l'océan
ou encore les moments où Eddie Mannix trouve dans sa foi catholique
un moyen de surmonter ses doutes concernant l'industrie hollywoodienne.
D'ailleurs, le fait que le titre du film des frères Coen reprenne
celui du péplum tourné par Baird Whitlock
invite à rapprocher leurs protagonistes respectifs.
Dans un cas, Eddie Mannix retrouve sa foi dans le cinéma.
Dans l'autre, le général romain interprété par Whitlock
finit par embrasser le message du Christ.
De la même manière, le montage provisoire du péplum indique
que les images montrant la figure divine n'ont pas été tournées
et le film des frères Coen évite tout aussi soigneusement
de montrer le patron du studio Capitol,
faisant de ce dernier la divinité transcendante qui règne sur le studio
À la fin des crédits, les Coen s'amusent même à indiquer*
que le film ne contient aucune représentation de l'aspect suprême de Dieu,
conformément à l'interdiction énoncé par le rabbin interrogé par Eddie Mannix.
Les Coen jouent ainsi sur la polysémie du terme Godhead
qui désigne à la fois l'aspect transcendant et ineffable de Dieu dans la mystique juive
et plus littéralement la tête de Dieu, ou du patron de Capitol
dont on ne voit pas le visage.
Et à la fin du film,
les monologues du général romain et de la voix off utilisent la même expression.
Dans un cas, il s'agit évidemment de la lumière divine
irriguant le christianisme naissant.
Et dans l'autre, de la lumière du projecteur éclairant l'écran de cinéma.
Difficile de faire plus explicite comme rapprochement !
Par ailleurs, s'il y a un élément maléfique dans Ave, César,
il ne se trouve pas du côté d'Hollywood
mais plutôt du côté de l'entreprise d'aviation qui cherche à débaucher Mannix.
Lorsque son représentant montre à Mannix l'accomplissement dont il est le plus fier,
la réaction de Mannix est pour le moins biblique :
Mais alors comment expliquer la différence radicale
entre le point de vue de Barton Fink et celui d'Ave, César ?
Est-ce que les Coen auraient complètement changé d'avis sur Hollywood
au cours de leur carrière ?
Et bien, en fait, non. Au contraire, même !
On peut déjà signaler que les frères Coen avaient déclaré dès la sortie de Barton Fink
que le film ne reflétait pas leur expérience à Hollywood…
et de fait, la suite de leur prolifique carrière montre
qu'ils n'ont jamais eu trop de mal à tourner des films.
Même à leur début, lorsque leurs films n'étaient pas forcément rentables,
ils ont pu compter sur le soutien de Joel Silver
qui a financé la production coûteuse du Grand Saut
malgré les recettes décevantes de Barton Fink.
Mais plus fondamentalement,
arton Fink et Avé, César véhiculent en réalité la même vision d'Hollywood.
Et si les deux films se présentent sous deux aspects différents,
c'est parce qu'ils épousent avant tout le point de vue de leur protagoniste respectifs.
La différence entre Barton Fink et Ave, César
tient donc à la différence radicale entre Barton Fink et Eddie Mannix.
Barton Fink est un intellectuel de la côte Est.
Il se voit avant tout comme un artiste au service de grands idéaux esthétiques et politiques.
Et malgré ces grands discours sur l'importance des gens ordinaires,
la seule perception qu'il en a repose sur des clichés.
Au début du film, on comprend même
que sa pièce à propos d'une famille de poissonniers est avant tout appréciée
par la bourgeoisie new-yorkaise et par la critique du Herald Tribune,
un des journaux les plus prestigieux