Happy Feet de George Miller : l'analyse de M. Bobine
Adeptes de la Grande Toile, bonjour !
Aujourd'hui, nous allons causer manchots, claquettes,
et … transcendance.
Sur la base des deux premiers mots,
vous aurez très probablement reconnu l'œuvre dont il va être question,
à savoir le sublime Happy Feet premier du nom.
Mais si vous vous demandez
ce que le troisième terme vient faire dans un film pour enfants,
ça tombe bien puisque c'est précisément le sujet de notre épisode !
L'équation « animaux rigolos + chansons à gogo = films pour marmots »
valable pour le tout-venant de la production hollywoodienne
peut-elle s'appliquer à un cinéaste aussi insaisissable que George Miller ?
Et, en vérité,
Happy Feet n'aurait-il pas d'autres vocations que simplement faire se trémousser
nos chères petites têtes blondes ?
Pour commencer
laissez-moi vous raconter une petite anecdote personnelle.
Quand le trailer de Happy Feet a débarqué sur le net au cours de l'été 2006,
quelques mois avant sa sortie en salles,
mon premier réflexe a été de me dire que ce film n'était vraiment pas fait pour moi.
Le ton de la bande-annonce laissait entrevoir
un truc basé essentiellement sur des tubes de la variété anglo-saxonne,
un peu comme le récent Tous en scène des studios Illumination.
A cette époque,
Warner n'avait pas jugé bon de mettre en avant le nom de George Miller pour la promo du film,
contrairement à Fury Road en 2015
Et du coup, je ne m'étais pas demandé qui pouvait bien se cacher derrière ce projet,
Quand bien même la grosse proportion d'acteurs australiens au casting vocal
aurait pu me mettre la puce à l'oreille...
En apprenant par hasard que c'était le papa de Mad Max aux commandes,
forcément, ma curiosité est montée d'un bon gros cran.
Et c'est là que je me suis dit que le pitch n'était pas sans rappeler le premier Babe,
que Miller a écrit, produit,
et même, selon certains, officieusement réalisé.
Sauf qu'à la place d'un cochon aspirant à devenir gardien de troupeaux,
nous avons droit à un manchot empereur qui ne sait pas chanter
mais fait des claquettes comme personne.
Dans Happy Feet,
La fable sur l'acceptation de la différence
se double d'un discours écologique
quand le héros, Mumble, se lance dans une grande quête aux confins du monde
pour convaincre les humains de cesser la pêche intensive en Antarctique,
sous peine de condamner son peuple à la famine.
Et puis il y a toujours ces messages aussi...
je pense que c'est très très bien aujourd'hui que,
puisqu'on s'adresse à des enfants de 7 à 77 ans,
... qu'il y ait ce message qui est "faites gaffe à la Terre"
De prendre soin...
de cette planète qui nous est chère
parce qu'on n'en a qu'une de toute façon
Voilà, je pense que c'est bien qu'il y ait aussi...
... ce message-là quoi...
Messages positifs, animaux trognons, scènes musicales en pagaille …
A priori, Happy Feet présente tous les atours
du spectacle pour mioches par excellence.
Pourtant,
cette impression va être quelque peu parasitée par notre ami George Miller,
et ce dès l'ouverture du film.
En effet, la toute première chanson à se faire entendre
est l'inattendu Golden Slumbers des Beatles,
qui est très loin d'être le tube le plus connu du groupe,
et dont les paroles s'avèrent quelque peu … cryptiques.
La scène suivante nous emmène
au beau milieu du rituel de séduction annuel des manchots empereurs.
L'occasion pour Miller de convoquer les figures sensuelles de Marylin et Elvis
et de nous dégainer malicieusement
quelques morceaux blindés d'explicit lyrics.
C'est pas chez Disney qu'on verrait ça !
Bon okay, sauf peut-être dans Le bossu de Notre-Dame…
Plus Happy Feet avance,
et plus il devient évident qu'on a affaire à une œuvre audacieuse
et très éloignée des standards de l'animation hollywoodienne.
Miller pousse l'art de la rupture de ton dans ses ultimes retranchements
en passant en un claquement de bec du profane au sacré.
Ainsi,
la scène gentiment triviale de la parade amoureuse
cède sa place à cette vision qu'on croirait tout droit sortie de la Bible.
On notera d'ailleurs que le patriarche de la tribu manchot
répond au nom évocateur de Noé.
Le Grand Manchot dont il se fait le porte-parole,
, rappelle quant à lui furieusement le Yahvé de l'Ancien Testament,
qu'il vaut mieux ne pas trop chercher sous peine d'horribles tourments.
Tout au long du film,
Miller multiplie les références bibliques pas très très orientées kids.
Les Évangiles sont cités pour la première fois quand apparaît le personnage de Lovelace,
un prédicateur qui fait ses sermons sur une montagne de cailloux
et qui n'a qu'un seul mot au bec :
Mais, tout comme Noé,
il se révélera au final n'être qu'un manipulateur de foules,
rejoignant ainsi la longue cohorte des faux prophètes
qui peuplent l'œuvre de George Miller.
La vraie figure messianique du film est bien évidemment le héros,
Mumble Happy Feet.
Sa naissance relève du miracle.
Une fois devenu adulte,
son discours d'ouverture lui vaut l'hostilité des gardiens de la tradition.
Mais il finit par déclencher une véritable révolution des esprits.
Qui se propage à la Terre entière.
Entretemps, Mumble aura connu une forme de mort, suivie d'une résurrection.
Ce passage intervient à la fin du second acte,
quand le manchot, à bout de forces après avoir traversé tout un océan,
se réveille dans un Marineland assimilé par ses pensionnaires à l'au-delà.
Mumble revient à la vie par la grâce d'une petite fille.
En tapant délicatement contre la vitre,
elle fait écho aux coups de becs de Gloria contre son œuf au début du film.
Naissance... renaissance...
Je sais pas pour vous, mais moi ça me file des frissons à chaque fois !
Ce concept de mort / résurrection est très loin d'être la chasse gardée du christianisme.
En tant que disciple de Joseph Campbell,
George Miller sait très bien ce que Jésus doit
à tous les récits mythologiques qui l'ont précédé depuis le fond des âges.
Comme moult et moult héros rédempteurs,
Mumble doit donc mourir.
Puis renaître, afin de mieux pouvoir régénérer le monde.
Suivant la structure cyclique du monomythe,
le parcours héroïque de Mumble le ramène aussi vers son point d'origine,
la terre des Manchots,
où il entend bien partager avec la collectivité
le savoir acquis au cours de sa quête initiatique.
Mais il ne revient pas tout à fait seul,
puisqu'il est suivi de près par un groupe de scientifiques.
que les manchots assimilent à des aliens tout au long du film
C'est dans cette scène que George Miller nous révèle enfin son véritable propos.
Inspirés par l'exemple de Mumble,
les manchots se lancent dans un grand numéro de claquettes
sous les yeux émerveillés des « aliens » qui menacent leur existence.
Si vous tendez bien l'oreille,
vous remarquerez que leurs pas de danse reproduisent TRÈS EXACTEMENT
la suite de coups de la fillette contre la vitre !
Par ce leitmotiv associé à l'idée de renaissance,
et adressé en dernier lieu à des représentants de notre espèce,
Miller nous fait réaliser d'un coup
que Happy Feet n'est pas qu'un simple divertissement inoffensif destiné aux plus jeunes
avec un joli message écolo pour faire genre.
En réalité,
il s'adresse à l'humanité toute entière,qu'il appelle littéralement à renaître !
A bien y réfléchir,
cette idée était déjà présente en creux dès le premier plan du film,
qui nous montre une vue globale de la Terre,
le tout sur fond de chanson parlant de savoir perdu.
Typiquement le genre de truc qui permet de faire la différence entre un bon cinéaste
et un grand cinéaste…
Bref, sous ses airs de comédie musicale enjouée,
Happy Feet nous enjoint donc tous, petits et grands,
à nous réveiller.
À sortir de notre torpeur
ou de notre coquille si vous préférez...
à cesser d'être des « aliens », des étrangers à ce monde,
pour reprendre notre juste place dans la grande ronde universelle.