TABOU 2010-09-23
Le débat est vif aux États-Unis sur la visibilité de l'orientation sexuelle dans l'armée. Qu'est-ce qu'on entend par cette phrase un peu alambiquée : visibilité de l'orientation sexuelle ? C'est simple : peut-on montrer par exemple qu'on est homosexuel quand on est dans l'armée ? Peut-on le faire valoir, ne pas s'en cacher. Ou faut-il encore se plier à la règle actuelle qui se résume en ces quelques mots anglais : « don't ask, don't tell ! », c'est-à-dire « ne le demandez pas (s'il s'agit d'un autre), ne le dites pas (s'il s'agit de vous) ». La formule montre bien qu'il s'agit d'un tabou ! Qu'est-ce donc qu'un tabou , mot mystérieux, dont les significations sont un peu différentes selon les contextes ? On parle de sujets tabous lorsqu'il s'agit de thèmes que personne n'ose aborder : on n'en parle pas, voilà ! Pourquoi ? Parce que ça gêne, ça met mal à l'aise, parce que ça soulève des problèmes qu'on veut maintenir cachés. Bien sûr, il y a des sujets traditionnellement tabous, qui le sont presque dans toutes les sociétés : le sexe, l'argent, la délinquance, par exemple, et on remarque que ces domaines sont ceux dans les quels l'argot est le plus présent. On n'ose évoquer telle ou telle chose, sauf si c'est de façon très familière, ou triviale, ou alors de façon totalement abstraite, administrative, désincarnée. Et ainsi, on peut d'une certaine façon tourner le tabou, faire allusion, sans préciser, sans nommer. Le mot tabou d'ailleurs s'emploie souvent de façon plaisante et un peu abusive, pour mettre le doigt sur l'interdit des interdits, même si parfois, c'est pour rire : la chaise du patron, elle est totalement taboue ! Personne n'a le droit de s'asseoir dessus. On entend bien que ce mot n'a pas des origines très françaises : c'est vrai et il nous est parvenu par l'entremise des grands voyageurs du XVIIIe siècle, qui découvraient encore des terres inconnues ou presque. En 1777 paraît le voyage de Cook, relation des aventures du grand capitaine, où il aborde, si l'on peut dire, toute sorte de sujets : il parle des terres mais aussi des hommes. Il transcrit donc un mot polynésien, qui donne l'idée d'une interdiction liée au sacré. Le tabou est ce qui échappe à la main, au regard, au langage de l'homme ordinaire. Il s'agit donc des rapports avec le monde des dieux, le monde sacré, et la relation avec ces mondes se fait souvent par l'intermédiaire du rituel, de la cérémonie : rapport compliqué, codifié, le plus souvent régi, réglementé par les prêtres, qui se permettent, non pas tout, mais un certaine nombre de choses auxquelles les humains ordinaires n'ont pas accès. Briser le tabou, c'est donc commettre un sacrilège, une profanation. Mais le mot est promis à un exceptionnel succès : lui qui désigne une pratique lointaine et inconnue, il va être emprunté pour désigner ce qu'on commence à étudier en occident. Il va ainsi représenter une idée universelle, une de ces idées qui font saliver les sociologues, une idée qu'on retrouve dans toute société, même si c'est avec des modalités et des formes différentes : et on cherche dans des sociétés très éloignées des modèles de ce qui est en nous, mais qu'on ne voit pas, qu'on se cache. Les sociologues se sont donc emparés du mot, mais pas autant que les psychanalystes, depuis le titre du célèbre ouvrage de Freud, Totem et Tabou , qui véritablement ancre solidement le mot dans le vocabulaire savant, puis, courant, mais un peu snob.
Coproduction du Centre national de Documentation Pédagogique. http://www.cndp.fr/ Venez découvrir le livre Les Mots de l'Actualité d'Yvan Amar.
