×

Wir verwenden Cookies, um LingQ zu verbessern. Mit dem Besuch der Seite erklärst du dich einverstanden mit unseren Cookie-Richtlinien.


image

La Dame aux Camélias - Dumas Fils, Chapitre XXVI (2)

Chapitre XXVI (2)

« On venait saisir. Je lui ai dit de laisser faire ce qu'ils appellent la justice. L'huissier est entré dans ma chambre, le chapeau sur la tête. Il a ouvert les tiroirs, a inscrit tout ce qu'il a vu, et n'a pas eu l'air de s'apercevoir qu'il y avait une mourante dans le lit qu'heureusement la charité de la loi me laisse.

« Il a consenti à me dire en partant que je pouvais mettre opposition avant neuf jours, mais il a laissé un gardien ! Que vais-je devenir, mon Dieu ! Cette scène m'a rendue encore plus malade. Prudence voulait demander de l'argent à l'ami de votre père, je m'y suis opposée.

« J'ai reçu votre lettre ce matin. J'en avais besoin. Ma réponse vous arrivera-t-elle à temps ? Me verrez-vous encore ? Voilà une journée heureuse qui me fait oublier toutes celles que j'ai passées depuis six semaines. Il me semble que je vais mieux, malgré le sentiment de tristesse sous l'impression duquel je vous ai répondu.

« Après tout, on ne doit pas toujours être malheureux.

« Quand je pense qu'il peut arriver que je ne meure pas, que vous reveniez, que je revoie le printemps, que vous m'aimiez encore et que nous recommencions notre vie de l'année dernière !

« Folle que je suis ! c'est à peine si je puis tenir la plume avec laquelle je vous écris ce rêve insensé de mon coeur.

« Quoi qu'il arrive, je vous aimais bien, Armand, et je serais morte depuis longtemps si je n'avais pour m'assister le souvenir de cet amour, et comme un vague espoir de vous revoir encore près de moi. »

« 4 février :

« Le comte de G… est revenu. Sa maîtresse l'a trompé. Il est fort triste, il l'aimait beaucoup. Il est venu me conter tout cela. Le pauvre garçon est assez mal dans ses affaires, ce qui ne l'a pas empêché de payer mon huissier et de congédier le gardien.

« Je lui ai parlé de vous et il m'a promis de vous parler de moi. Comme j'oubliais dans ces moments-là que j'avais été sa maîtresse et comme il essayait de me le faire oublier aussi ! C'est un brave coeur.

« Le duc a envoyé savoir de mes nouvelles hier, et il est venu ce matin. Je ne sais pas ce qui peut faire vivre encore ce vieillard. Il est resté trois heures auprès de moi, et il ne m'a pas dit vingt mots. Deux grosses larmes sont tombées de ses yeux quand il m'a vue si pâle. Le souvenir de la mort de sa fille le faisait pleurer sans doute. Il l'aura vue mourir deux fois. Son dos est courbé, sa tête penche vers la terre, sa lèvre est pendante, son regard est éteint. L'âge et la douleur pèsent de leur double poids sur son corps épuisé. Il ne m'a pas fait un reproche. On eût même dit qu'il jouissait secrètement du ravage que la maladie avait fait en moi. Il semblait fier d'être debout, quand moi, jeune encore, j'étais écrasée par la souffrance.

« Le mauvais temps est revenu. Personne ne vient me voir. Julie veille le plus qu'elle peut auprès de moi. Prudence, à qui je ne peux plus donner autant d'argent qu'autrefois, commence à prétexter des affaires pour s'éloigner.

« Maintenant que je suis près de mourir, malgré ce que me disent les médecins, car j'en ai plusieurs, ce qui prouve que la maladie augmente, je regrette presque d'avoir écouté votre père ; si j'avais su ne prendre qu'une année à votre avenir, je n'aurais pas résisté au désir de passer cette année avec vous, et au moins je mourrais en tenant la main d'un ami. Il est vrai que si nous avions vécu ensemble cette année, je ne serais pas morte sitôt.

« La volonté de Dieu soit faite ! »

« 5 février :

« Oh ! Venez, venez, Armand, je souffre horriblement, je vais mourir, mon Dieu. J'étais si triste hier que j'ai voulu passer autre part que chez moi la soirée qui promettait d'être longue comme celle de la veille. Le duc était venu le matin. Il me semble que la vue de ce vieillard oublié par la mort me fait mourir plus vite.

« Malgré l'ardente fièvre qui me brûlait, je me suis fait habiller et conduire au Vaudeville. Julie m'avait mis du rouge, sans quoi j'aurais eu l'air d'un cadavre. Je suis allée dans cette loge où je vous ai donné notre premier rendez-vous ; tout le temps j'ai eu les yeux fixés sur la stalle que vous occupiez ce jour-là, et qu'occupait hier une sorte de rustre, qui riait bruyamment de toutes les sottes choses que débitaient les acteurs. On m'a rapportée à moitié morte chez moi. J'ai toussé et craché le sang toute la nuit. Aujourd'hui je ne peux plus parler, à peine si je peux remuer les bras. Mon Dieu ! Mon Dieu ! Je vais mourir. Je m'y attendais, mais je ne puis me faire à l'idée de souffrir plus que je ne souffre, et si… »

À partir de ce mot les quelques caractères que Marguerite avait essayé de tracer étaient illisibles, et c'était Julie Duprat qui avait continué.

« 18 février :

« Monsieur Armand,

« Depuis le jour où Marguerite a voulu aller au spectacle, elle a été toujours plus malade. Elle a perdu complètement la voix, puis l'usage de ses membres. Ce que souffre notre pauvre amie est impossible à dire. Je ne suis pas habituée à ces sortes d'émotions, et j'ai des frayeurs continuelles.

« Que je voudrais que vous fussiez auprès de nous ! Elle a presque toujours le délire, mais, délirante ou lucide, c'est toujours votre nom qu'elle prononce quand elle arrive à pouvoir dire un mot.

« Le médecin m'a dit qu'elle n'en avait plus pour longtemps.

Depuis qu'elle est si malade, le vieux duc n'est pas revenu.

« Il a dit au docteur que ce spectacle lui faisait trop de mal.

« Madame Duvernoy ne se conduit pas bien. Cette femme, qui croyait tirer plus d'argent de Marguerite, aux dépens de laquelle elle vivait presque complètement, a pris des engagements qu'elle ne peut tenir, et voyant que sa voisine ne lui sert plus de rien, elle ne vient même pas la voir. Tout le monde l'abandonne. M. de G…, traqué par ses dettes, a été forcé de repartir pour Londres. En partant, il nous a envoyé quelque argent ; il a fait tout ce qu'il a pu, mais on est revenu saisir, et les créanciers n'attendent que la mort pour faire vendre.

« J'ai voulu user de mes dernières ressources pour empêcher toutes ces saisies, mais l'huissier m'a dit que c'était inutile, et qu'il avait d'autres jugements encore à exécuter. Puisqu'elle va mourir, il vaut mieux abandonner tout que de le sauver pour sa famille qu'elle n'a pas voulu voir, et qui ne l'a jamais aimée. Vous ne pouvez vous figurer au milieu de quelle misère dorée la pauvre fille se meurt. Hier nous n'avions pas d'argent du tout. Couverts, bijoux, cachemires, tout est en gage, le reste est vendu ou saisi. Marguerite a encore la conscience de ce qui se passe autour d'elle, et elle souffre du corps, de l'esprit et du coeur. De grosses larmes coulent sur ses joues, si amaigries et si pâles que vous ne reconnaîtriez plus le visage de celle que vous aimiez tant, si vous pouviez la voir. Elle m'a fait promettre de vous écrire quand elle ne pourrait plus, et j'écris devant elle. Elle porte les yeux de mon côté mais elle ne me voit pas, son regard est déjà voilé par la mort prochaine ; cependant elle sourit, et toute sa pensée, toute son âme sont à vous, j'en suis sûre.

« Chaque fois que l'on ouvre la porte, ses yeux s'éclairent, et elle croit toujours que vous allez entrer ; puis, quand elle voit que ce n'est pas vous, son visage reprend son expression douloureuse, se mouille d'une sueur froide, et les pommettes deviennent pourpres. »

« 19 février, minuit :

« La triste journée que celle d'aujourd'hui, mon pauvre monsieur Armand ! Ce matin Marguerite étouffait, le médecin l'a saignée, et la voix lui est un peu revenue. Le docteur lui a conseillé de voir un prêtre. Elle a dit qu'elle y consentait, et il est allé lui-même chercher un abbé à Saint-Roch.

« Pendant ce temps, Marguerite m'a appelée près de son lit, m'a priée d'ouvrir son armoire, puis elle m'a désigné un bonnet, une chemise longue toute couverte de dentelles, et m'a dit d'une voix affaiblie :

« – Je vais mourir après m'être confessée, alors tu m'habilleras avec ces objets : c'est une coquetterie de mourante. »

« Puis elle m'a embrassée en pleurant, et elle a ajouté :

« – Je puis parler, mais j'étouffe trop quand je parle ; j'étouffe ! de l'air !

« Je fondais en larmes, j'ouvris la fenêtre, et quelques instants après le prêtre entra.

« J'allai au-devant de lui.

Quand il sut chez qui il était, il parut craindre d'être mal accueilli.

« – Entrez hardiment, mon père, lui ai-je dit.

« Il est resté peu de temps dans la chambre de la malade, et il en est ressorti en me disant :

« – Elle a vécu comme une pécheresse, mais elle mourra comme une chrétienne.

« Quelques instants après, il est revenu accompagné d'un enfant de choeur qui portait un crucifix, et d'un sacristain qui marchait devant eux en sonnant, pour annoncer que Dieu venait chez la mourante.

« Ils sont entrés tous trois dans cette chambre à coucher qui avait retenti autrefois de tant de mots étranges, et qui n'était plus à cette heure qu'un tabernacle saint.

« Je suis tombée à genoux. Je ne sais pas combien de temps durera l'impression que m'a produite ce spectacle, mais je ne crois pas que, jusqu'à ce que j'en sois arrivée au même moment, une chose humaine pourra m'impressionner autant.

« Le prêtre oignit des huiles saintes les pieds, les mains et le front de la mourante, récita une courte prière, et Marguerite se trouva prête à partir pour le ciel où elle ira sans doute, si Dieu a vu les épreuves de sa vie et la sainteté de sa mort.

« Depuis ce temps elle n'a pas dit une parole et n'a pas fait un mouvement. Vingt fois je l'aurais crue morte, si je n'avais entendu l'effort de sa respiration. »

« 20 février, cinq heures du soir :

« Tout est fini.

« Marguerite est entrée en agonie cette nuit à deux heures environ. Jamais martyre n'a souffert pareilles tortures, à en juger par les cris qu'elle poussait. Deux ou trois fois elle s'est dressée tout debout sur son lit, comme si elle eût voulu ressaisir sa vie qui remontait vers Dieu.

« Deux ou trois fois aussi, elle a dit votre nom, puis tout s'est tu, elle est retombée épuisée sur son lit. Des larmes silencieuses ont coulé de ses yeux et elle est morte.

« Alors, je me suis approchée d'elle, je l'ai appelée, et comme elle ne répondait pas, je lui ai fermé les yeux et je l'ai embrassée sur le front.

« Pauvre chère Marguerite, j'aurais voulu être une sainte femme, pour que ce baiser te recommandât à Dieu.

« Puis, je l'ai habillée comme elle m'avait priée de le faire, je suis allée chercher un prêtre à Saint-Roch, j'ai brûlé deux cierges pour elle, et j'ai prié pendant une heure dans l'église.

« J'ai donné à des pauvres de l'argent qui venait d'elle.

« Je ne me connais pas bien en religion, mais je pense que le bon Dieu reconnaîtra que mes larmes étaient vraies, ma prière fervente, mon aumône sincère, et qu'il aura pitié de celle, qui, morte jeune et belle, n'a eu que moi pour lui fermer les yeux et l'ensevelir. »

« 22 février :

« Aujourd'hui l'enterrement a eu lieu. Beaucoup des amies de Marguerite sont venues à l'église. Quelques-unes pleuraient avec sincérité. Quand le convoi a pris le chemin de Montmartre, deux hommes seulement se trouvaient derrière, le comte de G…, qui était revenu exprès de Londres, et le duc qui marchait soutenu par deux valets de pied.

« C'est de chez elle que je vous écris tous ces détails, au milieu de mes larmes et devant la lampe qui brûle tristement près d'un dîner auquel je ne touche pas, comme bien vous pensez, mais que Nanine m'a fait faire, car je n'ai pas mangé depuis plus de vingt-quatre heures.

Chapitre XXVI (2) Kapitel XXVI (2) Chapter XXVI (2) Capítulo XXVI (2)

« On venait saisir. ||seize Je lui ai dit de laisser faire ce qu'ils appellent la justice. L'huissier est entré dans ma chambre, le chapeau sur la tête. The bailiff|||||||||| The usher entered my room, his hat on his head. Il a ouvert les tiroirs, a inscrit tout ce qu'il a vu, et n'a pas eu l'air de s'apercevoir qu'il y avait une mourante dans le lit qu'heureusement la charité de la loi me laisse.

« Il a consenti à me dire en partant que je pouvais mettre opposition avant neuf jours, mais il a laissé un gardien ! Que vais-je devenir, mon Dieu ! Was wird aus mir werden, mein Gott! What will become of me, my God! Cette scène m'a rendue encore plus malade. Prudence voulait demander de l'argent à l'ami de votre père, je m'y suis opposée.

« J'ai reçu votre lettre ce matin. J'en avais besoin. Ma réponse vous arrivera-t-elle à temps ? Me verrez-vous encore ? Voilà une journée heureuse qui me fait oublier toutes celles que j'ai passées depuis six semaines. Il me semble que je vais mieux, malgré le sentiment de tristesse sous l'impression duquel je vous ai répondu.

« Après tout, on ne doit pas toujours être malheureux. After||||||||

« Quand je pense qu'il peut arriver que je ne meure pas, que vous reveniez, que je revoie le printemps, que vous m'aimiez encore et que nous recommencions notre vie de l'année dernière !

« Folle que je suis ! c'est à peine si je puis tenir la plume avec laquelle je vous écris ce rêve insensé de mon coeur. ||||||||pen|||||||||||

« Quoi qu'il arrive, je vous aimais bien, Armand, et je serais morte depuis longtemps si je n'avais pour m'assister le souvenir de cet amour, et comme un vague espoir de vous revoir encore près de moi. »

« 4 février :

« Le comte de G… est revenu. Sa maîtresse l'a trompé. Il est fort triste, il l'aimait beaucoup. Il est venu me conter tout cela. Le pauvre garçon est assez mal dans ses affaires, ce qui ne l'a pas empêché de payer mon huissier et de congédier le gardien. ||||||||||||||||||bailiff||||| The poor boy is pretty badly in his business, which did not prevent him from paying my bailiff and dismissing the caretaker.

« Je lui ai parlé de vous et il m'a promis de vous parler de moi. Comme j'oubliais dans ces moments-là que j'avais été sa maîtresse et comme il essayait de me le faire oublier aussi ! C'est un brave coeur.

« Le duc a envoyé savoir de mes nouvelles hier, et il est venu ce matin. Je ne sais pas ce qui peut faire vivre encore ce vieillard. Il est resté trois heures auprès de moi, et il ne m'a pas dit vingt mots. Deux grosses larmes sont tombées de ses yeux quand il m'a vue si pâle. Le souvenir de la mort de sa fille le faisait pleurer sans doute. Il l'aura vue mourir deux fois. Son dos est courbé, sa tête penche vers la terre, sa lèvre est pendante, son regard est éteint. |||curved||||||||||||||is extinguished L'âge et la douleur pèsent de leur double poids sur son corps épuisé. Age and pain weigh their double weight on his exhausted body. Il ne m'a pas fait un reproche. On eût même dit qu'il jouissait secrètement du ravage que la maladie avait fait en moi. Il semblait fier d'être debout, quand moi, jeune encore, j'étais écrasée par la souffrance. ||||standing||||||crushed|||

« Le mauvais temps est revenu. Personne ne vient me voir. Julie veille le plus qu'elle peut auprès de moi. Prudence, à qui je ne peux plus donner autant d'argent qu'autrefois, commence à prétexter des affaires pour s'éloigner. |||||||||||||||||move away

« Maintenant que je suis près de mourir, malgré ce que me disent les médecins, car j'en ai plusieurs, ce qui prouve que la maladie augmente, je regrette presque d'avoir écouté votre père ; si j'avais su ne prendre qu'une année à votre avenir, je n'aurais pas résisté au désir de passer cette année avec vous, et au moins je mourrais en tenant la main d'un ami. Il est vrai que si nous avions vécu ensemble cette année, je ne serais pas morte sitôt.

« La volonté de Dieu soit faite ! »

« 5 février :

« Oh ! Venez, venez, Armand, je souffre horriblement, je vais mourir, mon Dieu. J'étais si triste hier que j'ai voulu passer autre part que chez moi la soirée qui promettait d'être longue comme celle de la veille. I was so sad yesterday that I wanted to spend the evening somewhere other than at home, which promised to be as long as the day before. Le duc était venu le matin. Il me semble que la vue de ce vieillard oublié par la mort me fait mourir plus vite. It seems to me that the sight of this old man forgotten by death makes me die more quickly.

« Malgré l'ardente fièvre qui me brûlait, je me suis fait habiller et conduire au Vaudeville. ||||||||||||||Vaudeville “Despite the ardent fever that burned me, I had myself dressed and taken to the Vaudeville. Julie m'avait mis du rouge, sans quoi j'aurais eu l'air d'un cadavre. Je suis allée dans cette loge où je vous ai donné notre premier rendez-vous ; tout le temps j'ai eu les yeux fixés sur la stalle que vous occupiez ce jour-là, et qu'occupait hier une sorte de rustre, qui riait bruyamment de toutes les sottes choses que débitaient les acteurs. |||||||||||||||||||||||||stall|||||||||||sort||ruffian|||||||||||| I went to that box where I gave you our first meeting; all the time I had my eyes fixed on the stall you occupied that day, and which occupied yesterday a kind of boor, who laughed noisily at all the stupid things the actors spouted. On m'a rapportée à moitié morte chez moi. J'ai toussé et craché le sang toute la nuit. Ich hustete und spuckte die ganze Nacht Blut. Aujourd'hui je ne peux plus parler, à peine si je peux remuer les bras. Mon Dieu ! Mon Dieu ! Je vais mourir. Je m'y attendais, mais je ne puis me faire à l'idée de souffrir plus que je ne souffre, et si… » Ich habe es erwartet, aber ich kann mich nicht mit dem Gedanken anfreunden, mehr zu leiden als ich leide, und wenn ...".

À partir de ce mot les quelques caractères que Marguerite avait essayé de tracer étaient illisibles, et c'était Julie Duprat qui avait continué.

« 18 février :

« Monsieur Armand,

« Depuis le jour où Marguerite a voulu aller au spectacle, elle a été toujours plus malade. Elle a perdu complètement la voix, puis l'usage de ses membres. Ce que souffre notre pauvre amie est impossible à dire. Je ne suis pas habituée à ces sortes d'émotions, et j'ai des frayeurs continuelles. ||||||||||||fears| I'm not used to these kinds of emotions, and I have continual frights.

« Que je voudrais que vous fussiez auprès de nous ! Elle a presque toujours le délire, mais, délirante ou lucide, c'est toujours votre nom qu'elle prononce quand elle arrive à pouvoir dire un mot.

« Le médecin m'a dit qu'elle n'en avait plus pour longtemps.

Depuis qu'elle est si malade, le vieux duc n'est pas revenu.

« Il a dit au docteur que ce spectacle lui faisait trop de mal.

« Madame Duvernoy ne se conduit pas bien. Cette femme, qui croyait tirer plus d'argent de Marguerite, aux dépens de laquelle elle vivait presque complètement, a pris des engagements qu'elle ne peut tenir, et voyant que sa voisine ne lui sert plus de rien, elle ne vient même pas la voir. ||||||||||||||||||||||||maintain|||||||||||||||||| This woman, who thought she was getting more money from Marguerite, at whose expense she lived almost entirely, has made commitments she cannot keep, and seeing that her neighbor is no longer of any use to her, she does not even come. to see her. Tout le monde l'abandonne. M. de G…, traqué par ses dettes, a été forcé de repartir pour Londres. En partant, il nous a envoyé quelque argent ; il a fait tout ce qu'il a pu, mais on est revenu saisir, et les créanciers n'attendent que la mort pour faire vendre.

« J'ai voulu user de mes dernières ressources pour empêcher toutes ces saisies, mais l'huissier m'a dit que c'était inutile, et qu'il avait d'autres jugements encore à exécuter. |||||||||||seizures||||||||||||||| Puisqu'elle va mourir, il vaut mieux abandonner tout que de le sauver pour sa famille qu'elle n'a pas voulu voir, et qui ne l'a jamais aimée. Vous ne pouvez vous figurer au milieu de quelle misère dorée la pauvre fille se meurt. Hier nous n'avions pas d'argent du tout. |||||of the| Couverts, bijoux, cachemires, tout est en gage, le reste est vendu ou saisi. ||||||pledge|||||| Marguerite a encore la conscience de ce qui se passe autour d'elle, et elle souffre du corps, de l'esprit et du coeur. De grosses larmes coulent sur ses joues, si amaigries et si pâles que vous ne reconnaîtriez plus le visage de celle que vous aimiez tant, si vous pouviez la voir. ||||||||emaciated||||||||||||||||||||| Elle m'a fait promettre de vous écrire quand elle ne pourrait plus, et j'écris devant elle. Elle porte les yeux de mon côté mais elle ne me voit pas, son regard est déjà voilé par la mort prochaine ; cependant elle sourit, et toute sa pensée, toute son âme sont à vous, j'en suis sûre. ||||||||||||||gaze|||||||||||||||||||||||

« Chaque fois que l'on ouvre la porte, ses yeux s'éclairent, et elle croit toujours que vous allez entrer ; puis, quand elle voit que ce n'est pas vous, son visage reprend son expression douloureuse, se mouille d'une sueur froide, et les pommettes deviennent pourpres. |||||||||||||||||||||sees|||||||||||||||||||cheeks|| “Every time you open the door, her eyes light up, and she still thinks you're going to come in; then, when she sees that it is not you, her face resumes its painful expression, becomes wet with a cold sweat, and the cheekbones turn purple. »

« 19 février, minuit :

« La triste journée que celle d'aujourd'hui, mon pauvre monsieur Armand ! Ce matin Marguerite étouffait, le médecin l'a saignée, et la voix lui est un peu revenue. |||was suffocating|||||||||||| This morning Marguerite was suffocating, the doctor bled her, and her voice came back a little. Le docteur lui a conseillé de voir un prêtre. Elle a dit qu'elle y consentait, et il est allé lui-même chercher un abbé à Saint-Roch.

« Pendant ce temps, Marguerite m'a appelée près de son lit, m'a priée d'ouvrir son armoire, puis elle m'a désigné un bonnet, une chemise longue toute couverte de dentelles, et m'a dit d'une voix affaiblie : ||||||||||||||||||||bonnet|||||||||||||

« – Je vais mourir après m'être confessée, alors tu m'habilleras avec ces objets : c'est une coquetterie de mourante. ||||||||||||||coquetry|| »

« Puis elle m'a embrassée en pleurant, et elle a ajouté :

« – Je puis parler, mais j'étouffe trop quand je parle ; j'étouffe ! |||||||||I'm choking “– I can speak, but I suffocate too much when I speak; I'm suffocating! de l'air !

« Je fondais en larmes, j'ouvris la fenêtre, et quelques instants après le prêtre entra. |broke||||||||||||

« J'allai au-devant de lui.

Quand il sut chez qui il était, il parut craindre d'être mal accueilli. |||||||||fear|||

« – Entrez hardiment, mon père, lui ai-je dit. |boldly||||||

« Il est resté peu de temps dans la chambre de la malade, et il en est ressorti en me disant : ||||||||||||||||went out|||

« – Elle a vécu comme une pécheresse, mais elle mourra comme une chrétienne.

« Quelques instants après, il est revenu accompagné d'un enfant de choeur qui portait un crucifix, et d'un sacristain qui marchait devant eux en sonnant, pour annoncer que Dieu venait chez la mourante.

« Ils sont entrés tous trois dans cette chambre à coucher qui avait retenti autrefois de tant de mots étranges, et qui n'était plus à cette heure qu'un tabernacle saint.

« Je suis tombée à genoux. Je ne sais pas combien de temps durera l'impression que m'a produite ce spectacle, mais je ne crois pas que, jusqu'à ce que j'en sois arrivée au même moment, une chose humaine pourra m'impressionner autant.

« Le prêtre oignit des huiles saintes les pieds, les mains et le front de la mourante, récita une courte prière, et Marguerite se trouva prête à partir pour le ciel où elle ira sans doute, si Dieu a vu les épreuves de sa vie et la sainteté de sa mort.

« Depuis ce temps elle n'a pas dit une parole et n'a pas fait un mouvement. Vingt fois je l'aurais crue morte, si je n'avais entendu l'effort de sa respiration. »

« 20 février, cinq heures du soir :

« Tout est fini.

« Marguerite est entrée en agonie cette nuit à deux heures environ. ||||||||||about Jamais martyre n'a souffert pareilles tortures, à en juger par les cris qu'elle poussait. Deux ou trois fois elle s'est dressée tout debout sur son lit, comme si elle eût voulu ressaisir sa vie qui remontait vers Dieu.

« Deux ou trois fois aussi, elle a dit votre nom, puis tout s'est tu, elle est retombée épuisée sur son lit. |||||||||||||you||||exhausted||| Des larmes silencieuses ont coulé de ses yeux et elle est morte.

« Alors, je me suis approchée d'elle, je l'ai appelée, et comme elle ne répondait pas, je lui ai fermé les yeux et je l'ai embrassée sur le front.

« Pauvre chère Marguerite, j'aurais voulu être une sainte femme, pour que ce baiser te recommandât à Dieu.

« Puis, je l'ai habillée comme elle m'avait priée de le faire, je suis allée chercher un prêtre à Saint-Roch, j'ai brûlé deux cierges pour elle, et j'ai prié pendant une heure dans l'église. |||||||||||||||||||||||candles||||||||||

« J'ai donné à des pauvres de l'argent qui venait d'elle.

« Je ne me connais pas bien en religion, mais je pense que le bon Dieu reconnaîtra que mes larmes étaient vraies, ma prière fervente, mon aumône sincère, et qu'il aura pitié de celle, qui, morte jeune et belle, n'a eu que moi pour lui fermer les yeux et l'ensevelir. |||||||||||||||||||||||||almsgiving|||||||||||||||||||||||bury »

« 22 février :

« Aujourd'hui l'enterrement a eu lieu. “Today the funeral took place. Beaucoup des amies de Marguerite sont venues à l'église. Quelques-unes pleuraient avec sincérité. Quand le convoi a pris le chemin de Montmartre, deux hommes seulement se trouvaient derrière, le comte de G…, qui était revenu exprès de Londres, et le duc qui marchait soutenu par deux valets de pied.

« C'est de chez elle que je vous écris tous ces détails, au milieu de mes larmes et devant la lampe qui brûle tristement près d'un dîner auquel je ne touche pas, comme bien vous pensez, mais que Nanine m'a fait faire, car je n'ai pas mangé depuis plus de vingt-quatre heures. “It is from her home that I write to you all these details, in the midst of my tears and in front of the lamp which burns sadly near a dinner which I do not touch, as you may imagine, but which Nanine made for me. do, because I haven't eaten for more than twenty-four hours.