D'esclave à US Marshal - L'incroyable destin de Bass Reeves
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Mes chers camarades bien le bonjour ! Premier deputy marshal noir des Etats-Unis en 1875, Bass Reeves est l'objet depuis une dizaine d'années d'un d'intérêt croissant. Grâce à plusieurs historiens qui ont sondé les archives et retracé sa vie, ce personnage a pris une place dans le récit de la conquête de l'Ouest américain.
Déjà au centre de toute une littérature de Western, romans comme bande-dessinées, il a récemment fait son apparition dans les séries télé, notamment Gunslingers ou Watchmen, rien que ça ! Bass Reeves est devenu une figure de la « frontière », ce front pionnier qui progressait vers l'ouest à la fin du XIXe siècle aux Etats-Unis, et en même temps, un symbole d'émancipation pour les Noirs américains. On va donc revenir aujourd'hui sur la vie hors du commun de Bass Reeves, officier de police noir dans une Amérique ségrégationniste, devenu expert dans la traque des criminels de l'Ouest sauvage. La jeunesse de Bass Reeves reste particulièrement énigmatique, sa date et son lieu de naissance ne sont pas connus avec certitude. Le mieux qu'on puisse dire, c'est qu'il est né en Arkansas ou au Texas, et sans doute en juillet 1838. L'incertitude provient du fait que Reeves est né esclave, sa mère appartenant à un fonctionnaire nommé William Steel Reeves. Le jeune Bass prend ainsi le nom de son maître, comme c'est l'usage à l'époque. Bass, son frère et leur mère sont envoyés en 1846 à Grayson County au nord du Texas, pour servir dans la propriété du fils de leur maître. Celui-ci, George Robertson Reeves, est un personnage important.
Colonel dans l'armée américaine, il cumule aussi les fonctions de shérif du comté et de percepteur d'impôt. Il fait de Bass, âgé seulement de 8 ans, son majordome.
Bass exécute donc les tâches diverses du quotidien, souvent ingrates et pénibles, mais il apprend aussi à s'occuper des chevaux, à forger et réparer des outils.
Son éducation se limite à la pratique, il est impensable qu'un enfant esclave apprenne à lire ou à écrire. Bass reste donc pratiquement illettré toute sa vie, ce qui présente un certain handicap pour un policier qui doit lire les mandats d'arrêt et écrire des rapports d'opérations. Sa seule approche d'un livre est celle de la Bible, dont sa mère lui répète des passages qu'elle a appris par cœur.
Son enfance et son adolescence sont donc rudes, et ce n'est pas parce qu'il est au service d'un personnage important que sa condition de vie d'esclave fait l'objet d'une attention particulière. Il est vêtu et nourri sommairement, il dort sur une paillasse de feuilles de maïs, il est battu et privé lorsque son maître en éprouve l'envie.
Pas la meilleure des situations quoi... La guerre de Sécession éclate en 1861 lorsqu'il a 23 ans. On sait qu'il est enrôlé pour servir auprès de son maître, colonel de cavalerie dans l'armée confédérée, mais son implication dans le conflit reste difficile à connaître en détails. Selon quelques biographies, il a peut-être été aligné comme soldat lors des batailles de Pea Ridge en mars 1862, de Chickamauga en septembre 1863 et de Chattanooga en novembre 1863. Il aurait donc été forcé de se battre contre l'abolition de l'esclavage, et contre sa liberté.
Mais cela reste assez improbable, les sudistes n'ayant recours aux esclaves dans l'armée qu'à la fin du conflit, et avec beaucoup de réticence. Bass Reeves a en réalité surement été assigné à des tâches non-combattantes, au services de son maître.
Quoiqu'il en soit, c'est durant la guerre que Reeves s'émancipe. Lors d'une dispute avec son maître, peut-être après une partie de cartes arrosée, il le frappe puis s'enfuit sur son cheval. Seul, il est en grave danger, la loi américaine obligeant les citoyens à ramener à leur propriétaire les esclaves en fuite. Reeves se rend donc vers une région où il a plus de chances d'échapper aux esclavagistes : les Territoires Indiens. Cette région située au nord du Texas est devenue aujourd'hui l'Etat de l'Oklahoma, mais dans les années 1860, elle a un statut de réserve indienne. C'est là qu'ont été déportés plusieurs peuples amérindiens dans les années 1830 : Cherokee, Creek, Chickasaw, Choctaw, Séminole, Osage, Seneca, Pawnee, et bien d'autres. En 1874, l'armée américaine forcera encore d'autres peuples à s'installer dans les Territoires Indiens : Comanches, Kiowas, Cheyennes du Sud et Arapahos. Cette promiscuité contrainte sur des terres qu'ils ne connaissent pas et les ingérences constantes des colons qui cherchent à accaparer les terres et les ressources, créent un climat extrêmement tendu. Beaucoup d'Indiens se mettent à voler du bétail et les contrebandiers se réfugient dans ces réserves où la loi américaine s'applique difficilement. Les grands espaces compliquent la tâche des forces de l'ordre pour retrouver les criminels. Mais pour Reeves, c'est l'endroit idéal où se cacher, il sait qu'il ne sera pas rattrapé ici. Il trouve même auprès des peuples Cherokee, Creek et Séminole de la région des alliés précieux. Ceux que l'on nomme les Indiens sont eux-mêmes victimes de la loi américaine et n'ont aucune intention d'aider les Blancs à retrouver leurs esclaves. Au contact de plusieurs tribus, Bass Reeves se familiarise avec cinq dialectes, et acquiert de solides compétences en pistage, chasse et équitation. Loin de la loi des Blancs, il peut aussi se familiariser avec les armes à feu, ce qui était bien entendu interdit aux esclaves. Il s'entraîne avec rigueur et constance sur des cibles d'entraînement et à la chasse, devenant progressivement un tireur précis et expérimenté. Les Séminoles organisent régulièrement des compétitions de tir auxquelles participe Reeves, reconnu pour ses talents. L'abolition de l'esclavage décrétée en janvier 1863 par l'Union fait de lui un homme libre. La fin de la guerre lui permet de quitter les Territoires Indiens, et il regagne l'Arkansas vers 1865. Reeves s'installe dans la ville de Van Buren et achète un lopin de terre. Il y épouse Nellie Jennie, une femme Creek dont il a fait la connaissance lors de son séjour auprès de son peuple. Ensemble ils auront onze enfants. Reeves mène dès lors une vie paisible, il travaille la terre et élève du bétail, mais ses talents sont aussi mis à profit par la police locale. Il devient l'un des éclaireurs chargés de retrouver la piste des criminels en fuite. Mais l'abolition de l'esclavage ne signifie pas pour autant une pleine émancipation pour les Noirs américains. Les Etats sudistes sont très réticents à faire appliquer l'égalité, et des Ligues armées comme le Ku Klux Klan se forment pour terroriser les Noirs et les empêcher d'exercer leurs droits.
Par “chance” cette violence et cette discrimination sont un peu moins présentes dans l'Ouest où vit Reeves, et se concentrent surtout en Louisiane, Alabama et Mississippi. Le statut de territoire “frontière” de l'Arkansas ou du Nord texan épargne un peu les Noirs, puisque la violence s'exerce bien plus sur les peuples amérindiens. En 1875, le gouvernement des Etats-Unis entreprend de faire baisser le taux de criminalité affolant dans l'Ouest.
Un nouveau juge fédéral est nommé par le président, il s'agit d'Isaac Charles Parker.
Parker décide de recruter 200 nouveaux officiers pour faire respecter la loi dans les Territoires Indiens. Bass Reeves, dont la réputation de pisteur n'est plus à faire, est immédiatement approché par le nouveau responsable. A 37 ans, il devient donc le premier deputy marshal noir des Etats-Unis. Avec ses 199 collègues, il a pour mission de faire régner l'ordre sur les Territoires Indiens et l'ouest de l'Arkansas, soit presque 200 000 km² : plus du tiers du territoire français. Le statut de deputy marshal est supérieur à celui du shérif, qui n'a pas le droit de traverser les limites de comtés. Le deputy marshal est en fait un policier fédéral du département de la Justice, il est chargé notamment de traquer et livrer les prévenus aux tribunaux, ainsi que de protéger les juges et les témoins. Sur le papier ça à l'air hyper stylé et je vous vois déjà en train de fantasmer le job badass comme dans tous les westerns que vous avez pu voir. Mais cette fonction est plus dangereuse que prestigieuse, il n'est pas rare que les officiers de police soient abattus dans des fusillades. Entre 1872 et 1896, ce qui correspond à peu près aux années de service de Bass Reeves, 103 d'entre eux sont tués dans l'exercice de leurs fonctions. Ça fait réfléchir...
Seuls représentants de la loi dans ces vastes confins, ils sont exposés à l'extrême violence qui règne en dehors des quelques centres de peuplement. Les bandits et contrebandiers laissent souvent à l'attention des deputies des menaces de mort explicites, et chaque incursion dans les territoires sauvages peut s'avérer fatale. La « dead-line » dans cette région est constituée par la voie de chemin de fer qui relie le Missouri, le Kansas et le Texas. Passer les rails vers l'ouest expose les officiers de police à être abattus sans sommation. Dans ce contexte, Reeves est réputé pour avoir gardé son sang-froid en toutes circonstances. Prenant son nouveau statut très au sérieux, il traque sans relâche les criminels recherchés. Il s'entoure d'adjoints, pour conduire son chariot-prison, gérer la logistique de la traque ou même pour servir d'appât, mais il doit souvent affronter seul plusieurs hommes et ruser pour les arrêter. Reeves est réputé pour avoir été un expert en la matière, il se déguise en fermier, en gardien de troupeau, en religieux, en vagabond, et tend des pièges aux criminels.
C'est le cas par exemple lors de l'arrestation de quatre hommes qui ont braqué un comptoir commercial à Keokuk Falls. Reeves se fait passer pour un fermier qui a besoin de leur aide pour remettre son chariot sur la route afin de les attirer hors de la cabane où ils s'étaient réfugiés. Se présentant souvent comme affamé et hors-la-loi lui-même, il parvient parfois à gagner la confiance de ceux qu'il traque. Préparant même à l'occasion des plans de braquages futurs avec eux, il profite de leur ébriété ou de leur inattention pour leur pointer le canon de son fusil sur la tempe.
Bass Reeves est badass. On est d'accord. N'empêche que perso je ferai pas son taff ! Certaines arrestations dégénèrent bien entendu, et Bass Reeves a dû faire usage de son arme à de nombreuses reprises. Le racisme omniprésent ajoute à la difficulté de sa tâche puisque les malfrats refusaient régulièrement de se faire arrêter par un policier à la peau noire. Il s'associe d'ailleurs à l'occasion avec d'autres officiers noirs, notamment Grant Johnson, deputy marshal né esclave comme lui, avec qui il forme un duo redoutable.
L'une des arrestations les plus notables de Reeves est celle de Bob Dozier, le 20 décembre 1878.
Dozier est un criminel expérimenté, il a tué, braqué, détroussé à de nombreuses reprises et se terre dans la nature avec succès depuis des mois pour échapper aux poursuites.
Reeves le traque, le retrouve et l'abat dans une fusillade épique sous un violent orage. Une autre fois, capturé par des malfrats qui le soupçonnent d'être le célèbre Bass Reeves, il parvient à prendre le dessus sur ses deux geôliers qui s'apprêtaient à l'exécuter et les arrête.
En 1885, Reeves se lance aussi à la poursuite de l'une des plus fameuses femmes hors-la-loi de l'ouest américain, Belle Starr. Reeves se rend chez elle et lui demande de se rendre, elle lui échappe, mais finit par se rendre d'elle-même, épuisée par la traque qu'il lui impose. Les récompenses élevées pour les arrestations et le talent de Reeves lui permettent de gagner confortablement sa vie, mais il vit toujours dans la simplicité et porte des habits sobres. Il ne s'équipe pas d'armes chromées et tape-à-l'œil comme d'autres deputies, préférant une simple carabine Uberti-Winchester et des pistolets militaires en complément. Bien qu'étant illettré, il fait rédiger en détail à ses assistants les comptes-rendus d'arrestation et livre toujours avec précision les criminels aux tribunaux. Mais un épisode dramatique survient en avril 1884 et vient perturber cette carrière sans accroc. Plusieurs versions existent et il est toujours impossible de savoir avec certitude ce qu'il s'est vraiment passé. Alors que Reeves et ses assistants transportent cinq prisonniers à travers les Territoires Indiens, une altercation éclate avec son cuisinier William Leach. Le cuisinier aurait interdit au deputy marshal de faire du mal à un chien qui rôdait autour du camp, et Reeves, par colère, lui aurait tiré une balle dans le cou. Le cuisinier s'effondre et meurt quelques heures plus tard. Le rapport que fait Reeves sur l'incident à son retour en ville est différent : il explique qu'il essayait de décoincer une cartouche du canon de son fusil quand le coup est parti tout seul et a mortellement blessé Leach… En janvier 1886, presque deux ans après le regrettable incident, Reeves est l'objet d'un mandat d'arrêt. La rumeur court que la mort de Leach n'avait rien d'un accident et il est écroué à la prison de Fort Smith en Arkansas, pour le meurtre de son compagnon et cuisinier. Heureusement pour lui, Reeves a mis de l'argent de côté, il paye lui-même sa caution de 3000 $ et engage les meilleurs avocats de la ville pour préparer son procès. La presse fait à l'époque du deputy le coupable idéal : homme noir en apparence respectable sous l'uniforme de la police, il serait en fait un personnage dangereux, aux pulsions incontrôlables et complice de nombreux malfrats de la région. Des rumeurs apparaissent sur la manière dont il se conduit avec les femmes ou avec ses prisonniers, leur extorquant de l'argent par cupidité. Quoi qu'il en soit, le procès de Bass Reeves débute le 11 octobre 1887 à Fort Smith. Il est présidé par le juge Isaac Parker, celui-là même qui l'a recruté douze ans plus tôt. Les prisonniers du convoi servent de témoin à l'accusation et corroborent la version du meurtre de sang-froid. Mais face aux questions pressantes des avocats de Reeves, ils se rétractent et minimisent la dispute qui précède le coup de feu. Ceux qui persévèrent à accuser Reeves ne sont pas jugés fiables par le jury car ils ont été arrêtés par lui et peuvent mentir pour lui nuire. Le jury considère également que si l'officier avait voulu tuer son cuisinier, étant donné sa dextérité au fusil, il l'aurait abattu d'un seul coup, et pas seulement blessé à mort. Ses efforts pour trouver un médecin cette nuit-là, ainsi que le fait qu'il n'ait pas cherché à fuir sont portés à son crédit, et Reeves est finalement acquitté le 15 octobre. Son badge lui est restitué mais les frais de son procès l'ont ruiné, il est contraint de vendre sa maison à Van Buren et s'installe avec sa femme et ses nombreux enfants à Fort Smith. En 1889, les Territoires Indiens deviennent le territoire de l'Oklahoma. Ce n'est pas encore un Etat à part entière, puisqu'on n'y compte pas encore les 60 000 habitants requis, mais il est néanmoins ouvert à la colonisation. Des nouveaux arrivants s'installent dans les anciennes réserves indiennes. L'Oklahoma légalise par ailleurs le whisky, auparavant interdit dans les Territoires Indiens et dont la contrebande constituait l'essentiel des crimes que traitaient la police. Mais cette nouvelle législation ne diminue pas pour autant la charge des officiers de police. En effet, de nombreux saloons s'ouvrent où les soiffards de tout l'Ouest viennent se saouler, générant disputes, vols et autres règlements de compte sanglants avec les Indiens chassés de leurs terres. Reeves reprend donc son travail et arrête ou abat de nombreux autres criminels.
A son tableau de chasse, on trouve notamment en 1889, Tom Story, le chef d'un gang de voleurs de chevaux. Reeves attend pendant quatre jours face à un pont de la Red River où il pense que le criminel va traverser la rivière. Lorsque Story apparaît enfin, Reeves sort de sa cachette et lui annonce qu'il est en état d'arrestation. Le bandit aurait alors cherché à dégainer son pistolet mais Reeves, préparé à cette éventualité, l'abat le premier. Il arrête aussi l'année d'après le meurtrier Séminole Tosa-lo-nah, dit « Greenleaf », en cavale depuis 18 ans et accusé, entre autres choses, de sept meurtres. En novembre 1890, Bass Reeves rencontre finalement un malfrat à sa hauteur en la personne de Ned Christie, un Cherokee à la tête d'une bande de hors-la-loi accusée du meurtre d'un deputy marshal.
Malgré la ténacité de Reeves et ses ruses pour le surprendre - il va jusqu'à enfumer la cabane où il se réfugiait - ce bandit lui échappe. C'est l'un des très rares échecs de sa carrière. En 1893, Reeves et sa famille déménagent à Paris au Texas.
Il y poursuit son travail de policier, mais dans une autre juridiction. A partir de 1896 toutefois, les malheurs s'enchaînent. Reeves perd cette année-là sa femme a seulement 46 ans, puis très peu de temps après, il apprend la mort de son ami le juge Parker.
Reeves sombre dans une dépression peut-être accentuée par le contexte politique. L'année 1896 est en effet celle à laquelle la ségrégation raciale dans l'espace public est reconnue par la Cour suprême des Etats-Unis. Malgré son statut de policier et ses loyaux services depuis vingt ans, Reeves est renvoyé à sa condition inférieure d'homme noir. Pour conjurer le sort, Reeves quitte le Texas en 1897 pour l'Oklahoma, les anciens Territoires Indiens qu'il connaît si bien. Il s'y remarie en 1900 à une veuve Cherokee de 50 ans nommée Winnie J. Sumter. C'est là qu'à l'été 1902, son supérieur le convoque et lui confie l'affaire la plus difficile de sa carrière. Et on pourrait franchement en faire un film dramatique. Bass Reeves apprend qu'un mandat d'arrêt a été émis contre l'un de ses fils, Bennie Houston Reeves, accusé du meurtre de sa femme, qu'il a surprise avec son amant. Le shérif de la ville de Muskogee n'ose pas envoyer un policier traquer le fils de Reeves, et par respect pour le deputy, personne ne s'est proposé pour le faire. Se sentant peut-être coupable d'avoir dit à son fils de punir son épouse, Reeves endosse la responsabilité qui est la sienne et traque son propre fils pour le conduire devant le tribunal. Il le capture après deux semaines de recherches et son fils part purger sa peine au Kansas. Après cet épisode éprouvant, Bass Reeves continue de servir toujours aussi efficacement. L'Oklahoma devient un Etat à part entière en 1907 et la loi ségrégationniste s'y applique pleinement. Agé de 69 ans, il est alors contraint de rendre son badge et ne fait plus office que d'éclaireur pour les autorités locales de Muskogee, comme au début de sa carrière. Malade des reins, il cesse toute activité policière en 1909, et meurt finalement le 10 janvier 1910. Mythe et réalité
Voilà ce qui peut être dit de la vie de cet homme hors du commun. Sa carrière a permis d'arrêter près de 3000 criminels, et 14 d'entre eux sont tombés sous ses balles.
Mais le récit que je viens de faire reste assez flou. Difficile de faire la part des choses entre les faits et la légende. Les seules sources écrites à notre disposition sont les procès-verbaux des arrestations et des procès, ainsi que les articles de journaux de l'époque. La majorité des affaires sur lesquelles Reeves a travaillé ne sont pas conservées dans les archives et son illettrisme lui a par ailleurs interdit de laisser toute trace écrite telle qu'un journal ou même une correspondance.
Le reste des informations provient des récits oraux avec leur part d'exagération : les anecdotes racontées par ceux qui l'ont connu ou par ses descendants sont parfois un peu trop belles pour être vraies, les citations qu'on lui prête sont incertaines et les exploits racontés lors des arrestations sont invérifiables. Le mythe du justicier inflexible et tirant plus vite que son ombre est d'ailleurs repris au pied de la lettre dans ses biographies en langue anglaise. Sa force prétendument surhumaine, son amour inconditionnel des animaux, son sang-froid à toute épreuve, même face à un danger imminent, beaucoup d'éléments sont venus en faire un mythe moderne peut-être un peu éloigné du personnage réel. Mais finalement, que la légende de Bass Reeves retrouve un écho important ces dernières années dit beaucoup des préoccupations contemporaines de la société américaine. Reeves sert aujourd'hui de modèle et de figure d'identification pour beaucoup d'afro-américains car il permet de raconter une autre histoire que celle de l'esclavage, une histoire dans laquelle les Noirs américains sont acteurs de leur destin et réalisent des exploits. Enfin, il ne faut pas oublier qu'une cinquantaine au total d'afro-américains ont aussi servi comme deputy marshal dans les Territoires Indiens avant 1907 : ils s'appelaient Zeke Miller, Bob Fortune, Neely Factor, Billy Colbert…
Un nombre important de ces officiers avaient par ailleurs des ancêtres amérindiens et ces deux communautés se sont mêlées bien souvent comme en attestent les deux mariages de Reeves avec des femmes Creek et Cherokee. La vie de Bass Reeves nous montre bien qu'une toute autre version de la conquête de l'Ouest reste sans doute à écrire, et perso j'ai hâte de la découvrir !
Merci à tous suivi cet épisode et à Lucas Pacotte pour la préparation. N'oubliez pas de vous abonner et de partager la vidéo si ça vous a plu ! Je vous rappelle que cet épisode est sponsorisé par le jeu Cartaventura ! Si cet épisode sur Bass Reeves vous a plu, aucun ne doute que vous vous laissiez emporter dans cette aventure collaborative en vous mettant dans sa peau et en traquant les hors la loi !Pour découvrir toute la série de scénarios, rendez-vous sur blam-edition.com ou chez votre vendeur de jeu habituel ! Merci à tous et à très bientôt sur Nota Bene.