Leçon 41 - Question de chance I
(À la terrasse du Fouquet's; Mireille, Hubert, Robert, Jean-Pierre.)
Jean-Pierre: Garçon! Garçon, l'addition!
(Le garçon regarde ailleurs. Cinq minutes après, Hubert fait signe au garçon.)
Hubert: Alors, elle vient, cette addition?
(Aucun effet. Au bout de dix minutes, Mireille appelle le garçon.)
Mireille: Vous nous apportez l'addition, s'il vous plaît?
Le garçon: Tout de suite, Mademoiselle!
(Et il se dirige vers une autre table. Dix minutes après, Robert tente sa chance.)
Robert: Est-ce que nous pourrions avoir l'addition, s'il vous plaît?
Le garçon: Mais oui, Monsieur! Voilà, Monsieur. Ça fait 135F.
(Robert tend un billet de 200F au garçon. Hubert, Jean-Pierre, et Mireille se détournent pudiquement. Le garçon pose son plateau plein de verres sur la table pour rendre la monnaie à Robert.)
Le garçon: Alors, 135 et 5, 40, et 10. Voilà. Oh!
(En rendant la monnaie, il laisse tomber une pièce. Tout le monde se précipite pour la ramasser. Le plateau tombe par terre. Les verres se cassent en mille morceaux.)
Jean-Pierre: Et merde!
Hubert: Ça, ce n'est pas de veine, alors!
Mireille: Mais non, au contraire, ça porte bonheur; c'est du verre blanc!
(Hubert a pris congé.)
Hubert: Bon, eh bien, il ne me reste plus qu'à prendre congé, en vous remerciant. Au revoir tout le monde.
(Jean-Pierre est parti.)
Jean-Pierre: Bon, ben, écoutez, ciao, hein!
(Robert et Mireille se lèvent, eux aussi, et s'en vont. Ils descendent les Champs-Elysées. Robert note que plusieurs jeunes couples, et même des moins jeunes, se tiennent par la main. Il se demande s'il devrait prendre la main de Mireille, lui aussi—mais il n'ose pas.
Sur le trottoir, à côté d'un kiosque à journaux, il remarque un petit stand qui porte une pancarte: Loterie nationale, tirage mercredi.
Robert: Dis-moi, est-ce qu'on gagne quelquefois à cette loterie?
Mireille: Oh, j'imagine que oui, mais moi, je n'ai jamais rien gagné. Il faut dire que je n'ai jamais acheté de billet. Ce n'est pas exactement contre mes principes, mais je n'aime pas beaucoup ça.
Robert: Ce n'est pas particulièrement dans mes principes non plus, mais j'aurais bien besoin d'un peu d'argent frais. La vie a l'air d'être chère, en France! Et puis, il faut profiter de la chance, avec tout ce verre blanc cassé. Allez, achetons un billet. D'accord?
Mireille: Si ça t'amuse. De toute façon, une partie de l'argent va à une bonne oeuvre: Les tuberculeux, les maisons de retraite pour les vieux, les Ailes brisées, les Gueules cassées.
Robert: Allez, vas-y, choisis!
Mireille: Non, choisis, toi!
Robert: Non, toi!
Mireille: Mais non, pas moi. Je n'ai jamais de chance!
Robert: Mais si, mais si! Tu dois avoir beaucoup de chance en ce moment. Tu viens de casser au moins douze verres blancs!
Mireille: Ce n'est pas moi qui les ai cassés, c'est toi!
Robert: Non, ce n'est pas moi, c'est toi! En fait, non, c'est Hubert. Je l'ai vu. Mais ça ne fait rien. Vas-y! Prends n'importe quel billet, pourvu que les deux derniers chiffres fassent 9: 18, 27, euh . . . 27, 36, 45, 54, 63, 72, 81, 90.
Mireille: Pourquoi ça?
Robert: C'est évident! Tu as dix-huit ans.
Mireille: Presque dix-neuf!
Robert: Bon. Tu habites au 18 (8 et 1, 9). Les consommations ont coûté exactement 135F (3 et 1, 4, et 5, 9). Et j'ai compté neuf couples, jeunes ou vieux, qui se tenaient par la main.
(Mireille choisit un billet vendu au profit d'une organisation qui s'occupe de bébés abandonnés, parce que le billet lui a plu tout de suite. Il porte, sur fond bleu pâle, un adorable poupon rose, et le numéro 63.728.127, série MR, ce qui fait beaucoup de 9, si on regarde bien, et des initiales reconnaissables. Robert voudrait que Mireille garde le billet.)
Robert: Tiens, garde-le.
Mireille: Oh, non, pas moi. J'aurais trop peur de le perdre!
Robert: Tu perds les choses, toi?
Mireille: Moi? Non! C'est toi qui perds les choses et qui te perds, pas moi! Mais quand même, je préfère que ce soit toi qui le gardes. Il ne faudra pas oublier d'acheter le journal, jeudi matin, pour voir la liste des gagnants.
Robert: Oui, pour voir combien on a gagné!