Comment l'Irlande est devenue indépendante ? (1)
Mes chers camarades bien le bonjour, avant de commencer,
je vous informe que cet épisode est sponsorisé par les éditions 10*18 leur nouveau roman
historique “Celui qui sait” de Ian McGuire. Ce que vous propose ce roman c'est de plonger
dans le Manchester des années 1867 pour découvrir l'Histoire de Stephen Doyle, un
indépendantiste irlandais qui prépare la guerre. Il va se retrouver confronter à James O'Connor,
qui est le chef de la police locale d'origine irlandaise, qui va tenter de déjouer ses plans.
Tout ça prend son sel dans un contexte historique ultra tendu, celui des martyrs de Manchester,
dont nous allons parler dans l'épisode qui vient. Si vous voulez en savoir plus, je vous mets le
lien du livre en description et on se retrouve en fin de vidéo pour en parler ! Bon visionnage.
Mes chers camarades bien le bonjour ! Quand j'étais gamin, mon père passait
son temps à traquer choper des triskèles qu'il collait sur sa voiture en écoutant à fond The
Corrs. Ouais...il était un peu à fond sur tout le truc celtique même s'il venait du 91 et
après tout, pourquoi pas. Le résultat c'est que j'ai toujours eu une image un peu romantique de
l'Irlande et de son histoire alors qu'en réalité, c'est pas très jojo...il y a quelques temps
je vous ai parlé de la Grande Famine en Irlande entre 1845 et 1851. On avait décrit ce cataclysme
démographique et évoqué notamment la culpabilité du gouvernement londonien de l'époque dans la
gestion désastreuse de la crise. Aujourd'hui c'est sur un autre point que je voudrais m'attarder,
la lutte pour l'indépendance des Irlandais. Lutte que la Grande Famine a d'ailleurs profondément
influencée en augmentant les tensions entre l'Empire britannique et sa province irlandaise.
Je vous propose donc de reprendre cette histoire de l'Irlande au début du XIXe siècle et de la
dérouler jusqu'aux années 1920, pour expliquer le long processus qui a finalement conduit à
l'indépendance de l'Irlande. Allez, c'est parti ! La genèse du nationalisme
La question de l'indépendance Irlandaise ne date en réalité pas de la Grande Famine. La
domination anglaise de l'île qui remonte au XIIe siècle a suscité à travers les âges de nombreuses
oppositions. Mais jusqu'à l'Acte d'Union en 1801, qui fait de l'Irlande une province à part entière
du Royaume-Uni, les Irlandais conservent une certaine autonomie. A la fin du XVIIIe siècle,
les Irlandais avaient même un Parlement, (le Parlement de Grattan, 1783-1801) qui
pouvait légiférer de manière autonome sur les questions économiques par exemple.
Les idées révolutionnaires françaises qui affluent dans les années 1790 donnent des idées aux
Irlandais. Une grande révolte républicaine échoue en 1798 et les Britanniques punissent l'Irlande
par l'Acte d'Union, qui rentre en application le 1er janvier 1801. Le Parlement irlandais est
supprimé. Cette Union qui doit théoriquement permettre une totale intégration de l'île
dans le Royaume-Uni marque en réalité le début des revendications nationalistes irlandaises.
Vous me direz : mais c'est plutôt une bonne chose pour l'Irlande d'intégrer
le Royaume-Uni non ? Parce qu'ils vont pouvoir profiter à fond de leur puissance économique et
politique ? Sur le papier peut-être mais la réalité est moins favorable aux irlandais.
Avec l'Union, les députés irlandais viennent siéger à Westminster. Ils sont plafonnés à
100 sièges sur les 658 que comptent la Chambre des Communes. L'Union favorise
les échanges commerciaux entre les îles mais elle anéantit l'industrie irlandaise naissante,
en permettant aux produits manufacturés anglais d'inonder le marché irlandais. L'île est cantonnée
à un rôle de fournisseur de denrées agricoles. Pourtant les premières revendications contre cette
Union ne sont pas économiques mais religieuses. On le rappelle, l'Angleterre pratique elle le
culte anglican, une forme de protestantisme qui est présente en Irlande dans les comtés du Nord,
les plus liés à la Grande-Bretagne. Le reste de l'Irlande est très majoritairement catholique.
En 1823, Daniel O'connell avocat de formation, crée l'Association catholique. Rejointe
officiellement par l'Eglise catholique d'Irlande, cette association devient la première pierre du
nationalisme irlandais, qui est donc dès l'origine, religieux. La lutte de cette
association est victorieuse puisqu'O'connell obtient en 1829 la loi d'Emancipation des
catholiques, qui met fin à leur discrimination, et leur ouvre toutes les professions.
En accédant à cette demande qui ne lui coûte finalement pas grand-chose,
le gouvernement londonien espère se débarrasser des contestations en Irlande,
mais comme on le verra par la suite, ce n'est jamais aussi simple. Quand tu files un doigt,
on te prend tout le bras dit la célèbre expression que je viens d'inventer.
L'Association catholique, ayant atteint son but, est dissoute, et O'connell fonde pour la
remplacer l'Association pour l'abrogation, qui souhaite tout simplement en finir avec l'Union.
Ce changement d'objectif, de la religion vers le nationalisme, lui coûte le soutien
de l'Eglise catholique, qui appelle à rejeter tout acte révolutionnaire. Londres donne alors
le contrôle de l'enseignement en Irlande à l'Eglise catholique pour la remercier de son
soutien contre les nationalistes. Radicalisation et compromis
Cette scission entre plusieurs mouvements de contestations fait que les revendications des
irlandais prennent à ce moment des chemins assez différents.
Le mouvement Jeune Irlande naît en 1842 avec pour objectif de promouvoir la culture gaélique à
travers la langue, la littérature, le sport, etc. Six ans plus tard est créée dans la communauté
irlandaise de New York, la Fenian Brotherhood, du nom d'un héros de la mythologie celtique.
Et là déjà, on rigole plus puisque c'est une organisation
militaire qui veut faire mettre en place une République indépendante par la lutte armée.
Nous sommes alors en 1848 et cette radicalisation est une conséquence directe de la Grande Famine
qui est en train de décimer les Irlandais. Un million d'entre eux traversent l'Atlantique pour
fuir la faim et en 1855, un tiers des habitants de New York sont des Irlandais. Les Fenians
new-yorkais se déploient rapidement dans la mère patrie, et deviennent des acteurs de premier plan
avec l'affaire des « martyrs de Manchester ». En 1867, trois hommes liés aux Fenians,
tentent de faire évader d'un fourgon de police de Manchester, deux chefs de l'organisation.
Mais dans l'attaque du fourgon, un policier est tué et les trois hommes, William Allen,
Michael Larkin et Michael O'Brien sont condamnés à mort et exécutés. Ces exécutions secouent
l'opinion publique irlandaise qui y voit une volonté d'écraser leurs revendications. La
presse irlandaise dépeint les trois jeunes hommes en braves idéalistes morts pour leur patrie,
d'où leur surnom de « martyrs de Manchester ». Face au nationalisme irlandais, le gouvernement
londonien tergiverse. Il tente de se montrer conciliant pour ne pas attiser le mécontentement.
Il promulgue ainsi plusieurs lois sociales pour rendre les terres détenues par des Anglais aux
paysans irlandais. Ainsi, en 1870 sont étendues à toute l'île les conditions de rachat des terres en
vigueur en Ulster, c'est-à-dire l'Irlande du Nord. Pour être plus clair : les paysans obtiennent des
facilités pour emprunter de l'argent et racheter la terre qu'ils louent. Ils reçoivent même une
compensation financière en cas d'expulsion pour impayé. Les paysans qui ne sont que 3 % à être
propriétaires de leur terre en 1870, seront 64 % en 1916 grâce aux lois agraires successives.
L'idée du gouvernement derrière tout ça est très simple : il s'agit en fait de transformer
les prolétaires révolutionnaires en petits bourgeois conservateurs
qui seront moins à même de mettre le boxon ! Londres fait aussi supprimer l'impôt religieux
en faveur de l'Eglise anglicane en 1869, et tente de mettre en valeur les régions pauvres. Cette
générosité est censée couper l'herbe sous le pied des nationalistes et conquérir les cœurs et les
esprits des Irlandais. Mais d'un autre côté, les Britanniques ne peuvent s'empêcher de réprimer par
la force les nombreuses révoltes paysannes. Donc non seulement les lois sociales ne
calment pas les indépendantistes, mais elles mécontentent en plus les unionistes anglicans,
c'est-à-dire les Irlandais attachés à la domination britannique. C'est ce
qu'on appelle avoir le cul entre deux chaises ! C'est d'ailleurs l'un d'entre eux, Isaac Butt qui,
assez étonnamment, porte la contestation irlandaise contre le gouvernement londonien.
Une forme d'alliance contre-nature voit le jour entre catholiques et protestants pour
demander une émancipation de la tutelle britannique. Butt imagine un gouvernement
fédéral où les régions irlandaises auraient une large autonomie et dans lequel le Nord
n'aurait pas à subir les diktats du Sud. Il crée donc une Association pour un gouvernement
autonome qui devient la Home Rule League en 1873. Une revendication politique : le « Home Rule »
A partir de cette date et jusque dans les années 1920, la question du Home Rule devient centrale
dans les revendications en Irlande. « Home Rule » peut d'ailleurs être traduit par loi
d'Autonomie, c'est un projet qui vise à rendre l'essentiel de sa souveraineté à l'Irlande.
La Home Rule League parvient à envoyer soixante députés au Parlement de Westminster aux élections
de 1874. Mais malgré ce succès électoral, leur poids reste trop limité pour changer le sort
de l'Irlande et les membres de la League s'entredéchirent dans les années qui suivent,
l'unité de façade entre catholiques et protestants disparaît rapidement.
De mauvaises récoltes en 1877-1878 font craindre une nouvelle famine, et remettent sur le devant
de la scène les questions agraires, d'autant que les terres sont toujours détenues par
quelques riches propriétaires : 750 d'entre eux possèdent plus de la moitié de l'île à
l'époque. C'est dans ce contexte que naît la Land League dirigée par le protestant
Charles Stewart Parnell qui va faire de cet enjeu agraire un tremplin vers la question nationale.
En 1879 un vaste mouvement de contestation agraire qui débute dans le comté de Mayo,
à l'ouest, se répand dans toute l'île et Parnell est élu pour représenter les intérêts des paysans
irlandais dans l'Irish National Land League. Et ce mouvement met en place des modes d'actions
nouveaux comme le boycott. La création du mot « boycott » date d'ailleurs de cette révolte,
puisqu'un certain Charles Cunningham Boycott, réputé pour maltraiter ses fermiers locataires,
a été ciblé par les paysans qui refusaient de travailler pour lui.
Cette stratégie de représailles non-violentes devient une arme de redoutable efficacité et
est étendue à tous les propriétaires terriens malveillants, qui ne trouvent plus personne
pour occuper leurs terres. Les troubles se généralisant,
le gouvernement londonien intervient. Les épisodes de répression font des morts et une partie des
députés irlandais sont renvoyés du Parlement, ce qui manque d'embraser toute l'île. Mais Parnell,
résolument pacifiste, veut éviter l'escalade et choisit de négocier. Il obtient de Londres
en 1881 une loi agraire étendue qui accélère encore le transfert des terres aux Irlandais.
Le mouvement agraire ayant obtenu gain de cause, Parnell fonde avec d'autres un nouveau mouvement,
l'Irish National League, dont l'objectif affiché est l'obtention du Home Rule.
Oui, ça fait beaucoup de ligues, mais ce qu'il faut retenir c'est que la question agraire a
réussi à politiser les masses paysannes d'Irlande et les nationalistes y voient le moment idéal pour
appuyer leurs revendications. Le premier échec du Home Rule
En 1886, les nationalistes irlandais trouvent un relai inattendu de leurs revendications en la
personne du nouveau premier ministre britannique, le libéral William Gladstone. Ce dernier,
qui a eu besoin des députés irlandais pour former une alliance au Parlement, envisage
de lâcher du lest sur la question irlandaise, en s'inspirant de ce qui a été fait pour le Canada
vingt ans plus tôt. Le Canada est en effet devenu un dominion, c'est-à-dire un Etat indépendant mais
toujours membre de l'empire britannique, qui gère pour lui sa politique étrangère et ses alliances
militaires. Gladstone fait finalement le calcul que rétablir une assemblée législative en Irlande,
permettrait de pacifier les Irlandais, tout en les gardant dans le giron britannique.
Mais ce projet du Home Rule irlandais est très mal vu en Angleterre, beaucoup craignent que
cela constitue un précédent et que les Ecossais et les Gallois fassent ensuite la même demande.
En plus, les Irlandais du Nord, majoritairement protestants et unionistes le rejettent également,
ils souhaitent à tout prix rester rattachés à la Grande-Bretagne et ne veulent pas devenir
minoritaires dans une nation catholique. Au Parlement londonien, les Conservateurs, dans
l'opposition, sont fermement opposés au Home Rule, ainsi qu'une partie des Libéraux, le parti au