Alien 3 de David Fincher, l'analyse de M. Bobine (2)
et sur laquelle il n'est pas nécessaire de faire un travail d'analyse et d'interprétation.
Même si cette logique a été fortement contestée depuis les années 60,
notamment par Roland Barthes dans son célèbre texte La Mort de l'Auteur,
il faut bien reconnaître qu'il reste souvent difficile
de détacher complètement une oeuvre de ses auteurs
et que nous sommes les premiers à ne pas le faire.
Dans le cas d'Alien 3, c'est également ce qui s'est produit.
Là où il n'est pas très difficile de trouver diverses interprétations d'Alien
ou de la suite de Cameron,
les articles consacrés à Alien 3 se résument bien souvent
à pointer la production problématique et les différents défauts du film…
ou éventuellement à comparer les deux versions pour déterminer laquelle est la meilleure.
Du coup, ce qui va nous intéresser maintenant, c'est de corriger cette injustice
et d'essayer de comprendre ce qu'Alien 3 représente,
à la fois en tant qu'épisode de la saga
et en tant qu'objet culturel apparu à un moment précis.
Comme nous le disions,
le fait de tuer Newt et Hicks a été vécu par James Cameron
comme une véritable trahison de l'univers qu'il avait contribué à étendre.
Pourtant, ce n'est pas à ce niveau-là qu'Alien 3 présente la rupture la plus radicale
avec les deux films précédents.
Dans Alien et sa suite,
les xénomorphes sont fondamentalement des figures de l'altérité absolue.
Cette idée est d'ailleurs à l'origine du titre même de la saga.
Alien vient en effet du latin "alius" qui veut dire "autre"
et le nom de la créature, le xénomorphe, illustre également cette idée
puisqu'il provient de la racine grecque "xéno" qui veut dire "étranger".
Dans les deux premiers films,
les créatures n'ont donc rien en commun avec les humains.
Elles sont tellement différentes de nous qu'il est impossible de communiquer avec elles.
La seule relation possible est la violence et l'agression.
D'ailleurs, dans les différentes interprétations psychanalytiques des deux premiers films,
les xénomorphes ont régulièrement été assimilés à ce que Freud appelait le Ça.
D'après Freud, la psyché humaine est divisée en trois partie :
le Surmoi qui représente l'ensemble des règles sociales et culturelles
que nous avons assimilées,
le Ça qui représente nos pulsions et nos désirs primaires
et enfin le Moi qui est la partie chargée de maintenir de façon plus ou moins consciente
l'équilibre entre les pulsions du Ça,
les règles imposées par le Surmoi et les circonstances de la réalité concrète.
La particularité du Ça,
c'est que c'est la seule partie de l'appareil psychique
qui, selon Freud, appartient entièrement à l'inconscient.
Là où un sujet peut appréhender une partie des processus
qui gouvernent son Moi et son Surmoi,
e Ça lui apparaîtra toujours comme quelque chose d'étranger et d'incompréhensible.
Évidemment, le fait que Freud considère que le Ça abrite les pulsions sexuelles
et les pulsions de mort sera un élément régulièrement utilisé par les critiques
pour relier le xénomorphe à cette partie de la psyché,
notamment via l'imagerie à la fois sexuelle et macabre de l'oeuvre d'Hans Ruedi Giger.
Même dans le cas d'Aliens, des critiques s'appuieront sur le fait
que Freud lui-même considérait que la relation entre le Moi et le Ça
est une relation de colonisation pour, une fois de plus, assimiler les humains au Moi
et, forcément, les Aliens au Ça.
De façon plus pragmatique,
on peut remarquer que malgré les changements apportés par James Cameron,
les xénomorphes d'Aliens restent fondamentalement différents des humains.
D'un côté, les marines ont chacun des personnalités marquées,
presque stéréotypées.
De l'autre, les xénomorphes sont tous semblables.
Et même lorsque le film met en scène le combat de deux mères dans son climax,
ce sont deux versions que tout oppose.
Ripley est prête à mettre sa vie en danger pour sauver son unique fille adoptive
alors que la Reine Alien envoie sans état d'âme sa multitude de rejetons au casse-pipe.
Alien 3 va donc complètement rompre avec cette logique.
Bien qu'en fonction des versions, le xénomorphe naisse soit d'un chien soit d'une vache,
le film suggère que l'alien n'est pas aussi étranger à la nature humaine
que nous voudrions bien le croire.
Dans Alien 3,
le xénomorphe est encore une fois une créature entièrement dirigée par une pulsion destructrice.
Mais cette fois, les humains ne sont plus les pions innocents
des machinations de Weyland-Yutani.
Ils sont eux-mêmes infectés par les instincts qui animent le xénomorphe.
En tant que porteuse d'une future Reine,
Ripley est évidemment contaminée
et elle admet elle-même avoir été colonisée mentalement par l'alien.
Le film ne se prive pas de souligner visuellement ce lien
au travers de séquences comme le montage alterné entre la naissance de l'alien
et les funérailles de Hicks et Newt
ou encore plus explicitement par la confrontation dans l'infirmerie.
Même le nouveau look de Ripley, avec son crâne rasé,
provoque une similitude avec l'aspect complètement glabre du xénomorphe.
De leur côté, les prisonniers de la planète Fiorina 161 ne sont pas en reste.
En tant que porteurs d'un double chromosome-Y,
ils sont décrits comme des personnes génétiquement violentes
intrinsèquement inaptes à une vie sociale normale.
Même le personnage le plus positif, celui du docteur Clemens,
a une dizaine de morts sur la conscience.
De toute façon, lorsque l'action du film se passe sur une planète dont le surnom est "Fury",
on se doute bien que les habitants ne vont pas être des enfants de choeurs.
En opérant ce rapprochement entre le xénomorphe et les personnages humains,
Alien 3 opère donc une rupture dans la saga
et va ouvrir la voie au quatrième volet où on verra littéralement des créatures hybrides
possédant des attributs humains et aliens.
Mais est-ce que Alien 3 constitue pour autant la trahison
que dénonçait James Cameron ?
Et ben… pas forcément.
Ça dépend de comment on interprète les films précédents
et ironiquement, celui de James Cameron en particulier.
Comme nous le disions dans notre précédent épisode,
Aliens a été l'occasion pour Cameron de prendre sa revanche sur Hollywood.
Il y a notamment réutilisé des éléments présents dans le script qu'il avait écrit pour Rambo 2
avant de voir celui-ci dénaturé pour devenir un véhicule à la gloire de Sylvester Stallone.
Du coup, Aliens présente différents aspects qui font du film
une sorte d'allégorie de la guerre du Vietnam.
Non seulement Cameron s'est sciemment inspiré de l'argot
et de la terminologie des vétérans du Vietnam
pour écrire les dialogues de ses personnages,
mais en plus l'opposition entre des Marines handicapés
par un équipement trop encombrant et inadapté
et des aliens parfaitement intégré à leur environnement
rappelle ouvertement la dissymétrie entre les forces américaines et vietcongs.
Sans parler de sa tagline qui ne pouvait pas manquer d'évoquer la guerre la plus récente
à laquelle avaient participé les Etats-Unis.
En cela, Aliens n'est pas particulièrement original.
La guerre du Vietnam a été un sujet récurrent du cinéma américain jusqu'au début des 90's
à ceci près qu'Aliens se distingue quand même du lot sur un point précis.
On peut en général distinguer deux catégories
parmi les films qui abordent la question des vétérans du Vietnam.
Il y a ceux où le héros est traumatisé
et désormais incapable de se réinsérer dans la société.
C'est le cas par exemple de Taxi Driver, de Voyage au Bout de l'Enfer, de Rambo 1,
ou encore de Né un 4 Juillet.
Et puis il y a à ceux où le héros retourne au Vietnam pour libérer ses compagnons d'arme
et venger l'affront de la défaite, comme Rambo 2 ou Portés Disparus 3.
Mais dans les deux cas,
e Vietnam est toujours représenté comme un événement indépassable
qui continue de hanter le protagoniste.
Or, à la fin d'Aliens, Cameron suggère l'inverse.
Bien qu'ils aient traversé l'enfer,
Ripley, Newt et Hicks sont finalement capables de laisser leurs épreuves derrière eux
et de former une famille.
D'une certaine façon, Alien 3 va prolonger cette analogie
sauf qu'il va rappeler le happy end de James Cameron à la réalité.
Certes, de nombreux vétérans sont revenus du Vietnam,
ont fondé des familles, ont eu des enfants…
mais bien souvent, les cicatrices de la guerre étaient toujours là
et ont eu des conséquences dramatiques.
Et ce qui, de mon point de vue, rend Alien 3 particulièrement intéressant,
c'est qu'il aborde ce sujet avec un point de vue
qui transcrit un changement de génération.
Entre le milieu des années 80 et le début des années 90,
une nouvelle génération a émergé dans le paysage culturel américain.
c'est celle des personnes nées entre le milieu des années 60 et le milieu des années 80.
Celle qu'on appelle couramment la génération X,
d'après le titre d'un roman de Douglas Coupland.
Ce sont des individus qui n'ont pas connu le Vietnam
mais qui en ont vu les conséquences…
ou plus précisément qui n'en ont vu que les conséquences.
Pour les membres de la génération X, né pendant ou après la guerre,
il n'y a jamais eu d'avant-Vietnam.
Ils ont toujours connu leurs pères ou leurs oncles
comme des hommes contaminés par une violence à la fois infligée et subie.
Ils ont vu cette violence ressurgir, briser des foyers et provoquer des divorces.
Une des chansons majeures du grunge,
le mouvement musical emblématique de la génération X,
est d'ailleurs consacré à ce problème.
Lorsqu'il écrit la chanson Rooster,
Jerry Cantrell Jr, le guitariste du groupe Alice In Chains,
ssaie de se mettre à la place de son père lorsque celui-ci était soldat au Vietnam.
L'expérience est d'autant plus difficile
que Jerry Cantrell Senior n'a jamais évoqué son expérience du combat.
Il a toujours préféré garder ça pour lui,
quitte à laisser son traumatisme le ronger et provoquer le départ de sa famille.
Pour le guitariste,
l'écriture de Rooster est donc une tentative de comprendre ce que son père a vécu
pour essayer de renouer avec lui.
Au final, cet essai sera couronné de succès
et Jerry Cantrell Sr acceptera même de partager ses souvenirs
dans le clip conçu pour la chanson.
Mais pour des milliers d'adolescents, un tel rapprochement n'a pas été possible.
Tout ce qu'ils ont connu, ce sont des pères et des oncles rongés par la violence,
sans forcément comprendre la source de celle-ci
et Alien 3 reflète cette incompréhension.
Dans les années 70 et 80,
les films consacrés aux vétérans du Vietnam montraient bien souvent
l'évolution de leur protagoniste,
à savoir sa vie d'avant, son expérience des combats
et les traumatismes que ceux-ci avaient engendré.
En cela, ils reflétaient l'expérience des amis et de la famille des soldats,
qui les avaient vu partir en bonne santé
et qui les avaient vu revenir brisés et porteurs de pulsions violentes.
À l'inverse les membres de la génération X n'ont pas connu les vétérans dans leur vie d'avant.
À leurs yeux, leur violence n'était donc pas le fruit d'un traumatisme
mais un élément intrinsèque et constitutif de leur personnalité
quelque chose de quasiment génétique.
C'est précisément ce regard d'une génération sur la précédente que l'on retrouve dans Alien 3.
Dès le début du film, Ripley est contaminée.
Elle porte en elle une reine alien,
une graine de violence qui, comme le dit le sermon de Dillon :
Lorsqu'elle germera,
elle produira d'autres graines, perpétuant sa logique de destruction.
De la même façon,
es prisonniers de Fiorina 161 sont génétiquement prédisposés à la violence.
Même s'ils la canalisent grâce à la religion,
ils sont au-delà de toute forme de rédemption.
Le nihilisme du film reflète donc celui d'une génération
qui se voit comme le produit d'individus imprégnés par la violence,
et craint de subir le même sort.
En effet, si la violence n'est plus le résultat d'un traumatisme mais une caractéristique innée
alors elle risque de se transmettre aux générations suivantes.
Le seul moyen de mettre fin à ce cycle,
c'est donc l'auto-destruction,
c'est-à-dire une notion qui sera récurrente dans les années 90, aussi bien dans la musique
que dans le cinéma d'un certain David Fincher.
Et c'est au final le sort qui attend aussi bien Ripley
que plusieurs figures de la génération X, telles que Kurt Cobain,
le chanteur d'Alice In Chains Layne Staley ou encore l'acteur River Phoenix.