Le Labyrinthe de Pan de Guillermo Del Toro : l'analyse de M. Bobine (1)
Adeptes de la grande toile, bonjour !
Vous le savez certainement,
il existe une amitié très forte entre trois réalisateurs mexicains
qui ont pas mal marqué le cinéma du début du siècle,
j'ai nommé Alfonso Cuaron,
Guillermo Del Toro et Alejandro González Iñárritu.
Les « Amigos », comme on les surnomme ont d'ailleurs si bien fait leur trou
qu'entre 2014 et 2018
ils sont tout les trois parvenu à décrocher l'Oscar du meilleur réalisateur,
avec Birdman, Gravity et la Forme de l'Eau.
Mais revenons une décennie plus tôt, en 2006 pour être précis.
Cette année fut particulièrement faste pour les trois Mexicains,
puisque sortaient en salle coup sur coup Babel, Les fils de l'homme
et le Labyrinthe de Pan, excusez du peu.
D'ailleurs, selon Alfonso Cuaron
ces films peuvent être vus comme une trilogie.
En effet, ils partagent des thématiques similaires,
notamment la vision qu'ils offrent de mondes déliquescents
dans lesquels se débattent les personnages principaux,
et où la communication est devenue impossible.
Des film éminemment politique, au sens le plus noble du terme.
Si Babel ou Les Fils de l'Homme abordent frontalement
la dimension politique de leur sujet,
le Labyrinthe de Pan, lui, semble prendre un chemin détourné,
notamment via le conte de fée.
Il n'en reste pas moins que Guillermo Del Toro parvient à mêler
le récit légendaire et les mythes anciens
avec une véritable réflexion politique et historique.
Et ça tombe bien puisque c'est ce dont nous allons parler
dans ce nouvel épisode du ciné-club de monsieur Bobine !
Le Labyrinthe de Pan raconte l'histoire d'Ofelia,
une jeune fille férue de conte de fées
qui accompagne sa mère dans les montagnes espagnoles pour rejoindre son beau père.
Mais dans un labyrinthe en ruine, elle rencontre un faune
qui lui apprend qu'elle est en réalité la princesse perdue d'un royaume magique.
Ainsi pour retrouver sa place,
la jeune fille doit surmonter trois d'épreuves afin de prouver qu'elle est toujours immortelle.
Jusque là on est sur du classique,
mais cette quête se déroule dans un contexte très particulier
puisque nous sommes en 1944,
quelques années après la fin de la Guerre Civile Espagnole.
Et oui, le beau père en question, le Colonel Vidal, est un officier de la Phalange,
les SS locaux,
et il est chargé de traquer et d'éliminer les dernières poches de résistance au franquisme
après la fin de la guerre civile.
Le Labyrinthe de Pan est donc un conte de fée
puisant dans les récits classiques et les mythes anciens,
d'Alice au pays des Merveilles aux Métamorphoses d'Ovide
en passant par Perrault et les frères Grimms.
Mais il s'agit également d'un véritable film historique,
qui propose sa vision d'une période troublée et complexe.
Période que la réalisateur connaît bien,
puisque la guerre civile espagnole a déjà servi de toile de fond
à l'Echine du Diable.
Cette dichotomie est d'ailleurs présente dès les premières images du film.
Celui-ci s'ouvre sur un panneau expliquant le contexte historique,
suivit immédiatement d'un plan sur une jeune fille ensanglantée et mourrante.
Mais le film enchaîne avec la voix douce du faune
qui nous raconte l'histoire d'une princesse perdue.
La rupture de ton qui s'opère entre ces deux ouvertures
donne la note d'intention :
dans le Labyrinthe de Pan, l'histoire avec un grand H
et les histoires des contes de fée sont intimement liés.
Ainsi; la figure mythique du mal s'incarne dans la figure historique du fascisme.
Pour illustrer la manière dont ce mal s'empare des corps et les esprits,
Guillermo Del Toro va utiliser le Colonel Vidal comme un archétype
à la fois Croquemitaine et incarnation de cette idéologie.
La première apparition du phalangiste est parlante.
Elle est précédée par un gros-plan sur sa montre
ce qui définit immédiatement le personnage de Sergi Lopez
comme quelqu'un de précis et de ponctuel.
Elle révèle également sa froideur mécanique, comme il sied à tout fasciste qui se respecte.
Mais cet objet a une autre signification.
En effet, transmise par son père mort au combat,
elle représente à la fois la pulsion de mort et de vie qui anime le personnage.
Et oui, en marquant à la fois l'heure de la mort de son géniteur
et en indiquant le temps qui lui reste à vivre
elle agit comme un memento mori.
Cette formule signifiant « souviens toi que tu vas mourir »
désigne les œuvres ou les objets rappelant que la vie a une fin,
et qu'il faut sans cesse se préparer à la mort.
Dans le domaine du conte par exemple,
le crododile issue de Peter Pan est un Memento Mori célèbre.
Le tic tac de l'horloge qu'il a avalé
et son envie de dévorer le capitaine Crochet est un rappel implacable de la mortalité.
La montre de Vidal incarne elle aussi cet horizon à la fois redouté et attendu.
Car la mort héroïque, la bonne mort, est un des idéaux romantiques du fascisme,
elle pousse ses membres à se sacrifier au nom d'une cause transcendante,
d'un monde nouveau et pur.
Mais cette montre est également symbole de vie parce qu'elle incarne la transmission
et la volonté d'avoir une descendance,
une véritable obsession pour le colonel,
qui ira jusqu'à sacrifier sa femme pour atteindre ce but.
Vidal vient d'ailleurs du latin Vitalis,
qui signifie « ce qui est lié à la vie ».
Cet élan de vitalité est un élément central de l'idéologie fasciste.
Et oui, Les jeunesses hitlériennes, l'importance du sport,
la glorification du corps puissant et le culte de la race pure en témoignent.
Comme pour son idéologie, cette énergie est une force pour le Colonel.
En effet, Vidal est bel homme, toujours élégant,
il est courtois et maîtrise parfaitement l'art oratoire.
Comme le dit Del Toro lui-même :
« Un des dangers du fascisme
et un des dangers du mal véritable dans notre monde est qu'il est très attirant. »
Ainsi le Colonel est souvent présenté en contre-plongée,
dominant les autres, beau dans sa cruauté, sa minutie et ses uniformes impeccables.
Les scènes de toilettes, en débardeurs et bras de chemise peuvent d'ailleurs évoquer
Marlon Brando dans Un Tramway Nommé Désir,
et dégagent à la fois un certain érotisme viril et une très forte pulsion de mort.
Eros et Thanatos quoi...
Car au-delà du pouvoir d'attraction et de la fascination qu'il peut exercer,
l'arme de prédilection du fascisme est la violence
en particulier dans l'Espagne franquiste.
En effet contrairement à l'Allemagne nazie ou à l'Italie de Mussolini,
e ne sont pas des mouvements de masse qui ont porté les franquistes au pouvoir,
mais bien une guerre civile.
Et les années qui suivirent la défaite des républicains
n'ont pas vues de ralentissement dans l'exercice de cette violence
employée à des fin politiques.
Car après que la victoire militaire soit proclamée par Franco le 1er avril 1939
se met en place une répression implacable
visant à laminer les dernières poches de contestations
et à éradiquer les dissidents afin de faire renaître une Espagne fantasmée,
unie et rassemblée derrière un chef charismatique.
Comme souvent dans ce genre d'entreprise totalitaire,
la répression implique une déshumanisation des individus
allant à l'encontre de l'idéologie au pouvoir,
et plus globalement, de celui ou celle qui est différent
Qu'il s'agisse de différence religieuse, ethnique ou politique,
l'autre ne doit plus être considéré comme un être humain.
Cette dimension apparaît dans le film à travers la brutalité
avec laquelle Vidal traite ceux qui s'opposent à lui.
On remarque d'ailleurs que les violences exercées sur ses ennemis par le Colonel
vise le plus souvent leur visage.
Si l'on en croit le philosophe Levinas,
cette partie du corps est celle permet de rentrer en relation avec un autre être humain.
Le fait qu'il s'agisse d'une zone à la fois vitale et particulièrement vulnérable
nous rend également responsable vis-à-vis de celui que nous regardons en face.
C'est de là que naît l'empathie, les obligations morale.
En détruisant littéralement la face du chasseur ou du résistant bègue,
le colonel Vidal leur retire leur humanité
et les rabaisse symboliquement au niveau de choses dont on peut disposer.
C'est cette logique, porté à l'extrême,
qui a entraîné la mise en place de la solution finale par le IIIe Reich.
Le plan sur les vêtements d'enfant dans la pièce de l'homme pale rappelle d'ailleurs
les amoncellements d'affaires appartenant aux victimes des camps de la mort.
Face à cette barbarie
il existe des personnes faisant le choix de ne pas obéir et de faire preuve d'altruisme.
Dans une des premières scènes du film,
Ofelia, qui s'éloigne de la voiture malgré les ordres de sa mère,
trouve un visage de pierre défiguré qu'elle parvient à réparer.
c'est grâce à cet acte d'empathie que la première fée va la guider vers le labyrinthe
où elle rencontre le faune qui doit lui faire retrouver sa place parmi les siens.
La générosité et la force d'Ofelia,
qui ira jusqu'à se sacrifier pour éviter qu'un innocent ne soit blessé,
fait d'elle la parfaite antithèse du colonel Vidal.
Plus globalement, la rencontre avec le faune
et les épreuves que la jeune fille doit traverser tout au long du film
sont autant d'étape qui lui permettent à la fois de se libérer
de l'emprise néfaste de ce qu'est devenu pour elle le monde réel,
et de s'affirmer en tant qu'individu libre et maître de ses décisions.
La toute première épreuve, qui consiste à libérer un arbre d'un crapaud
peut ainsi être vue sous différents angles.
Il s'agit pour Ofelia de délivrer un arbre, source de vie,
d'un parasite qui le fait pourrir de l'intérieur.
Pour cela la jeune fille doit littéralement se salir les mains,
et renoncer à être l'enfant parfaite dont rêve sa mère et son beau père,
ce qui est loin d'être anodin,
puisque la place de la femme dans une société patriarcale
est une des thématiques majeure du film.
La mère d'Ofelia en est le meilleur exemple.
Enfermée dans son rôle de reproductrice,
elle n'a même plus le droit de marcher
et est condamné à utiliser un fauteuil pour se déplacer.
Elle est néanmoins une victime consentante,
ne remettant jamais en cause la domination de son mari.
Mais les personnages d'Ofelia et de Mercedes montrent des possibilités d'émancipation,
que ce soit à travers une action directe et violente pour la résistante,
ou par des moyens plus détournés par la jeune fille,
comme lorsqu'elle utilise une mandragore pour sauver sa mère,
mobilisant ainsi des savoirs anciens qui évoque directement la sorcellerie.
Pour revenir à l'épreuve du crapaud,
il s'agit de se salir, du moins aux yeux de la société pour accomplir le bien,
mais également pour se libérer soi même.
L'entrée dans l'arbre par une fente organique peut ainsi évoquer pour la jeune fille,
l'entrée dans l'adolescence et la découverte de soit.
Mais aux yeux des figures d'autorité patriarcales présentent au repas,
cette attitude mêlant désobéissance et émancipation est inacceptable.
Les institutions dominante que sont le père, mais également l'Etat, et l'Eglise
ne peuvent accepter une personne impure à leur table.
On peut ici s'arrêter un instant sur le rôle et la représentation de l'Église dans le film.
Elle semble au premier abord très réduite,
le prêtre ayant un rôle mineur, et la symbolique du film lorgnant plutôt
du côté du paganisme que du catholicisme.
Pourtant le Mexique dans lequel Guillermo Del Toro a grandi est très religieux
et même s'il se dit athée,
il n'a pas renié pour autant ses racines catholiques.
Ainsi, il n'hésite pas à employer la symbolique chrétienne dans ses films
Par exemple, les insectes mutants de Mimic s'appellent les Judas
et leur première victime à l'écran est un prêtre.
Ou encore, les fantômes de Crimson Peak évoquent la Santa Muerte.
Bref, ce vaste fond culturel irrigue largement, parfois de manière explicite,
parfois plus discrètement, le cinéma de Del Toro.
Dans le cas du labyrinthe de Pan
l'Eglise est d'abord incarné par le prêtre.
Si celui-ci ne prend la parole qu'à deux occasions dans le film,
pendant le repas et lors de l'enterrement de la mère d'Ofelia,
ses prises de paroles montrent bien la relation fusionnelle qui existait