Cold cases : Le tueur en série Jacques Rançon
Cold Case, la science face au crime.
Deuxième épisode, la profailleuse qui a fait avouer le tueur en série Jacques Rançon.
Il est surnommé le tueur de la gare de Perpignan.
Jacques Rançon a été condamné à perpétuité en mars 2018 pour le viol et le meurtre de deux
jeunes femmes de 19 et 22 ans.
Deux meurtres accompagnés d'atroces mutilations.
Mais grâce à l'acharnement de l'avocate Corine Hermann et au savoir-faire de la profailleuse
de la gendarmerie, Marie-Laure Brunel Dupin, il finit par reconnaître en 2019 un autre
meurtre commis 33 ans plus tôt.
Celui d'Isabelle Ménage, 20 ans, retrouvée morte l'été 1986 à la lisière d'un bois
près d'Amiens.
La profailleuse qui a fait avouer le tueur en série Jacques Rançon, un récit de Gaël
Joly.
Les gendarmes de Villers-Bretonneux dans la Somme avaient découvert le corps d'une jeune
fille de 20 ans.
Une information judiciaire pour assassinat, torture et acte de barbarie a été lancée
cet après-midi après la découverte sur un terrain vague du corps d'une jeune femme
de 19 ans.
On poursuit des recherches à Perpignan pour tenter de retrouver la trace d'une étudiante
de 23 ans disparue samedi dans un secteur où d'autres femmes ont disparu.
Je m'appelle Corine Hermann, je suis avocate pénaliste, je m'occupe des victimes.
En 2014, quand Jacques Rançon est identifié pour les affaires de Perpignan, j'apprends
très vite, dans les heures qui suivent, qu'il était d'Amiens et qu'il était libre et
qu'il vivait à Amiens au moment de l'affaire Isabelle Ménage.
Isabelle Ménage, du nom de cette jeune informaticienne de 20 ans, employée à l'hôpital d'Amiens
est partie randonner un samedi de juillet 1986 sur les chemins de campagne sous une
chaleur écrasante avec ses cheveux courts coupés à la garçonne et son sac sur le dos.
Elle est retrouvée morte deux jours plus tard, face contre terre, en partie dénudée.
Pour Corine Hermann, il faut à tout prix explorer la piste Jacques Rançon.
Vous savez, un tueur en série s'entraîne.
Il évolue dans le temps, dans ses fantasmes, dans sa façon d'agir.
Et il y a évidemment les premiers cas, les premières affaires qui ne sont évidemment pas aussi
abouties que les affaires suivantes.
Donc, je pensais qu'Isabelle Ménage pouvait correspondre à son mode opératoire.
Et donc, j'ai fait une chose qu'on ne fait jamais, nous, en tant qu'avocats, c'est qu'on a
contacté la famille pour leur dire écoutez, on a peut être une idée de l'auteur.
Est-ce qu'on tente le coup?
Et c'est ainsi que la famille nous a désignés et que lorsque je vais voir le rapport d'autopsie,
pour moi, je vois une plaie au bas ventre qui correspond tout à fait aux affaires de
Perpignan. J'ai la conviction que ça peut être lui, mais en tous les cas, qu'il faut au moins
le vérifier pour amener une réponse à cette famille au bout de 30 ans.
Et donc, je vais demander au parquet de Damien de vérifier mes hypothèses.
Dans son box, Jacques Rançon n'a pas manifesté la moindre réaction lorsque le président de
la Cour d'assises a énoncé le verdict.
Réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une peine de sûreté incompressible de 22 ans.
Celui que l'on a surnommé le tueur de la gare de Perpignan a été reconnu coupable du viol et du
meurtre de deux femmes, ainsi que d'autres agressions sexuelles et tentatives de meurtre.
Il faudra attendre juin 2019 pour que Jacques Rançon soit entendu pour la première fois par
les enquêteurs de la section de recherche Damien sur l'affaire Isabelle Ménage.
Ils vont pouvoir compter sur l'expertise du lieutenant colonel Marie-Laure Brunel Dupin,
profailleuse criminologue.
Depuis des années, elle a introduit l'analyse comportementale au sein de la gendarmerie.
Aujourd'hui, elle dirige la division des affaires non élucidées, la cellule Diane, créée en 2020.
Sa parole est rare, mais elle a accepté de se confier.
Il y a une pression énorme. C'est Jacques Rançon.
Donc, il a déjà avoué, il s'est déjà rétracté et ça s'est connu de tous.
Et c'est le moment où on va nous attendre.
Nous, les spécialistes de l'audition des tueurs en série, on ne peut pas échouer.
Pendant des mois, l'équipe va fouiller, retourner le passé de Jacques Rançon,
essayer d'entrer dans sa tête, recueillir les moindres détails sur sa vie privée
et son parcours criminel.
Comment il est né, comment il a grandi, comment il s'est forgé, comment il est devenu ce tueur
et comment il s'est comporté sur les affaires précédentes pour lesquelles il est connu.
Parce que ça, c'est quand même un avantage pour nous de savoir comment il s'est déjà comporté
et de récupérer des informations sur les aveux qu'il a déjà fait,
sur les circonstances dans lesquelles il se rétracte quasiment à chaque fois
de ses propres aveux et de se préparer à anticiper toutes ces situations.
Et à l'époque, vous avez des choses saillantes qui sortent à ce moment-là,
que vous découvrez sur sa personnalité.
Oui, on a des choses qui ressortent, notamment sur ce qui compte pour lui dans la vie.
Il y a quelque chose qui compte pour lui, c'est ses voitures.
Parce que sa première mobilette, je crois, a été offerte par son père.
Et ça reste un point important dans sa vie parce que les relations étaient très compliquées.
Mais pour lui, c'est un signe très fort.
Et ça, c'est des bons points de repère dans sa vie,
de pouvoir savoir à quelle époque il a quelle voiture.
Sa voiture est aussi un des modes opératoires, un outil.
Donc finalement, ça participe à ses crimes.
Et là où on pourrait considérer que c'est qu'un moyen de transport,
il y a plus d'enjeux psychologiques avec les voitures pour Jacques Rançon.
Alors, on travaille sur son rapport aux femmes,
on travaille aussi sur ses interruptions, sur les femmes qu'il a eues,
les époques où il a eu des enfants.
Et sur le fait qu'il a finalement une double vie,
les moments où il est en couple et les moments où il est sans, où il est célibataire.
Et malheureusement, c'est ces moments-là où il commet des crimes, où il tue.
Le 19 juin 2019, Jacques Rançon, 60 ans à l'époque,
est extrait de sa cellule de la prison de Béziers dans les Ros,
où il purge sa peine à perpétuité pour le meurtre de deux victimes,
Mokhtaria Chaïb et Marie-Hélène Gonzalès,
tuées aux abords de la gare de Perpignan.
La garde à vue démarre, une course contre la montre s'engage,
l'avocate de la famille d'Isabelle Ménage, Corinne Hermann, est prévenue.
Il ne sait même pas qu'il va être interrogé,
puisque pour le principe de la garde à vue, c'est qu'on va aller le chercher,
qu'on va le mettre dans une pièce et puis lui dire pourquoi on l'entend,
mais il ne peut pas se préparer, on ne va pas le préparer à ça.
Le principe de la garde à vue, c'est de surprendre les gens.
Donc évidemment, je caricature quand je dis ça,
mais néanmoins, il ne sait pas pourquoi il va être entendu.
En fait, le dossier Isabelle Ménage lui tombe sur la tête comme ça d'un coup
et il va avoir 48 heures pour se remettre dans l'histoire,
pour se rappeler de choses, pour jouer avec les gendarmes,
pour donner sa propre version.
Mais elle est importante dans l'histoire, elle est très importante.
Je ne vis plus avant une garde à vue.
J'espère pour les familles, j'espère qu'on n'a pas commis d'erreur.
J'espère qu'on va avoir des explications.
Donc oui, avant une garde à vue, je ne prends plus de rendez-vous, rien.
Je suis un peu tétanisé, ça n'est pas dans mes mains.
Je ne peux pas intervenir.
Donc on est dans l'attente de savoir ce qui est dit et ce qui se passe.
De son côté, la profailleuse Marie-Laure Brunel-Dupin enfile ses gants de boxe.
La confrontation arrive.
Elle vient de passer une très mauvaise nuit.
La veille de le rencontrer, on dort mal, mais pas parce que c'est Jacques Rançon,
mais parce qu'on va aller sur le ring et incompatible avec ce que je dis.
Mais oui, on y va.
Tout ce travail, c'est maintenant.
Et donc c'est plutôt cet énervement-là qui rentre en jeu.
On est évidemment convaincu en tant qu'enquêteur que c'est lui.
Et maintenant, il faut le prouver et le faire avouer.
Donc là, vous avez 48 heures pour faire votre travail.
Alors, c'est très court, c'est beaucoup trop court.
Il faut voir aussi que pendant une garde à vue, ce n'est pas 48 heures d'audition.
Même si on fait sept courtes auditions,
on interroge l'individu pas plus qu'un tiers du temps
par rapport au temps qu'il nous est donné, parce que légalement,
on a énormément de choses à faire, de droit, de visite de l'avocat, du médecin.
Et donc, en termes administratifs, une garde à vue prend énormément de temps.
Jacques Rançon, surnommé le tueur de la gare de Perpignan,
a-t-il aussi sévi dans le nord de la France,
condamné l'an dernier pour avoir violé et tué deux jeunes femmes.
Il a été placé en garde à vue mardi matin à Béziers.
On est en 2019.
Il a été condamné pour le meurtre de deux jeunes filles à Perpignan
grâce à de l'ADN.
Vous n'en avez pas pour l'affaire d'Isabelle Ménage
et vous n'avez pas de témoins, vous n'avez rien.
Vous sautez dans le vide.
Alors si, on a tout.
On a tout ce qu'il nous faut.
On a cette conviction.
On a un rapport d'expertise qui compare les modes opératoires
d'un point de vue médical et technique.
On a son parcours.
On le localise à cette époque-là, sur cette zone-là.
Donc, on a tout ce qu'il faut.
Il est là à ce moment-là.
Elle correspond à ses critères.
Elle est laissée dans l'état dans lequel il en a laissé d'autres.
Il a déjà fait ça.
Il est chez lui.
Pour nous, il y a tout.
Ce n'est absolument pas un saut dans le vide.
Marie-Laure Brunel-Dupin ne le voit qu'à travers un écran.
Ce n'est pas elle qui interroge Jacques Rançon.
Ce sont deux enquêteurs de la section de recherche d'Amiens.
Installés dans la pièce d'à côté, avec le son et l'image,
elle va les guider tout au long de l'interrogatoire.
On a cette rencontre, forcément, qui est assez glaciale.
C'est Jacques Rançon.
Il est compliqué d'accès, forcément.
C'est beaucoup de tension, c'est beaucoup de stress,
mais qui ne sont vraiment pas liés à lui, mais à l'objectif à atteindre.
Je me souviens de son regard, qui est très froid, qui est assez glaçant.
Et donc, ça, c'est forcément marquant pour cette partie-là.
Mais c'est le challenge et c'est surtout qu'il n'est...
Il est froid, il est glaçant, mais on est des techniciens.
Donc, on est, nous, opérationnels.
Et il n'y a pas d'affect, il n'y a pas de rejet.
S'il lit dans nos yeux autre chose que ça,
c'est déjà le début d'un mensonge.
Et donc, c'est un suspect qui est en garde à vue
et qui est suspecté d'avoir commis un homicide.
Là où c'est un ascenseur émotionnel avec lui,
c'est quand on a fait une démonstration
très carrée et très professionnelle
de l'élément qui nous relie, qui le relie au fait
et qu'il approuve, qu'il hoche de la tête, qu'il est d'accord avec nous.
Il dit mais c'est juste, vous avez bien travaillé, mais ce n'est pas moi.
Et parfois, il est long à dire ce n'est pas moi.
On voit qu'il réfléchit, qu'il écoute, il est attentif à ce qu'on lui démontre.
Il est parfois impressionné des éléments qu'on a été retrouvé.
Et puis il dit mais ce n'est pas moi.
Il dit ce n'est pas moi comme de la ponctuation.
Entre chaque audition, sept au total,
les enquêteurs débrief et tentent différentes techniques d'approche.
On échange sur leur ressenti, sur comment ils se sentent à l'aise
par rapport aux questions, aux thèmes, comment ils se sentent,
comment ils ont ce retour, eux, parce que c'est différent.
On leur conseille soit d'éviter le sujet, parfois,
parce que c'est bloquant et c'est inutile,
soit d'insister parce que ça le met mal à l'aise
et ça doit le mettre mal à l'aise pour une bonne raison.
Et donc, il ne faut pas lâcher.
Il s'agit d'une affaire qui date de 1986.
Nous sommes donc dix ans avant les crimes de la gare de Perpignan.
L'enquête piétine à non lieu est prononcée en 1992.
Mais il y a quelques mois, cette enquête est relancée par le parquet d'Amiens
en raison de charges nouvelles en vue d'une possible mise en examen
dans cette nouvelle affaire.
Je trouve même que la fatigue sur lui, elle ne se voit pas,
alors qu'elle se voit beaucoup plus sur les enquêteurs.
Il est neutre.
Je pense qu'on peut prendre la même image
à la deuxième heure de garde à vue et l'image à la 46e.
On ne verra pas la différence.
Après une nuit très courte, les enquêteurs se remettent au travail.
On n'avance pas sur la vérité, mais nous, on avance sur nos démonstrations.
C'est littéralement une partie d'échec.
Et c'est le plus malin des deux qui gagne.
Ce n'est pas forcément celui qui connaît mieux les règles
et ce n'est pas forcément le plus fort, mais c'est le plus malin.
La fin de la garde à vue approche.
Cela fait maintenant plus de 47 heures que Jacques Rançon est entre les mains
de la profailleuse.
Marie-Laure Brunel-Dupin commence à perdre espoir.
J'ai peur, on peut dire.
J'ai peur qu'on n'y arrive pas, mais le travail d'équipe
nous fait nous coacher mutuellement pour dire n'abandonne pas.
Il n'est pas question de lâcher. Il reste une heure.
Et c'est aussi la force d'une équipe, c'est qu'il y en a toujours un
dans l'équipe qui remotive les autres jusqu'à la fin.
Et donc là, comment ça se passe ?
Vous êtes derrière l'écran. Les deux enquêteurs sont fatigués.
Oui, on a fait encore cette pause, ce briefing.
Je viens de leur dire de ne pas lâcher.
Je viens de leur dire que c'est possible, que c'est compliqué,
que c'est juste en temps, mais que c'est possible
et qu'il faut qu'ils tiennent comme à la première heure.
Donc on est tous très fatigués.
On a tous cet enjeu des minutes, cette fois-ci, qui s'égrènent.
Mais on essaye quand même.
Soudain, dans les dernières minutes, brutalement,
Jacques Rançon lâche des aveux.
Et c'est là qu'il nous dit
ben, vous savez quoi ?
Vous n'avez qu'à dire que c'est moi et c'est pas moi.
Il se passe quelque chose, mais comment réagir à ça ?
Comment ? Qu'en faire, en fait ?
Et l'enquêteur lui dit non, ça ne marche pas comme ça.
En fait, on ne fait pas écrire des aveux en blanc, signé en bas de la page.
Et il recommence.
L'enquêteur lui dit si c'est vous,
on veut des détails.
Comment ? Pourquoi ?
De quelle manière ?
Et là, il se met à raconter par petites phrases,
en finissant sa phrase en disant mais c'est pas moi.
En disant je l'ai croisé à tel endroit,
elle était habillée de telle façon et je lui ai proposé de l'emmener.
Mais c'est pas moi.
Il reste cramponné à c'est pas moi.
Mais il lâche.
Vous êtes derrière l'écran, vous dites ça y est ?
Non, on ne réalise pas à ce moment là, en fait.
On a l'impression pour le coup que le temps est suspendu
et on attend l'élément qu'il est le seul à savoir.
Et il arrive.
Et c'est quoi ?
Il est lié à la tenue d'Isabelle Ménage
et à ces éléments là que lui seul peut connaître.
C'est ce moment là où
on se regarde.
Ça, il ne pouvait pas le savoir.
Personne d'autre le savait.
Alors il concentre le temps, il va assez vite,
mais il raconte aussi comment il enlève ces parties,
comment il découpe le corps,
qui correspond aux constatations.
Et là dessus, il...
Il arrête de dire c'est pas moi.
Il est 47 heures et 40 minutes.
Maintenant, on a une phrase,
c'est n'oublie pas, 47e heure, Jacques Rançon.
Il a craqué.
Jacques Rançon, le tueur en série de la gare de Perpignan,
vient d'avouer un troisième meurtre.
Plus de 30 ans après le meurtre,
c'est Corine Hermann, l'avocate des parents d'Isabelle Ménage,
qui fait le lien avec le tueur.
Et en fait, je suis alertée par un journaliste
qui m'envoie un SMS en me disant Jacques Rançon est passé aux aveux.
Donc la première chose, c'est extrêmement grave
parce que ça veut dire qu'il y a des fuites de la garde à vue
et que mes clients peuvent l'apprendre par des journalistes,
ce qui est extrêmement violent.
Voilà, donc je vais immédiatement me renseigner
auprès du juge d'instruction et des enquêteurs
qui me confirment ces aveux.
On va avoir quand même un confort dans ce dossier entre guillemets.
C'est un mot qui est un petit peu décalé,
mais je vais avoir la possibilité d'informer mes clients tout de suite
et de leur dire écoutez, c'est notre suspect.
Vous savez que, voilà, probablement il va être poursuivi,
mais il est passé aux aveux.
Et donc je leur dis, il est passé aux aveux.
Il fallait aussi leur expliquer qu'il avait avoué un autre crime,
qui était le viol.
Il faut aussi les préparer à ce qu'est cet homme,
parce qu'il faut imaginer quand on est une famille 36 ans sans réponse,
qu'on vous a dit en gros, et je l'ai plaidé,
qu'elle était éventrée parce qu'on lui avait enlevé son bébé
et parce qu'on ne voulait pas qu'elle ait de bébé, etc.
De lui expliquer, de leur expliquer, ça n'est pas ça,
mais aussi de leur expliquer qu'ils sont devant un criminel
dont toute la presse va parler,
qui a commis des actes d'éventration qui sont terribles.
Et donc leur expliquer en douceur tout ça,
d'essayer d'échanger avec eux.
Je pense toujours à M. Ménage qui avait peut-être 87 ans, 88 ans à ce moment-là.
C'est un vieil homme qui voit plus bien,
mais qui veut une réponse, qui est combattant quand même.
Malade, mais combattant.
À ce moment-là, il m'a dit,
« Dites-leur juste que c'est un incommensurable soulagement. »
Et la deuxième phrase qu'il va me dire, qui moi va me rester,
qui était une grande émotion, c'est, il va me dire,
« Je voudrais avoir l'adresse de l'homme qu'on a soupçonné pendant 36 ans
pour lui demander de nous pardonner, de nous excuser, alors qu'il y est pour rien. »
C'est des leçons de vie.
Selon les avocats de Jacques Rançon,
leur client a donc été déféré ce matin devant le juge d'instruction
au palais de justice de Béziers
en vue d'une possible mise en examen dans cette nouvelle affaire.
Mais comme l'avocate Corine Hermann et les enquêteurs le pressentent,
quelques semaines plus tard, Jacques Rançon revient sur ses aveux.
La profailleuse Marie-Laure Brunel-Dupin s'y attendait.
Non, il fait marche arrière dans les semaines qui suivent,
les aveux réitérés chez le juge,
où il redonne des détails que seul l'auteur peut connaître.
Et puis ensuite, comme d'habitude, puisqu'il a fait ça à chaque fois,
il se rétracte en disant qu'il a subi des pressions.
Et la chance qu'on a, c'est que c'est filmé.
Donc s'il y avait des pressions, on pourrait les voir à la caméra.
Et il n'y a pas de pression.
Il y a bien sûr la pression d'une garde à vue.
Ça, c'est une pression en soi, mais il n'a pas plus de pression que ça.
Il a avoué qu'il n'a pas craqué.
Ce n'est pas un piège et ce n'est pas un craquage.
D'ailleurs, ça arrive sur le même ton que le reste.
S'il avait demandé un verre d'eau, il n'aurait pas utilisé un autre ton
que celui qu'il a utilisé pour les aveux.
Si on était sur un craquage, on aurait beaucoup plus d'émotions que ça.
Alors que là, on n'a rien.
C'est très factuel, c'est très froid.
C'est conforme à tout ce qu'on a vécu de la première heure à la dernière.
Pour l'avocat de Corine Hermann,
il y a bien une explication à ce retour en arrière.
Isabelle Ménage, il est spécialement en colère contre elle.
Et c'est ce qui m'intéressait dans cette affaire.
Et c'est peut-être ce qui a fait qu'il ait passé aux aveux
pour reprendre la main, pour reprendre le dessus de tout ça.
Isabelle Ménage, elle a dû faire quelque chose,
lui dire quelque chose qui l'a tellement blessée, humiliée,
qui l'a véritablement massacrée.
Ce que je disais en plaidant aussi, c'est qu'elle s'est défendue.
Isabelle Ménage, elle était sportive, elle avait envie de vivre.
Elle s'est défendue, elle a dû lui dire des choses
qui l'ont mis dans un état terrible.
Et cette colère-là, elle est toujours là.
Elle est toujours là à l'audience.
Et c'est très intéressant de pouvoir travailler sur cette colère-là
pour essayer de l'amener à commettre à nouveau des erreurs
et à nous redire des choses.
30 ans de prison pour Jacques Rançon avec une peine de sûreté de 20 ans.
Nouvelle condamnation par la Cour d'Assise de la Somme pour le viol
et le meurtre d'Isabelle Ménage durant l'été 1986.
Jacques Rançon purge déjà une peine de réclusion à perpétuité
pour les viols et meurtres de deux femmes commis à Perpignan
en 1997 et 1998.
Au procès, finalement, c'est votre première rencontre avec lui en face à face ?
Oui.
Quand vous le voyez, vous l'observez, j'imagine,
qu'est-ce qui vous passe par la tête ?
Comment vous le ressentez ?
C'est un homme plutôt coiffé, avec une chemise propre.
Pas cette image qu'il a laissée de Perpignan.
Il est plutôt avec ses lunettes, il fait presque un peu un stythe.
Il fait...
homme d'un certain âge, paisible,
enfin, presque il n'a rien à faire là, quoi.
Il est présent, il est très présent, il a un regard très présent.
On voit qu'il est là et qu'il est prêt à en découdre, on le sent.
En 2022, Jacques Rançon a été condamné en appel à la perpétuité
pour le meurtre d'Isabelle Ménage.
Mais pour Corine Hermann, qui traque les tueurs en série depuis plus de 30 ans,
on n'en a pas fini avec ce tueur en série.
Aujourd'hui, lors de ses aveux dans l'affaire Isabelle Ménage,
il a assuré qu'il s'agissait de son premier meurtre
et qu'il n'y en avait pas d'autres à découvrir.
Je pense qu'on n'en a pas fini avec Jacques Rançon,
ne serait-ce que parce qu'il nous a fait un beau cadeau,
ce que ne font pas toujours tous les tueurs,
c'est qu'il parle de l'affaire de Marie-Hélène Gonzalès
et il se trompe certainement avec une autre victime
puisqu'il pense qu'il a commis des actes sur cette victime
qui n'apparaissent pas sur son corps.
On sait donc que forcément, il y a une victime qui répond à ces actes-là,
donc ça, c'est une certitude, il l'a fait de façon constante.
Pourquoi il confond ces deux victimes, moi, je n'en sais rien,
mais en tous les cas, il l'a fait de façon constante.
Donc on sait, d'ailleurs les présidents d'Assise ont dit
« ça veut dire qu'il y a une autre victime ».
Donc on est tous à la recherche de cette victime,
évidemment pour répondre aux familles,
pour connaître mieux son mode opératoire et son parcours.
Et vous savez, les tueurs en série ont toujours ce chiffre noir,
ces affaires qu'on ne connaît pas, qu'on n'a pas encore retrouvées,
et tous, il ne faut pas croire que quand ils sont condamnés,
ils ont été condamnés pour tous les faits qu'ils ont commis.
Évidemment qu'il y a d'autres faits.
Donc c'est très important de reconstituer les parcours criminels
et les affaires criminelles de nos tueurs en série
pour ne pas perdre de temps sur des instructions
qui seraient faciles à résoudre.
En janvier 2023, le pôle judiciaire national dédié au cold case
a entendu la requête de l'avocate Corine Herrmann
et vient d'ouvrir une information judiciaire contre Jacques Rançon
pour réétudier son parcours criminel
et peut-être retrouver d'autres victimes.
D'autant que les techniques de travail ont beaucoup évolué
sur l'approche des scènes de crime,
précise Marie-Laure Brunel-Dupin.
Il y a 20 ans, quand on prenait en compte une scène de crime
aussi sordide qu'elle puisse être,
on essayait de la résoudre, on n'essayait pas de la comprendre.
Et aujourd'hui, cette capacité,
elle se met au service aussi de ces dossiers anciens
pour aller comprendre des dossiers, des affaires, des crimes
qui n'ont pas été élucidés,
peut-être parce qu'ils n'avaient pas cet éclairage de compréhension.
Donc si c'est une méthode qui peut fonctionner,
bien sûr sur un fait qu'on vient de découvrir,
ça peut aussi fonctionner sur des dossiers plus anciens.
C'est ce qu'on appelle l'analyse de scènes de crime
ou le profil d'auteur inconnu.
C'est vraiment l'essence même du département des sciences du comportement,
comprendre pour mieux investiguer et pour mieux solutionner.
C'était Cold Case, la science face au crime.
Un podcast original France Info.
Deuxième épisode, la profailleuse qui a fait avouer le tueur en série,
Jacques Rançon.