08h. La Reine des Neiges. Chapitre 4 : 3ème partie.
Elles arrivèrent ainsi dans la première salle.
Elle était tendue de satin rose avec des bouquets d'or et d'argent. Les salles, au fur et à mesure qu'elles approchaient, étaient de plus en plus magnifiques. C'était d'une richesse à éblouir les yeux. Enfin elles entrèrent dans la chambre à coucher. Le dais du lit était figuré par un palmier au feuillage d'émeraudes. À sa tige étaient suspendus deux lits ayant chacun la forme d'un lis, l'un était blanc, et c'était celui de la princesse, l'autre était rouge, et c'était celui du prince. La petite Gerda monta sur l'estrade couverte de riches tapis par laquelle on y arrivait. Et voyant une tête couverte de cheveux noirs bouclés elle s'écria : – Oh !
c'est bien mon petit Peters ! Et elle appela : Peters !
Peters !
Le prince se réveilla et tourna la tête du côté de Gerda.
Ce n'était point le petit Peters !
Mais au même instant, du milieu du lis blanc, la princesse leva la tête et demanda ce que c'était.
Alors la petite Gerda se prit à pleurer, et, tout en pleurant, raconta son histoire avec tout ce que les deux corneilles avaient fait pour elle.
– Pauvre petite, dirent le prince et la princesse, et ils louèrent les deux corneilles de ce qu'elles avaient fait, disant qu'ils n'étaient point du tout fâchés, puisque cela leur valait la connaissance d'une si gentille petite fille.
Mais cependant elles ne devaient pas recommencer dorénavant de peur de ne pas si bien réussir. Du reste on les récompenserait.
– Voulez-vous votre liberté, demanda la princesse aux deux oiseaux, ou bien préférez-vous la place de conseillers de la couronne, avec toute la desserte du palais pour appointements ?
Les deux corneilles s'inclinèrent en signe de remerciement, priant le prince et la princesse de leur accorder une position fixe, car elles songeaient à la vieillesse, ayant déjà, le mâle cent cinquante et la femelle cent quarante ans, et ils se disaient :
– Si nous vivons trois cents ans, c'est-à-dire l'âge des corneilles, il est bon d'avoir quelque chose d'assuré pour nos vieux jours.
Il fut donc convenu qu'à partir du lendemain les deux corneilles entreraient au Conseil d'État.
En attendant, comme on ne savait où coucher la petite Gerda et comme le prince voulait lui céder son lit, la princesse lui fit une place à côté d'elle, lui souhaita une bonne nuit et l'embrassa.
Elle ne pouvait faire davantage.
Gerda joignit ses deux petites mains, fit sa prière et s'endormit en disant :
– Oh !
que les hommes et les bêtes sont bons dans le vaste monde ! Alors les rêves qui étaient entrés pour la petite Gerda vinrent se jouer autour du lit, ils tiraient un traîneau dans lequel était assis le petit Peters, qui lui faisait signe de la tête, mais tout cela n'était qu'un rêve, et par conséquent disparut quand elle s'éveilla.
Le jour suivant, la princesse l'habilla de la tête aux pieds de velours et de soie, elle voulut lui mettre aux pieds de charmantes petites pantoufles de drap d'or avec des fleurs cerise, mais Gerda dit qu'elle avait fait vœu d'user ses souliers rouges à la poursuite de Peters, et qu'elle ne pouvait manquer à son vœu.
La princesse voulait la nommer demoiselle d'honneur et lui donner une belle chambre à coucher au château, mais elle refusa, priant qu'on lui donnât seulement une petite voiture avec un petit cheval, car elle voulait se remettre immédiatement à la recherche de son ami Peters.
Comme elle voulait partir sans retard, la princesse donna des ordres, et l'on vit s'arrêter à la porte un petit carrosse doré attelé de deux chevaux, avec un postillon à la Daumont.
Les armes du prince et de la princesse brillaient sur les panneaux comme deux étoiles. Le prince et la princesse mirent eux-mêmes la petite Gerda en voiture, lui souhaitant toute sorte de bonheur. La corneille des bois qui le matin même s'était mariée avec sa fiancée, l'accompagna pendant les trois premiers milles. Elle était assise à ses côtés, ne pouvant supporter d'aller en arrière. Quant à l'autre corneille, elle était restée battant des ailes sur la porte du palais. Elle n'accompagna ni la petite Gerda ni son mari, disant qu'elle avait une forte migraine, ce qui lui venait de ce qu'elle mangeait trop depuis qu'elle avait une position fixe. Les corneilles, et même les corbeaux, qui les avaient connus autrefois, prétendaient, non sans raison, que les honneurs leur avaient tourné la tête.
L'intérieur du carrosse était bourré de sucreries et dans la caisse du siège il y avait des fruits et des croquignoles.
– Adieu, et bon voyage, crièrent le prince et la princesse en essuyant chacun une larme.
La petite Gerda pleurait aussi, et il n'y avait pas jusqu'à la corneille qui ne bâillât de toute la largeur de son bec, ayant le cœur serré.
Ils firent ainsi les premiers milles, alors la corneille lui dit adieu à son tour, et cet adieu fut pour la petite Gerda le plus pénible de tous.
Quant à la corneille, elle vola tout à la cime de l'arbre le plus élevé et là, battit des ailes tant qu'elle put voir le carrosse qui brillait aux rayons du soleil.