LÉTAL 2009-07-16
On assiste à une polémique en France en ce moment à propos de l'utilisation du flash-ball. Cette arme, dont certains services de police sont équipés, est-elle utilisée comme il le faut et quand il le faut ? Quels sont les risques qu'elle fait courir, les accidents qui peuvent se produire ? Un manifestant a perdu un œil la semaine dernière, touché par le projectile d'un flash-ball, que certains appellent « lanceur de balles de défense », et qui est présenté par son constructeur comme une « arme à létalité atténuée ». Cette dernière formulation est tout à fait étrange et d'ailleurs peu compréhensible. Mais elle utilise un mot très rare, « létalité », de la même famille que l'adjectif « létal » qui, lui, est davantage entendu depuis quelques années. Une arme à létalité atténuée est en fait une arme à mortalité atténuée, c'est-à-dire une arme qui est moins mortelle que d'autres. « Létal » est un adjectif savant, qui veut dire « mortel », mais qui ne s'emploie presque qu'à propos de produits qui provoquent la mort. En fait, si on a entendu ce mot en français ces dernières années, c'est plutôt comme traduction de l'anglais. Le même mot y signifie la même chose et, dans un américain assez administratif, il s'emploie à propos des condamnations à mort. Dans un certain nombre d'États des États-Unis, la peine de mort est en vigueur, et la mort est administrée par injection, par une ou quelques piqûres. C'est bien ce qu'on appelle une injection létale. Mais ce vocabulaire est bien étonnant, comme s'il voulait à tout prix ôter le caractère concret et réel de cette mort, comme si on voulait gommer le fait qu'une institution tue officiellement un être humain à l'issue d'un procès. C'est tellement administratif que ça en perd toute épaisseur. On en parle de façon presque hygiénique.
Alors, si létal veut dire mortel, les deux mots ne sont pas équivalents. Par leur fréquence, d'abord, on l'a vu. Mais c'est aussi que le mot « mortel » s'applique à tout ce qui peut donner la mort : une injection mortelle, aussi bien qu'un coup mortel ou un accident mortel. En revanche, on ne peut pas parler d'un « accident létal ». Et « mortel » a de nombreux sens figurés. D'abord pour évoquer quelque chose de grave, de très douloureux, qu'on compare à la mort sans que la vraie mort soit là. Ainsi, dans Le Cid : « Percé jusques au fond du cœur d'une atteinte imprévue aussi bien que mortelle… ». L'atteinte n'est pas vraiment mortelle puisque Rodrigue survivra. Et par antiphrase, « mortel » veut de temps en temps dire formidable, positif, en argot.
Coproduction du Centre national de Documentation Pédagogique. http://www.cndp.fr/