Pourquoi on fait un doigt d'honneur ? - 4 habitudes étranges
Mes chers camarades, bien le bonjour ! Aujourd'hui nous continuons la série des
petits gestes que l'on fait sans trop y penser,
mais qui en réalité ont parfois un sens très ancien. Si vous n'avez pas vu la première vidéo,
je vous conseille d'aller y jeter un oeil. Elle se concluait par un premier constat : de nombreux
gestes ont plus de sens qu'on ne croit, et signifient par exemple un attachement à l'autre,
qu'il soit un allié, un proche, un ami, un membre de sa famille...voire tout simplement,
un autre être humain ! Beaucoup de ces gestes remontent à des temps très anciens : on part plus
dans l'anthropologie que dans l'histoire, mais ça vaut quand-même le coup de s'y intéresser.
Et il y a autre chose de très ancien et de commun à la totalité des civilisations humaines : la
superstition. Le geste peut aussi rejeter le mauvais sort, vaincre la peur, ou au contraire
lancer une malédiction à son ennemi. Et ça ne vaut pas que pour les religions, vous allez voir !
Commençons par la superstition effrayante, celle qui parle du malheur et de la mort.
Vous connaissez peut-être des anciens, des grands-parents,
et parfois des gens beaucoup plus jeunes, qui continuent de perpétuer cette tradition : à
table, on ne pose pas le pain à l'envers. Sinon...ça porte malheur ! Mais pourquoi ?
L'explication la plus récente veut qu'au Moyen Âge chrétien, le bourreau exerçait un métier à part,
qui le plaçait un peu en marge de la société. D'un côté c'était un mal nécessaire,
car il fallait bien appliquer les sentences de peine de mort. D'un autre ben...ça restait
un mal : “Tu ne tueras point” comme dit le proverbe. Le bourreau ne peut donc vivre où
il le désire en ville. Ce qu'il touche est entaché par l'aura de mort qui l'entoure,
il n'a donc pas le droit de tâter les produits au marché, par exemple. Mais
comme il est aussi un “service public”, il faut lui garantir qu'il aura de quoi manger.
Comment faire alors ? Eh bien, on met sa nourriture à part. Le boulanger, par exemple,
mets le pain du bourreau à l'envers : comme ça, tout le monde sait qu'il est réservé.
De fil en aiguille, un pain à l'envers est vu comme une nourriture maudite : si on place son
pain à l'envers chez soi, on attirera le malheur...et la lame du bourreau !
D'ailleurs, ces lois s'appliquaient parfois aux juifs, à qui ont interdisait aussi de
toucher les viandes sur l'étal, sous peine d'être obligé de les acheter,
car elles étaient désormais considérées comme impures.
Par contre, le coup du pain à l'envers, est-ce que ça ne remonte pas à un peu plus loin ? En réalité,
cette histoire de bourreau, c'est très tardif : le pain est considéré comme sacré bien avant cela.
Déjà durant tout le Moyen Âge et même bien avant, le pain est LA nourriture par excellence. Il est
fait de céréale, et symbolise l'abondance terrestre, la vie, la fécondité. En plus,
il ne peut en aucun cas être pris pour une nourriture “impure”, comme c'est le cas pour
certaines viandes, voire toutes les viandes, dans certaines cultures. Le pain est toujours
nourricier, et obtenu à la sueur du front des hommes, puisque pour en faire il faut cultiver
la terre avec courage. Alors, le maltraiter est très mal vu. Du coup, il y a mille coutumes et
superstitions qui s'y rattachent : le pain ne doit pas être coupé, mais rompu. Il ne doit pas être
placé à l'envers. Il ne doit pas être gaspillé ou jeté. Chez les chrétiens, on le marque d'une croix
au couteau, comme pour le bénir. Partager le pain de quelqu'un est quelque chose de très positif.
Et parmi tout l'éventail de ce qu'on a pas le droit de faire au pain, il y a en effet cet
interdit : on ne peut pas le mettre à l'envers, par respect pour le travail qu'il a coûté et la
vie qu'il va offrir. La question que je me pose c'est que finalement, est-ce qu'on ne devrait
pas le faire pour toutes les nourritures ? Continuons dans la lignée des malédictions.
C'est un petit geste que je ne vais pas faire à l'écran, mais que vous connaissez déjà tous : le
doigt d'honneur. Alors là...d'où ça sort ? Pourquoi dresser vers le ciel son majeur,
en direction de son ennemi ? C'est vrai que c'est plutôt bizarre… Mais là encore,
il y a une explication ! Et même plusieurs !
Hypothèse la plus courante sur internet : le doigt d'honneur date de la guerre de Cent
Ans. Les archers anglais, équipés de redoutables longbows, peuvent tirer à grande cadence et ainsi
exterminer la chevalerie française. Au point qu'on décide de prendre des mesures drastiques : puisque
les archers ont besoin de leurs deux doigts pour tendre la corde de leur arc, dès qu'on emprisonne
un anglais, on lui tranche un ou deux doigts. Les archers Anglais, en réaction et par provocation,
prirent l'habitude de tendre leurs doigts vers les Français avant une bataille. C'est intéressant,
car ça expliquerait que le doigt d'honneur Anglais se fasse parfois avec deux doigts.
Sauf que le doigt d'honneur, il existe déjà dans la Rome antique !
On l'appelle même le digitus impudicus, le doigt impudique. Le majeur, tendu bien droit
vers l'avant ou vers le ciel, figure un phallus en érection. L'idée est assez claire : la personne
insultée subit une pénétration. Rappelons que dans l'Antiquité gréco-romaine, l'homosexualité
est perçue d'une façon particulière : une personne n'est pas homosexuelle. Mais un acte peut l'être.
En fait être le pénétrateur ne pose pas trop de problème...mais être le pénétré
est fortement dévalorisant dans la société antique.
Le digitus impudicus est donc, clairement, une insulte. Si ancienne que même au 1er siècle,
le poète latin Martial y fait référence sans avoir besoin de l'expliquer : tout
le monde sait déjà de quoi il s'agit. Par la suite, le geste se répand dans
les pays alentours, grâce à l'omniprésence gréco-romaine autour de la Méditerranée.
Dernière hypothèse : le doigt d'honneur remonte à une période encore plus reculée, et fait partie
des innombrables gestes destinés à repousser le mauvais sort...ou à le diriger vers son ennemi.
Le pouce entre l'index et le majeur, ou encore l'auriculaire et l'index relevés qui forment des
“cornes” : autant de gestes superstitieux, censés protéger les amis et condamner les ennemis...ce
qui donne une allure beaucoup plus sérieuse à l'injure purement phallique des romains !
Depuis les années 1960 en Angleterre, l'emploi du doigt d'honneur s'est banalisé : peu de gens
y voient encore une insulte à caractère sexuel, mais plutôt un geste irréfléchi
de mécontentement et de colère. A éviter, donc ! Les superstitions, c'est aussi... l'amour ! Une
vieille tradition, que peu de gens suivent encore, veut que l'on s'embrasse sous le gui
au Nouvel An. Bien sûr, des gens se font encore des bisous, mais généralement on se moque un
peu de savoir s'il y a du gui dans la pièce ou non. Et pourtant...c'est de là que tout part !
Le gui est une plante...très particulière. C'est un parasite,
souvent digéré par un oiseau et...lâché dans le ciel sous forme de fiente. Une fois sur un arbre,
il met énormément de temps à se développer : invisible, il creuse pendant de long mois à
travers l'écorce de son hôte. Lorsqu'il parvient enfin à squatter le torrent de sève de son hôte,
il commence à pousser...là encore, très lentement. Mais exponentiellement ! Il double son nombre de
branche, chaque année. Donc on passe de 2 à 4 branches, puis à 8...à 16, etc.
Quand vous passez de 2 à 4h bon ça va...Mais quand
vous passez subitement de 128 à 256 branches, là c'est assez phénoménal !
Encore plus marquant : le gui fleuri en fin d'hiver, au moment où tous les autres arbres
-y compris celui sur lequel il se trouve- n'ont encore aucune feuille. Avec tout ça,
pas étonnant que les druides l'aient remarqué : une vitalité lente, secrète, dissimulée,
qui éclate au grand-jour et dépasse de loin celle de tous ces voisins ? En pleine saison morte,
juste avant le printemps ? Il n'en faut pas plus pour qu'une nuée de Panoramix se ruent vers le
gui, une plante symbolisant la fertilité, la vitalité, la renaissance après l'hiver.
A l'occasion des rituels communautaires, les druides s'écrient -pardonnez mon accent,
mais je ne parle pas couramment Gaulois - “O ghel an eu !” : “Que le blé lève !”. C'est un souhait,
une invocation, pour que revienne le printemps et que l'année soit
bonne. Par déformation, "o ghel an eu" est devenue “au gui l'an neuf”.
Et ça, ça veut strictement rien dire ! Je sais, y'a du gui dedans,
il y a l'an neuf aussi mais...ben c'est juste du gaulois mal prononcé et déformé...
Mais voilà, ça reste l'origine d'une vieille tradition : le gui est symbole de fécondité
et de naissance. Pas étonnant donc que les amoureux, à l'époque de la nouvelle année,
se ruent dessus pour s'y bécoter : c'était une façon de se placer sous la protection
d'une énergie naturelle, constatée chez les autres vivants, comme les végétaux
et les animaux. La tradition du baiser sous le gui est un peu passée de mode aujourd'hui,
même si les embrassades, parfois purement amicales, continuent.
Mais il y a autre chose qui a remplacé le gui...la malédiction que vous connaissez
tous : les fameuses bonnes résolutions qu'on prend début Janvier, en sachant qu'on en aura
abandonné la moitié avant Février ! Les idées ont la vie dure, et les humains sont fait ainsi : au
début d'un cycle, même si c'est juste une date arbitraire fixée par un calendrier administratif,
on y croit. On mise sur les “bonnes énergies” d'une nouvelle phase pour se promettre à soi-même
un nouveau départ. Et après tout, évitons dêtre cynique ? Si ça fonctionne, si ça nous donne du
courage pour aller de l'avant, tant mieux ! Deuxième tradition liée à l'amour et dernier
geste bizarre de notre série : si vous avez tout bien fait sous le gui, peut-être que vous aurez
la possibilité de vous marier. Vous sortez de la mairie, et là, une première épreuve
vous attends : les convives vous jette du riz plein le visage ! Dans le genre romantique,
on a fait mieux ! Perso j'ai un cousin de ma femme qui m'a carrément lancé le paquet dans la tronche,
je m'en souviens encore... Alors pourquoi ? Pourquoi du riz, pourquoi pendant un mariage ?
En fait, on reste un peu dans la thématique du gui. De nombreuses spiritualités voient dans la
graine un symbole de vie incomparable. La semence est un véritable concentré énergétique minuscule
mais capable de donner naissance à un végétal parfois immense. Sa première vie est cachée,
secrète, car la germination de la graine se fait en sous-sol, à l'abri des regards. Cette énergie
admirable c'est ce que les grecs anciens appelaient...l'âme. Attention, pas l'âme
des défunts, spirituelle et religieuse. Non, il s'agit de l'anima d'Aristote : une capacité,
un mouvement, une animation. Les végétaux ont une âme, car ils ont un mouvement : ils
sont capables de croître. Les animaux aussi, et leur âme a une capacité supplémentaire : sentir
le monde extérieur à eux-mêmes. Et enfin, les êtres humains seraient encore un degré
au-dessus : leur âme est capable de connaître, de comprendre, d'avoir conscience, d'être curieux,
etc. Bien sûr ces différents degrés se cumulent : l'âme humaine est aussi animale et aussi végétale.
Pardon de cette longue parenthèse, mais après tout ça vous permet
aussi de comprendre comment les gens voyaient le monde dans l'Antiquité.
Revenons-en au mariage : au moment de convoler en juste noce, et donc, dans la tradition,
d'avoir des enfants, c'est donc assez logique que l'on veuille attirer sur soi les bonnes énergies,
vitales, positives. Les convives couvrent alors les jeunes mariés
de toutes sortes de graines et de céréales, qui symbolisent la fécondité. A l'époque,
ça pouvait être n'importe quoi : du blé, de l'orge, des pois…
Mais alors, pourquoi est-ce devenu exclusivement du riz ? Je n'ai pas
trouvé la réponse, mais j'ai plusieurs indices !
Déjà, le riz s'est développé tardivement sous nos latitudes. La Camargue en avait déjà au 13e
siècle, mais le vrai développement n'a commencé qu'au 16e, et c'est seulement au 20e que la
production a été aussi importante qu'aujourd'hui. C'est donc peut être un phénomène de mode ? Une
autre piste probable serait que la bourgeoisie a abandonné les robes de mariages traditionnelles,
multicolores, et toutes différentes selon les régions, pour se concentrer uniquement
sur des modèles de robes standard, toutes blanches. Dans la même veine, peut-être alors
aurait-on favorisé le riz blanc, parce qu'il faisait écho à la robe blanche de la mariée ?
Quoi qu'il en soit, le symbole reste le même : une promesse de fécondité,
et l'éloignement du mauvais sort pour garantir l'avenir des jeunes époux. Alors oubliez pas
vos paquets de riz au prochain mariage ! Et voilà, c'est terminé pour cette petite
série sur tous les trucs bizarres qu'on fait parfois sans réfléchir,
toutes les petites coutumes qu'on garde ou qu'on transforme, sans savoir trop pourquoi. Avec cette
deuxième fournée, vous voyez que là encore, tout a un sens, et parfois pas que physique,
mais métaphysique : la superstition continue bien souvent d'influencer nos actions,
et elle n'est jamais bien loin ! Et c'est bien normal : comme nos paroles, nous voulons que
nos gestes aient un sens, parfois plus fort que ce qu'on peut exprimer. Je vous souhaite
juste d'exprimer plutôt des bonnes choses (c'est toujours plus agréable de faire une bise sous le
gui que de “faire un doigt”), et que vos gestes vous rapprochent de ceux qui vous sont chers !
Merci à Jean de Boisséson pour la préparation de cette émission et à
toute l'équipe Nota Bene qui bosse avec moi pour vous proposer gratuitement depuis des
années des contenus sur Youtube et ailleurs. N'oubliez pas de partager
et de vous abonner pour ne pas louper les prochaines vidéos ! A très vite !