Leçon 50 - Encore de la variété, encore de la richesse
(Dans le petit square derrière l'église Saint-Germain.)
Jean-Michel (à Hubert): Salut, l'aristo!
Hubert: Bonjour, crapule! Ça va?
Jean-Michel: On est les premiers?
Hubert: Ah! Tiens, voilà l'Amerloque qui arrive, en roulant ses mécaniques et Colette.
Colette: Bonjour! Ça va?
Hubert: Mmm . . . bien, Colette. Mireille n'est pas avec vous?
Robert: Vous savez bien qu'elle passait son examen!
Hubert: Ah, la voilà! Alors, comment ça va? Ça s'est bien passé?
Mireille: C'est fini, on n'en parle plus. Parlons plutôt d'autre chose, si ça ne vous fait rien. Du voyage, par exemple. Moi, ce que je préfère, dans les voyages, c'est la préparation, faire des plans.
Jean-Michel: Oui, à mon avis, il faudrait s'organiser. On ne peut pas partir comme ça, au hasard. Il faut avoir un fil conducteur, un thème.
Hubert: Ça pourrait être les châteaux.
Mireille: Ou les églises romanes.
Colette: Moi, j'ai une meilleure idée. Je vous propose un tour de France culturel et éducatif. Par exemple, une étude systématique des charcuteries et des fromages de France. La France et ses trois cents fromages! Ah! Quelle richesse, quelle variété! On pourrait commencer par la Normandie, comme prévu, avec le camembert et le pont-l'évêque pour les fromages, les rillettes du Mans et l'andouille de Vire pour les charcuteries.
Hubert: L'andouille de Vire? Ah, non, quelle horreur! Comme c'est vulgaire! C'est fait avec des tripes de porc.
Colette: Et alors? C'est très bon, les tripes! Les tripes à la mode de Caen . . . oh, c'est fameux!
Mireille: Arrête, tu nous embêtes avec ta bouffe! Tu ne penses qu'à ça! Il n'y a pas que ça dans la vie! D'abord, la Normandie, c'est trop riche, trop gras, trop de crème, trop de beurre. C'est un pays enfoncé dans la matière.
Jean-Michel: . . . grasse!
Mireille: Voilà! Parlez-moi plutôt de la Bretagne! Voilà un pays qui a de l'âme! C'est mystique, austère! Et tous ces calvaires bretons sculptés dans le granit, Saint Thégonnec, Guimilliau, Plougastel. Et les pardons bretons, avec toutes ces femmes en coiffe qui suivent la procession.
Colette: Oui, la Bretagne, c'est intéressant. Il y a les crêpes, les huîtres de Cancale, le homard à l'armoricaine.
Robert: À l'américaine!
Hubert: À l'armoricaine! (Jean-Michel: Mais non!) C'est une vieille recette bretonne, évidemment! (Jean-Michel: Mais non!)
Jean-Michel: Mais non, pas du tout! Où est-ce que vous êtes allés chercher ça? Tu es tombé sur la tête? C'est le homard à l'américaine!
Mireille: À l'armoricaine, tout le monde sait ça!
Colette: Bon, de toute façon, c'est très bon. On pourrait organiser notre voyage autour des spécialités régionales: le cassoulet toulousain, la choucroute alsacienne, la fondue savoyarde, les calissons d'Aix.
Hubert: Mais oui, ma petite Colette, il est vrai que la cuisine, la confiserie, la pâtisserie sont parmi les plus hautes expressions de la culture française. Mais il n'y a pas que ça! Il y a aussi les porcelaines de Limoges, la poterie de Vallauris, les tapisseries d'Aubusson.
Mireille: La dentelle du Puy, la toile basque.
Colette: Oh, vous m'embêtez, vous deux, avec votre artisanat! Ce qu'il y a de mieux, dans le Pays Basque, c'est la pelote et le poulet basquaise.
Hubert: Hmm, poulet pour poulet, moi, je préfère le poulet Mireille!
Mireille: Oh, tu nous embêtes avec tes galanteries de basse cuisine!
Colette: La pelote, le poulet basquaise, et le jambon de Bayonne.
Mireille: Bof! Mon oncle Guillaume, qui est un fin gourmet, prétend que le jambon de montagne qu'on trouve en Auvergne est meilleur.
Hubert: Ce qu'il y a d'intéressant en Auvergne, ce sont les eaux.
Colette: Les os de jambon?
Hubert: Ha, elle est bien bonne, ouais! Les eaux thermales! Vichy, la Bourboule, le Mont-Dore, les eaux thermales, et les volcans.
Jean-Michel: Pfeuh . . . tous éteints, ces volcans!
Colette: Et depuis longtemps!
Mireille: Mais heureusement! Que ferions-nous de volcans en éruption dans notre douce France? La France est le pays de la raison, un pays civilisé. Les fureurs de la nature, les cataclysmes, ce n'est pas notre genre. Nous préférons le calme d'une palme qui se balance sur la mer.
Robert: Une palme? La France est peut-être le paradis terrestre, mais je doute que vous ayez beaucoup de palmes en France!
Mireille: Mais si, il y a des palmiers sur la Côte d'Azur, comme en Afrique, ou en Floride.
Hubert: Il y a de tout en France, mon cher!
Robert: Sans blague? Vous avez des séquoias, par exemple?
Mireille: Des séquoias? Non, bien sûr, c'est trop grand! Je viens de te dire que la France est le pays de la raison et de la mesure. Il n'y a pas de séquoias, mais dans tous les jardins publics, il y a des cèdres du Liban, ramenés par Jussieu dans son chapeau.
Hubert: Il y a aussi des séquoias; pas aussi grands que ceux de Californie, mais il y en a. Et puis, nous avons de magnifiques forêts de sapins dans les Vosges et dans les Alpes.
Mireille: Comme au Canada ou en Norvège.
Hubert: De grandes forêts de pins dans les Landes . . ....
Jean-Michel: . . . pour la résine et le papier.
Hubert: Et même des chênes-liège, comme au Portugal . . .
Jean-Michel: . . . pour faire des bouchons!
Colette: Très important, les bouchons, pour le vin!
Hubert: Il y a de tout, absolument de tout! Du blé, comme en Ukraine ou dans le Kansas; du maïs, comme en Hongrie ou dans l'Iowa; du riz, comme en Chine ou au Cambodge.
Robert: Du riz? Ha, ha, je ris! Du riz? Vous voulez rire! Ça m'étonnerait que vous ayez beaucoup de riz en France!
Jean-Michel: Mais si! Pour une fois, je dois reconnaître qu'Hubert a raison. On produit pas mal de riz dans le sud de la France, en Camargue. Tu as entendu parler de la Camargue? C'est génial. Il faudra y aller, je suis sûr que ça te plaira: il y a des chevaux sauvages, des taureaux sauvages, des cowboys.
Mireille: Comme au Texas!...
Jean-Michel: Seulement, en Camargue, on les appelle des gardians... Mais c'est la même chose... Il y a même des flamants roses...
Mireille: Comme en Egypte!...
Robert: Et de la canne à sucre, vous en avez, en France?
Mireille: Mais oui! Bien sûr que nous en avons! À la Martinique!
Robert: Bon, admettons que vous ayez du sucre, mais est-ce que vous avez du café?
Mireille: Le café au lait au lit? Tous les matins, avec des croissants!
Jean-Michel: Evidemment, le café vient du Brésil, de Colombie, ou de Côte d'Ivoire.
Robert: Et des oliviers, vous en avez?
Mireille: Mais oui, évidemment qu'on en a, dans le Midi! Heureusement! Avec quoi est-ce qu'on ferait l'huile d'olive, l'aïoli, ou la mayonnaise?
Colette: L'huile d'olive, je n'aime pas trop ça. Ça a un goût trop fort. Chez moi, on fait toute la cuisine au beurre.
Mireille: À la maison, on fait toute la cuisine à l'huile.
Jean-Michel: Dans ma famille, qui est du Sud-Ouest, on fait la cuisine à la graisse.
Hubert: Tiens, ça me rappelle une version que j'ai faite en cinquième. C'était du César, si je ne me trompe: “Gallia omnia divisa est in partes tres,” que j'avais traduit: la France est divisée en trois parties: la France du beurre dans le Nord, la France de l'huile dans le Midi, et la France de la graisse dans le Centre et le Sud-Ouest.
Jean-Michel: Eh bien, dis donc, tu ne devais pas être très fort en version latine, hein! Ben, oui! Quand César dit que la Gaule est divisée en trois parties, ça n'a rien à voir avec les matières grasses!
Hubert: Vraiment?
Jean-Michel: En fait, je vais vous dire: La vérité, c'est qu'il y a la France du vin dans le Midi, la France de la bière dans l'Est et dans le Nord, et la France du cidre dans l'Ouest, en Bretagne et en Normandie.
Colette: Ah, le cidre! Ce que j'aime ça! J'en boirais bien une bouteille, tiens!
Hubert: Qu'à cela ne tienne! Allons prendre un pot aux Deux Magots!
Mireille: Bonne idée!
Tous: On y va!