#110 - Qui vote pour qui ? (3)
Hugo: [00:31:35] Donc les ouvriers peut-être, on peut expliquer : les personnes qui travaillent dans les usines, qui ont des professions plutôt manuelles.
Ingrid: [00:31:44] Ouais, c'est ça.
Hugo: [00:31:45] Mais dans les entreprises.
Ingrid: [00:31:46] Oui, on peut dire c'est une partie des catégories socioprofessionnelles qui sont plutôt pauvres. C'est ceux qui travaillent pour, dans l'industrie, pour des grosses entreprises en général, en France, c'est beaucoup d'entreprises quoi, de ?
Hugo: [00:32:04] Dans l'automobile.
Ingrid: [00:32:05] L'automobile. Ouais c'est ça ou l'agroalimentaire aussi, il y a des ouvriers. Et puis c'est… En fait, ça se recoupe avec ce qu'on disait, parce que c'est des personnes qui vivent souvent dans des, assez éloignées de la ville, où il y a des, dans des campagnes, où il y a des grosses usines. Et puis souvent toute la ville travaille dans la même usine. Voilà, c'est un petit peu ce profil-là. Et donc je disais les jeunes actifs de 25 à 34 ans et les jeunes en général qui n'ont pas de diplôme. Puisque les étudiants, ils sont plutôt partagés entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon dont on parlera après.
Hugo: [00:32:42] Ouais donc c'est vrai que cette thématique du pouvoir d'achat était vraiment au coeur de la campagne de Marine Le Pen et ça lui a permis de séduire de nouveaux électeurs. Mais il ne faut pas oublier que le fond de commerce du Rassemblement national, donc le fond de commerce, ça veut dire… Comment on peut expliquer ça, le fond de commerce ?
Ingrid: [00:33:03] C'est le thème principal, non ? Ce qu'il fait fonctionner.
Hugo: [00:33:08] C'est ça. Ce qui permet vraiment au, ce qui permet historiquement au Rassemblement national de fonctionner, de rassembler les électeurs. C'est ses propositions anti-immigration. Donc on ne peut pas négliger que cet aspect est resté très important dans le programme du Rassemblement national. Et une bonne partie des électeurs du Rassemblement national ont voté pour Marine Le Pen en adhésion à ces mesures anti-immigration. Donc ça, ça restait quand même au coeur du programme de Marine Le Pen, ce qu'elle a appelé avec le terme de préférence nationale qui semble un peu plus politiquement correct. Ce qu'elle dit, en gros, c'est qu'il faut toujours, systématiquement, privilégier, favoriser les Français. Donc ça, pour les personnes qui ont un pouvoir d'achat réduit par exemple, c'est un argument qui est assez séduisant de se dire «je suis français, je suis dans mon pays, donc je devrais être avantagé par rapport aux immigrés qui, selon l'argumentation classique du Front, du Rassemblement national, volent notre notre travail». Donc ça, c'est resté quand même au coeur aussi du programme de Marine Le Pen.
Ingrid: [00:34:40] Ça, c'était donc pour nos deux candidats du deuxième tour. Et puis, on va peut-être terminer avec le numéro trois, celui qui est arrivé en troisième position au premier tour, Jean-Luc Mélenchon, puisqu'il concentre beaucoup d'électeurs qui ont un profil encore différent de celui de Marine Le Pen et de Emmanuel Macron. D'ailleurs, c'est vrai que Jean-Luc Mélenchon, après le premier tour, a dit explicitement qu'il ne fallait pas donner de voix à Marine Le Pen. Il a dit pas une voix pour Marine Le Pen.
Hugo: [00:35:23] Il l'a même a répété trois ou quatre fois d'affilée. Il me semble qu'il a vraiment été très clair par rapport à ça.
Ingrid: [00:35:30] Exactement. Donc on pourrait se dire que Jean-Luc Mélenchon est plus proche de Emmanuel Macron, par exemple. En tout cas qu'il est complètement opposé à Marine Le Pen. Mais ces électeurs, pas forcément. Il y a des électeurs qui sont passés de Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen, et puis beaucoup qui se sont abstenus. Alors, qui sont ces personnes ? Donc Jean-Luc Mélenchon, il a d'abord, il y a un phénomène assez intéressant à souligner, c'est qu'il a réussi à créer une mobilisation exceptionnelle des populations de ce qu'on appelle les quartiers. Alors personnellement, je n'aime pas du tout cette expression puisque quartiers, ça veut rien dire. Enfin, c'est une appellation générale, mais ce qu'on veut dire c'est les quartiers populaires, c'est les banlieues, certaines banlieues où la population est plutôt immigrée ou descendante d'immigrés, où la population est plutôt pauvre mais quand même en connexion avec les grandes villes, etc. C'est des quartiers qu'on peut dire «difficiles». Donc dans les banlieues de Paris, de Marseille, de Lyon, il y a une très forte mobilisation juste pour Jean-Luc Mélenchon et notamment beaucoup de personnes qui d'habitude ne votent pas sont allées voter à ce premier tour au lieu de s'abstenir comme d'habitude. Alors je vous donne juste trois chiffres un peu que j'ai cherché un peu au hasard en me disant tiens cette ville, je pense que ça a voté Jean-Luc Mélenchon et effectivement !
[00:37:05] À Saint-Denis, donc c'est une ville de banlieue parisienne, du nord de Paris, on a voté, enfin ils ont voté au premier tour à 61 % pour Jean-Luc Mélenchon. Dans Les Mureaux, qui est une commune des Yvelines, donc dans le sud ouest de Paris, proche de là ou j'ai grandi d'ailleurs, ils ont voté à 60 % pour Jean-Luc Mélenchon et dans le 15ᵉ arrondissement de Marseille, donc dans les quartiers nord de Marseille, il y a eu 51 % pour Jean-Luc Mélenchon. Donc vous voyez, il y a des villes où Mélenchon est arrivé carrément premier au premier tour. Ensuite, il y a eu aussi un vote important des musulmans. Il y a eu un sondage fait par le média La Croix qui a montré que sept musulmans sur dix ont voté pour Jean-Luc Mélenchon. Alors j'ai vu un petit peu des polémiques, comme quoi ce serait un vote communautaire, voire islamiste. Mais en fait, je trouve que c'est plutôt logique puisque Jean-Luc Mélenchon, ça a été le seul, je pense pendant la campagne qui a vraiment insisté pour défendre le droit des musulmans à exprimer leur religion à tout simplement exister. Et il a clairement appelé les musulmans à voter pour lui. Donc ça a fonctionné et c'est une des premières catégories qui ont participé à son si bon score.
Hugo: [00:38:45] Effectivement, et parmi les autres électeurs de Jean-Luc Mélenchon, on trouve aussi une partie forcément des classes populaires. Parce que le parti de Jean-Luc Mélenchon, qui s'appelle La France insoumise, est un parti qui se situe entre la gauche et l'extrême gauche et qui a plutôt vocation à défendre les Français les plus pauvres, les plus défavorisés. Il se dispute cet électorat avec Marine Le Pen. Donc à la fois Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont essayé de séduire cet électorat et on peut dire que Marine Le Pen a plus de succès parmi les ouvriers, alors que Jean-Luc Mélenchon a obtenu plus de voix parmi les employés. Les employés qui travaillent dans les bureaux et qui, comme les ouvriers, ont des salaires assez bas. Ensuite, il y a aussi les étudiants. Donc Jean-Luc Mélenchon est très populaire parmi les étudiants. Là, il est plutôt face à Emmanuel Macron. On a vu tout à l'heure qu'une partie des jeunes de 21… Non, c'était 18-24 ans ?
Ingrid: [00:39:39] 18-24 ans, ouais.
Hugo: [00:40:00] 18-24 ans votent plutôt pour Emmanuel Macron. Donc ça dépend un peu de ce que vous étudiez à l'université. Si vous étudiez l'économie ou vous êtes en école de commerce, vous avez plutôt voté pour Emmanuel Macron, comme mes camarades par exemple. Mais j'étais surpris parce que Jean-Luc Mélenchon devient aussi assez populaire dans certaines écoles de commerce. Au contraire, si vous étudiez la sociologie, si vous êtes élève à l'Académie des Beaux-Arts par exemple, bon bah là il y a plus de chances que vous votiez pour Jean-Luc Mélenchon. Et enfin, ouais, Jean-Luc Mélenchon, en général, fait de très bons scores parmi les jeunes de 18 à 34 ans, alors que Marine Le Pen a plus de succès chez les jeunes qui sont non diplômés, donc qui n'ont pas de diplôme universitaire.
Ingrid: [00:40:54] Et puis, sans oublier, donc on a parlé de ceux qui votent vraiment pour Jean-Luc Mélenchon par adhésion. Mais on n'oublie pas les petits castors. Cette fois-ci, c'est moi qui vais en parler, mais on a aussi des castors à gauche qui, dès le premier tour, ont décidé de jouer stratégie. Donc on peut dire qu'ils ont voulu soit faire barrage à Marine Le Pen. En fait, ils voulaient que Marine Le Pen n'aille pas au deuxième tour, soit qui ont voté utile. C'est le même résultat. Mais quand on dit vote utile, c'est plutôt l'idée que on va voter pour celui de notre camp (donc la gauche) qui a le plus de chances de remporter, d'arriver au deuxième tour. Donc là, pareil, les sondages ne nous permettent pas d'avoir un chiffre très exact, mais ce serait à peu près 20 à 30 % des personnes qui ont voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour, qui l'ont fait juste parce que c'était le mieux placé dans les sondages. Et de manière générale, il y a eu beaucoup de reports de voix. «Reports de voix», ça veut dire que c'est des votes qui sont passés d'un candidat à un autre pour x raisons. Pour certaines raisons, celles que je viens de vous d'évoquer. J'ai vu qu'il y avait un tiers des électeurs habituels du Parti socialiste qui ont voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour. Et aussi un tiers des électeurs habituels de Europe Ecologie-Les Verts, donc le parti écologiste. Il y a eu un mouvement assez important à gauche de vote pour Jean-Luc Mélenchon, même si ce n'était pas le candidat de prédilection à la base. Et il y a quand même eu on en parlait, je pense, tout à l'heure, Hugo, avant de commencer à enregistrer, il y a quand même beaucoup de personnes qui normalement votent à gauche mais qui n'ont pas voulu voter pour Jean-Luc Mélenchon parce que en réalité, ils sont plus centristes sur la ligne du Parti socialiste qui est beaucoup moins à gauche que celle de Jean-Luc Mélenchon. Et il y en a beaucoup qui ont peur de lui, de sa position à l'international, de sa personnalité un peu extrême aussi, on peut le dire.
Hugo: [00:43:28] Oui, c'est un peu notre Bernie Sanders national. Donc effectivement, il a une personnalité assez clivante. Il y a des gens qui l'adorent. Il est connu notamment pour être un très bon tribun. Ça veut dire qu'il s'exprime extrêmement bien. Il est très fort en débat. Mais d'un autre côté, beaucoup de personnes lui reprochent d'être assez égocentrique, d'accaparer toute toute l'attention et de ne pas laisser de la place pour les autres membres de son parti, etc. Donc c'est vrai qu'il a tendance à polariser un peu les opinions. On a tout dit sur Jean-Luc Mélenchon ?
Ingrid: [00:44:07] Bah oui hein. Les catégories socioprofessionnelles, les quartiers populaires, les étudiants, on a tout !
Hugo: [00:44:14] Très bien. Bon, donc, on va conclure l'épisode là-dessus. J'espère que ça vous aide à y voir plus clair, que vous comprenez mieux les enjeux des années à venir avec les nouveaux blocs qui sont en place. Vous pouvez mieux également interpréter cette victoire d'Emmanuel Macron. Maintenant, il reste les élections législatives qui auront lieu en juin et qui vont être déterminantes, qui vont être très importantes parce que le Président en France, même s'il a beaucoup de pouvoir, ne peut pas tout. Il a besoin d'avoir une majorité au Parlement pour être en mesure de faire passer ses projets. Donc Emmanuel Macron a besoin que son parti, La République en marche, remporte une majorité à l'Assemblée. Et dans tous les cas, Emmanuel Macron et ses proches savent que ce deuxième mandat va être très difficile. Il a notamment le projet de ce qu'on appelle la retraite à 65 ans, ça veut dire que l'âge de la retraite va passer de 60 à 65 ans. Donc ça, c'est un projet qui est très impopulaire et qu'Emmanuel Macron va essayer de faire passer. Il faut s'attendre à de grandes manifestations en France, à mon avis, dans les prochaines années. D'autant plus que, à gauche, Jean-Luc Mélenchon essaie vraiment de se poser comme principal opposant en organisant ces mouvements de contestation sociale. Et côté extrême droite, le Rassemblement national va aussi essayer de faire un bon score aux législatives. Pour peser, pour compter, pour avoir de l'importance entre ces élections présidentielles. Voilà. Je pense qu'on a tout dit. Comme d'habitude, n'hésitez pas à laisser un commentaire. Je ne sais pas si on continue avec ces expressions à mettre dans les commentaires ou pas. Ingrid: [00:46:13] Ou pas, mais là on a un bon mot quand même. Si on parle d'un animal. Allez la dernière fois. Bon ou vous nous dites si vous en avez marre de… Mais on peut leur dire «castor» ?
Hugo: [00:46:26] C'est ça. Ok, donc si vous avez écouté l'épisode jusqu'au bout, vous pouvez écrire «castor». Ou alors «faire barrage», dans les commentaires. Les deux comptent. Et voilà. Merci de nous avoir écouté et on se retrouve bientôt pour un nouvel épisode. Ciao ! Ingrid: [00:46:42] Merci. Salut!