#111 - Vincent Bolloré, l'homme le plus puissant de France (2)
[00:16:38] Donc, quand on regarde de près ce millefeuille financier du groupe Bolloré, on voit bien que, comme je vous le disais tout à l'heure, c'est clairement Vincent qui a le pouvoir décisionnaire dans tous les domaines. Et c'est important de se rendre compte de ça parce que récemment, le groupe Bolloré, je vous le disais, a commencé à investir dans un nouveau domaine, celui des médias. Et peu importe que les médias ne rapportent pas toujours d'argent (en général, ça en fait perdre même), puisque les finances du groupe s'équilibrent grâce à d'autres secteurs. Donc, le choix d'investir dans les médias, c'est une démarche plutôt personnelle qui a commencé il y a un peu moins de 20 ans. Je vous explique maintenant tout ça.
[00:17:44] Depuis les années 2000, Vincent Bolloré a commencé à investir dans un nouveau domaine : les médias. Il a fait son trou dans ce secteur de manière très progressive. Au début d'ailleurs, il n'était pas vraiment pris au sérieux et ça lui a permis d'avancer discrètement, sans que l'opinion publique ne se méfie. Ah oui! « Faire son trou« , ça veut dire s'installer, trouver sa place. C'est une expression qui fait référence aux animaux. Quand ils creusent leur terrier en faisant un trou dans la terre, c'est par exemple les lapins ou les taupes qui font ça. Donc je disais que, au début, Vincent Bolloré, il n'était pas pris au sérieux quand il s'est lancé dans les médias. Il n'a pas vraiment inquiété. Normal, puisque sa première chaîne de télévision, c'était Direct8. Et franchement, elle était un petit peu ridicule. C'était en 2005, au tout début de la TNT, la télévision numérique terrestre. J'imagine que vous connaissez, vous avez eu ça aussi dans vos pays. Il y a eu un moment (donc en France, c'était en 2005, je crois que c'était dans toute l'Europe d'ailleurs que c'était en 2005 ?) Il y a eu un un changement profond dans le paysage de la télévision puisqu'on est passé de six chaînes (quand j'étais petite, il y avait six chaînes) à une vingtaine de chaînes accessibles via un canal numérique. Donc, parmi ces nouvelles chaînes, il y avait Direct8, lancée personnellement par Vincent Bolloré. C'était une chaîne sur laquelle passaient des émissions de divertissement. Les animateurs, ils avaient aucune expérience et il n'y avait pas beaucoup de financement. Les décors étaient vraiment primaires : primaires, simples, pas travaillés, comme s'il n'y avait pas beaucoup de financement derrière. Donc à ce moment-là, c'est difficile d'avoir des soupçons envers le milliardaire, de penser qu'il a un projet politique derrière. J'imagine qu'à l'époque, les gens se disaient juste que voilà, il voulait s'amuser, découvrir un nouveau domaine, peut-être gagner de l'argent dans le futur avec la télévision.
[00:20:15] En parallèle, à peu près à la même époque, donc autour des, dans les années 2000, en fin d'année 2000 même plutôt, il lance un quotidien d'information gratuit qui a eu plusieurs noms : Matin Plus, Matin Direct, à la fin c'était CNews. Mais le nom le plus connu que personnellement j'ai connu d'ailleurs, c'est Matin Direct… Euh non… C'est Direct Matin. Donc Direct matin, c'était quoi ? C'était un journal papier de quelques pages, distribué gratuitement dans le métro ou dans la rue, dans plusieurs grandes villes de France, dont Paris, donc où personnellement j'étudiais à l'époque. Le journal n'existe plus aujourd'hui, mais de toute façon, c'était un journal qui n'était pas vraiment pris au sérieux. C'était un journal qu'on lisait pour passer le temps sur le trajet, pour aller au travail. Moi, je le prenais tous les jours, par exemple, pour faire les mots croisés. Voilà, tout simplement. Donc Direct Matin, c'était pour Bolloré un moyen de faire de la publicité pour ses entreprises ou pour des entreprises avec lesquelles il partageait des intérêts. Il y a eu quelques petits scandales sur des articles, par exemple, qu'il a demandé à faire retirer parce qu'il n'était pas en accord avec ses intérêts ou avec ses valeurs. Mais comme c'était seulement un journal gratuit qu'on ne lisait pas sérieusement, personne ne s'est vraiment inquiété, à part peut-être les journalistes concernés.
[00:22:00] Mais derrière ces lancements a priori anodins, il y avait toute une stratégie de positionnement. Petit à petit, les médias possédés par Vincent Bolloré se sont professionnalisés. Ils ont obtenu plus de moyens. Ils ont attiré des chroniqueurs plus expérimentés. La chaîne Direct8 est devenue D8 puis C8. Elle fait maintenant partie du groupe Canal+, groupe qui a été racheté par Vincent Bolloré. Et aujourd'hui, sur 26 chaînes de la TNT, il en possède cinq, dont certaines sont très regardées et très prises au sérieux. En parallèle, Vincent Bolloré fait l'acquisition d'autres moyens de communication. Alors je ne vais pas vous faire tout le détail des ventes achat transformation de médias parce qu'on y passerait la journée, mais sachez qu'aujourd'hui il est propriétaire de nombreuses chaînes de télévision, donc on en a parlé, mais aussi de radios, de journaux et de magazines. Et ce n'est pas tout. Il est aussi propriétaire d'une des plus grosses agences de communication du pays. Il est à la tête de plusieurs studios de production (donc ceux qui font des films, des vidéos, etc.) Et récemment, il a même fait l'acquisition de maisons d'édition. Il a même beaucoup, beaucoup de maisons d'édition. Les maisons d'édition, ce sont les entreprises qui sélectionnent et publient des livres, puis qui s'occupent de leur publicité. Si vous avez acheté un livre en français il y a pas longtemps, il y a de grandes chances que Vincent Bolloré possède la maison d'édition qui l'a publié, en particulier si c'est un livre d'éducation, par exemple pour apprendre la langue française.
[00:24:02] Bien sûr, pour devenir aussi puissant dans le monde des médias, Vincent Bolloré, il l'a joué malin. Il a pris progressivement des parts dans certaines sociétés, il a racheté des entreprises quand elles étaient au bord de la faillite. Et d'ailleurs, aujourd'hui, ce n'est pas évident de trouver une liste des médias contrôlés par Vincent Bolloré. Justement, à cause de ce millefeuille financier. On ne peut pas voir directement « ah tel média, c'est Bolloré qui le contrôle ». Non, il faut remonter : « tel media, c'est cette société qui est actionnaire principal. Cette société appartient au groupe Bolloré, etc, etc. » Souvent pour comprendre qui est aux commandes, il faut étudier de très près l'organigramme d'une entreprise. Et je vais vous donner un exemple très précis. Donc, au sein du groupe Bolloré, il y a une filiale qui s'appelle Vivendi. Vivendi, c'est la filiale qui possède tous les médias. C'est la filiale média du groupe Bolloré.
[00:25:17] Donc il y a une entreprise qui s'appelle Lagardère. Lagardère, c'est un conglomérat. On a déjà appris ce mot, donc c'est un conglomérat dirigé par un milliardaire qui s'appelle Arnaud Lagardère. Cette entreprise possède plusieurs filiales, dont une dans la presse et une dans l'édition. Il y a la filiale Lagardère News, qui comprend trois radios et deux journaux. Et il y a la filiale Lagardère Publishing, qui comprend plein plein de maisons d'édition. Bref, c'est une entreprise qui est importante dans le monde de l'information. A priori, on peut penser que Arnaud Lagardère a le pouvoir dans ce conglomérat. C'est lui qui dirige l'entreprise. L'entreprise porte son nom, ce serait assez logique. Mais si on y regarde de plus près, c'est en fait Vivendi qui possède la majorité des actions de Lagardère. Et ce qui s'est passé, c'est qu'il n'y a pas longtemps, le groupe Lagardère était en crise économique. Et donc Vincent Bolloré a racheté des parts. Et depuis, petit à petit, Vincent Bolloré, avec des amis qui sont aussi actionnaires ou qui ont des intérêts dans ce groupe, fait en sorte d‘avoir de plus en plus de pouvoir et d'évincer, de mettre de côté, Arnaud Lagardère. Il y a une rumeur qui dit que, en fait, Vincent Bolloré est en train de prendre petit à petit le contrôle total de Lagardère.
[00:27:02] Donc voilà, il faut parfois regarder un petit peu en détail les organigrammes pour comprendre que Vincent Bolloré est aux commandes, contrôle des tas de médias, des maisons d'édition etc etc. Alors pourquoi est-ce qu'il fait ça ? Donc j'ai déjà commencé en introduction, je vous ai dit le plus important pour que vous sachiez où on va. Mais donc Vincent Bolloré, il a des idées bien arrêtées sur ce à quoi devrait ressembler la France. Et pour partager ses idées, il utilise ses médias. Donc dans une troisième partie, je vais vous présenter quelles sont les idées de Bolloré et comment il fait pour les diffuser dans ses médias.
[00:28:06] On dit souvent que les médias représentent un quatrième pouvoir. Il y a le pouvoir exécutif (en France, c'est le président de la République qui le détient, qui le possède). Il y a ensuite le pouvoir législatif (en France, il appartient par exemple aux députés). Et puis il y a le troisième pouvoir, qui est le pouvoir judiciaire, celui des juges qui rendent la justice. Enfin, on dit souvent qu'à ces trois pouvoirs officiels s'ajoute le pouvoir de la presse, le pouvoir des médias, de l'information. Eh oui, parce que la presse représente en théorie les citoyens, et les journalistes exercent au nom des citoyens une forme de contrôle des trois autres pouvoirs. Cependant, pour que ce quatrième pouvoir fonctionne, il faut que deux conditions soient réunies. La première condition, c'est qu'il existe une pluralité des médias. Ça veut dire que plus il y a de journaux, de radios, de chaînes de télé, etc, etc, plus la presse a du pouvoir. Pourquoi ? Parce que ça permet de multiplier les points de vue et d'éviter qu'on parle toujours des mêmes sujets. La deuxième condition pour que la presse soit un quatrième pouvoir, c'est son indépendance, en particulier son indépendance vis-à-vis des puissances financières. Eh oui, le plus grand ennemi du journalisme, c'est le patron de presse qui met son nez dans les copies des journalistes.
[00:29:54] Alors certains journaux ont des financements divers et ne dépendent pas d'une seule personne ou d'une seule famille. Mais d'autres, en revanche, sont très dépendants. Par exemple, le journal Les Échos appartient à la famille Arnault, qui possède aussi Dior ou Louis Vuitton. Le Figaro appartient à la famille Dassault, un fabricant d'armes. Ou encore, la chaîne de télévision BFMTV appartient à Patrick Drahi, patron de l'opérateur téléphonique SFR. Bref, c'est problématique parce que ces milliardaires ont a priori le pouvoir de décider de certains détails qui vont être publiés. Ils peuvent interdire ou faire pression pour que certaines choses ne soient pas publiées, ne soient pas diffusées. Ils peuvent aussi choisir de mettre en avant certains de leurs amis. Et c'est exactement ce qu'il se passe dans le cas des médias contrôlés par Vincent Bolloré. Au début, il a pu intervenir de façon discrète, comme je vous le disais tout à l'heure. Mais petit à petit, en même temps que ses médias grandissaient, sa ligne politique s'est fait de plus en plus sentir.
[00:31:18] C'est donc un catholique conservateur. Il affirme en effet croire à tout ce qui est écrit dans la Bible. Il déclare avoir une foi enfantine. La foi, c'est le fait de croire. Donc lui, il dirait qu'il croit de façon quasi littérale, comme un enfant peut croire. Il est d'ailleurs très attaché à des symboles comme les reliques, les chapelets, les fêtes religieuses. Il paraîtrait qu'il a toujours des images de Saints dans son portefeuille et qu'il a toujours aussi un médaillon religieux autour du cou.
[00:31:59] En plus, il dépense sa fortune pour des institutions religieuses. Alors ça, il est plutôt discret sur la question. Mais on sait par exemple qu'il a financé la rénovation d'un ancien couvent du 16ᵉ arrondissement, le Foyer Jean-Bosco. Un foyer, c'est un endroit ou il y a des chambres et des espaces communs, en l'occurrence le foyer Jean-Bosco c'est un lieu de vie pour des étudiants, où il y a aussi une chapelle pour prier, des activités religieuses, etc, etc. Dans ce foyer situé près du Parc des Princes (vous savez, c'est le stade du PSG), Vincent Bolloré a fait installer l'abbé Grimaud, un prêtre traditionaliste auprès de qui il se confesse deux fois par semaine. Se confesser dans la religion catholique, c'est avouer ses péchés à un prêtre dans le but qu'il vous accorde le pardon de Dieu. Donc ça, c'est une activité, c'est une pratique religieuse que pratique régulièrement Vincent Bolloré. Un autre indice de son attachement à la religion, c'est le fait qu'il ait racheté en 2018 l'hebdomadaire « France catholique ». C'est une référence pour les catholiques français, mais ce n'est pas un journal qui appartient à un grand groupe, il n'est pas beaucoup diffusé. Donc la seule explication à ce rachat, c'est que c'est un attachement personnel à ce journal.