#114 - Trois idées fausses sur les Français et la nourriture (1)
[00:07] Épisode 114. Trois idées fausses sur les Français et la nourriture.
[00:15] Salut à toutes et à tous ! Je suis ravi de vous retrouver après cette longue pause estivale. J'espère que vous avez passé de bonnes vacances et que vous avez réussi à vous reposer malgré la chaleur. Oui parce que cet été, on a battu un triste record, celui du nombre de jours de canicule. Une canicule, c'est une vague de chaleur, quand la température reste très élevée le jour et la nuit. Donc oui, il a fait extrêmement chaud dans l'hémisphère nord, comme ça avait été le cas dans l'hémisphère sud il y a quelques mois. Et malheureusement, il semble qu'on va devoir s'habituer à cette nouvelle réalité.
[00:55] Mais changeons de sujet parce que je n'ai pas envie de vous déprimer. Les médias traditionnels le font déjà très bien. Aujourd'hui, on va parler des Français et de leur rapport à la nourriture.
[01:06] Mais avant ça, juste un mot concernant le podcast, quelques détails logistiques. Vous vous souvenez peut-être qu'avant les vacances, on avait organisé un sondage pour vous demander votre avis sur le podcast. Vous avez été quasiment 6 000 à y répondre donc merci beaucoup ! Ça nous a permis de mieux comprendre vos attentes, ce que vous attendez du podcast. Et vous avez répondu en majorité que vous voulez juste qu'on continue à faire la même chose !
[01:33] Alors oui, il y en a qui préfèrent les épisodes en solo, d'autres les conversations avec Ingrid, et une petite minorité préfère les interviews avec des invité•e•s. On sait que les conversations sont encore un peu difficiles pour certains d'entre vous. Mais je vous rappelle que la transcription est là pour vous aider, et que si un épisode vous pose problème, c'est une bonne idée de l'écouter plusieurs fois. C'est comme ça que vous allez progresser.
[02:02] Avec Ingrid, on s'est mis d'accord pour faire un épisode en solo et un autre en duo chaque mois, donc deux épisodes par mois. Et de temps en temps, on fera une interview avec un•e invité•e qu'on trouve intéressant•e. Comme ça, tout le monde y trouvera son compte, tout le monde trouvera quelque chose qui lui plaira.
[02:23] On avait aussi évoqué la question du financement du podcast. Aujourd'hui, on est plusieurs à travailler dessus. Il y a bien sûr Ingrid, Chris, notre ingénieur du son et Marina qui s'occupe de corriger les transcriptions. Donc il faut un certain budget pour produire chaque épisode, ce n'est plus comme au début quand je faisais tout tout seul (mais c'est plus reposant ! ).
[02:46] Dans le sondage, vous nous avez dit que vous seriez d'accord pour qu'il y ait des publicités ou un abonnement qui donnerait accès à des épisodes bonus. Mais pour le moment, on n'a pas encore pris de décision. Donc pas de changement non plus de ce côté-là. On prend les mêmes, et on recommence !
[03:05] Voilà, c'est tout pour la partie logistique
[03:08] Alors, pourquoi j'ai décidé de vous parler de nourriture aujourd'hui ? Je vous rassure tout de suite, on ne va pas parler de véganisme. Je sais qu'il y en a parmi vous qui y sont allergiques… Non, dans cet épisode, on va s'intéresser à trois questions :
- Est-ce que les Français sont en bonne santé parce qu'ils boivent du vin ?
- Est-il vrai que les Françaises ne grossissent jamais ?
- Comment un nutritionniste français a inventé un des régimes les plus populaires du monde ?
[03:35] Ça va être l'occasion de voir plein de mots très utiles pour la vie quotidienne, et d'en apprendre un peu plus sur les habitudes alimentaires des Français. Allez, c'est parti !
[03:57] Avez-vous déjà entendu parler du French paradox ? Là, vous vous dites « Oui, mais lequel ?! » C'est vrai que les Français sont bourrés de paradoxes. Mais le French paradoxe, c'est une expression qui désigne un phénomène en particulier, un phénomène qui concerne la santé.
Dans les années 1980, des scientifiques français se sont rendu compte que leurs compatriotes étaient moins touchés par les maladies coronariennes que d'autres nations. Les maladies coronariennes, ce sont les maladies qui touchent le coeur, quand le sang est bloqué dans les artères et qu'il n'arrive plus au coeur, par exemple l'infarctus, la crise cardiaque. On les appelle aussi parfois « maladies cardio-vasculaires ».
[04:44] En général, les maladies coronariennes sont causées par un excès de mauvais cholestérol. Ce cholestérol s'accumule dans les artères, ce qui fait que le sang a moins de place pour circuler. Et quand il y a trop de cholestérol, les artères finissent par se boucher, par être bloquées. Le sang ne peut plus du tout circuler. C'est là que le malade a une crise cardiaque.
[05:10] Alors, cette accumulation de mauvais cholestérol, elle est liée à plusieurs facteurs sur lesquels on n'a aucune influence, comme l'âge, le sexe, l'ethnicité ou l'hérédité. Par exemple, si vous êtes un homme de plus de 55 ans, vous avez statistiquement plus de risques d'avoir une crise cardiaque que le reste de la population. Mais le cholestérol dépend aussi de nos choix et de notre style de vie. Si vous mangez des aliments gras, des aliments riches en graisses saturées, si vous fumez, si vous ne faites pas d'exercice physique et si vous êtes stressé, vous êtes une machine à produire du mauvais cholestérol.
[05:51] Et vous savez qui passait son temps à manger gras, fumer et ne pas faire de sport ? Les Français dans les années 1980 ! J'utilise l'imparfait parce que les choses ont changé. Mes compatriotes fument beaucoup moins qu'avant et ils font plus attention à ce qu'ils mangent. Mais à l'époque, dans les années 1980, le style de vie des Français était l'exemple à suivre pour développer des maladies coronariennes.
[06:18] Pourtant, des études scientifiques ont montré que les Français faisaient moins souvent d'infarctus que les habitants d'autres pays comparables, comme le Royaume-Uni par exemple. Donc les épidémiologistes ont commencé à se demander pourquoi.
Mais une autre organisation a devancé les épidémiologistes. « Devancer », ça veut dire « faire quelque chose avant quelqu'un. » L'organisation qui a devancé les épidémiologistes, qui a proposé une explication avant les épidémiologistes, c'est l'Office international de la vigne et du vin, un puissant lobby viticole, un lobby qui défend les intérêts des producteurs de vin. C'est ce lobby qui a inventé l'expression « French Paradox ».
[07:04] En 1986, l'Office international de la vigne et du vin a publié une lettre dans laquelle il affirmait que les Français étaient mieux protégés des maladies coronariennes que les Britanniques ou les Américains grâce à la richesse de leur cuisine et de leurs vins.
Cette lettre a donc été l'acte de naissance du French paradox, la célèbre théorie selon laquelle le vin serait bon pour la santé. Mais à l'époque, cette théorie n'avait pas de caution scientifique sérieuse. Elle n'a reçu cette caution scientifique que quelques années plus tard grâce à un médecin français : Serge Renaud.
[07:47] Serge Renaud était médecin et chercheur à l'université de Bordeaux, et il avait un grand-père vigneron, un grand-père qui produisait du vin. Donc vous pouvez imaginer qu'il avait très envie de vérifier cette théorie. Il a mené une étude à la fin des années 80, et en novembre 1991, il est allé en présenter les résultats dans une émission de télé américaine de la chaîne CBS News, l'émission 60 minutes.
Sa conclusion était sans appel. Je le cite : « les Français ont 3,5 fois moins de risques de maladies cardio-vasculaires que les Américains, et ce grâce à leur consommation modérée de un à trois verres de vin rouge par jour.»
[08:36] L'année suivante, en 1992, il s'est associé à un cardiologue, Michel de Lorgeril, pour publier un article dans la prestigieuse revue scientifique The Lancet. Dans cet article, les deux auteurs ont repris l'expression « French Paradox » avec la même explication, mais d'une manière moins tranchée, d'une manière un peu plus nuancée. Cette fois, ils l'ont seulement présentée comme une hypothèse, pas comme une conclusion définitive. Et ils ont précisé que c'était une hypothèse partielle en admettant que d'autres facteurs que la consommation de vin rouge jouaient sûrement un rôle dans ce phénomène.
[09:20] Dans tous les cas, le grand public a été immédiatement convaincu par cette théorie. La preuve, cette année-là aux États-Unis, les ventes de vin rouge ont augmenté de 39% par rapport à l'année précédente ! Vous vous en doutez, le lobby du vin était ravi d'avoir cette caution scientifique. Maintenant, il pouvait clamer haut et fort que le vin était bon pour la santé sans que personne ne le contredise.
[09:46] Mais ça n'a pas duré longtemps. Après la publication de l'article dans The Lancet, d'autres chercheurs ont décidé d'étudier ce French paradox, et ils ont rapidement découvert plusieurs erreurs et approximations dans les travaux de leurs collègues français.
[10:04] Pour commencer, ils étaient victimes d'un biais méthodologique, le biais de corrélation. Quand deux choses sont corrélées, ça ne veut pas dire que l'une est nécessairement la cause ou la conséquence de l'autre. Oui, les Français consomment plus de vin et sont moins touchés par les maladies coronariennes, mais peut-être que c'est dû à d'autres facteurs qui n'ont rien à voir avec le vin. Il est prouvé que notre alimentation a une influence sur notre santé, mais il est difficile de connaître l'influence d'un type d'aliment en particulier sur une chose aussi complexe que les maladies coronariennes.
[10:42] Ensuite, d'autres chercheurs français se sont rendu compte que les décès, les morts par maladies cardio-vasculaires, étaient sous-déclarées en France. Les autorités médicales françaises avaient tendance à attribuer d'autres causes à ces décès. Donc les Français ne sont peut-être pas aussi résistants aux maladies coronariennes qu'on le croyait.
Plus récemment, d'autres études de grande envergure ont montré que la consommation d'alcool, même modérée, ne protège pas des maladies coronariennes. Elle a une influence marginale sur certaines d'entre elles, mais elle augmente les risques avec d'autres.
[11:21] Et surtout, en recommandant de boire du vin, même de façon modérée, on augmente le risque d'alcoolisme. L'alcool est une substance extrêmement addictive. Est-ce que vous recommanderiez à quelqu'un de fumer une à deux cigarettes par jour, même si ça avait quelques effets bénéfiques pour la santé ? Moi, non, mais le lobby du vin, oui.
[11:44] C'est pour ça que malgré les nombreuses études scientifiques qui ont invalidé le French paradox, les lobbies du vin continuent d'en faire l'apologie. Faites le test chez vous, entrez « French paradox » dans un moteur de recherche et vous verrez tous ces lobbies apparaître dans les résultats.
[12:13] Passons à une autre croyance sur les Français, ou plutôt les Françaises. On entend parfois qu'elles peuvent manger tout ce qu'elles veulent sans jamais prendre de poids, sans jamais grossir. Elles ont la chance de pouvoir s'empiffrer de croissants sans aucune conséquence (« s'empiffrer », c'est familier, ça veut dire « manger avec excès »). Les Françaises s'empiffrent de pâtisseries, de pain, de fromage, de viande en sauce. Et malgré tout ça, elles restent minces, elles ne prennent pas un gramme.
[12:44] Cette image des Françaises, on la doit en grande partie à Mireille Guiliano. En 2005, elle a publié un livre intitulé French Women Don't Get Fat qui est rapidement devenu un best-seller aux États-Unis. D'ailleurs, vous remarquerez qu'encore une fois, c'est une Française qui invente un paradoxe sur ses compatriotes et qui va en faire la promotion aux États-Unis… Apparemment, c'est une stratégie gagnante !
[13:12] Dans son livre, Mireille Guiliano raconte qu'à 18 ans, elle est allée aux États-Unis faire un échange étudiant et qu'en rentrant en France, son père lui a dit qu'elle ressemblait à un « sac à patates » parce qu'elle avait pris neuf kilos. « Sac à patates », autrement dit « sac de pommes de terre », c'est une insulte pour les personnes qu'on juge grosses. « Sac à patates ». Je me souviens que c'était une insulte assez populaire quand j'étais à l'école primaire, mais aujourd'hui je pense qu'elle est un peu démodée.
[13:43] Bref, Mireille Guiliano explique comment elle a fait pour retrouver la ligne après cette expérience traumatisante. « Retrouver la ligne », ça veut dire revenir à son bon poids. On dit aussi « garder la ligne » qui signifie « ne pas grossir ». Si vous achetez un magazine féminin français, vous êtes sûr de voir ces expressions sur la couverture : « 10 recettes pour retrouver la ligne !», « Comment garder la ligne pendant les fêtes », etc.