Steven Spielberg et le Temple maudit : L'analyse de M. Bobine (1)
Adeptes de la Grande Toile, bonjour !
Vous êtes-vous déjà demandé quels étaient les 5 meilleurs films de Steven Spielberg
selon Steven Spielberg ?
Perso, je miserais bien sur Rencontres du 3e type,
E.T, La liste de Schindler et Munich.
Pour le cinquième, j'hésite entre A.I. et Il faut sauver le soldat Ryan.
L'un étant un hommage à son ami Stanley Kubrick,
l'autre à son papa qui a servi pendant la Seconde Guerre Mondiale,
difficile de trancher…
En tous cas, s'il y a un film qui n'a aucune chance de figurer dans la liste,
c'est bien Indiana Jones et le temple maudit,
sur lequel Spielberg balance régulièrement depuis plus de 30 ans.
Mais, à part lui, vous en connaissez du monde qui n'aime pas Indiana Jones et le Temple maudit ?
Du coup, je me demande si cet avis aussi tranché qu'incompréhensible
ne cacherait pas un peu des trucs inavouables ?
Bref, les amis, le moment est venu pour nous d'explorer
le Côté Obscur de Steven Spielberg…
Voilà en quels termes Steven Spielberg parle d'Indiana Jones et le Temple maudit
dans le making-of visible sur l'édition DVD sortie en 2003.
Le réalisateur n'a pas toujours été aussi sévère
avec le second volet de la saga Indiana Jones.
Dans une interview donnée à la revue American Cinematographer en 1984,
alors qu'il venait tout juste de finir le film,
Spielberg fait même preuve d'une certaine fierté vis-à-vis de son travail,
qu'il qualifie d' « aventure popcorn avec beaucoup de beurre ».
5 ans plus tard, le son de cloches n'est plus du tout le même.
Au moment où sort en salles Indiana Jones et la dernière croisade
qui prend ses distances vis-à-vis du Temple maudit pour mieux renouer avec l'esprit du premier film,
Spielberg se lâche dans le quotidien The Sun-Sentinel :
« je ne suis pas du tout content du deuxième Indiana Jones.
Le film est trop sombre, trop souterrain, et beaucoup trop effrayant.
C'est encore pire que Poltergeist.
Il n'y a absolument rien de personnel dans Le temple maudit ».
En 2008,
Steven Spielberg sort Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal,
quatrième volet tardif de la saga qui fait à peu près l'unanimité contre lui.
Pensez-vous que cette réception désastreuse
l'a fait légèrement reconsidérer Le temple maudit ?
Que nenni !
En 2014, le réalisateur se fend d'un mail au rédacteur Quint du site Ain't it Cool News,
suite à une monumentale (et passionnante) review du film
intitulée Fortune and Glory.
Et on peut voir qu'il reste encore et toujours sur la même ligne. D'après lui,
Le temple maudit est un film important puisque il lui a permis de rencontrer la femme de sa vie,
la comédienne Kate Capshaw,
et même s'il y a mis tout son savoir-faire, ce n'est en aucun cas une œuvre personnelle.
Et uis il trouve toujours que le film est trop sombre...
Personnellement,
j'aurais bien aimé que Spielberg revienne une fois de plus sur le sujet
dans le long documentaire que HBO lui a consacré en octobre dernier.
Mais Le temple maudit fait partie de la liste des quelques film oubliés
par la réalisatrice Susan Lacy.
Celle-ci a toutefois assuré en interview
que le cinéaste considérait toujours le second Indiana Jones
comme le pire film de sa carrière.
Pour moi, on a affaire là à un authentique mystère spielbergien.
Alors, pour essayer d'y comprendre quelque chose,
on va commencer par revenir sur les différents arguments du maître
pour expliquer son dédain du film.
Tout d'abord, Spielberg présente Le temple maudit comment une pure commande,
dont il s'est acquittée pour honorer une promesse morale
faite à l'époque du premier Indiana Jones.
Dans le making-of du film,
le réalisateur passe son temps à nous raconter que le vrai cerveau derrière le film,
ce n'est pas lui, mais son copain George Lucas.
À tel point que ça frise carrément le running gag…
Bon alors ça, Steven, malgré l'infinie l'admiration que j'ai pour toi,
c'est quand même un peu du gros bullshit !
Parce que côté “simple exécutant”,
ben on peut l'appliquer à l'ensemble des films de la saga !
Depuis le départ, Indiana Jones c'est le bébé de George Lucas.
C'est lui qui a voulu rendre hommage aux serials de son enfance,
comme il l'avait fait avec Star Wars.
C'est lui qui a imaginé ce personnage d'archéologue
qui parcourt le monde pour retrouver des artefacts.
C'est lui qui a décidé de le nommer comme son chien.
Et c'est lui qui a engagé le scénariste de L'Empire contre-attaque
pour rédiger le script des Aventuriers de l'arche perdue.
Si vous pensiez que c'est Spielberg qui a suggéré d'utiliser l'Arche d'Alliance comme macguffin,
PERDU ! L'idée vient de Philip Kaufman,
et c'était avant même que notre ami Steven ne débarque sur le projet.
Par la suite,
c'est encore Lucas qui va décide de lancer Indiana Jones à la poursuite du Saint Graal,
une relique chrétienne qui inspirera moyennement Spielberg,
alors en pleine redécouverte de sa judéité.
Et c'est toujours George Lucas qui fera le choix de jeter à poubelle
le script d'Indiana et la Cité des Dieux,
sans que Spielberg pourtant très content du travail de Frank Darabont,
n'y trouve à redire.
Quand Spielberg écrit à Ain't It Cool News
que Le temple maudit n'est pas un film fait par passion
mais une simple démonstration de son savoir-faire,
pour moi il pourrait tout aussi bien causer des Aventuriers de l'arche perdue.
Au début des années 80,
le réalisateur sort en effet de trois tournages à problèmes,
dont le dernier s'est soldé par un énorme bide dans les salles américaines.
Quand il signe pour Indiana Jones,
Spielberg entend surtout prouver aux studios qu'il est capable de tourner à l'économie,
sans dépassements de calendrier ni de budget …
tout en pétant le box-office au final.
Même topo pour Indiana Jones et La dernière croisade,
qui intervient après deux films sérieux, où Spielberg a perdu une partie de son public
sans pour autant être adoubé par l'intelligentsia du cinéma.
En revenant à une formule qui a fait ses preuves,
le cinéaste retrouve sans trop se fouler sa position de moneymaker n°1 d'Hollywood.
Le royaume du crâne de cristal arrive quant à lui dans la foulée d'un film très personnel,
qui a apparemment pas mal éprouvé Steven Spielberg.
Celui-ci en parle d'ailleurs comme d'un “dessert sucré”
après les “épices amères” de Munich.
Le Temple maudit s'inscrit dans cette même logique récréative
puisqu'il suit deux films très marquants pour le réalisateur.
Mais, si vous les voulez bien, nous en reparlerons plus tard…
Bref, au niveau des motivations de Spielberg,
Indiana Jones 2 ne semble pas être un film très différent des trois autres.
Alors pourquoi fait-il une fixette précisément sur cet épisode ?
Pourquoi pas plutôt le 4, comme le reste du monde ?
Et puis, quand on y pense,
ce n'est pas un peu paradoxal de ne pas aimer un film
pour lequel on s'est juste contenté de “faire le job” ?
Perso, j'ai tendance à penser
que Le temple maudit est un film beaucoup moins impersonnel
que Spielberg voudrait nous le faire croire.
Le bonhomme a beau clamer haut et fort que toutes les idées viennent de George Lucas
(et un peu des deux scénaristes Gloria Katz ert Willard Huyck),
je vois pour ma part un certain nombre de choses dans le film qui portent clairement sa patte.
Déjà, le film déborde littéralement de gamins. Y en a partout !
Même le Maharajah de Pankot est un gosse !
Il y a aussi les très nombreux clins d'œil à Tintin,
et notamment au dyptique Les cigares du pharaon / Le lotus bleu.
Rien d'étonnant quand on sait que, pendant la pré-production du film,
Spielberg négociait avec Hergé et ses collaborateurs
pour adapter son œuvre au cinéma.
Spielberg est depuis toujours un cinéaste cinéphile
et un adorateur inconditionnel de l'Âge d'Or de Hollywood.
George Lucas, lui, avoue une nette préférence pour un cinéma, disons, plus exotique.
Donc, à votre avis, lequel des deux a insisté
pour transformer le numéro musical du début en hommage géant à Busby Berkeley ?
Qui a fait de cette scène de séduction un pur moment de screwball comedy ?
Ou a demandé à Kate Capshaw de calquer son jeu sur celui de Fay Fray dans King Kong ?
En fait,
je trouve que le parcours d'Indy dans Le temple maudit
reflète plutôt bien l'investissement de Spielberg sur le film.
Il accepte la mission qu'on lui propose pour des motifs pas très nobles.
Mais, en cours de route,
il ne peut pas s'empêcher d'en faire une affaire personnelle.
Là où ça a l'air de vraiment coincer entre Spielberg et Le temple maudit,
c'est sur la part « sombre » du film, dans tous les sens du terme.
On ne peut pas nier que ce second volet est un spectacle assez violent,
avec ses brochettes mortelles,
ses cervelles de singe en sorbet,
et, bien sûr, ses sacrifices humains à base de cœur arraché.
Pour ceux d'entre vous qui ne le savent pas,
Le temple maudit est d'ailleurs à l'origine de la création de la classification PG13,
qui interdit l'entrée en salles aux moins de 13 ans
s'ils ne sont pas accompagnés par un adulte.
A cause de cette violence à priori incompatible avec son statut de blockbuster estival,
Le temple maudit va se prendre une volée de bois vert
par une partie de la critique américaine.
Jetez donc un œil à ce qu'écrit Ralph Novak dans People Magazine
au moment de la sortie du film :
« C'est un viol caractérisé de la confiance que les gens portent
à l'approche du cinéma de Spielberg et Lucas
généralement bienveillante et tournée vers les enfants.
S'ils avaient essayé de prouver qu'ils peuvent s'en tirer en faisant les pires choses
- insulter l'intelligence de spectateurs, les rendre physiquement malades -
ils ne s'y seraient pas mieux pris (…)
Aucun parent ne devrait autoriser ses enfants à voir ce film en tous points traumatisant.
Ce ne serait ni plus ni moins qu'une forme d'abus.
Quand Harrison Ford gifle son jeune partenaire
ou agresse sexuellement Kate Capshaw,
on réalise qu'il n'y a aucun héros dans ce film.
Seulement deux méchants, et leurs noms sont Spielberg et Lucas ».
Ce brave monsieur Novak semble oublier qu'en termes de violence graphique,
Les aventuriers de l'Arche perdue se posait déjà là.
Mais bon, Spielberg semble aussi penser
qu'il a poussé le bouchon un peu trop loin cette fois,
puisqu'il mettra sacrément la pédale douce niveau sadisme dans les épisodes 3 et 4.
En plus de la violence,
il y a cette imagerie souterraine, pour ne pas dire infernale,
qui domine toute la deuxième moitié du film.
Et bien sûr ce passage bien traumatisant où Indy passe du Côté Obscur.
Que ce soit dans le mail adressé à Quint ou dans le making-of de 2003,
on voit bien que Spielberg tend à rejeter cet aspect du film
sur le dos de George Lucas.
Et au fond, ll n'a pas tort, Steven.
C'est clair que L'Empire contre-attaque tranche lui aussi radicalement
avec le côté lumineux du premier opus.
Et il multiplie, comme Le temple maudit,
les scènes souterraines où les héros sont sévèrement mis à l'épreuve.
Le truc marrant,
c'est que Lucas, en son temps, a fait le même rejet épidermique de L'Empire contre-attaque.
Et il s'est empressé de revenir à plus de légèreté dans le film suivant.
Mais alors dans ce cas, pourquoi Lucas renouerait-il
avec la noirceur de cet Episode V mal aimé ?
L'idée communément admise depuis 30 ans,
c'est que le papa de Star Wars aurait fait du Temple maudit
une sorte de film exutoire pour toutes ses frustrations de l'époque.
Pendant la production du film,
Lucas vivait en effet un divorce particulièrement difficile.
Pour un biographe de Spielberg,
la scène du cœur arraché ne serait rien de moins qu'une métaphore
de son état émotionnel suite à la découverte de l'adultère de sa femme !
Sans aller jusque là,
il semble assez évident que cet événement privé a eu un impact déterminant
sur le côté macho (pour ne pas dire misogyne) du film.