08e. La Reine des Neiges. Chapitre 3 : 2ème partie.
Les fenêtres étaient très hautes, les vitres en étaient rouges, bleues et jaunes, de sorte que le jour, par suite de toutes ces couleurs, était bizarre à l'intérieur ; mais dans une multitude de pots de Chine, il y avait des fleurs superbes et sur la table une corbeille de cerises magnifiques, comme la petite Gerda n'en avait pas encore vu et Gerda, invitée par la vieille, en mangea tant qu'elle voulut.
Pendant qu'elle mangeait des cerises, la vieille femme la peignait avec un peigne d'or, et à mesure qu'elle la peignait, ses cheveux se bouclaient et brillaient d'un magnifique jaune d'or autour de son visage rond et souriant, qui ressemblait à une rose. – J'ai bien longtemps désiré une si gentille petite fille, dit la vieille, et maintenant tu verras, ma chère enfant, comme nous allons vivre ensemble.
Et plus la vieille peignait les cheveux de Gerda, plus Gerda oubliait son ami le petit Peters, car la vieille était une magicienne, seulement ce n'était point une méchante mais une bonne fée, qui enchantait, mais en amateur et pour son propre plaisir.
En voyant la petite Gerda si gentille, si jolie, si confiante, elle avait désiré la garder près d'elle et s'en faire une compagnie.
Pour arriver à ce but, il s'agissait donc d'abord, et avant tout de lui faire oublier le petit Peters. Or, comme Gerda lui avait beaucoup parlé de ses roses et de ses rosiers, elle pensa que si Gerda voyait dans son jardin des fleurs pareilles, cela lui ferait souvenir de celui dont elle s'était mise en quête. Elle descendit donc au jardin, étendit sa béquille sur tous les rosiers, et tous les rosiers disparurent à l'instant même, s'enfonçant dans la terre comme s'ils étaient rentrés dans des trappes. Lorsque tous les rosiers eurent disparu, elle revint chercher la petite Gerda, qui mangeait toujours des cerises, et la conduisit dans le jardin aux fleurs.
C'était un parterre qui allait jusqu'à la magnificence. Toutes les fleurs imaginables et de toutes les saisons, mais fleurissant à la fois, étaient là dans leur plus bel épanouissement. Aucun livre d'images, aucune peinture même ne saurait en rendre la beauté ni les couleurs variées. Gerda, en voyant un si magnifique parterre, sauta de joie et se mit à jouer, ce qu'elle continua de faire jusqu'à ce que le soleil se couchât derrière les hauts cerisiers.
Alors la vieille la conduisit à un beau lit, avec des coussins de soie rouge, tout parsemé de violettes brodées, où elle s'endormit en rêvant de beaux rêves, comme fait une reine le jour de ses noces.
Le lendemain, elle put de nouveau jouer à l'air, au soleil, et au milieu des fleurs, et ainsi, sans qu'elle s'ennuyât un instant, se passèrent beaucoup de jours.
Gerda connaissait chaque fleur par son nom, mais si nombreuses et si variées qu'elles fussent, il lui semblait qu'au milieu de ces fleurs il en manquait une, la plus belle de toutes. Mais il arriva qu'un jour, comme elle regardait le grand chapeau de satin blanc de la vieille, elle aperçut au milieu des fleurs qui l'ornaient une rose que la vieille avait oublié d'enlever. – Oh !
s'écria-t-elle toute joyeuse, une rose ! comment se fait-il donc que vous n'ayez pas de roses ici ? Et elle s'élança dans le jardin, cherchant de massifs en massifs, de plates-bandes en plates-bandes, mais elle eut beau chercher elle ne trouva point une seule rose.
Alors elle s'assit et pleura.
Mais, comme ses pleurs tombaient justement à un endroit où un rosier avait existé autrefois, avant que la vieille ne les fît tous rentrer en terre, il arriva que les larmes de Gerda humectant le sol, les feuilles du rosier commencèrent de pointer, puis les fleurs, et enfin le rosier, dans toute sa splendeur, sortit de terre aussi épanoui, aussi embaumé que lorsqu'il avait disparu. Et, sans s'inquiéter des épines, Gerda le prit entre ses bras, le pressant contre son cœur, baisant les roses, et pensant aux roses de sa fenêtre et au petit Peters.
– Oh !
comme je me suis arrêtée longtemps ! s'écria la petite fille ; comment ai-je donc fait pour oublier ainsi mon petit ami, à la recherche duquel je m'étais mise ? Puis, se retournant vers les roses :
– Savez-vous où il est, demanda-t-elle et croyez-vous qu'il soit mort ?
– Il n'est pas mort, répondirent les roses : nous avons été dans la terre, c'est là que vont tous les morts, et nous n'avons pas vu le petit Peters.
– Alors, dit Gerda, c'est que le petit Peters est vivant.
Et en disant ces mots, elle courut au bout du jardin.
– Ah !
mon Dieu ! dit-elle en regardant ses pieds, moi qui avais promis de le chercher jusqu'à ce que mes souliers rouges soient usés, et ils sont encore tout neufs ; il faut bien certainement que j'aie été ensorcelée par la vieille. La porte était fermée, mais en appuyant sur le loquet, la porte s'ouvrit et la petite Gerda s'élança de nouveau dans le vaste monde.
Elle se mit à courir, regardant de temps en temps en arrière, mais par bonheur personne n'était là pour la poursuivre.
Elle courut tant qu'elle put courir ; enfin, la respiration lui manquant, elle s'assit sur une grande pierre.
L'été était passé, et l'on en était même aux derniers jours de l'automne.
Elle n'avait pu s'en apercevoir, dans ce beau jardin où il y avait toujours un beau soleil et où fleurissaient en tous temps des fleurs de toutes les saisons.
– Ah !
Dieu ! s'écria la petite Gerda, comme je me suis attardée. Voilà déjà l'automne, je ne puis m'arrêter ; il faut absolument que je retrouve mon ami Peters. Et elle se remit en chemin.
Seulement, plus elle avançait, plus tout autour d'elle, était froid et nu. Les longues herbes jaunissaient et la rosée en découlait comme une pluie. Chaque feuille se détachait de l'arbre et tombait l'une après l'autre. Le prunellier seul avait encore des fruits, mais ils étaient si acides qu'il était impossible de les avaler. Oh !
qu'il faisait gris et froid dans le vaste monde !