08k. La Reine des Neiges. Chapitre 6.
Chapitre 6.
La Laponne et la Finnoise. Le renne ne s'arrêta que devant une petite maison ; nous eussions dû dire une chaumière, et même une chaumière des plus pauvres : c'était triste à voir ; le toit touchait la terre et la porte était si basse que ceux qui l'habitaient devaient, pour en sortir et pour y rentrer, ramper sur le ventre.
Dans la chaumière, il y avait une vieille Laponne qui faisait cuire du poisson à la lueur d'une lampe où brûlait de l'huile de baleine.
Elle était seule à la maison.
Le renne raconta l'histoire de Gerda, après avoir toutefois raconté la sienne, qui lui paraissait bien autrement intéressante ; quant à Gerda, elle était tellement prise par le froid qu'elle ne pouvait parler.
– Ah !
mes pauvres enfants, dit la Laponne, confondant l'animal et l'enfant sous la même dénomination, vous avez encore loin à courir. Il vous faut aller encore à trois cents milles au moins dans la Finlande. C'est là que demeure la Reine des Neiges. Je vais vous écrire deux mots sur un hareng saur bien sec, attendu que je n'ai ni encre, ni plume, ni papier. Vous le remettrez à une sorcière finlandaise de mes amies. Elle saura mieux vous renseigner que moi. Elle prit son couteau par la lame, et avec la pointe grava deux mots sur le hareng saur.
Puis, quand la petite Gerda se fut réchauffée et eut bu et mangé, elle la lia de nouveau sur sa monture, qui partit aussitôt et qui toute la nuit courut à la lumière d'une de ces aurores boréales qui font du ciel une véritable tenture de flamme.
Enfin le matin venu, ils arrivèrent en Finlande, et comme le renne avait reçu tous les renseignements nécessaires pour ne pas se tromper, il s'arrêta juste à la chaumière de la sorcière.
On frappa à la porte de la hutte ; la Finnoise ouvrit la porte, et fit entrer le renne et la petite Gerda, qui lui remit le hareng saur de la Laponne.
La Finnoise lut par trois fois les deux mots qui y étaient écrits, et comme ils lui étaient bien entrés dans la mémoire, elle mit le hareng sur les braises, car c'était une sorcière fort économe que la Finnoise, et qui ne laissait rien perdre. Puis elle s'occupa de la petite Gerda, la détacha de dessus le renne, et comme il faisait horriblement chaud dans sa hutte, elle lui ôta ses gants et ses bottes fourrées.
Après quoi elle demanda à l'animal et à l'enfant qui lui étaient si chaudement recommandés par son amie, qui ils étaient.
Alors le renne, comme il avait fait chez la Laponne, raconta d'abord son histoire, puis celle de la petite Gerda ; et la Finnoise, tout en écoutant, clignait de son œil intelligent, mais ne disait rien.
– Je sais que tu es sorcière, dit le renne, et une sorcière si savante que tu peux lier les quatre vents avec le même fil.
Si le pilote habile défait un nœud seulement il a zéphyr, s'il en défait un second il a zéphyr et borée, mais s'il a l'imprudence de défaire les deux autres il a Notus et Aquilon, c'est-à-dire l'ouragan complet, la tempête dans toutes les règles. Ne veux-tu pas faire quelque chose pour la petite Gerda, comme, par exemple, de lui faire avaler une boisson qui lui donnerait la force de douze hommes, et un souffle plus puissant que celui de la Reine des Neiges. – Pour quoi faire ?
demanda la Finnoise. – Pour que la petite Gerda puisse enlever son ami Peters à la Reine des Neiges.
– Il faut d'abord savoir, dit la Finnoise, s'il est réellement chez elle.
– Mais comment allez-vous savoir cela ?
demanda Gerda. – Par la puissance de mon art, répondit la sorcière.
Et elle entoura le renne et la petite Gerda d'un cercle tracé par sa baguette, après quoi elle alla droit à une planche, y prit une grande peau roulée et la déroula.
La peau était couverte de caractères étranges, mais cependant la Finnoise lut, lut, lut tant et si longtemps et avec tant d'ardeur, que la sueur lui en coulait le long du visage et ruisselait jusqu'à terre.
Puis elle rentra dans le cercle où elle avait enfermé le renne et la petite Gerda, et se penchant à l'oreille du renne :
– Le petit Peters est en effet chez la Reine des Neiges, où il trouve tout à son goût et se figure qu'il habite le plus charmant endroit du monde ; mais cela provient de ce qu'il a reçu dans l'œil un éclat du miroir du diable qui a pénétré jusqu'au cœur.
Il faut d'abord que l'éclat de verre soit sorti de là, sans quoi la Reine des Neiges conservera éternellement son empire sur lui. – Mais, dit le renne, ne pourrais-tu pas donner quelque talisman à Gerda qui lui fasse prendre empire sur la Reine des Neiges et le petit Peters ?
– Je ne saurais, répondit la sorcière, lui donner un plus grand pouvoir que celui qu'elle a déjà.
Ne vois-tu pas combien il est grand ? Ne vois-tu pas comment hommes et animaux lui obéissent ? comment avec de pauvres petits souliers rouges elle a fait autant de chemin que le Juif Errant ! Ce n'est pas de nous qu'elle peut obtenir ce pouvoir. Elle l'a ; il lui vient de Dieu, il est dans son cœur : il consiste en ce qu'elle est une enfant douce et pieuse. Si elle ne peut point pénétrer par elle-même chez la Reine des Neiges et tirer elle-même le verre du cœur de Peters, nous n'y saurions que faire, nous autres. Or, à deux milles d'ici commence le jardin de la Reine des Neiges, portes-y la petite Gerda, dépose-la près d'un grand arbuste qui porte des baies rouges. Ne t'amuse point à bavarder et dépêche-toi de revenir. Et la Finnoise hissa la petite Gerda sur le renne, qui se mit à courir tant qu'il put.
– Oh !
s'écria la petite Gerda, dès qu'elle fut dehors et qu'elle sentit l'impression du froid ; oh ! je n'ai plus mes gants, je n'ai plus mes bottines de poil, je n'ai plus que mes pauvres souliers rouges qui sont tout déchirés et dont les semelles ne tiennent plus aux quartiers, arrête, bon renne, arrête. Mais le renne avait reçu ses instructions, il ne se hasarda point à s'arrêter et à retourner chez la Finnoise, il courut jusqu'à ce qu'il arrivât à l'arbuste aux fruits rouges, là il déposa Gerda, lui lécha les deux joues, et s'en retourna en courant et en pleurant de grosses larmes.
Et la pauvre petite Gerda demeura là sans gants et avec ses souliers tout usés, au bout de la Finlande, au milieu des glaces impitoyables et des neiges mortelles.
Elle marcha devant elle aussi vite qu'elle put ; mais voilà tout à coup qu'une armée de flocons de neige arriva, s'apprêtant non seulement à lui disputer le passage, mais à l'envelopper et à la faire périr.
Seulement, ce qu'il y avait d'extraordinaire, c'est que ces flocons de neige ne tombaient point du ciel, qui était pur et tout brillant d'étoiles, quoique l'on dût être ailleurs en plein jour ; mais ils marchaient, ou plutôt roulaient sur la terre, et plus ils roulaient, plus ils grossissaient, comme c'est l'habitude des pelotes de neige, et, en grossissant, ils s'animaient et prenaient des formes effrayantes, tout en restant blancs et glacés. Ils avaient les formes les plus bizarres ; les uns ressemblaient à des porcs-épics, les autres à des serpents à plusieurs têtes, les autres à des ours, les autres enfin à des chiens et à des loups ; c'était l'avant-garde de la Reine des Neiges. Des flocons de neige vivants.
Alors, la petite Gerda se voyant en danger d'être dévorée par tous ces monstres dont elle n'avait jamais entendu parler et de l'existence desquels elle ne se faisait pas même l'idée, commença de dire son Notre Père, et le froid était si grand qu'à mesure qu'elle le disait, elle pouvait voir sa propre haleine lui sortant de la bouche comme une fumée ; mais son haleine devint de plus en plus épaisse et, à son grand étonnement se décomposa en une foule de petits anges qui grandissaient, grandissaient au fur et à mesure qu'ils touchaient la terre, et tous avaient le casque sur la tête, la lance à la main gauche et le bouclier au bras droit.
Le casque, la lance et le bouclier étaient d'or pur, et le nombre des anges augmentait toujours au fur et à mesure que Gerda disait sa prière, et quand la prière fut finie, elle se trouva à son tour entourée de toute une légion. Alors les anges se serrèrent autour de Gerda et frappèrent de leurs lances d'or les affreux flocons de neige qui, aussitôt qu'ils étaient touchés par les armes divines, éclataient en cent morceaux.
À cette vue, la petite Gerda reprit courage et marcha en avant, entourée de ses anges, qui caressaient et réchauffaient du bout de leurs ailes ses mains et ses pieds. Bientôt elle aperçut une masse blanche qu'elle comprit être le palais de la Reine des Neiges.
Mais à cette heure il nous faut abandonner la petite Gerda, sur laquelle nous voilà un peu rassurés, et voir ce que faisait Peters.
Peut-être pensait-il à sa petite amie, mais à coup sûr il ne se doutait guère qu'elle était si proche de lui.