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Le Grand Meaulnes, Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 6 - Le jour des noces

Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 6 - Le jour des noces

C'est un jeudi, au commencement de février, un beau jeudi soir glacé, où le grand vent souffle. Il est trois heures et demie, quatre heures... Sur les haies, auprès des bourgs, les lessives sont étendues depuis midi et sèchent à la bourrasque. Dans chaque maison, le feu de la salle à manger fait luire tout un reposoir de joujoux vernis. Fatigué de jouer, l'enfant s'est assis auprès de sa mère et il lui fait raconter la journée de son mariage... Pour celui qui ne veut pas être heureux, il n'a qu'à monter dans son grenier et il entendra, jusqu'au soir, siffler et gémir les naufrages; il n'a qu'à s'en aller dehors, sur la route, et le vent lui rabattra son foulard sur la bouche comme un chaud baiser soudain qui le fera pleurer.Mais pour celui qui aime le bonheur, il y a, au bord d'un chemin boueux, la maison des Sablonnières, où mon ami Meaulnes est rentré avec Yvonne de Galais, qui est sa femme depuis midi. Les fiançailles ont duré cinq mois. Elles ont été paisibles, aussi paisibles que la première entrevue avait été mouvementée. Meaulnes est venu très souvent aux Sablonnières, à bicyclette ou en voiture. Plus de deux fois par semaine, cousant ou lisant près de la grande fenêtre qui donne sur la lande et les sapins, Mlle de Galais a vu tout d'un coup sa haute silhouette rapide passer derrière le rideau, car il vient toujours par l'allée détournée qu'il a prise autrefois. Mais c'est la seule allusion tacite qu'il fasse au passé. Le bonheur semble avoir endormi son étrange tourment. De petits événements ont fait date pendant ces cinq calmes mois. On m'a nommé instituteur au hameau de Saint-Benoist-des-Champs. Saint-Benoist n'est pas un village. Ce sont des fermes disséminées à travers la campagne, et la maison d'école est complètement isolée sur une côte au bord de la route. Je mène une vie bien solitaire; mais, en passant par les champs, il ne faut que trois quarts d'heure de marche pour gagner les Sablonnières. Delouche est maintenant chez son oncle, qui est entrepreneur de maçonnerie au Vieux-Nançay. Ce sera bientôt lui le patron. Il vient souvent me voir. Meaulnes, sur la prière de Mlle de Galais, est maintenant très aimable avec lui. Et ceci explique comment nous sommes là tous deux à rôder, vers quatre heures de l'après-midi, alors que les gens de la noce sont déjà tous repartis. Le mariage s'est fait à midi, avec le plus de silence possible, dans l'ancienne chapelle des Sablonnières qu'on n'a pas abattue et que les sapins cachent à moitié sur le versant de la côte prochaine. Après un déjeuner rapide, la mère de Meaulnes, M. Seurel et Millie, Florentin et les autres sont remontés en voiture. Il n'est resté que Jasmin et moi... Nous errons à la lisière des bois qui sont derrière la maison des Sablonnières, au bord du grand terrain en friche, emplacement ancien du Domaine aujourd'hui abattu. Sans vouloir l'avouer et sans savoir pourquoi, nous sommes remplis d'inquiétude. En vain nous essayons de distraire nos pensées et de tromper notre angoisse en nous montrant, au cours de notre promenade errante, les bauges des lièvres et les petits sillons de sable où les lapins ont gratté fraîchement... un collet tendu... la trace d'un braconnier... Mais sans cesse nous revenons à ce bord du taillis, d'ou l'on découvre la maison silencieuse et fermée... Au bas de la grande croisée qui donne sur les sapins, il y a un balcon de bois, envahi par les herbes folles, que couche le vent. Une lueur comme d'un feu allumé se reflète sur les carreaux de la fenêtre. De temps à autre, une ombre passe. Tout autour, dans les champs environnants, dans le potager, dans la seule ferme qui reste des anciennes dépendances, silence et solitude. Les métayers sont partis au bourg pour fêter le bonheur de leurs maîtres. De temps à autre, le vent chargé d'une buée qui est presque de la pluie nous mouille la figure et nous apporte la parole perdue d'un piano. Là- bas, dans la maison fermée, quelqu'un joue. Je m'arrête un instant pour écouter en silence. C'est d'abord comme une voix tremblante qui, de très loin, ose à peine chanter sa joie... C'est comme le rire d'une petite fille qui, dans sa chambre, a été chercher tous ses jouets et les répand devant son ami. Je pense aussi à la joie craintive encore d'une femme qui a été mettre une belle robe et qui vient la montrer et ne sait pas si elle plaira... Cet air que je ne connais pas, c'est aussi une prière, une supplication au bonheur de ne pas être trop cruel, un salut et comme un agenouillement devant le bonheur... Je pense: "Ils sont heureux enfin. Meaulnes est là-bas près d'elle..." Et savoir cela, en être sûr, suffit au contentement parfait du brave enfant que je suis. A ce moment, tout absorbé, le visage mouillé par le vent de la plaine comme par l'embrun de la mer, je sens qu'on me touche l'épaule: "Ecoute!" dit Jasmin tout bas. Je le regarde. Il me fait signe de ne pas bouger; et, lui-même, la tête inclinée, le sourcil froncé, il écoute...

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Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 6 - Le jour des noces Le Grand meaulnes - part three - chapter 6 - The wedding day Le Grand meaulnes - tercera parte - capítulo 6 - El día de la boda Le Grand meaulnes - terceira parte - capítulo 6 - O dia do casamento

C'est un jeudi, au commencement de février, un beau jeudi soir glacé, où le grand vent souffle. |||||||||||||the||| It's a Thursday, at the beginning of February, a beautiful Thursday night icy, where the high wind blows. Il est trois heures et demie, quatre heures... Sur les haies, auprès des bourgs, les lessives sont étendues depuis midi et sèchent à la bourrasque. |||||||||||||towns||||||||||| It is three-thirty, four o'clock... On the hedges, near the boroughs, the laundry has been spread since noon, and is drying up in the squall. Dans chaque maison, le feu de la salle à manger fait luire tout un reposoir de joujoux vernis. ||||||||||||||rest||| In each house, the fire of the dining room shines a whole repository of varnished toys. Fatigué de jouer, l'enfant s'est assis auprès de sa mère et il lui fait raconter la journée de son mariage...  Pour celui qui ne veut pas être heureux, il n'a qu'à monter dans son grenier et il entendra, jusqu'au soir, siffler et gémir les naufrages; il n'a qu'à s'en aller dehors, sur la route, et le vent lui rabattra son foulard sur la bouche comme un chaud baiser soudain qui le fera pleurer.Mais pour celui qui aime le bonheur, il y a, au bord d'un chemin boueux, la maison des Sablonnières, où mon ami Meaulnes est rentré avec Yvonne de Galais, qui est sa femme depuis midi. |of|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||shipwrecks||||||||||||||repress||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| Tired of playing, the child sat with his mother and he told him the day of his wedding ... For those who do not want to be happy, he has only to go up in his attic and he will hear, until evening, whistle and groan shipwrecks; he has only to go out on the road, and the wind will wrap his scarf on his mouth like a hot kiss suddenly that will make him cry. But for the one who loves happiness, there is, at along a muddy road, the house of Sablonnières, where my friend Meaulnes returned with Yvonne de Galais, who is his wife since midday. Les fiançailles ont duré cinq mois. The engagement lasted five months. Elles ont été paisibles, aussi paisibles que la première entrevue avait été mouvementée. ||||||||||||bumpy They were peaceful, as peaceful as the first interview had been. Meaulnes est venu très souvent aux Sablonnières, à bicyclette ou en voiture. |is|||||||||| Meaulnes came very often to Sablonnières, by bicycle or by car. Plus de deux fois par semaine, cousant ou lisant près de la grande fenêtre qui donne sur la lande et les sapins, Mlle de Galais a vu tout d'un coup sa haute silhouette rapide passer derrière le rideau, car il vient toujours par l'allée détournée qu'il a prise autrefois. ||||||sewing||||||||||||||||||||||||||silhouette||||||||||||diverted|||| More than twice a week, sewing or reading near the large window overlooking the moor and the firs, Mlle de Galais suddenly saw her tall, fast figure pass behind the curtain, for he always comes by the diverted alley he once took. Mais c'est la seule allusion tacite qu'il fasse au passé. But this is the only tacit allusion he makes to the past. Le bonheur semble avoir endormi son étrange tourment. Happiness seems to have put to sleep his strange torment. De petits événements ont fait date pendant ces cinq calmes mois. |||have||date||||| Small events have made history during these five calm months. On m'a nommé instituteur au hameau de Saint-Benoist-des-Champs. I was appointed as a teacher in the hamlet of Saint-Benoist-des-Champs. Saint-Benoist n'est pas un village. Saint-Benoist is not a village. Ce sont des fermes disséminées à travers la campagne, et la maison d'école est complètement isolée sur une côte au bord de la route. ||||scattered||||||||||||||||||| These are farms scattered across the countryside, and the school house is completely isolated on a side by the roadside. Je mène une vie bien solitaire; mais, en passant par les champs, il ne faut que trois quarts d'heure de marche pour gagner les Sablonnières. I live a lonely life; but, passing through the fields, it takes only three-quarters of an hour of walking to reach Les Sablonnières. Delouche est maintenant chez son oncle, qui est entrepreneur de maçonnerie au Vieux-Nançay. ||||||||entrepreneur||||| Delouche is now with his uncle, who is a masonry contractor at Vieux-Nançay. Ce sera bientôt lui le patron. He will soon be the boss. Il vient souvent me voir. He comes to see me often. Meaulnes, sur la prière de Mlle de Galais, est maintenant très aimable avec lui. Meaulnes, on the prayer of Mademoiselle de Galais, is now very kind to him. Et ceci explique comment nous sommes là tous deux à rôder, vers quatre heures de l'après-midi, alors que les gens de la noce sont déjà tous repartis. ||||||||||linger||||||||||||||||| And this explains how we are both prowling around four o'clock in the afternoon, when the people of the wedding have all left. Le mariage s'est fait à midi, avec le plus de silence possible, dans l'ancienne chapelle des Sablonnières qu'on n'a pas abattue et que les sapins cachent à moitié sur le versant de la côte prochaine. |||||||||||||||||||||||||||||||||coast| The wedding took place at noon, with as much silence as possible, in the old chapel of Les Sablonnières, which was not cut down, and which the firs half hide on the slope of the next coast. Après un déjeuner rapide, la mère de Meaulnes, M. Seurel et Millie, Florentin et les autres sont remontés en voiture. After a quick lunch, the mother of Meaulnes, Mr. Seurel and Millie, Florentin and the others went back by car. Il n'est resté que Jasmin et moi... Nous errons à la lisière des bois qui sont derrière la maison des Sablonnières, au bord du grand terrain en friche, emplacement ancien du Domaine aujourd'hui abattu. ||||||||wander||||||||||||||||||||||||| Only Jasmin and I remained ... We are wandering at the edge of the woods behind the house of Sablonnières, on the edge of the big wasteland, old site of the Domaine today shot. Sans vouloir l'avouer et sans savoir pourquoi, nous sommes remplis d'inquiétude. Without wishing to admit it and without knowing why, we are filled with anxiety. En vain nous essayons de distraire nos pensées et de tromper notre angoisse en nous montrant, au cours de notre promenade errante, les bauges des lièvres et les petits sillons de sable où les lapins ont gratté fraîchement... un collet tendu... la trace d'un braconnier... Mais sans cesse nous revenons à ce bord du taillis, d'ou l'on découvre la maison silencieuse et fermée... Au bas de la grande croisée qui donne sur les sapins, il y a un balcon de bois, envahi par les herbes folles, que couche le vent. |||||||||||||||showing||||||||burrows|||||||||||||scratched||a||||||poacher|||||||||||from|||||||||||||||||||||||balcony||||||herbs|wild|||| In vain we try to distract our thoughts and to deceive our anguish by showing us, during our wandering walk, the hares of the hares and the small furrows of sand where the rabbits have freshly scraped ... a tight neck ... the trace of a poacher ... But constantly we come back to this edge of the coppice, from where we discover the silent and closed house ... At the bottom of the big crossing which gives on the fir trees, there is a balcony of wood, invaded by the crazy grasses, that layer the wind. Une lueur comme d'un feu allumé se reflète sur les carreaux de la fenêtre. A glow like a lit fire is reflected on the window panes. De temps à autre, une ombre passe. From time to time, a shadow passes. Tout autour, dans les champs environnants, dans le potager, dans la seule ferme qui reste des anciennes dépendances, silence et solitude. |||||||||||||||||dependencies||| All around, in the surrounding fields, in the kitchen garden, in the only farm that remains of the old outbuildings, silence and solitude. Les métayers sont partis au bourg pour fêter le bonheur de leurs maîtres. |tenants||||||||||| The sharecroppers went to the village to celebrate the happiness of their masters. De temps à autre, le vent chargé d'une buée qui est presque de la pluie nous mouille la figure et nous apporte la parole perdue d'un piano. ||||||||||||||||moistens|||||||||| From time to time, the wind laden with a mist that is almost rain wets the face and brings us the lost word of a piano. Là- bas, dans la maison fermée, quelqu'un joue. There, in the closed house, someone plays. Je m'arrête un instant pour écouter en silence. I stop for a moment to listen in silence. C'est d'abord comme une voix tremblante qui, de très loin, ose à peine chanter sa joie... C'est comme le rire d'une petite fille qui, dans sa chambre, a été chercher tous ses jouets et les répand devant son ami. |||||||||||||||||||||||||||||||||||spreads||| It's like a trembling voice that, from afar, hardly dares to sing its joy ... It's like the laughter of a little girl who, in her room, was looking for all her toys and spread before his friend. Je pense aussi à la joie craintive encore d'une femme qui a été mettre une belle robe et qui vient la montrer et ne sait pas si elle plaira... Cet air que je ne connais pas, c'est aussi une prière, une supplication au bonheur de ne pas être trop cruel, un salut et comme un agenouillement devant le bonheur... Je pense: "Ils sont heureux enfin. ||||||cautious||||||||||||||||||||if|||||||||||||||||||||||||||||||||||||| I also think of the fearful joy of a woman who has put on a beautiful dress and who comes to show it and does not know if she will like it ... This air that I do not know, it is also a prayer, a supplication to the happiness of not being too cruel, a salute and a kneeling before happiness ... I think: "They are happy finally. Meaulnes est là-bas près d'elle..." Et savoir cela, en être sûr, suffit au contentement parfait du brave enfant que je suis. Meaulnes|||||||||||||||||brave|||| Meaulnes is there near her ... "And knowing that, being sure, is enough for the perfect contentment of the brave child that I am. A ce moment, tout absorbé, le visage mouillé par le vent de la plaine comme par l'embrun de la mer, je sens qu'on me touche l'épaule: "Ecoute!" ||moment|||||||||||plain|||the spray|||||feel||||| At that moment, all absorbed, my face wet by the wind of the plain as by the sea spray, I feel that I am touched on the shoulder: "Listen!" dit Jasmin tout bas. said Jasmin in a low voice. Je le regarde. I am watching him. Il me fait signe de ne pas bouger; et, lui-même, la tête inclinée, le sourcil froncé, il écoute... He beckons me not to move; and, himself, with his head bowed, his eyebrow wrinkled, he listens ...