Chapitre XVIII (2)
Prudence avait cruellement raison.
– Voilà ce que c'est, continua-t-elle en renfermant les papiers qu'elle venait de montrer, les femmes entretenues prévoient toujours qu'on les aimera, jamais qu'elles aimeront, sans quoi elles mettraient de l'argent de côté, et à trente ans elles pourraient se payer le luxe d'avoir un amant pour rien. Si j'avais su ce que je sais, moi ! Enfin, ne dites rien à Marguerite et ramenez-la à Paris. Vous avez vécu quatre ou cinq mois seul avec elle, c'est bien raisonnable ; fermez les yeux, c'est tout ce qu'on vous demande. Au bout de quinze jours elle prendra le comte de N…, elle fera des économies cet hiver, et l'été prochain vous recommencerez. Voilà comme on fait, mon cher !
Et Prudence paraissait enchantée de son conseil, que je rejetai avec indignation.
Non seulement mon amour et ma dignité ne me permettaient pas d'agir ainsi, mais encore j'étais bien convaincu qu'au point où elle en était arrivée, Marguerite mourrait plutôt que d'accepter ce partage.
– C'est assez plaisanté, dis-je à Prudence ; combien faut-il définitivement à Marguerite ?
– Je vous l'ai dit, une trentaine de mille francs.
– Et quand faut-il cette somme ?
– Avant deux mois.
– Elle l'aura.
Prudence haussa les épaules.
– Je vous la remettrai, continuai-je, mais vous me jurez que vous ne direz pas à Marguerite que je vous l'ai remise.
– Soyez tranquille.
– Et si elle vous envoie autre chose à vendre ou à engager, prévenez-moi.
– Il n'y a pas de danger, elle n'a plus rien.
Je passai d'abord chez moi pour voir s'il y avait des lettres de mon père.
Il y en avait quatre.