4-8 L'expiation
L'expiation Pendant que ces événements se déroulaient à l'intérieur du château, la limousine des Papillon s'arrêtait dans la cour. Le portier se précipitait vers eux, et avant que ses maîtres eussent mis pied à terre, il s'écriait, affolé : – Monsieur le baron, madame la baronne, il se passe ici des choses extraordinaires !…
– Quoi donc ? interrogea le collectionneur, en descendant de voiture.
Le concierge expliquait :
– La nuit dernière, M. Lüchner a amené au château deux personnes, un homme et une femme, que je ne connais pas… Je me demande même par où il les a fait entrer… car je puis jurer à Monsieur le baron qu'ils n'ont pas franchi la grille, que j'avais fermée moi-même à double tour. « Ce matin, seulement, de très bonne heure, M. Lüchner m'a fait appeler et m'a dit : « Hier soir, très tard, je suis arrivé avec un ingénieur qui est venu pour s'occuper du mécanisme des oubliettes, qui ne veut toujours pas fonctionner… Je n'ai pas voulu vous réveiller et je l'ai fait entrer, avec sa femme qui l'accompagne, par la petite porte de Diane… Sa sœur doit venir le rejoindre ce matin… car ces dames désirent visiter le château. – Cette histoire me semble louche !… soulignait Eudoxie, qui avait rejoint son mari.
– Tu t'inquiètes toujours à tort ! morigénait Papillon. Lüchner est mon homme de confiance et il est incapable d'une imprudence et encore moins d'une indélicatesse. – Je n'ai pas fini, monsieur le baron, reprenait le portier. – Eh bien ! parlez.
– Il y a environ une demi-heure, la sœur de l'ingénieur est arrivée en auto… Elle avait l'air bizarre, et j'ai remarqué qu'elle n'avait pas de chapeau sur la tête… Mais ce n'est pas tout… L'ingénieur qui l'attendait depuis un moment – oh ! un monsieur très bien, très distingué – s'est approché d'elle, l'a saluée avec respect et lui a dit : « Veuillez me suivre, mademoiselle, je vais vous conduire auprès de M. votre père. – En effet, opinait l'amateur de bibelots, cela me paraît étrange. – Ce n'est pas encore tout, appuyait le concierge… Un quart d'heure après, une nouvelle auto… découverte, celle-là, arrivait dans la cour… Elle contenait six hommes et deux chiens, deux danois qui n'avaient pas l'air commode. « Un des hommes m'a dit : « Je suis le commissaire de police et je viens perquisitionner. – Perquisitionner !… s'exclamait le baron. – Tu vas voir, s'écriait sa femme, qu'ils vont te prendre pour Belphégor ! – Alors, poursuivit le portier, ils sont entrés dans la maison.
– Avec les chiens ?
– Avec les chiens.
– Mais ils vont tout saccager !
– Non, jusqu'ici, il n'y a pas de casse. J'oubliais, en effet, de dire à Monsieur le baron et à Madame la baronne que le commissaire m'a demandé de les guider jusqu'à l'entrée des oubliettes… C'est ce que j'ai fait. Je leur ai ouvert la porte qui conduit aux anciennes prisons. Alors, ils se sont tous engouffrés là-dedans…
– Les chiens aussi ?
– Les chiens aussi… Et sûr qu'il doit se cuire là-dedans un drôle de fricot… Car à l'instant même où la voiture de Monsieur le baron et de Madame la baronne pénétrait dans la cour, j'ai aperçu, là-haut, sur la tour de Diane de Poitiers, une femme que les deux chiens voulaient boulotter et qui criait « au vinaigre » ! – Hippolyte ! s'exclamait Mme Papillon… allons-nous-en ! – Jamais de la vie ! protestait le collectionneur…
– Mon instinct me le dit… Ce sont des malfaiteurs qui ont voulu nous cambrioler.
– Mais puisque la police est là !
– La police !… s'exclama Mme Papillon… Depuis Belphégor, j'en ai presque aussi peur que de ceux qu'elle est chargée d'arrêter ! Tout à coup, le commissaire surgit dans l'encadrement de l'une des baies du premier étage… Et d'une voix sonore, il lança au portier : – Téléphonez à Mantes pour qu'on nous amène un fourgon fermé… Nous tenons toute la bande. – Alors, je monte ! décida Eudoxie, en retrouvant subitement tout son courage.
Le couple gravit l'escalier d'honneur. Des rumeurs s'échappaient du grand salon… Ils y pénétrèrent, et à peine en avaient-ils franchi le seuil qu'ils s'arrêtaient, stupéfaits. Tandis que les quatre agents de la brigade mobile entouraient Maurice de Thouars et le bossu, Chantecoq et Gautrais tenaient en respect Simone Desroches ; celle-ci, à moitié affalée sur une chaise, regardait avec une expression de haine indicible Colette qui, cependant, avait eu le tact de s'effacer dans un coin obscur du vaste salon. Le grand détective s'avança vers le collectionneur et sa femme. – Madame, fit-il en s'inclinant devant Mme Papillon, je vous avais promis de vous délivrer de Belphégor. Et étendant le bras vers Simone, il ajouta :
– Le voici !…
Hippolyte, croyant rêver, écarquilla les yeux… Il renonçait d'ailleurs à comprendre. Quant à Eudoxie, elle se figura d'abord qu'elle était l'objet d'une mystification… Dressée sur ses ergots, elle s'apprêtait à injurier copieusement ce policier qui se permettait de se moquer d'elle à ce point, lorsque Simone s'écria, sur un ton de cynisme effrayant : – Eh bien ! oui, c'est moi ! Et après ?
C'en était trop pour la « pauvre chère folle ». Après avoir poussé un cri d'horreur, elle s'évanouit dans les bras de son mari, qui s'empressa de l'emporter dans une pièce voisine. Simone, qui venait de livrer à Chantecoq tout son secret, reprit d'une voix mordante : – Vous devez être content, puisque vous êtes le plus fort !
Avec une expression de réelle tristesse, le roi des détectives demandait :
– Comment avez-vous pu devenir une aussi grande criminelle ?
La coupable tressaillit et ferma les yeux, comme si elle voulait échapper aux visions que ces quelques mots lui inspiraient.
Puis, tout en frémissant, elle articula avec peine :
– Les drogues, et puis… la peur de la misère.
Tous, en silence, contemplaient Simone qui semblait se ressaisir. Elle ouvrit ses yeux qui brillaient d'un singulier éclat… Et portant, d'un geste rapide, furtif, sa main à son corsage, elle en tira un petit objet qu'elle porta à ses lèvres… Chantecoq voulut s'élancer… il était trop tard. Foudroyée, Mlle Desroches tombait la tête en avant sur le parquet…
Le détective et le commissaire se penchèrent vers elle… Chantecoq ouvrit une de ses mains qui se crispait en un spasme suprême… Elle serrait une ampoule de verre vide et à demi écrasée…
– Poison foudroyant… Elle s'est fait justice. Maurice de Thouars eut un violent sursaut de douleur…
Le bossu courba la tête… et tous se découvrirent… non devant la morte, mais devant la mort.
Quelques instants après, dans la salle de T. S. F. du Petit Parisien, un sans-filiste, l'oreille collée à un récepteur, écoutait une communication que, par un tube acoustique, il transmettait à un rédacteur. Celui-ci, assis à la table et entouré de plusieurs de ses collègues, la prenait en sténographie, tout en répétant à voix haute :
Chantecoq, le roi des détectives, vient d'arrêter, dans un château des environs de Mantes, le Fantôme du Louvre, qui n'est autre qu'une femme. Tout à coup une voix vibrait :
– Vous voyez bien que ce n'était pas moi ! C'était Jacques Bellegarde qui venait d'être remis en liberté et s'empressait de regagner son journal. Tous ses camarades se précipitèrent vers lui, le félicitant, lui serrant les mains.
L'un d'eux s'écria : – Quel beau papier tu vas nous donner !
– J'ai vécu, en effet, un roman extraordinaire, déclarait le reporter. – Sans doute, reprenait l'un des secrétaires de la rédaction, comme tout roman qui se respecte, il se termine par un mariage ? – Peut-être ! fit Jacques, avec un charmant sourire.