02a. La Méthode Hypercritique - La Tronche en Biais. Partie 1/2.
[Introduction]
Aujourd'hui, nous allons parler de la méthode hypercritique.
La méthode hypercritique n'est pas une fleur des caraïbes dont les pétales permettent la décoction d'une teinte indigo efficace contre le mal de dos, la malchance, les problèmes d'érection, le retour de l'être aimé et le débogage d'Internet, résultats garantis par l'huissier.
Mais alors la méthode hypercritique, qu'est-ce que c'est ?
[Musique intro]
Résumé de…
[Mendax] Résumé de l'épisode précédent.
Merci, Mendax.
« La zététique est donc la science du doute, elle consiste à refuser les arguments d'autorité et à écarter les hypothèses qui font appel à plus d'inconnues qu'elles n'en résolvent.»
« La zététique est l'application du doute à tous les phénomènes que nous croyons comprendre mais aussi à tous les phénomènes dit "surnaturels" et qui, jusqu'à présent, n'ont jamais résisté bien longtemps à l'analyse.
« Nous devons prendre l'habitude de questionner nos sources d'information et de les vérifier.
« Il faut aussi apprendre à se méfier des gens qui nous conseillent de nous méfier des gens.
[Mendax] Alors en gros : 1) Il faut être parano, et 2) On ne sait absolument rien.
Alors, merci Mendax, d'avoir si brillamment illustré le problème dont nous allons parler aujourd'hui : celui du dosage.
Le principe de Paracelse : « Tout est poison, rien n'est poison, c'est la dose qui fait le poison » s'applique très bien au doute méthodologique tel que nous l'utilisons pour mettre à l'épreuve ce que nous croyons savoir. [Mendax] Alors mon cher Vled, si je puis me permettre, j'ai une question.
Comment sait-on qu'on sait ce qu'on sait ? Enfin, plus précisément ce que je voudrais savoir c'est comment (quand on croit qu'on sait quelque chose), comment sait-on qu'on a raison de croire qu'on sait ce qu'on sait ? Merci Mendax pour cette question fort limpide que l'on se pose depuis pas mal de temps.
Ce qui a permis d'élaborer toute une discipline de la philosophie des sciences à ce sujet. C'est ce qu'on appelle l'épistémologie : la science de la connaissance. [Mendax] La science de la connaissance ?
Les épistémologues font passer des tests de grammaire aux physiciens ? Ou bien est-ce qu'ils vérifient si les sociologues connaissent leurs tables de multiplication ? Pas vraiment.
La science de la connaissance est une vraie discipline grâce à laquelle on peut définir ce qu'est une connaissance objective valide, et comment reconnaître une bonne méthode pour obtenir ce type de connaissance. En définitive cela revient à trouver un moyen rationnel de décider à partir de quand le doute cesse d'être bénéfique.
[Mendax] Tu es en train de nous dire qu'il faut douter du doute ?
Je dis simplement que la recherche de la compréhension du monde n'est pas une course à celui qui doutera le plus fort.
Ce qui est important c'est d'être capable de proposer des hypothèses cohérentes et de les tester. [Mendax] On (ne) veut pas tester, on veut savoir !
Alors dans ces conditions, il est temps de vous parler du rasoir d'Ockham et pour cela de faire une expérience domestique.
... Voici une photographie.
On y voit un canapé à l'agonie, éventré, ses entrailles dispersées autour de lui dans la mort impudique d'un salon de banlieue. Inerte, il a perdu tout espoir d'accueillir à nouveau, un jour, les fesses pommelées d'une ménagère alanguie. C'est tragique. Au milieu de l'image un spécimen génétiquement torturé d'une sous-espèce de Canis lupus que l'on nommera ci-après, pour des raisons évidentes d'hygiène, Princesse.
La photographie a été prise par la propriétaire du défunt sofa qui revenait des courses où elle avait acheté de quoi faire une soupe de poireaux.
Pour expliquer la scène que nous voyons, il est possible d'émettre plusieurs hypothèses.
1) Princesse a agressé le canapé.
2) Le canapé a provoqué Princesse en s'exhibant dans une tenue que la morale réprouve.
3) Par un malheureux concours de circonstances, le canapé s'est étouffé avec une télécommande qu'il venait d'avaler.
N'écoutant que son sens de l'abnégation, Princesse a alerté les secours. La batterie de cuisine a alors pratiqué un massage de coussin puis a dû se résoudre à tenter une garniturectomie qui n'a malheureusement pas permis de sauver la victime. 4) Aragorn fils d'Arathorn a poursuivi une troupe d'Uruk-Hai jusque dans le salon où une bataille terrible a été livrée.
Heureusement aucun chien n'a été blessé durant cet évènement. 5) Le canapé a explosé de manière spontanée en présence de Princesse qui jure n'avoir rien pu faire.
La bonne réponse est la.... numéro une.
Oui, bravo à ceux qui avaient trouvé ! Et, nous sommes tous en mesure d'opter pour cette solution pour plusieurs raisons : 1 – La plupart d'entre nous a déjà été témoin d'une dégradation mobilière perpétrée par un représentant de la gent canine.
Il y a donc un précédent avéré. 2– Nous n'avons jamais vu un canapé exploser spontanément.
Il n'y a pas de précédent avéré. 3– Proposer que les meubles soient animés de pensées, que les chiens se forment tous seuls au secourisme ou que les personnages du Seigneur des Anneaux se baladent dans nos appartements, est ce qu'on appelle une hypothèse épistémiquement coûteuse : cela ajoute du mystère au lieu de répondre à la question toute simple du début.
Nous concluons donc que Princesse a agressé un canapé qui ne l'avait pas provoquée.
[Mendax] Je proteste !
Ça revient à accuser un pauvre animal sans preuve. La connaissance absolue de la position de tous les atomes de la scène du canapé étripé n'est pas nécessaire pour se faire une opinion éclairée.
[Mendax] Mais, objection !
Dire cela, c'est prendre le risque de se tromper. Ah mais alors, complètement !
Mais c'est le cas à chaque fois qu'il faut prendre une décision. [Mendax] Alors il vaut mieux suspendre son jugement.
Et si c'est commettre une erreur que de ne pas décider ?
[Mendax] Je te trouve hyper-contrariant !
Pourquoi suspendre son jugement serait une opinion valide ?
[Mendax] Mais, mais… Parce que c'est ce que j'ai décidé de croire.
En éliminant les hypothèses farfelues, nous avons utilisé l'instrument mental que l'on appelle le Rasoir d'Ockham.
Il tranche dans le vif et nous débarrasse des hypothèses superflues, des prémisses inutiles, des postulats improbables. Les hypothèses restantes, aussi insatisfaisantes soient-elles, sont forcément plus vraisemblables, et c'est ce qu'on leur demande.
[Mendax] Je pense que les gens veulent la vérité et pas seulement du vraisemblable.
Mendax.
Tu voudrais une vérité dont tu ne soies pas autorisé à douter, que tu ne puisses jamais questionner ? [Mendax] Ce que je pense c'est que moins il y a de doute, plus on est sûr.
Oui d'accord… mais…
[Mendax] Et donc, ben alors, on n'est plus jamais sûr de rien dès lors qu'il reste un petit doute.
Tu vois, c'est pas bien compliqué. Une connaissance qui n'est pas absolue n'est pas fausse pour autant.
À strictement parler aucune de nos connaissances n'est absolue, mais le peu qu'on sait, on le sait quand même. Mieux : on sait pourquoi on le sait, et donc c'est une connaissance fiable.
Est-ce que tu comprends ? [Mendax] Oui, non mais ne fais pas comme si tu essayais de me convaincre.
Je pose des questions rhétoriques, moi ici ; c'est mon boulot ! Qu'il manque des éléments à une théorie, pour en faire une représentation parfaite de la nature, ne change rien au fait que les théories actuelles sont les meilleures approximations de la réalité dont nous disposons.
Ne pas les utiliser serait probablement la décision la plus stupide qui se puisse concevoir. [Mendax] Mais Vled, je crois qu'on se disperse un petit peu.Peut-on revenir au sujet principal d'aujourd'hui ?
Merci beaucoup.