SHIN GODZILLA de Hideaki Anno et Shinji Higuchi : l'analyse de M. Bobine (2)
Le regard d'Hideaki Anno envers cette chaîne pyramidale de commandement est très critique
A l'inverse,
l'efficacité de l'organisation horizontale de l'équipe du héros est traduite à l'image
par une accélération considérable du rythme.
Mais cette satire n'est pas une fin en soi.
Le projet d'Hideaki Anno n'est pas seulement de réactualiser le mythe de Godzilla,
mais de le reconstruire.
et pour ce faire,
il va opposer à ces institutions japonaises sclérosées par la bureaucratie,
une créature qui elle, est capable de s'adapter et d'évoluer.
Car Godzilla est avant tout un mutant,
une créature préhistorique qui, après avoir été exposé à des radiations,
deviendra un titanesque monstre atomique.
Si dans la franchise, cette mutation fait surtout office de backstory,
Hideaki Anno, lui, va mettre cette capacité d'évolution au coeur du récit.
En effet, si Shin Godzilla reprend pas mal d'élément du Godzilla de 1954,
il y a néanmoins un petit truc qui change :
la grotesque chimère dégénérée qui vient foutre le boxon dans Tokyo…
Bah, ce n'est pas encore Godzilla.
Avant d'atteindre sa forme finale,
cette créature va subir plusieurs mutations
qui seront toutes liées thématiquement à l'action du gouvernement,
comme si elles en étaient les conséquences directes.
En d'autres termes,
dès que les protagonistes pensent maîtriser la situation,
odzilla punit, en quelque sorte, cette arrogance
en évoluant vers une forme plus redoutable.
Par exemple, quand les membres du gouvernement sont persuadés
que la créature ne peut pas soutenir son poids sur la terre ferme,
celle-ci débarque justement dans les rues de Tokyo.
Puis lorsqu'ils vendent littéralement la peau de l'ours avant de l'avoir tué
la créature se dresse sur ses pattes et lance son célèbre rugissement,
un cri qui est d'ailleurs exactement le même que dans le Godzilla de 1954.
Après la première incursion de la créature,
quand l'équipe de Rando Yaguchi baisse un instant sa garde
et s'offre un court moment de relâchement
la créature marche sur Tokyo pour la seconde fois,
affichant désormais la forme reconnaissable de Godzilla
L'armée aura beau déchaîner tout son arsenal,
la créature se révèlera être indestructible
et même les missiles les plus puissants ne lui feront pas une égratignure.
Enfin, après l'échec des forces de défenses japonaises,
c'est au tour de l'armée américaine d'agir contre le monstre atomique.
C'est alors que Godzilla va déchaîner son feu nucléaire dans une séquence traumatisante
qui se soldera par la mort du premier ministre et son cabinet,
ainsi que la destruction de la moitié de la ville.
Le gouvernement qui maintenait jusqu'alors un semblant de contrôle est en ruine,
tandis que Godzilla est enfin complet.
Désormais, il ne menace plus seulement une ville ou un pays,
mais l'humanité toute entière.
Dans le titre du film, “Shin” signifie “vrai”,
mais aussi “dieu”.
Anno s'est demandé ce qui faisait l'essence du roi des monstre,
puis il a assemblé toutes les pièces du puzzle pour recréer le “vrai” Godzilla.
Une créature quasi immortelle, indestructible au pouvoir terrifiant.
Finalement, Shin Godzilla n'a pas à rougir de son concurrent américain,
car dans un paysage cinématographique
saturé par les apocalypses boursouflées et rigolardes,
Hideaki Anno a non seulement revigoré le mythe de Godzilla,
mais il en propose également la version la plus cauchemardesque.
En effet,
si en 60 ans, la menace nucléaire est un peu passée de mode sur nos écrans,
Anno nous rappelle que les thématiques développées dans le Godzilla d'Ishiro Honda
sont malheureusement toujours d'actualités.
A priori, Hideaki Anno souhaite céder sa place
dans la suite des aventures du monstre atomique,
préférant se concentrer sur la réalisation du quatrième et dernier volet
de son autre grande entreprise de reconstruction :
la série de films Rebuilt Of Evangelion.
Quant à Godzilla, il a beau être sexagénaire,
il est pourtant loin de raccrocher les gants
puisqu'il est la star de deux franchises parallèles,
l'une hollywoodienne, l'autre japonaise.
En effet, si Legendary a décidé d'exploiter le catalogue de la Toho
dans son “monsterverse” initié par le Godzilla de 2014
puis par Kong Skull Island en 2017,
le contrat entre Legendary et la Toho n'empêche absolument pas cette dernière
de continuer sa franchise en parallèle pour le marché Japonais.
De quoi réjouir ceux qui comme moi sont de grands fans des films avec Godzilla,
sauf évidemment… celui de Roland Emmerich.