04a. La Rationalisation -- La Tronche en Biais. Partie 1/2.
[Introduction]
Aujourd'hui nous allons parler de la rationalisation. La rationalisation n'est pas une opération numérologique permettant d'obtenir, en base décimale ou kabbalistique, le rapport vibratoire entre une date de naissance, une immatriculation minéralogique et un code de carte bancaire à l'aide d'une combinaison divinatoire impliquant le nombre d'or, Pi et de simples additions pratiquées en cours élémentaire première année. Mais alors la rationalisation, qu'est-ce que c'est ? [Musique intro]
Le mot a plusieurs sens, et il est plutôt connoté positivement en économie et en politique. Il est synonyme d'organisation, d'efficacité, d'appel à la logique, à la science. Et c'est justement parce que nous attachons de l'importance à la logique et à la science qu'existe le phénomène de rationalisation tel que défini en psychologie. [Mendax] Hum, Hum.
La rationalisation constitue un procédé de justification avec des éléments logiques et conscients d'une attitude ou d'un acte qui résulte de motivations inconscientes ou d'un concours de circonstances. [Mendax] Hum, Humm.
Oui, Mendax. Tu voulais intervenir ?
[Mendax] Ça me fait drôlement penser à la dissonance cognitive.
C'est vrai. [Mendax] La fable d'Esope dont on a parlé dans l'épisode précédent : le renard qui voulait du raisin, mais qui ne peut pas l'atteindre, et qui décide finalement, que (de) toute façon il n'en voulait pas. Absolument. Le renard de la fable rationnalise son échec en le transformant en choix. Il construit une narration dans laquelle il n'a aucune raison de se sentir frustré et déçu. [Mendax] Est-ce que ça veut dit qu'on rationalise pour ne pas passer pour un « blaireau » ? Ou pour se rassurer. Ou pour garder une certaine cohérence dans ce que l'on pense. En 1949 des chercheurs américains ont demandé à des femmes de classer 120 photos d'hommes en deux catégories : Beau ou Ordinaire. Dix jours plus tard, le temps qu'elles oublient un peu les photos, on leur demande de désigner quelle moitié des 120 photos sont celles de… communistes. [Mendax] Oh, le bon vieux temps du Maccarthysme !
Tout l'intérêt de l'étude tient au fait qu'on avait au préalable mesuré leur attitude vis-à-vis des communistes. Or qu'observe-t-on ? Celles qui avaient un avis favorable sur les communistes ont rangé dans cette catégorie des photos d'hommes qu'elles avaient jugé plutôt beaux lors de la séance précédente celles qui avaient un avis négatif ont choisi les photos des hommes plus ordinaires. [Mendax] Les moches.
Si tu veux.
[Mendax] Parce que le communisme se voit sur le visage ?
Ben non, justement. Les chercheurs ont conclu que ces femmes avait rationalisé leur attitude - positive ou négative - à l'aide de la seule variable disponible dans cette étude : l'apparence. [Mendax] Elles se sont raconté des histoires. Ah ! Les femmes !
Mendax, cette remarque est sexiste.
[Mendax] Peuh ! Je n'ai insulté personne. Et là, tu rationalises.
[Mendax] Ai-je déjà demandé si on rationalisait pour ne passer pour un blaireau ?
Oui. Et pour tout un tas de raisons. Quand on entend « À quelque chose malheur est bon », c'est plutôt faux mais ça permet de ne pas se morfondre. Devant des évènements dont l'explication logique nous échappe ou nous déplait, nous avons recours à un procédé défensif avec lequel nous désignons des causes rationnelles fictives qui nous rassurent ou qui conviennent à nos croyances. Le procédé peut être pleinement conscient ou complètement inconscient et avoir pour but de soustraire nos actes à un jugement moral…
(Mendax pousse un grand soupir.)
Mendax Pourquoi ce soupir ?
[Mendax] L'espèce humaine est si décevante. Nous sommes tous des hypocrites.
Oui, mais un tout petit peu d'hypocrisie est nécessaire pour vivre en société. La politesse, par exemple. On ne dit pas aux gens tout ce qu'on pense d'eux. Et on ne veut pas savoir tout ce qu'ils pensent de nous. [Mendax] Les contraintes de la vie en société ont donc imprimé leur marque sur notre cortex !
Ça t'étonne ? [Mendax] Ben en fait, non ! Tiens, et si nous faisions une petite expérience ?
À quoi tu penses, Mendax ?
[Mendax] À l'étude de Festinger et Carlsmith de 1959. Oh oui, chouette. Bonne idée !
Les chercheurs ont demandé à un étudiant à cravate blanche - que nous appellerons ici pour des raisons évidentes d'hygiène Paul - de participer à une expérience sur les différences entre attente et réalité. [Mendax] C'était un mensonge. C'était un mensonge. [Étudiant] Je dois faire quoi ? Je regarde...
On annonce à cet étudiant à cravate blanche qu'il devra réaliser une tâche et qu'il appartient au groupe qui ne reçoit aucune information préalable. La tâche en question est spécifiquement conçue pour être atrocement ennuyeuse. Dans notre exemple à nous, cela consistera à visionner des vidéos de chatons sur Internet pendant trois heures. Quand il a terminé, l'expérimentateur lui demande une faveur imprévue. [Mendax] Encore un mensonge : tout était prévu.
Il lui demande de dire au prochain participant, qui appartient à l'autre groupe testé (en réalité un complice), de lui dire… que la tâche était très intéressante. En échange, on lui propose une toute petite somme d'argent. On le remercie pour son temps, on espère qu'il a trouvé l'expérience agréable et on lui demande de passer dans une deuxième pièce pour un questionnaire final. L'expérience est réalisée à l'identique avec un Paul à cravate noire ; parfaitement semblable au précédent. [Mendax] Sauf pour la cravate.
À celui-ci on demande la même chose, dans les mêmes termes, mais cette fois-ci on le rétribue avec une somme d'argent bien plus conséquente Dans le questionnaire final, on demande à Paul et Paul de donner une note à la tâche entre « très intéressant » et « très inintéressant. » Et c'est là que l'expérience prend tout son sens. Le Paul à cravate blanche estime que la tâche réalisée était moyennement intéressante Le Paul à cravate noire, lui, n'a aucun problème à admettre que la tâche était complètement merd… [merdique]… Très ennuyante. [Mendax] Mais pour quelle raison ?
Les chercheurs expliquent cela grâce au concept de la dissonance cognitive et de la rationalisation.
[Étudiant] Oh, les chats étaient mignons, et puis euh…Y'faisaient (ils faisaient) des choses drôles à des moments… et puis c'était pas si mal filmé que ça en plus. Non, en fait, trois heures, c'était pas si long, quoi… Et puis c'était pour la science. [Étudiant] Oh non, moi je suis fait chier, c'était pour l'argent. Et puis moi j'aime pas les chats. Il faudrait tous les tuer !