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Enlevé Kidnapped, Chapitre 4

Chapitre 4

IV. Je cours un grand danger dans le château de Shaws

Quoique si mal commencée, la journée se passa fort bien. Nous eûmes encore du porridge froid à midi, et du porridge chaud le soir : porridge et petite bière, mon oncle ne sortait pas de là. Il parla peu, et de la même façon que précédemment, me lançant une question à la fois après un silence prolongé ; mais tentais-je d'amener la conversation sur mon avenir, il se dérobait aussitôt. Dans une pièce attenante à la cuisine, où il me laissa entrer, je découvris abondance de livres, latins et anglais, qui me firent passer agréablement l'après-midi. Même, le temps s'écoula si bien en cette excellente compagnie que j'en arrivais presque à aimer mon séjour de Shaws ; mais il suffisait de la vue de mon oncle, et de ses yeux jouant à cache-cache avec moi, pour raviver toute ma défiance.

Je découvris quelque chose que me fit rêver. C'était une dédicace sur la feuille de garde d'un livre pour enfants (un volume de Patrick Walter), sans nul doute écrit de la main de mon père, et ainsi conçue : « À mon frère Ebenezer, pour son cinquième anniversaire de naissance. » Or, voici ce qui me déroutait : comme mon père était le cadet, il avait dû ou bien commettre une erreur étrange, ou bien savoir écrire avant sa cinquième année, d'une main experte, nette et virile.

J'essayai de n'y plus penser ; mais j'eus beau prendre les plus intéressants auteurs, anciens ou récents, histoire, poésie, romans, cette préoccupation de l'écriture de mon père me hantait ; et lorsque enfin je retournai à la cuisine, pour m'attabler une fois de plus devant le porridge et la petite bière, les premiers mots que j'adressai à l'oncle Ebenezer furent pour lui demander si mon père avait appris très vite.

– Alexandre ? Non pas, répondit-il. J'ai été moi-même bien plus prompt ; j'étais un garçon fort avancé. Oui, j'ai su lire et écrire aussi tôt que lui.

Je comprenais de moins en moins ; mais une idée me passa par la tête, et je demandai à mon oncle si mon père et lui étaient jumeaux. Il fit un bond sur son escabelle, et en laissant choir la cuiller de corne sur le carreau.

– Pourquoi diantre me demandez-vous cela ? dit-il, en m'empoignant par le revers de ma jaquette, et me regardant cette fois dans le blanc des yeux. Les siens étaient si petits et clairs, mais luisants comme ceux d'un oiseau, avec de singuliers clignotements.

– Que voulez-vous dire ? demandai-je, très calme, car j'étais beaucoup plus fort que lui, et ne m'effrayais pas aisément. Lâchez donc ma jaquette. Ce ne sont pas là des façons.

Mon oncle parut faire un grand effort sur lui-même.

– Parbleu, ami David, dit-il ; il ne faut pas me parler ainsi de votre père. Voilà où est votre erreur. Il se rassit tout tremblant, et fixa les yeux sur son assiette. « C'était mon frère unique », ajouta-t-il, mais sans la moindre émotion dans la voix. Puis ramassant sa cuiller, il se remit à manger, mais sans cesser de trembler.

Or, cette dernière scène, ces mains portées sur ma personne et cette soudaine profession d'amour envers mon défunt père dépassaient tellement ma compréhension que je fus saisi à la fois de crainte et d'espérance. D'une part, je me demandais si mon oncle n'était pas fou, et susceptible de devenir dangereux ; d'autre part, il me revint à l'esprit (tout à fait involontairement, et même malgré moi) une manière d'histoire sous forme de complainte que j'avais ouï chanter, d'un pauvre garçon qui était héritier légitime et d'un méchant parent qui l'empêchait d'obtenir son bien. Pourquoi mon oncle eût-il joué ce rôle, vis-à-vis d'un neveu qui arrivait, presque mendiant, à sa porte, s'il n'avait eu au fond du cœur une raison de le craindre ?

Hanté par cette idée, que je repoussais mais qui s'implantait fortement dans ma cervelle, j'en vins à imiter ses regards subreptices ; en sorte que nous étions attablés comme un chat et une souris, chacun surveillant l'autre à la dérobée. Il ne trouva plus un mot à dire, mais il était occupé à retourner quelque pensée en lui-même ; et plus je le regardais, plus j'acquérais la certitude que cette pensée était loin de m'être favorable.

Après avoir débarrassé la table, il tira, juste comme le matin, une pipée unique de tabac, attira un escabeau dans l'angle de la cheminée, et resta assis un moment à fumer, en me tournant le dos.

– David, dit-il enfin, j'y songe ; puis il fit une pause et répéta : – J'y songe. Il y a cet argent que je vous ai à moitié promis avant votre naissance… ou plutôt que j'ai promis à votre père. Oh ! rien de légal, comprenez-le ; tout juste un badinage de gentleman après boire. Eh bien ! j'ai mis cet argent de côté – grosse dépense, mais enfin une promesse est une promesse – et la somme est devenue aujourd'hui l'affaire de juste exactement… juste exactement… (il fit une pause, et balbutia) – de juste exactement quarante livres ! Ces derniers mots furent lancés avec un regard de côté par-dessus son épaule ; mais l'instant d'après, il ajoutait, dans une sorte de cri : – d'Écosse !

La livre d'Écosse étant la même chose que le shilling anglais[4], la différence entraînée par ce correctif était énorme. Je voyais bien, d'ailleurs, que toute l'histoire n'était qu'un mensonge inventé dans un but que je m'évertuais à deviner ; et je ne cherchai pas à atténuer le ton railleur de ma réponse :

– Oh ! réfléchissez un peu ! Livres sterling, plutôt !

– C'est ce que je dis, répliqua mon oncle ; livres sterling ! Et si vous voulez bien aller à la porte une minute, juste pour voir si la nuit est belle, je vais sortir la somme et vous rappellerai.

Je lui obéis, riant en moi-même de mépris, à le trouver si facile à tromper. La nuit était sombre, avec de rares étoiles au bas du ciel ; et, tandis que j'étais sur le pas de la porte, j'entendis un gémissement sonore de vent au loin sur la colline. Je prévis que le temps allait changer et se mettre à l'orage ; mais je ne devinais guère toute l'importance que cela devait avoir pour moi avant la fin de la soirée.

Mon oncle me rappela, puis il me compta dans la main trente-sept guinées d'or ; il avait le reste dans sa main, en petites pièces d'or et d'argent[5], mais le cœur lui manqua, et il fourra ce complément dans sa poche.

– Là, dit-il, cela vous apprendra ! Je suis un peu bizarre, et déconcertant pour les étrangers ; mais je ne connais que ma parole, et vous en avez la preuve.

Cependant mon oncle avait un air si malheureux, que je restai pétrifié devant sa générosité, et que je ne pus trouver de mots pour l'en remercier.

– Pas un mot ! dit-il. Pas de merci ; je n'en veux pas. Je fais mon devoir ; je ne dis pas que tout le monde en aurait fait autant ; mais pour ma part (ce qui n'empêche pas d'être prévoyant) ce m'est un plaisir de faire du bien au fils de mon frère ; et ce m'est un plaisir de penser qu'à présent nous allons nous entendre comme il sied à des amis si proches.

Je lui retournai le compliment de mon mieux ; mais je ne cessais de me demander ce qui allait s'ensuivre, et pourquoi il s'était dessaisi de ses précieuses guinées ; car pour ce qui était de la raison qu'il m'en donnait, un enfant n'y aurait pas cru.

Il me regarda de côté.

– Et à présent, dit-il, donnant donnant.

Je lui affirmai que j'étais disposé à lui prouver ma juste reconnaissance, et je m'attendais à une demande exorbitante. Néanmoins, lorsqu'il eut enfin rassemblé son courage pour parler, il se contenta de me dire (fort exactement, à mon avis) qu'il se faisait vieux et un peu cassé, et qu'il espérait me voir l'aider à tenir la maison et son bout de potager.

Je répondis en lui offrant aussitôt mes services.

– Eh bien, dit-il commençons. (Il tira de sa poche une clef rouillée.) Voici, dit-il, voici la clef de la tour de l'escalier, au bout de la maison. L'on n'y accède que de l'extérieur, car cette partie du bâtiment est restée inachevée. Allez-y, montez l'escalier ; et descendez-moi le coffre qui est en haut… Il contient des papiers, ajouta-t-il.

– Puis-je avoir une lumière, monsieur ? dis-je.

– Non, dit-il d'un air plein de ruse. Pas de lumière dans ma maison.

– Parfait, monsieur. L'escalier est-il bon ?

– Magnifique. Et, comme je m'en allais : Tenez-vous au mur, ajouta-t-il, il n'y a pas de rampe. Mais les marches sont excellentes sous le pied.

Je sortis dans la nuit. Le vent gémissait toujours au loin, bien que pas un souffle n'en parvînt au château de Shaws. Il faisait encore plus noir que tantôt ; et j'eus soin de longer le mur qui me conduisit à la porte de la tour d'escalier, à l'extrémité de l'aile inachevée. J'avais mis la clef dans la serrure et lui avais donné un tour, lorsque soudain, sans bruit de vent ni de tonnerre, tout le ciel s'illumina d'un vaste éclair, et les ténèbres se refermèrent instantanément. Je dus mettre la main sur mes yeux pour me réhabituer à l'obscurité ; et j'étais en fait à demi aveuglé lorsque je pénétrai dans la tour.

Il y faisait si noir qu'il semblait impossible d'y respirer ; mais, tâtonnant des pieds et des mains, je heurtai le mur et la marche inférieure de l'escalier. Le mur, au toucher, était de pierre lisse ; les marches, elles aussi, bien que hautes et étroites, étaient de maçonnerie polie, et régulières et fermes sous le pied. Me rappelant la recommandation de mon oncle au sujet de la rampe, je longeai la paroi de la tour, et m'avançai à tâtons, et le cœur battant, dans l'obscurité de poix.

Le château de Shaws avait cinq bons étages de haut, sans compter les mansardes. Néanmoins, il me sembla, en avançant, que l'escalier devenait plus aéré, et une idée plus éclairé ; et je me demandais quelle pouvait bien être la cause de ce changement, lorsqu'un deuxième éclair de chaleur s'illumina instantanément. Si je ne poussai pas un cri, ce fut parce que la terreur me serrait à la gorge ; et si je ne tombai pas, ce fut plutôt par l'intervention du Ciel que grâce à mes forces. Car non seulement l'éclair brilla de toutes parts à travers les fissures de la muraille ; non seulement je me vis escaladant un échafaudage à jour ; mais la même lueur passagère me montra que les marches étaient d'inégale longueur, et que j'avais à cet instant un pied à deux pouces du vide.

C'était donc là le magnifique escalier ! pensai-je ; et en même temps une bouffée de courage dû à la colère me monta au cœur. Mon oncle m'avait envoyé ici, assurément, pour courir de grands risques, – et peut-être pour mourir. Je me jurai de tirer au clair ce « peut-être », dussai-je me casser le cou. Je me mis à quatre pattes ; et, avec une lenteur de limace, tâtant devant moi pouce par pouce, et éprouvant la solidité de chaque pierre, je poursuivis mon ascension. L'obscurité, par contraste avec l'éclair, me semblait avoir redoublé, et ce n'était pas tout, car à présent les oreilles me bourdonnaient, et j'étais étourdi par un grand remue-ménage de chauves-souris dans le haut de la tour, et les sales bêtes, en voletant vers le bas, se cognaient parfois à mon corps et à ma figure.

La tour, j'aurais dû le dire, était carrée ; et chaque marche d'angle était constituée par une grande dalle de forme différente, pour joindre les volées. Or, j'étais arrivé à l'un de ces tournants, lorsque, en tâtant devant moi, comme toujours, ma main effleura une arête, au-delà de laquelle il n'y avait plus que le vide. L'escalier n'allait pas plus haut : faire monter l'escalier, dans l'obscurité, par quelqu'un qui ne le connaissait pas, c'était envoyer ce quelqu'un à la mort ; et, bien que, grâce à l'éclair et à mes précautions, je fusse sauf, à la simple idée du danger que je venais de courir et de l'effrayante hauteur d'où j'aurais pu tomber, mon corps se couvrit de sueur et mes membres se dérobèrent.

Mais je savais maintenant ce que je voulais savoir, et, faisant demi-tour, je me mis à redescendre, le cœur plein d'une colère furieuse. Comme j'étais à mi-chemin, une rafale de vent survint, qui ébranla la tour, puis s'éloigna ; la pluie commença ; et je n'étais pas encore au niveau du sol qu'elle tombait à seaux. J'avançai ma tête dans la tourmente et regardai dans la direction de la cuisine. La porte, que j'avais refermée derrière moi en partant, était à présent grande ouverte ; il s'en échappait une faible lueur ; et j'entrevis une forme debout sous la pluie, immobile comme celle d'un homme qui écoute. Et alors il y eut un éclair aveuglant, qui me découvrit en plein mon oncle, là où j'avais cru le voir en effet ; et presque aussitôt le roulement du tonnerre éclata.

Mon oncle s'imagina-t-il que ce bruit était celui de ma chute, ou bien y discerna-t-il la voix de Dieux dénonçant son crime, je le laisse à penser.

Le fait est, du moins, qu'il fut saisi comme d'une terreur panique, et qu'il s'enfuit dans la maison, laissant la porte ouverte derrière lui. Je le suivis le plus doucement possible, et, pénétrant sans bruit dans la cuisine, m'arrêtai à le considérer.

Il avait eu le temps d'ouvrir le buffet d'angle et d'en sortir une grosse bouteille clissée d'eau-de-vie, et il était alors assis à la table, le dos tourné vers moi. À tout moment il était pris d'un effrayant accès de frisson ; il gémissait alors tout haut, et, portant la bouteille à ses lèvres, buvait à pleine gorge l'alcool pur.

Je m'avançai jusqu'auprès de lui, et soudain, abattant mes deux mains à la fois sur ses épaules, je m'écriai : « Ah ! Mon oncle poussa un cri inarticulé pareil au bêlement d'un mouton, leva les bras au ciel, et tomba sur le carreau, comme mort. J'en fus un peu affecté ; mais j'avais d'abord à m'occuper de moi, et n'hésitai pas à le laisser où il était tombé. Les clefs étaient pendues dans le buffet ; et j'étais résolu à me procurer des armes avant que mon oncle eût repris avec ses sens la faculté de me nuire. Le buffet contenait quelques fioles, de médicaments, sans doute ; beaucoup de factures et d'autres paperasses, dans lesquelles j'aurais volontiers fouillé, si j'en avais eu le temps, et divers objets qui ne pouvaient m'être d'aucune utilité. J'examinai ensuite les coffres. Le premier était plein de farine ; le second de sacs d'argent et de liasses de papiers ; dans le troisième, entre autres choses (principalement des habits), je trouvai un dirk[6] highlander rouillé et d'aspect formidable, avec son fourreau. Je cachai cette arme sous mon gilet, et retournai auprès de mon oncle.

Il gisait comme il était tombé, en un tas, un genou relevé et un bras allongé ; sa figure était d'un bleu étrange, et il semblait avoir cessé de respirer. La peur me prit, qu'il fût mort ; j'allai chercher de l'eau et lui en aspergeai la face. Il revint à lui : sa bouche tressaillit et ses paupières se soulevèrent. Enfin il m'aperçut, et ses yeux révélèrent une terreur qui n'était pas de ce monde.

– Allons, allons, dis-je, debout !

– Êtes-vous en vie ? pleurnicha-t-il. Oh ! mon ami, êtes-vous en vie ?

– Je le suis, dis-je ; mais ce n'est pas grâce à vous !

Il s'était mis sur son séant et tirant sa respiration avec de profonds soupirs.

– La fiole bleue ! dit-il… dans l'armoire… la fiole bleue !

Son souffle se ralentissait.

Je courus au buffet, et y trouvai en effet une fiole médicinale bleue, dont l'étiquette prescrivait la dose, que j'administrai en toute hâte à mon oncle.

– C'est mon mal, dit-il, reprenant vie peu à peu ; j'ai une maladie, David… au cœur.

Je le mis sur une chaise et le considérai. À vrai dire, je ressentais quelque pitié envers cet homme qui avait l'air si malade, mais j'étais plein de juste colère aussi ; et je lui énumérai les points sur lesquels je voulais des explications : – pourquoi il me mentait à chaque mot ; pourquoi il craignait de me voir le quitter ; pourquoi il n'aimait pas que l'on insinuât que mon père et lui fussent jumeaux… « Est-ce parce que c'est vrai ? » demandai-je ; pourquoi il m'avait donné cet argent auquel j'étais convaincu de n'avoir pas droit ; et enfin pourquoi il avait tenté de me faire mourir. Il m'écouta d'un bout à l'autre en silence ; puis, d'une voix entrecoupée, il me pria de le laisser se mettre au lit.

– Je vous le dirai demain, dit-il, aussi vrai que je vais mourir.

Et il était si faible que je ne pus faire autrement que de consentir. Toutefois, je l'enfermai dans sa chambre, et mis la clef dans ma poche ; puis, retournant à la cuisine, j'y fis une flambée comme elle n'en avait pas connu depuis des années ; et, m'enveloppant de mon plaid, je m'étendis sur les coffres, et m'endormis.

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Chapitre 4 Κεφάλαιο 4 Chapter 4 Capítulo 4

IV. IV. Je cours un grand danger dans le château de Shaws I run a great danger in Shaws Castle

Quoique si mal commencée, la journée se passa fort bien. Although so badly started, the day passed very well. Nous eûmes encore du porridge froid à midi, et du porridge chaud le soir : porridge et petite bière, mon oncle ne sortait pas de là. We still had cold porridge at noon, and hot porridge in the evening: porridge and a little beer, my uncle never got out of there. Il parla peu, et de la même façon que précédemment, me lançant une question à la fois après un silence prolongé ; mais tentais-je d’amener la conversation sur mon avenir, il se dérobait aussitôt. He spoke little, and in the same way as before, throwing me a question at a time after a long silence; but when I tried to bring the conversation to my future, he was at a loss. Dans une pièce attenante à la cuisine, où il me laissa entrer, je découvris abondance de livres, latins et anglais, qui me firent passer agréablement l’après-midi. In a room adjoining the kitchen, where he let me in, I discovered an abundance of books, Latin and English, which made me pass pleasantly in the afternoon. Même, le temps s’écoula si bien en cette excellente compagnie que j’en arrivais presque à aimer mon séjour de Shaws ; mais il suffisait de la vue de mon oncle, et de ses yeux jouant à cache-cache avec moi, pour raviver toute ma défiance. Even so, the time passed so well in this excellent company that I almost came to love my stay at Shaws; but the sight of my uncle, and his eyes playing hide-and-seek with me, was enough to rekindle all my distrust.

Je découvris quelque chose que me fit rêver. I discovered something that made me dream. C’était une dédicace sur la feuille de garde d’un livre pour enfants (un volume de Patrick Walter), sans nul doute écrit de la main de mon père, et ainsi conçue : « À mon frère Ebenezer, pour son cinquième anniversaire de naissance. It was a dedication on the flyleaf of a children's book (a volume by Patrick Walter), no doubt in my father's handwriting, and read: "To my brother Ebenezer, on his fifth birthday from birth. » Or, voici ce qui me déroutait : comme mon père était le cadet, il avait dû ou bien commettre une erreur étrange, ou bien savoir écrire avant sa cinquième année, d’une main experte, nette et virile. Now, here is what puzzled me: as my father was the youngest, he must have either made a strange mistake, or knew how to write before his fifth year, with an expert, clean and virile hand.

J’essayai de n’y plus penser ; mais j’eus beau prendre les plus intéressants auteurs, anciens ou récents, histoire, poésie, romans, cette préoccupation de l’écriture de mon père me hantait ; et lorsque enfin je retournai à la cuisine, pour m’attabler une fois de plus devant le porridge et la petite bière, les premiers mots que j’adressai à l’oncle Ebenezer furent pour lui demander si mon père avait appris très vite. I tried to put it out of my mind; but no matter how many interesting authors I picked up, old or new, history, poetry, novels, this preoccupation with my father's writing haunted me; and when at last I returned to the kitchen, to sit down once more to porridge and small beer, the first words I spoke to Uncle Ebenezer were to ask him if my father had learned very quickly.

– Alexandre ? - Alexandre? Non pas, répondit-il. No, he replied. J’ai été moi-même bien plus prompt ; j’étais un garçon fort avancé. I myself was much quicker; I was a very advanced boy. Oui, j’ai su lire et écrire aussi tôt que lui. Yes, I was able to read and write as early as him.

Je comprenais de moins en moins ; mais une idée me passa par la tête, et je demandai à mon oncle si mon père et lui étaient jumeaux. I understood less and less, but an idea popped into my head, and I asked my uncle if he and my father were twins. Il fit un bond sur son escabelle, et en laissant choir la cuiller de corne sur le carreau. He leapt up on his ladder, dropping the horn spoon on the tile.

– Pourquoi diantre me demandez-vous cela ? - Why do you ask me that? dit-il, en m’empoignant par le revers de ma jaquette, et me regardant cette fois dans le blanc des yeux. he said, seizing me by the back of my jacket, and looking at me now in the whites of his eyes. Les siens étaient si petits et clairs, mais luisants comme ceux d’un oiseau, avec de singuliers clignotements. Hers were so small and clear, but shiny like a bird's, with singular flashes.

– Que voulez-vous dire ? - What do you mean ? demandai-je, très calme, car j’étais beaucoup plus fort que lui, et ne m’effrayais pas aisément. I asked, very calm, for I was much stronger than him, and did not frighten me easily. Lâchez donc ma jaquette. So let go of my jacket. Ce ne sont pas là des façons. These are not ways.

Mon oncle parut faire un grand effort sur lui-même. My uncle seemed to be making a great effort on himself.

– Parbleu, ami David, dit-il ; il ne faut pas me parler ainsi de votre père. "Why, friend David," he said; do not talk to me about your father. Voilà où est votre erreur. That's where your mistake is. Il se rassit tout tremblant, et fixa les yeux sur son assiette. He sat down, shaking, and stared at his plate. « C’était mon frère unique », ajouta-t-il, mais sans la moindre émotion dans la voix. “He was my only brother,” he added, but without the slightest emotion in his voice. Puis ramassant sa cuiller, il se remit à manger, mais sans cesser de trembler. Then picking up his spoon, he began to eat again, but without ceasing to tremble.

Or, cette dernière scène, ces mains portées sur ma personne et cette soudaine profession d’amour envers mon défunt père dépassaient tellement ma compréhension que je fus saisi à la fois de crainte et d’espérance. Now, this last scene, my hands on my person, and this sudden profession of love towards my late father so far exceeded my understanding that I was seized with both fear and hope. D’une part, je me demandais si mon oncle n’était pas fou, et susceptible de devenir dangereux ; d’autre part, il me revint à l’esprit (tout à fait involontairement, et même malgré moi) une manière d’histoire sous forme de complainte que j’avais ouï chanter, d’un pauvre garçon qui était héritier légitime et d’un méchant parent qui l’empêchait d’obtenir son bien. On the one hand, I wondered if my uncle was crazy, and likely to become dangerous; on the other hand, it came to my mind (quite involuntarily, and even in spite of myself) a manner of story in the form of a complaint I had heard of, of a poor boy who was a legitimate heir and a bad parent who prevented him from getting his property. Pourquoi mon oncle eût-il joué ce rôle, vis-à-vis d’un neveu qui arrivait, presque mendiant, à sa porte, s’il n’avait eu au fond du cœur une raison de le craindre ? Why should my uncle have played this part, vis-à-vis a nephew who arrived, almost begging, at his door, if he had not had in the bottom of his heart a reason to fear him?

Hanté par cette idée, que je repoussais mais qui s’implantait fortement dans ma cervelle, j’en vins à imiter ses regards subreptices ; en sorte que nous étions attablés comme un chat et une souris, chacun surveillant l’autre à la dérobée. Haunted by this idea, which I rejected but which was firmly implanted in my brain, I came to imitate his surreptitious glances, so that we sat there like cat and mouse, each watching the other in secret. Il ne trouva plus un mot à dire, mais il était occupé à retourner quelque pensée en lui-même ; et plus je le regardais, plus j’acquérais la certitude que cette pensée était loin de m’être favorable. He couldn't find a word to say, but he was busy turning over some thought in himself; and the more I looked at him, the more certain I became that this thought was far from favorable to me.

Après avoir débarrassé la table, il tira, juste comme le matin, une pipée unique de tabac, attira un escabeau dans l’angle de la cheminée, et resta assis un moment à fumer, en me tournant le dos. After clearing the table, he pulled, just as in the morning, a single pipée of tobacco, drew a stepladder in the corner of the chimney, and sat for a while smoking, turning my back to me.

– David, dit-il enfin, j’y songe ; puis il fit une pause et répéta : – J’y songe. "David," he said finally, "I think about it; then he paused and repeated: "I think about it. Il y a cet argent que je vous ai à moitié promis avant votre naissance… ou plutôt que j’ai promis à votre père. There is this money that I promised you half before you were born ... or rather that I promised your father. Oh ! Oh! rien de légal, comprenez-le ; tout juste un badinage de gentleman après boire. nothing legal, get it; just a gentleman's banter after drinking. Eh bien ! Well, well, well! j’ai mis cet argent de côté – grosse dépense, mais enfin une promesse est une promesse – et la somme est devenue aujourd’hui l’affaire de juste exactement… juste exactement… (il fit une pause, et balbutia) – de juste exactement quarante livres ! I put that money aside – big expense, but anyway a promise is a promise – and the sum has now become the business of just exactly… just exactly… (he paused, and stammered) – of just exactly forty pounds! Ces derniers mots furent lancés avec un regard de côté par-dessus son épaule ; mais l’instant d’après, il ajoutait, dans une sorte de cri : – d’Écosse ! Those last words were said with a sideways glance over his shoulder; but the next moment he added, in a kind of cry: – from Scotland!

La livre d’Écosse étant la même chose que le shilling anglais[4], la différence entraînée par ce correctif était énorme. Since the Scottish pound is the same as the English shilling[4], the difference caused by this correction was enormous. Je voyais bien, d’ailleurs, que toute l’histoire n’était qu’un mensonge inventé dans un but que je m’évertuais à deviner ; et je ne cherchai pas à atténuer le ton railleur de ma réponse : I saw, moreover, that the whole story was nothing more than a lie invented for a purpose which I endeavored to guess; and I did not try to tone down the mocking tone of my answer:

– Oh ! - Oh! réfléchissez un peu ! think about it! Livres sterling, plutôt ! Pounds sterling, more like!

– C’est ce que je dis, répliqua mon oncle ; livres sterling ! "That's what I say," replied my uncle; pound sterling ! Et si vous voulez bien aller à la porte une minute, juste pour voir si la nuit est belle, je vais sortir la somme et vous rappellerai. And if you want to go to the door for a minute, just to see if the night is beautiful, I'll take the money out and call you back.

Je lui obéis, riant en moi-même de mépris, à le trouver si facile à tromper. I obey him, laughing in myself with contempt, to find him so easy to deceive. La nuit était sombre, avec de rares étoiles au bas du ciel ; et, tandis que j’étais sur le pas de la porte, j’entendis un gémissement sonore de vent au loin sur la colline. The night was dark, with rare stars at the bottom of the sky; and while I was on the doorstep I heard a loud whine of wind in the distance on the hill. Je prévis que le temps allait changer et se mettre à l’orage ; mais je ne devinais guère toute l’importance que cela devait avoir pour moi avant la fin de la soirée. I foresaw that the weather was about to change and turn stormy, but little did I guess how important this would be for me before the end of the evening.

Mon oncle me rappela, puis il me compta dans la main trente-sept guinées d’or ; il avait le reste dans sa main, en petites pièces d’or et d’argent[5], mais le cœur lui manqua, et il fourra ce complément dans sa poche. My uncle called me back, and counted in my hand thirty-seven guineas of gold; he had the rest in his hand, in small pieces of gold and silver, but his heart failed him, and he stuffed this complement into his pocket.

– Là, dit-il, cela vous apprendra ! “There,” he said, “that will teach you! Je suis un peu bizarre, et déconcertant pour les étrangers ; mais je ne connais que ma parole, et vous en avez la preuve. I'm a little weird, and confusing to strangers; but I only know my word, and you have the proof of it.

Cependant mon oncle avait un air si malheureux, que je restai pétrifié devant sa générosité, et que je ne pus trouver de mots pour l’en remercier. However, my uncle looked so unhappy that I was petrified by his generosity and could not find words to thank him for it.

– Pas un mot ! - Not a word! dit-il. he says. Pas de merci ; je n’en veux pas. No thanks; I do not want it. Je fais mon devoir ; je ne dis pas que tout le monde en aurait fait autant ; mais pour ma part (ce qui n’empêche pas d’être prévoyant) ce m’est un plaisir de faire du bien au fils de mon frère ; et ce m’est un plaisir de penser qu’à présent nous allons nous entendre comme il sied à des amis si proches. I'm doing my homework ; I'm not saying that everyone would have done the same; but for my part (which does not prevent being far-sighted) it gives me pleasure to do good to my brother's son; and it pleases me to think that now we shall get along as befits such close friends.

Je lui retournai le compliment de mon mieux ; mais je ne cessais de me demander ce qui allait s’ensuivre, et pourquoi il s’était dessaisi de ses précieuses guinées ; car pour ce qui était de la raison qu’il m’en donnait, un enfant n’y aurait pas cru. I returned the compliment as best I could; but I kept wondering what was next, and why he had given up his precious guineas; for as for the reason he gave me, a child would not have believed it.

Il me regarda de côté. He looked at me sideways.

– Et à présent, dit-il, donnant donnant. "And now," he said, giving giving.

Je lui affirmai que j’étais disposé à lui prouver ma juste reconnaissance, et je m’attendais à une demande exorbitante. I told him that I was willing to show him my just gratitude, and I was expecting an exorbitant request. Néanmoins, lorsqu’il eut enfin rassemblé son courage pour parler, il se contenta de me dire (fort exactement, à mon avis) qu’il se faisait vieux et un peu cassé, et qu’il espérait me voir l’aider à tenir la maison et son bout de potager. Nevertheless, when he had finally gathered his courage to speak, he merely told me (very exactly, in my opinion) that he was getting old and a little broken, and that he hoped to see me help him hold the house and its end of vegetable garden.

Je répondis en lui offrant aussitôt mes services. I responded by immediately offering him my services.

– Eh bien, dit-il commençons. - Well, he said, let's start. (Il tira de sa poche une clef rouillée.) (He takes a rusty key from his pocket.) Voici, dit-il, voici la clef de la tour de l’escalier, au bout de la maison. Here, he said, here is the key to the stair tower at the end of the house. L’on n’y accède que de l’extérieur, car cette partie du bâtiment est restée inachevée. It can only be accessed from the outside, as this part of the building remained unfinished. Allez-y, montez l’escalier ; et descendez-moi le coffre qui est en haut… Il contient des papiers, ajouta-t-il. Go ahead, go up the stairs; and bring me the trunk upstairs. It contains papers, "he added.

– Puis-je avoir une lumière, monsieur ? "May I have a light, sir?" dis-je. I said.

– Non, dit-il d’un air plein de ruse. "No," he said cunningly. Pas de lumière dans ma maison. No light in my house.

– Parfait, monsieur. - Perfect, sir. L’escalier est-il bon ? Is the stairs good?

– Magnifique. - Magnificent. Et, comme je m’en allais : Tenez-vous au mur, ajouta-t-il, il n’y a pas de rampe. And as I was going away: Stand on the wall, he added, there is no railing. Mais les marches sont excellentes sous le pied. But the steps are great underfoot.

Je sortis dans la nuit. I went out into the night. Le vent gémissait toujours au loin, bien que pas un souffle n’en parvînt au château de Shaws. The wind was still moaning in the distance, although not a breath of it reached Shaws Castle. Il faisait encore plus noir que tantôt ; et j’eus soin de longer le mur qui me conduisit à la porte de la tour d’escalier, à l’extrémité de l’aile inachevée. It was even darker than before; and I took care to walk along the wall which led me to the door of the stair tower, at the end of the unfinished wing. J’avais mis la clef dans la serrure et lui avais donné un tour, lorsque soudain, sans bruit de vent ni de tonnerre, tout le ciel s’illumina d’un vaste éclair, et les ténèbres se refermèrent instantanément. I had put the key in the lock and given it a turn, when suddenly, without a sound of wind or thunder, the whole sky lit up with a vast flash of light, and the darkness closed in instantly. Je dus mettre la main sur mes yeux pour me réhabituer à l’obscurité ; et j’étais en fait à demi aveuglé lorsque je pénétrai dans la tour. I had to put my hand over my eyes to get used to the darkness again, and was in fact half-blind when I entered the tower.

Il y faisait si noir qu’il semblait impossible d’y respirer ; mais, tâtonnant des pieds et des mains, je heurtai le mur et la marche inférieure de l’escalier. It was so dark in there that it seemed impossible to breathe; but, groping with my hands and feet, I hit the wall and the bottom step of the staircase. Le mur, au toucher, était de pierre lisse ; les marches, elles aussi, bien que hautes et étroites, étaient de maçonnerie polie, et régulières et fermes sous le pied. The wall, to the touch, was of smooth stone; the steps, too, though high and narrow, were of polished masonry, and regular and firm underfoot. Me rappelant la recommandation de mon oncle au sujet de la rampe, je longeai la paroi de la tour, et m’avançai à tâtons, et le cœur battant, dans l’obscurité de poix. Remembering my uncle's recommendation about the ramp, I skirted the wall of the tower, and groped my way, heart pounding, through the pitch darkness.

Le château de Shaws avait cinq bons étages de haut, sans compter les mansardes. Shaws Castle was a good five storeys high, not counting the attics. Néanmoins, il me sembla, en avançant, que l’escalier devenait plus aéré, et une idée plus éclairé ; et je me demandais quelle pouvait bien être la cause de ce changement, lorsqu’un deuxième éclair de chaleur s’illumina instantanément. Nevertheless, it seemed to me, as I advanced, that the staircase was becoming airier, and an idea brighter; and I was wondering what could possibly be the cause of this change, when a second flash of warmth instantly illuminated. Si je ne poussai pas un cri, ce fut parce que la terreur me serrait à la gorge ; et si je ne tombai pas, ce fut plutôt par l’intervention du Ciel que grâce à mes forces. If I didn't cry out, it was because terror gripped my throat; and if I did not fall, it was rather by the intervention of Heaven than thanks to my strength. Car non seulement l’éclair brilla de toutes parts à travers les fissures de la muraille ; non seulement je me vis escaladant un échafaudage à jour ; mais la même lueur passagère me montra que les marches étaient d’inégale longueur, et que j’avais à cet instant un pied à deux pouces du vide. For not only did the lightning flash on all sides through the cracks in the wall; not only did I see myself climbing open scaffolding; but the same passing gleam showed me that the steps were of unequal length, and that I was at that moment a foot to two inches from the void.

C’était donc là le magnifique escalier ! This was the magnificent staircase! pensai-je ; et en même temps une bouffée de courage dû à la colère me monta au cœur. I thought; and at the same time a burst of courage due to anger rose to my heart. Mon oncle m’avait envoyé ici, assurément, pour courir de grands risques, – et peut-être pour mourir. My uncle had sent me here, surely, to take great risks, - and perhaps to die. Je me jurai de tirer au clair ce « peut-être », dussai-je me casser le cou. I swore to myself to clarify this "maybe", even if I had to break my neck. Je me mis à quatre pattes ; et, avec une lenteur de limace, tâtant devant moi pouce par pouce, et éprouvant la solidité de chaque pierre, je poursuivis mon ascension. I got down on all fours; and, with sluggish slowness, feeling ahead inch by inch, and testing the solidity of each stone, I continued my ascent. L’obscurité, par contraste avec l’éclair, me semblait avoir redoublé, et ce n’était pas tout, car à présent les oreilles me bourdonnaient, et j’étais étourdi par un grand remue-ménage de chauves-souris dans le haut de la tour, et les sales bêtes, en voletant vers le bas, se cognaient parfois à mon corps et à ma figure. The darkness, in contrast to the lightning, seemed to me to have redoubled, and that was not all, for now my ears were ringing, and I was dizzy with a great stirring of bats in the top of the tower, and the dirty beasts, fluttering down, sometimes bumped into my body and face.

La tour, j’aurais dû le dire, était carrée ; et chaque marche d’angle était constituée par une grande dalle de forme différente, pour joindre les volées. The tower, I should have said, was square; and each corner step was formed by a large slab of different shape, to join the flights. Or, j’étais arrivé à l’un de ces tournants, lorsque, en tâtant devant moi, comme toujours, ma main effleura une arête, au-delà de laquelle il n’y avait plus que le vide. Now, I had reached one of these turning points when, feeling in front of me, as always, my hand touched a ridge, beyond which there was nothing but emptiness. L’escalier n’allait pas plus haut : faire monter l’escalier, dans l’obscurité, par quelqu’un qui ne le connaissait pas, c’était envoyer ce quelqu’un à la mort ; et, bien que, grâce à l’éclair et à mes précautions, je fusse sauf, à la simple idée du danger que je venais de courir et de l’effrayante hauteur d’où j’aurais pu tomber, mon corps se couvrit de sueur et mes membres se dérobèrent. The stairs didn't go any higher: to have someone who didn't know him climb the stairs in the dark was to send that someone to their death; and although, thanks to the lightning and my precautions, I was safe, at the mere idea of the danger I had just run and the frightful height from which I might have fallen, my body was covered with sweat and my limbs gave way.

Mais je savais maintenant ce que je voulais savoir, et, faisant demi-tour, je me mis à redescendre, le cœur plein d’une colère furieuse. But I now knew what I wanted to know, and, turning around, I began to descend, my heart full of furious anger. Comme j’étais à mi-chemin, une rafale de vent survint, qui ébranla la tour, puis s’éloigna ; la pluie commença ; et je n’étais pas encore au niveau du sol qu’elle tombait à seaux. As I was halfway there, a gust of wind came, which shook the tower, then went away; the rain began; and I was not yet at ground level when it fell buckets. J’avançai ma tête dans la tourmente et regardai dans la direction de la cuisine. I poked my head into the turmoil and looked in the direction of the kitchen. La porte, que j’avais refermée derrière moi en partant, était à présent grande ouverte ; il s’en échappait une faible lueur ; et j’entrevis une forme debout sous la pluie, immobile comme celle d’un homme qui écoute. The door, which I had closed behind me on leaving, was now wide open; a faint gleam escaped from it; and I caught a glimpse of a figure standing in the rain, motionless like that of a listening man. Et alors il y eut un éclair aveuglant, qui me découvrit en plein mon oncle, là où j’avais cru le voir en effet ; et presque aussitôt le roulement du tonnerre éclata. And then there was a blinding flash of lightning, uncovering my uncle right where I thought I'd actually seen him; and almost immediately the roll of thunder erupted.

Mon oncle s’imagina-t-il que ce bruit était celui de ma chute, ou bien y discerna-t-il la voix de Dieux dénonçant son crime, je le laisse à penser. Did my uncle imagine that this noise was that of my fall, or did he discern in it the voice of the gods denouncing his crime, I leave it to be thought.

Le fait est, du moins, qu’il fut saisi comme d’une terreur panique, et qu’il s’enfuit dans la maison, laissant la porte ouverte derrière lui. The fact is, at least, that he was seized as if by panic terror, and fled into the house, leaving the door open behind him. Je le suivis le plus doucement possible, et, pénétrant sans bruit dans la cuisine, m’arrêtai à le considérer. I followed him as quietly as possible, and, entering the kitchen noiselessly, stopped to gaze at him.

Il avait eu le temps d’ouvrir le buffet d’angle et d’en sortir une grosse bouteille clissée d’eau-de-vie, et il était alors assis à la table, le dos tourné vers moi. He had had time to open the corner sideboard and take out a big bottle of brandy, and he was then seated at the table, his back turned towards me. À tout moment il était pris d’un effrayant accès de frisson ; il gémissait alors tout haut, et, portant la bouteille à ses lèvres, buvait à pleine gorge l’alcool pur. Every moment he was seized with a frightful fit of shivering; he then moaned aloud, and, raising the bottle to his lips, drank down the pure alcohol.

Je m’avançai jusqu’auprès de lui, et soudain, abattant mes deux mains à la fois sur ses épaules, je m’écriai : « Ah ! I walked up to him, and suddenly, laying both my hands on his shoulders, I exclaimed: “Ah! Mon oncle poussa un cri inarticulé pareil au bêlement d’un mouton, leva les bras au ciel, et tomba sur le carreau, comme mort. My uncle let out an inarticulate cry like the bleating of a sheep, raised his arms to the sky, and fell to the floor as if dead. J’en fus un peu affecté ; mais j’avais d’abord à m’occuper de moi, et n’hésitai pas à le laisser où il était tombé. I was a little affected by it; but I had to take care of myself first, and did not hesitate to leave him where he had fallen. Les clefs étaient pendues dans le buffet ; et j’étais résolu à me procurer des armes avant que mon oncle eût repris avec ses sens la faculté de me nuire. The keys were hanging in the cupboard; and I was resolved to procure arms before my uncle had regained the faculty of injuring me. Le buffet contenait quelques fioles, de médicaments, sans doute ; beaucoup de factures et d’autres paperasses, dans lesquelles j’aurais volontiers fouillé, si j’en avais eu le temps, et divers objets qui ne pouvaient m’être d’aucune utilité. The sideboard contained a few phials, of medicine, no doubt; lots of bills and other paperwork, which I would gladly have delved into, had I had the time, and miscellaneous items that could be of no use to me. J’examinai ensuite les coffres. I then examined the chests. Le premier était plein de farine ; le second de sacs d’argent et de liasses de papiers ; dans le troisième, entre autres choses (principalement des habits), je trouvai un dirk[6] highlander rouillé et d’aspect formidable, avec son fourreau. The first was full of flour; the second of bags of money and bundles of papers; in the third, among other things (mainly clothes), I found a rusty, formidable-looking dirk[6] highlander with its scabbard. Je cachai cette arme sous mon gilet, et retournai auprès de mon oncle. I hid this weapon under my vest, and returned to my uncle.

Il gisait comme il était tombé, en un tas, un genou relevé et un bras allongé ; sa figure était d’un bleu étrange, et il semblait avoir cessé de respirer. He lay as he had fallen, in a heap, one knee up and one arm outstretched; his face was a strange blue, and he seemed to have stopped breathing. La peur me prit, qu’il fût mort ; j’allai chercher de l’eau et lui en aspergeai la face. Fearing he was dead, I fetched some water and splashed it on his face. Il revint à lui : sa bouche tressaillit et ses paupières se soulevèrent. He came to himself: his mouth quivered and his eyelids lifted. Enfin il m’aperçut, et ses yeux révélèrent une terreur qui n’était pas de ce monde. At last he caught sight of me, and his eyes revealed a terror that was not of this world.

– Allons, allons, dis-je, debout ! – Come on, come on, I said, stand up!

– Êtes-vous en vie ? - Are you alive ? pleurnicha-t-il. he whined. Oh ! Oh! mon ami, êtes-vous en vie ? my friend, are you alive?

– Je le suis, dis-je ; mais ce n’est pas grâce à vous ! “I am,” said I; but it's not thanks to you!

Il s’était mis sur son séant et tirant sa respiration avec de profonds soupirs. He had sat up and drawn his breath with deep sighs.

– La fiole bleue ! – The blue vial! dit-il… dans l’armoire… la fiole bleue ! he said... in the cupboard... the blue vial!

Son souffle se ralentissait. His breath slowed.

Je courus au buffet, et y trouvai en effet une fiole médicinale bleue, dont l’étiquette prescrivait la dose, que j’administrai en toute hâte à mon oncle. I ran to the sideboard and found a blue medicinal vial, labeled with the dose, which I hastily administered to my uncle.

– C’est mon mal, dit-il, reprenant vie peu à peu ; j’ai une maladie, David… au cœur. - It's my illness," he said, gradually coming to life; "I have a disease, David... in my heart.

Je le mis sur une chaise et le considérai. I put him in a chair and looked at him. À vrai dire, je ressentais quelque pitié envers cet homme qui avait l’air si malade, mais j’étais plein de juste colère aussi ; et je lui énumérai les points sur lesquels je voulais des explications : – pourquoi il me mentait à chaque mot ; pourquoi il craignait de me voir le quitter ; pourquoi il n’aimait pas que l’on insinuât que mon père et lui fussent jumeaux… « Est-ce parce que c’est vrai ? To tell the truth, I felt some pity for this man who looked so ill, but I was full of righteous anger too; and I listed to him the points on which I wanted explanations: – why he was lying to me with every word; why he was afraid of seeing me leave him; why he didn't like it being insinuated that he and my father were twins… "Is it because it's true?" » demandai-je ; pourquoi il m’avait donné cet argent auquel j’étais convaincu de n’avoir pas droit ; et enfin pourquoi il avait tenté de me faire mourir. I asked; why he had given me this money to which I was convinced that I was not entitled; and finally why he had tried to kill me. Il m’écouta d’un bout à l’autre en silence ; puis, d’une voix entrecoupée, il me pria de le laisser se mettre au lit. He listened to me from one end to the other in silence; then, in an interrupted voice, he begged me to let him go to bed.

– Je vous le dirai demain, dit-il, aussi vrai que je vais mourir. “I'll tell you tomorrow,” he said, “as sure as I'm going to die.

Et il était si faible que je ne pus faire autrement que de consentir. And he was so weak that I couldn't help but consent. Toutefois, je l’enfermai dans sa chambre, et mis la clef dans ma poche ; puis, retournant à la cuisine, j’y fis une flambée comme elle n’en avait pas connu depuis des années ; et, m’enveloppant de mon plaid, je m’étendis sur les coffres, et m’endormis. However, I locked him in his room, and put the key in my pocket; then, returning to the kitchen, I made it a blaze such as she had not known for years; and, wrapping myself in my plaid, I lay down on the coffers, and fell asleep.