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Bernadette, Sœur Marie-Bernard (Henri Lasserre), Livre 1 - La Vie Publique (23)

Livre 1 - La Vie Publique (23)

Au milieu de ces passions si diverses et de ces multiples calculs, on n'avait point manqué de tenter sur Bernadette de nouvelles épreuves, aussi inutiles que les précédentes.

Elle se préparait à faire sa première communion, et elle la fit le 3 juin, jeudi de la Fête-Dieu, dans la Chapelle de l'Hospice. C'était le jour même où le Conseil municipal de Lourdes chargeait un illustre chimiste de Toulouse, M. Filhol, d'analyser la Source mystérieuse, jaillie naguère sous la main de la Voyante en extase. Dieu entrant dans ce coeur d'enfant et de jeune fille faisait aussi l'analyse d'une onde pure; et nous imaginons qu'il dut admirer et bénir, dans cette âme virginale, la source la plus fraîche et le plus limpide cristal.

Malgré la retraite où elle eût aimé à se cacher et à se recueillir, on continuait à la visiter.

Elle élait toujours l'enfant innocente et simple dont nous avons essayé de tracer le portrait. Par sa candeur, par son éclatante bonne foi, par son parfum délicat de sainteté paisible, elle charmait tous ceux qui l'approchaient.

Un jour, une dame, après s'être entretenue avec elle, voulut, dans un mouvement de vénération enthousiaste, assez concevable pour ceux qui ont connu Bernadette, échanger son chapelet de pierres précieuses contre celui de l'enfant:

— Gardez le vôtre, Madame, répondit-elle en montrant son modeste instrument de prière. Voici le mien, et je ne veux point le changer. Il est pauvre comme moi et convient à mon indigence.

Un ecclésiastique essaye de lui faire accepter une pièce d'argent, elle refuse. Il insiste, nouveau refus, si formel, qu'une plus longue insistance semble inutile. Le prêtre pourtant ne se tient pas pour battu:

— Prenez, dit-il, ce ne sera point pour vous; ce sera pour les pauvres, et vous aurez le plaisir de faire l'aumône.

— Faites-la de vos mains à mon intention, monsieur l'abbé, et cela vaudra mieux que si je la faisais moi-même, répondit l'enfant.

La pauvre Bernadette entendait servir Dieu gratuitement, et remplir, sans sortir de sa noble pauvreté, la mission qu'elle avait reçue d'en haut. Et cependant, elle et sa famille manquaient quelquefois de pain.

Vers la fin du mois de mai, Bernadette, épuisée par son asthme, fatiguée sans doute aussi par tant de visiteurs qui voulaient la voir et l'entendre, tomba malade.

Dans son vif désir de calmer les esprits et d'éloigner toute cause d'agitation, Monseigneur profita de cette circonstance pour faire conseiller aux parents d'envoyer Bernadelte aux eaux de Cauterets, qui sont toutes voisines de Lourdes. C'était un moyen de soustraire la Voyante à ces dialogues, à ces interrogations, à ces récits de l'Apparition, dont chacun était avide, et qui entretenaient l'émotion populaire. Les Soubirous, inquiets de l'état de Bernadette, et trouvant, de leur côté, que ces perpétuelles visites la brisaient, la confièrent à une tante qui allait elle-même à Cauterets et qui se chargea gratuitement des menues dépenses de ce voyage, d'ailleurs très peu coûteux à cette époque de l'année, où les thermes sont encore presque déserts. Les privilégiés et les riches n'y viennent qu'un peu plus tard, et il n'y a guère à Cauterets, pendant le mois de juin, que quelques pauvres gens de la Montagne. Malade, cherchant le silence et le repos, essayant de se soustraire le plus possible à la curiosité publique, Bernadette y prit les eaux pendant deux ou trois semaines.

A mesure que juin s'inclinait vers son terme, on entrait cependant dans la grande période des eaux pyrénéennes.

Bernadette retourna alors à Lourdes, chez ses parents. (Voir dans Notre-Dame de Lourdes comment, sur l'ordre du Préfet, le Maire avait fait fermer la Grotte par des barrières, placé des gardes pour empêcher d'y aller, pour dresser des procès-verbaux contre les visiteurs qui leur résistaient, et les traduire en justice, où ils étaient condamnés à l'amende.)

Le 16 juillet, fête de Notre-Dame du Mont Carmel, Bernadette avait entendu en elle-mème la voix qui s'était tue depuis quelques mois et qui l'appelait, non plus aux Roches Massabielle, alors fermées et gardées, mais sur la rive droite du Gave, dans ces prairies où la foule se rassemblait et priait, à l'abri des procès-verbaux et des vexations de la Police. Il était huit heures du soir. A peine l'enfant se fut-elle agenouillée et eut-elle commencé la récitation du chapelet, que la très-sainte Mère de Jésus- Christ lui apparut. Le Gave, qui séparait Bernadette de la Grotte, avait en quelque sorte cessé d'exister aux yeux de l'extatique. Elle ne voyait devant elle que la Roche bénie, dont il lui semblait être aussi près qu'autrefois, et la Vierge Immaculée qui lui souriait doucement, comme pour confirmer tout le passé et illuminer tout l'avenir. Aucune parole ne sortit des lèvres divines. A un certain moment, elle inclina la tête vers l'enfant, comme pour lui dire un « Au revoir » très lointain ou un adieu suprême; puis Elle disparut et rentra dans les cieux. Ce fut la dix-huitième Apparition : ce devait être la dernière.

Une Commission d'enquête nommée par l'Evêque se transporta à Lourdes le 17 novembre suivant, et interrogea la Voyante.

« Bernadette, » dit le procès-verbal du secrétaire, se présenta à nous avec une grande modestie, et cependant avec une assurance remarquable. Elle se montra calme, sans embarras, au milieu de cette nombreuse assemblée, en présence d'ecclésiastiques respectables qu'elle n'avait jamais vus, mais dont on lui avait dit la mission. »

La jeune fille raconta les Apparitions, les paroles de la Vierge, son commandement formel d'élever en ce lieu une chapelle à son culte, la naissance soudaine de la Source, le nom de « l'Immaculée Conception » que la Vision s'était donné à elle-même. Elle exposa, avec la grave certitude d'un témoin assuré de lui-même et l'humble candeur d'une enfant, tout ce qui lui était personnel dans ce drame surnaturel, dont les péripéties se déroulaient depuis une année. Elle répondit à toutes les questions, et ne laissa aucune obscurité dans l'esprit de ceux qui l'interrogeaient, non plus au nom des hommes, comme Jacomet, le Procureur ou tant d'autres, mais au nom de l'Eglise catholique, l'immortelle Epouse de Dieu. Tout ce dont elle rendit témoignage, les lecteurs de Notre-Dame de Lourdes le connaissent. Nous avons exposé nous-même ces événements, à leur date, en diverses pages de ce récit.

Six ans s'étaient passés.

Les résistances de l'administration, les oppositions multiples avaient été impuissantes contre l'oeuvre que la Mère de Dieu avait voulu établir par la main d'une en fant, sans autre défense que l'énergie, considérable il est vrai, du Prêtre héroïque vers lequel Elle l'avait envoyée.

L'Evêque avait, dans un solennel Mandement, reconnu la vérité des Apparitions et des Miracles. L'immense pèlerinage voulu par la Vierge était fondé, et au-dessus de la Grotte sacrée se construisait déjà, sous la direction du Curé Peyramale, le temple demandé par Notre-Dame de Lourdes.

Parfois, aux heures où il y avait le moins de monde aux Roches Massabielle, une petite fille venait s'agenouiller humblement devant le lieu de l'Apparition et boire à la Source. C'était une enfant du peuple, pauvrement vêtue. Rien ne la distinguait du vulgaire, et, à moins que quelqu'un parmi les pèlerins ne la connût et ne la nommât, elle priait inaperçue; et nul ne devinait que ce fût là Bernadette.

La privilégiée du Seigneur était rentrée dans l'ombre et le silence. Elle allait toujours à l'école des Soeurs, où elle était la plus simple et aurait voulu être la plus effacée. Les visites innombrables qu'elle y recevait ne troublaient point cette âme paisible, où vivaient pour toujours le souvenir du ciel entr'ouvert et l'image de la Vierge incomparable. Bernadette conservait ces choses en son coeur. Les peuples cependant accouraient de toutes parts, les miracles s'accomplissaient et le temple s'élevait. Et Bernadette, de même que le saint Curé de Lourdes, attendait comme le plus fortuné des jours, après ceux de la visite divine, celui où elle verrait de ses yeux les Prêtres du vrai Dieu conduire eux-mêmes les Fidèles, la croix en tête et les bannières déployées, à la Roche de l'Apparition.


Livre 1 - La Vie Publique (23) Buch 1 - Das öffentliche Leben (23) Book 1 - Public Life (23)

Au milieu de ces passions si diverses et de ces multiples calculs, on n'avait point manqué de tenter sur Bernadette de nouvelles épreuves, aussi inutiles que les précédentes. Inmitten dieser so unterschiedlichen Leidenschaften und vielfältigen Berechnungen hatte man es nicht versäumt, an Bernadette neue Tests durchzuführen, die ebenso nutzlos waren wie die vorherigen.

Elle se préparait à faire sa première communion, et elle la fit le 3 juin, jeudi de la Fête-Dieu, dans la Chapelle de l'Hospice. C'était le jour même où le Conseil municipal de Lourdes chargeait un illustre chimiste de Toulouse, M. Filhol, d'analyser la Source mystérieuse, jaillie naguère sous la main de la Voyante en extase. Dieu entrant dans ce coeur d'enfant et de jeune fille faisait aussi l'analyse d'une onde pure; et nous imaginons qu'il dut admirer et bénir, dans cette âme virginale, la source la plus fraîche et le plus limpide cristal.

Malgré la retraite où elle eût aimé à se cacher et à se recueillir, on continuait à la visiter.

Elle élait toujours l'enfant innocente et simple dont nous avons essayé de tracer le portrait. Par sa candeur, par son éclatante bonne foi, par son parfum délicat de sainteté paisible, elle charmait tous ceux qui l'approchaient.

Un jour, une dame, après s'être entretenue avec elle, voulut, dans un mouvement de vénération enthousiaste, assez concevable pour ceux qui ont connu Bernadette, échanger son chapelet de pierres précieuses contre celui de l'enfant:

— Gardez le vôtre, Madame, répondit-elle en montrant son modeste instrument de prière. Voici le mien, et je ne veux point le changer. Il est pauvre comme moi et convient à mon indigence.

Un ecclésiastique essaye de lui faire accepter une pièce d'argent, elle refuse. Il insiste, nouveau refus, si formel, qu'une plus longue insistance semble inutile. Le prêtre pourtant ne se tient pas pour battu:

— Prenez, dit-il, ce ne sera point pour vous; ce sera pour les pauvres, et vous aurez le plaisir de faire l'aumône.

— Faites-la de vos mains à mon intention, monsieur l'abbé, et cela vaudra mieux que si je la faisais moi-même, répondit l'enfant.

La pauvre Bernadette entendait servir Dieu gratuitement, et remplir, sans sortir de sa noble pauvreté, la mission qu'elle avait reçue d'en haut. Et cependant, elle et sa famille manquaient quelquefois de pain.

Vers la fin du mois de mai, Bernadette, épuisée par son asthme, fatiguée sans doute aussi par tant de visiteurs qui voulaient la voir et l'entendre, tomba malade.

Dans son vif désir de calmer les esprits et d'éloigner toute cause d'agitation, Monseigneur profita de cette circonstance pour faire conseiller aux parents d'envoyer Bernadelte aux eaux de Cauterets, qui sont toutes voisines de Lourdes. C'était un moyen de soustraire la Voyante à ces dialogues, à ces interrogations, à ces récits de l'Apparition, dont chacun était avide, et qui entretenaient l'émotion populaire. Les Soubirous, inquiets de l'état de Bernadette, et trouvant, de leur côté, que ces perpétuelles visites la brisaient, la confièrent à une tante qui allait elle-même à Cauterets et qui se chargea gratuitement des menues dépenses de ce voyage, d'ailleurs très peu coûteux à cette époque de l'année, où les thermes sont encore presque déserts. Les privilégiés et les riches n'y viennent qu'un peu plus tard, et il n'y a guère à Cauterets, pendant le mois de juin, que quelques pauvres gens de la Montagne. Malade, cherchant le silence et le repos, essayant de se soustraire le plus possible à la curiosité publique, Bernadette y prit les eaux pendant deux ou trois semaines.

A mesure que juin s'inclinait vers son terme, on entrait cependant dans la grande période des eaux pyrénéennes.

Bernadette retourna alors à Lourdes, chez ses parents. (Voir dans Notre-Dame de Lourdes comment, sur l'ordre du Préfet, le Maire avait fait fermer la Grotte par des barrières, placé des gardes pour empêcher d'y aller, pour dresser des procès-verbaux contre les visiteurs qui leur résistaient, et les traduire en justice, où ils étaient condamnés à l'amende.)

Le 16 juillet, fête de Notre-Dame du Mont Carmel, Bernadette avait entendu en elle-mème la voix qui s'était tue depuis quelques mois et qui l'appelait, non plus aux Roches Massabielle, alors fermées et gardées, mais sur la rive droite du Gave, dans ces prairies où la foule se rassemblait et priait, à l'abri des procès-verbaux et des vexations de la Police. Il était huit heures du soir. A peine l'enfant se fut-elle agenouillée et eut-elle commencé la récitation du chapelet, que la très-sainte Mère de Jésus- Christ lui apparut. Le Gave, qui séparait Bernadette de la Grotte, avait en quelque sorte cessé d'exister aux yeux de l'extatique. Elle ne voyait devant elle que la Roche bénie, dont il lui semblait être aussi près qu'autrefois, et la Vierge Immaculée qui lui souriait doucement, comme pour confirmer tout le passé et illuminer tout l'avenir. Aucune parole ne sortit des lèvres divines. A un certain moment, elle inclina la tête vers l'enfant, comme pour lui dire un « Au revoir » très lointain ou un adieu suprême; puis Elle disparut et rentra dans les cieux. Ce fut la dix-huitième Apparition : ce devait être la dernière.

Une Commission d'enquête nommée par l'Evêque se transporta à Lourdes le 17 novembre suivant, et interrogea la Voyante.

« Bernadette, » dit le procès-verbal du secrétaire, se présenta à nous avec une grande modestie, et cependant avec une assurance remarquable. Elle se montra calme, sans embarras, au milieu de cette nombreuse assemblée, en présence d'ecclésiastiques respectables qu'elle n'avait jamais vus, mais dont on lui avait dit la mission. »

La jeune fille raconta les Apparitions, les paroles de la Vierge, son commandement formel d'élever en ce lieu une chapelle à son culte, la naissance soudaine de la Source, le nom de « l'Immaculée Conception » que la Vision s'était donné à elle-même. Elle exposa, avec la grave certitude d'un témoin assuré de lui-même et l'humble candeur d'une enfant, tout ce qui lui était personnel dans ce drame surnaturel, dont les péripéties se déroulaient depuis une année. Elle répondit à toutes les questions, et ne laissa aucune obscurité dans l'esprit de ceux qui l'interrogeaient, non plus au nom des hommes, comme Jacomet, le Procureur ou tant d'autres, mais au nom de l'Eglise catholique, l'immortelle Epouse de Dieu. Tout ce dont elle rendit témoignage, les lecteurs de Notre-Dame de Lourdes le connaissent. Nous avons exposé nous-même ces événements, à leur date, en diverses pages de ce récit.

Six ans s'étaient passés.

Les résistances de l'administration, les oppositions multiples avaient été impuissantes contre l'oeuvre que la Mère de Dieu avait voulu établir par la main d'une en fant, sans autre défense que l'énergie, considérable il est vrai, du Prêtre héroïque vers lequel Elle l'avait envoyée.

L'Evêque avait, dans un solennel Mandement, reconnu la vérité des Apparitions et des Miracles. L'immense pèlerinage voulu par la Vierge était fondé, et au-dessus de la Grotte sacrée se construisait déjà, sous la direction du Curé Peyramale, le temple demandé par Notre-Dame de Lourdes.

Parfois, aux heures où il y avait le moins de monde aux Roches Massabielle, une petite fille venait s'agenouiller humblement devant le lieu de l'Apparition et boire à la Source. C'était une enfant du peuple, pauvrement vêtue. Rien ne la distinguait du vulgaire, et, à moins que quelqu'un parmi les pèlerins ne la connût et ne la nommât, elle priait inaperçue; et nul ne devinait que ce fût là Bernadette.

La privilégiée du Seigneur était rentrée dans l'ombre et le silence. Elle allait toujours à l'école des Soeurs, où elle était la plus simple et aurait voulu être la plus effacée. Les visites innombrables qu'elle y recevait ne troublaient point cette âme paisible, où vivaient pour toujours le souvenir du ciel entr'ouvert et l'image de la Vierge incomparable. Bernadette conservait ces choses en son coeur. Les peuples cependant accouraient de toutes parts, les miracles s'accomplissaient et le temple s'élevait. Et Bernadette, de même que le saint Curé de Lourdes, attendait comme le plus fortuné des jours, après ceux de la visite divine, celui où elle verrait de ses yeux les Prêtres du vrai Dieu conduire eux-mêmes les Fidèles, la croix en tête et les bannières déployées, à la Roche de l'Apparition.