Aliens de James Cameron, l'analyse de M. Bobine (2)
Malheureusement, Ovidio G. Assonitis s'en aperçoit
t a remonté le film à sa convenance.
Dès lors, il est difficile de considérer Piranha 2
comme le premier film de James Cameron,
ce dernier préfère d'ailleurs considérer Terminator comme sa première réalisation,
mais son expérience chez Roger Corman témoigne malgré tout
de sa volonté d'intégrer le monde du cinéma par tous les moyens.
Cette hargne se retrouve également chez son homologue britannique.
En effet, Ridley Scott était jaloux au point de ne plus trouver le sommeil pendant des semaines
en voyant son compatriote et rival Alan Parker
se lancer dans la production de son premier film, Bugsy Malone,
tandis que lui stagnait dans le monde de la publicité.
Plutôt que d'attendre qu'un studio ne daigne faire appel à lui,
il décide de financer lui-même l'écriture du scénario des Duellistes.
Il renonça même à son salaire pour faire financer plus facilement son film.
Au final, la détermination de Scott et Cameron fut payante
puisque leurs premiers films
(ou ce qu'ils considèrent comme leur premier film dans le cas de Cameron)
leur a permi de se faire remarquer par les studios.
Cependant, la réception des deux films témoigne tout de même
du clivage entre James Cameron et Ridley Scott
puisque si Terminator est un succès public
prouvant que James Cameron est un réalisateur bankable,
les Duellistes est avant tout un succès critique
et remportera le prix du meilleur premier film au festival de Cannes,
faisant de Ridley Scott un réalisateur de prestige.
Et oui, si Alien et sa suite sont deux films aussi différents l'un de l'autre,
c'est avant tout parce que l'approche cinématographique des deux réalisateur
est radicalement opposée.
Ridley Scott n'a pas son pareil pour poser une ambiance glaçante et atmosphérique,
il fait durer ses plans et utilise des cadres élégants en longue focale
qui mettent en valeur les détails et les textures des décors extrêmements riches et détaillés
Par contre, l'action c'est pas tellement son point fort…
Au contraire de James Cameron qui lui, n'a pas son pareil pour filmer l'action.
Son découpage est nerveux et viscéral,
il préfère utiliser des focales courtes et s'intéresse au mouvement
au mouvement plutôt qu'aux détails des décors qui eux sont plutôt sobres et minimalistes.
Par contre, il reconnaît lui-même avoir échoué à reproduire l'ambiance du premier film,
en particulier sur cette scène qui fut coupé dans la version cinéma.
De la même manière, Chez Ridley Scott,
la créature est incroyablement détaillée mais on la voit très peu en mouvement
tandis que dans le film de Cameron,
les costumes des xénomorphes furent allégés et simplifiés
pour permettre aux acteurs de travailler plus librement les mouvements des créatures.
Ces deux approches radicalement différentes de la mise en scène ont pourtant le même but :
jouer avec les nerfs des spectateurs.
Les deux réalisateurs ont également une manière très différente d'aborder la science-fiction.
Cameron est depuis l'enfance un grand admirateur de ce genre sous toutes ses facettes,
ce qui n'est pas vraiment le cas de Ridley Scott comme il le déclare lui même.
Avant de tourner Alien je n'aimais pas la science-fiction.
À cause de mon éducation puritaine et bourgeoise,
je n'allais jamais voir les films de monstres des années 50.
J'aurais eu l'impression de m'encombrer inutilement le cerveau.
Mais je dévorais les BD.
On peut dire que la réalisation de Alien fut pour son réalisateur une véritable révélation
qui lui permit de se libérer de ses à prioris
et d'y livrer une sensibilité d'inspiration romantique, déjà à l'oeuvre dans Les duellistes.
pendant c'est cette forte empreinte artistique
qui va également créer un gros malentendu qui perdure encore aujourd'hui.
Comme pour Star Wars la réussite d'Alien ne doit pas à son seul réalisateur,
mais à une équipe artistique issue de divers horizons.
La légende raconte que le scénariste Dan O'Bannon a écrit la première version d'Alien
à la suite de l'échec de l'adaptation pharaonique de Dune par Jodorowsky,
film sur lequel O'Bannon s'occupait des effets visuels.
Mais la réalité est malheureusement un peu plus sale...
C'est sur le tournage de Dark Star que John Carpenter confia à Dan O'Bannon
qu'il souhaitait mettre en images une nouvelle version de La planète des vampires de Mario Bava.
Lorsque l'adaptation de Dune se casse la figure,
O'Bannon, qui entre temps s'était définitivement brouillé avec Carpenter,
ressort de ses tiroirs ce projet et s'en attribue la paternité.
La mise en chantier de The Thing quelques temps plus tard
découle en partie du sentiment de Carpenter de s'être fait voler Alien.
Le seul mérite de O'Bannon, à ne pas négliger néanmoins,
est d'avoir aiguiller Ridley Scott vers l'équipe artistique de Dune :
Ron Cobb, Moebius et bien sur H.R. Giger.
Enfin c'est Walter Hill et David Giler qui firent de Ash un androïde,
et choisirent de faire du personnage central une femme
puis de de confier le rôle à Sigourney Weaver.
Ainsi, le rôle de Ridley Scott était avant tout de coordonner et d'unifier
des univers picturaux très hétéroclites
par la force de sa mise en scène.
Mais si Alien de Ridley Scott est avant tout une oeuvre collective,
sa suite est au contraire le fruit de la vision d'un seul artiste : James Cameron.
Pourtant si l'on prête attention au déroulement d'Aliens
on se rend compte que de nombreuses scènes font écho au précédent volet.
L'appel de détresse,
l'exploration de LV-426,
la découverte du facehugger,
le chestburster qui ouvre les hostilités...
Et comme dans le premier volet,
le film se termine sur l'héroïne qui expulse la créature dans l'espace
avant de s'endormir dans une capsule d'hibernation.
Alors on pourrait être tenté de dire que Cameron s'est contenté
de dupliquer les moments marquants du premier film
en y rajoutant de l'action pétaradante
dans l'unique but de masquer son absence d'imagination.
Vous vous doutez bien que c'est un peu plus compliqué que ça.
Certes le cinéaste réemploi des pivots narratifs établi par son prédécesseur,
mais si Aliens ramène le spectateur en terrain familier
c'est pour mieux le confronter aux partis pris radicaux de Cameron,
des partis pris bien plus personnels et subtils que l'on pourrait croire.
En effet, James Cameron souhaite avant tout se réapproprier le mythe de l'alien
et l'inclure dans ses thématiques personnelles.
C'est d'ailleurs pour cette raison que Cameron n'avait pas repris Giger sur ce second volet,
comme il l'explique dans une lettre destinée à l'agent du plasticien suisse :
Ironiquement, ce fut la production design d'Alien,
avec ses étranges paysages psycho-sexuels de l'inconscient créés par M. Giger,
qui m'ont initialement attiré vers ce projet de suite.
Cependant, étant moi-même production designer avant d'être réalisateur,
j'ai senti que je devais poser ma propre marque sur ce projet.
Autrement, ce projet n'aurait pas eu beaucoup d'intérêt pour moi à ce stade de ma carrière,
alors que j'ai d'autres concepts originaux
et d'autres créations que j'aurai pu développer avec les même attraits financiers
et probablement plus de liberté artistique.
J'ai découvert que s'atteler à une suite peut-être un exercice difficile
pour équilibrer les impulsions créatives,
le désir de créer un tableau complètement nouveau
tout en payant son tribut à l'oeuvre originale.
L'univers visuel de M. Giger était tellement puissant et omniprésent dans Alien
(une contribution majeure à son succès à mon avis)
que j'ai senti que je risquais d'être submergé par lui et son univers
si je l'avais embarqué dans une production sur laquelle,
d'une certaine manière, il était plus à sa place que moi.
Ainsi, Aliens contient pas mal d'éléments déjà présents
déjà présents dans deux des précédents travaux du réalisateur :
Piranha 2 : les tueurs volants et son scénario de Rambo 2.
Et oui, aussi embarrassante soit-elle,
la découverte de Piranha 2 permet de mieux comprendre sa démarche sur Aliens.
Alors évidemment, je ne parle pas des scènes de sexy comedy dignes d'un film de Philippe Clair
qui n'ont pas été tournées par Cameron,
mais plutôt de la présence d'une héroïne,
de Lance Henriksen,
de créatures pensées comme des armes biologiques
et de scènes qui semblent se répondre entre elles à travers le temps.
On y croise même quelques allusions à Ridley Scott :
En ce qui concerne Rambo 2,
du propre aveu de Sylvester Stallone,
le film n'a plus grand chose à voir avec le script initial de James Cameron,
au point que l'acteur regrette d'en avoir fait un véhicule à sa gloire et à celle de son pays.
Tout comme avec Piranha 2,
Cameron va reprendre des éléments malmenés sur Rambo 2 dans son Aliens.
Le traumatisme de Ellen Ripley
et la présence de Marines présentés comme des bourrins arrogants
avant d'être exterminés par les xénomorphes en sont deux brillants exemples.
Pour James Cameron, Aliens était l'occasion de prendre sa revanche
sur ses premières expériences dans le monde du cinéma
car à travers cette suite du chef d'oeuvre de Ridley Scott,
Cameron avait la possibilité d'aborder correctement
des thèmes qui n'avaient pu l'être autrefois,
démontrant au passage qu'il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises idées,
juste des bonnes ou des mauvaises façons de les traiter.
Bien que n'étant pas ouvertement tourné vers une vision “noble” de l'art
comme peut l'être Ridley Scott,
le cinéma de James Cameron est néanmoins parsemé de références pointues
comme le montrait déjà Terminator
dans lequel un personnage remonte le temps après être tombé amoureux d'une image,
comme dans La jetée de Chris Marker.
Il en est de même pour l'oeil rouge du T 800
un hommage de Cameron à Hal de 2001 l'odyssée de l'espace.
À ce titre Aliens est également l'occasion pour le cinéaste de rendre hommage à son idole,
qui plus est à l'un de ses films les plus clivants.
Que ce soit dans Terminator, Aliens et le reste de son oeuvre,
Cameron n'utilise en aucun cas ces références culturelles noble comme une fin en soi
mais comme un élément parmi d'autres qu'il refaçonne à sa manière
pour lui conférer un sens nouveau et nourrir sa création.
De la même manière il réutilise des méthodes très système D
issues de son passif chez Roger Corman comme le hors champ sonore
et un montage acéré pour créer une tension permanente
et suggérer la présence d'une centaine d'aliens,
alors que ce sont tout au plus cinq acteurs dans des costumes qui sont présents à l'écran.
Et tant qu'on y est,
je ne résiste pas à la tentation d'ouvrir une petite parenthèse
sur l'un des trucs les plus cool d'Aliens : le powerloader !
En plus de mettre Ripley sur un pied d'égalité face à la Reine,
le Power Loader est l'occasion pour le cinéaste de mettre en avant
une figure présente dans son court métrage Xenogenesis
et bien connue de la pop culture japonaise : Le mécha.
Non content de réaliser le fantasme de spectateurs
qui au même moment dévorent Goldorak, Gundam ou Bioman devant leur postes de télés,
Cameron inscrit ce Mecha dans un contexte ouvrier,
puisqu'à la base, il s'agit d'une version améliorée du chariot élévateur.
Le Power Loader est autant un formidable fusil de Tchekhov
qu'une porte d'entrée aussi bien pour le féru de science fiction japonaise
que pour le novice qui n'éprouve aucune affection particulière pour ce genre.
Ainsi, Cameron aura, à sa manière, su conquérir intelligement un public hetéroclite
à l'instar de son prédécesseur.
Alors ok, nous sommes au milieu de notre épisode
et je pense quon a établi qu'Aliens n'est pas une simple suite décérébrée,
c'est un film qui porte la marque de son auteur et qui lui tient profondément à coeur.
Mais… est-ce que ça en fait une bonne suite pour autant ?
Ben ouais, on peut légitimement se demander
si en se réappropriant l'univers créé par Ridley Scott et son équipe d'artistes,
Cameron n'aurait pas tout simplement balancé à la poubelle
tous les thèmes qui faisaient la richesse du premier film.
A première vue, il y a deux trahisons majeures au premier volet de la saga :
l'imagerie militaire et le virage vers le film de guerre
mais également la créature éponyme
qui passe d'un unique monstre indestructible quasi lovecraftien
à une multitude de bestioles qui se comportent plutôt comme de gros insectes.
James Cameron n'a jamais vraiment caché son fétichisme