L'écritothérapie | Bernard Werber | TEDxMarseille (1)
Traducteur: eric vautier Relecteur: Cristina Bufi-Pöcksteiner
Ce TEDx arrive à un moment un peu particulier,
parce qu'il arrive au moment où ça fait à peu près une semaine
que j'ai perdu mon père.
Je vais vous montrer déjà son visage.
Et mon père étant mort, je me suis posé la question :
qu'est-ce qu'il m'a transmis ?
Deux idées me sont arrivées à l'esprit :
la première, c'est qu'il m'a transmis le goût des histoires,
parce qu'il me racontait beaucoup d'histoires,
et la deuxième, c'est qu'il m'a transmis une maladie génétique héréditaire
qui m'a causé beaucoup de soucis et qui m'a obligé à m'adapter.
Quand j'ai commencé à avoir les premiers symptômes,
en fait, je me levais le matin et je n'arrivais pas à me tenir debout,
donc je me mettais à ramper et je n'arrivais pas à me redresser.
Personne ne comprenait ce qu'il se passait.
Quand on allait voir les médecins,
ils disaient : « C'est psychologique, il ne veut juste pas aller à l'école. »
Il a fallu attendre que ce monsieur, qui s'appelle Jean Dausset,
qui est toulousain aussi, découvre ma maladie
et qu'il ait le prix Nobel pour ses découvertes,
pour qu'on comprenne ce que j'avais ; en fait, le nom de ma maladie,
c'est SPA, ça ne veut pas dire Société Protectrice des Animaux,
ça veut dire Spondylarthrite ankylosante
et c'est une maladie qui progressivement soude toutes les articulations
et entraîne une sorte de transformation en statue.
Au stade final, de ce que m'avaient dit les médecins,
il ne me sera posé qu'une question :
assis ou couché ?
Couché : je vais pouvoir bien dormir ;
assis, je vais pouvoir travailler.
Mais cette question a été terrible
parce qu'elle signifie qu'à un moment, je vais entièrement me rigidifier
et qu'on ne peut rien faire contre ça.
Cette puce est révélatrice d'un premier élément :
pour lutter contre cette maladie, j'ai commencé à développer l'imaginaire.
Mon père me racontait des histoires, je me mis à en lire.
Jules Verne, Edgar Poe, les grands récits, comme Salammbô de Flaubert,
tout ce que je cherchais, c'est l'évasion, sortir de mon monde normal
pour arriver à créer des mondes imaginaires.
Et après avoir lu des histoires, j'ai eu envie d'en fabriquer.
Et la première que j'ai fabriquée était liée à ce petit insecte, une puce.
J'avais huit ans et je racontais l'histoire -
j'avais neuf ans, ça ne change pas grand' chose -
et je racontais l'histoire
d'une petite puce sur un être humain, qu'elle explorait comme une planète :
d'abord les pieds, puis sous le pantalon, elle se perdait dans le nombril,
escaladait peu à peu tout le corps humain, et finalement,
elle atterrissait dans les cheveux.
Le prof m'a mis une bonne note et m'a dit :
« Je n'ai jamais autant rigolé qu'avec votre copie,
faites-nous en d'autres. »
Et c'est cet encouragement d'un professeur, à une époque de ma vie
qui a suffi peut-être à me donner l'envie de continuer d'écrire.
Mais il m'a quand même précisé une phrase :
« Tout fonctionne dans votre nouvelle, sauf la première phrase :
« Je suis une puce,
je suis née d'un père puceau et d'une mère pucelle. »
(Rires)
J'ai compris plus tard de quoi il s'agissait.
(Rires)
Me voici petit,
je n'avais pas encore mes lunettes.
Ça, c'est l'autre bestiole qui m'a beaucoup aidé,
c'est les fourmis.
Après avoir terminé mes études, notamment de droit,
je voulais raconter des histoires.
Je ne savais pas que le métier d'écrivain permettait de vivre,
donc je voulais être juste journaliste.
Je suis entré en école de journalisme,
il y avait un concours de la meilleure idée de reportage,
et j'avais proposé de faire les fourmis Magnan d'Afrique.
Je savais qu'elles arrivent en colonnes entières,
elles détruisent tout sur leur passage,
elles détruisent les villages,
elles font peur aux hommes.
Ça me semblait une expression de la Nature :
comme si l'homme avait encore un prédateur,
avait encore peur des animaux.
J'avais envie de parler de ça.
J'ai proposé ça comme sujet.
Évidemment, on m'a dit : « Vas-y, on va voir si tu en es capable. »
J'y suis allé, j'avais 21 ans.
Là, c'est la photo que j'ai faite avec le Professeur Leroux,
qui est le spécialiste des Magnan en Côte d'Ivoire,
au centre de Lamto,
centre qui est spécialisé dans l'étude des insectes.
Ça devait être dans les premiers jours, car il y a un détail qui ne trompe pas -
je ne sais pas si vous voyez la différence entre le Professeur Leroux et moi,
c'est que lui est couvert et moi non,
parce que j'avais pas compris ce qu'il se passait, notamment
que c'est bourré de petits insectes parasites autres que les fourmis.
Les fourmis, c'est clair.
On n'aime pas les moustiques, mais en Afrique on entend qu'ils sont formidables.
Les moustiques, ça fait « Bzzz », on les entend,
et quand ça vous pique,
ça vous fait une petite démangeaison.
Où on était, il n'y en avait pas, mais il y avait les simulies.
Les simulies, ça ne fait pas de bruit, ça ne fait rien,
ça arrive, ça vous pique,
ça vous met plein de petits vers, ça repart,
et ça ne met pas le petit produit qui vous démange, qui est un anticoagulant.
Donc le soir, quand j'ai commencé, je voyais plein de petits points rouges,
c'était toutes ces petites bestioles qui me piquaient,
et là je peux vous dire que, rapidement, je me suis à avoir le pantalon,
et à me promener pratiquement en anorak pour me protéger de ça.
Ce que j'ai dans les mains, c'est une mangouste, qui s'appelait Tarzan.
Plein d'animaux sont censés protéger d'autres animaux,
[la mangouste] protège des serpents, c'est autre chose.
L'autre chose à voir sur cette photo,
c'est que je n'ai pas de bottes.
Ceux qui travaillaient sur les fourmis avaient des bottes avec un répulsif,
qui permet d'éviter de se faire bouffer quand on patauge dans cette rivière.
Or, je chaussais déjà du 43,
et il n'y avait que des bottes en 41 ou dans des tailles qui ne convenaient pas,
donc j'y suis allé en pataugas,
et c'était une grande erreur.
Là, c'est la fois où on est allés chercher la fourmilière.
Je commence à me couvrir pour éviter les simulies.
Et là on avait creusé...
Quand arrive midi, la colonne de fourmis finit par faire une petite sieste,
pour digérer tout ce qu'elles ont mangé.
Elles se mettent à creuser un nid temporaire.
Et à ce moment-là,
on a creusé autour du nid temporaire.
Je voulais avoir la photo de la reine,
parce qu'il y a 50 millions d'individus dans une colonne de fourmis Magnan,
mais qu'une seule reine qui n'arrête pas de pondre -
elle est comme ça -
et je voulais avoir sa photo.
Seulement au fur et à mesure qu'on avançait en creusant,
évidemment, elles étaient dans le « God save the queen » - Sauvons la reine -
donc elles m'ont toutes sauté dessus,
moi qui étais en avant-poste,
en plus, je n'avais pas les fameuses bottes avec répulsif -
ce qui était une grande erreur.
M. Leroux m'avait transmis un conseil :
« Fais juste attention qu'elles n'arrivent pas à rentrer dans toi,
et pour ça, protège tes orifices. »
Ça consiste à faire gaffe qu'elles ne rentrent pas dans les tympans,
ni dans les trous de nez, ni dans la bouche,
et serrer les fesses,
car elles veulent creuser à l'intérieur,
pour pouvoir surprendre l'adversaire.
(Rires)
J'ai été recouvert de fourmis,
mais ces deux garçons, qui nous [aidaient] à creuser,
m'ont dégagé à temps.
Après, j'ai raclé tout ça avec une machette,
et j'ai obtenu la star :
la photo de la reine.
A partir de là, avec cette documentation,
j'ai refait la première version du roman « Les fourmis » -
j'avais commencé à l'écrire bien avant, à seize ans ;
j'avais choisi ce thème pour une autre raison :
je me disais :
« Quel est le sujet le plus inintéressant qui fera
que personne n'aura envie de le lire ?
- Les fourmis. »
Ça devient un vrai challenge :
si j'arrive à intéresser avec un sujet aussi inintéressant que les fourmis,
a fortiori, ça veut dire que j'ai compris comment raconter une histoire.
J'avais fait une première version que j'ai améliorée avec mon expérience africaine
et cette rencontre avec cette reine fabuleuse que vous voyez là.
Seulement, au fur et à mesure que mon roman grandissait,
je voyais, quand je le faisais lire,
que personne n'arrivait à le terminer,
les gens s'ennuyaient, les histoires de fourmis ne fonctionnaient pas,
et je ne comprenais pas ce qui n'allait pas dans le roman.
Il a fallu une autre expérience un peu extraordinaire, un autre événement,
pour que je finisse par comprendre.
Cet autre événement, c'est une promenade avec un groupes d'amis dans les Pyrénées.
Au début, ça a démarré gentiment.
On était dix-sept,
on est parti à 15 heures et on était censés arriver au refuge à 17 heures.
On est arrivés à 17 heures,
mais dans le refuge, il n'y avait de la place que pour 10.
Donc, les sept suivants, on a décidé de continuer -
vu que j'étais secouriste,
je devais partir avec ce groupe-là.
Il devait y avoir en théorie deux heures de marche -
donc on était censés arriver à 19 heures -
et vers 23 heures,
on y était encore.
Il y avait de l'orage, il s'est mis à pleuvoir,
et en fait on était perdus.
Il faisait nuit.
et là il commençait à y avoir une scission dans le groupe :
une partie du groupe voulait revenir,
une partie voulait continuer,
et on ne savait pas où continuer.
On savait qu'on pataugeait dans une rivière,
qu'il pleuvait - on était tous morts de froid et de fatigue.
On n'arrivait pas à comprendre
comment se tirer de cette situation aussi bête,
en plein juin, sous l'orage, en pleine montagne.
On était complètement démoralisés.
Finalement, on arrive à trouver, vers une heure du matin, le deuxième refuge.
Au moment où on arrive, on est épuisés,
on découvre qu'il n'y a ni nourriture ni chauffage,
on tremble tous de froid, il pleut dehors,
et une des filles de notre groupe se met à avoir une crise d'asthme,
car elle ne supporte pas l'altitude et commence à être par terre à agoniser.
Tous se tournent vers moi : « Bernard, fais quelque chose. »
(Rires)
Son compagnon me dit :
« On ne t'avait pas averti, mais elle ne fait des crises qu'à une certaine altitude
et là, on a dû la dépasser.
- Bon. La solution consiste à ressortir et la redescendre en bas. »
On commence à la prendre, elle fait un petit signe.
En fait, ce signe, c'était pour ses médicaments.
Elle en prend un et, tout de suite, elle va mieux,
mais le groupe était complètement démoralisé.
A ce moment-là, une personne dit : « Si on faisait un concours de blagues ? »
On n'avait pas mangé, on avait froid on avait eu peur de devoir descendre,
il faisait nuit.
« Des blagues, ce n'est peut-être pas le moment.
- Si, si ! On a qu'à faire un concours de blagues. »
Et il nous raconte une blague.
Et cette blague, je vais vous la raconter, telle qu'il l'a racontée.
C'est un jeune homme qui passe son BEPC.
Son père lui dit :
« Vu que tu as réussi ton BEPC, je vais te faire un cadeau.
J'ai envie de t'offrir un vélo. »
« Écoute, papa,
j'adorerais avoir un vélo, mais si tu veux vraiment me faire plaisir,
ce que je préférerais avoir,
c'est une balle de tennis noire. »
« Mais tu ne joues pas au tennis. » « Non. »
« Tu ne veux pas une boîte avec plusieurs balles ? »
« Non, papa. Écoute.
J'ai une raison très précise de vouloir une balle de tennis noire.
Ne me pose pas encore la question,
mais tu vas voir,
c'est la chose qui me fait vraiment plaisir. »
Le fils grandit, puis là, il a son bac.
Le père pour le bac lui propose de lui acheter une moto.
« Papa, c'est vrai, une moto, ça fait rêver les jeunes,
mais si tu veux vraiment me faire plaisir, ce que je préférerais avoir,
c'est une balle de tennis noire. » « Encore ? »
« Écoute, papa, il y a une raison précise et un peu compliquée ;