IV. Agrandissements et embellissements de Paris.
le plan de paris.📷
iv
Agrandissements et embellissements de Paris.
Les quartiers aériens.
Un casino en ballon. — Nuage-Palace. — Un grand couturier. — Le Musée de l'industrie.
Le tramway des beaux-arts. — Photopeintres et ingénieurs
en sculpture.
Vers neuf heures du matin, Barbe et Barnabette réveillèrent Hélène que la fatigue avait fini par endormir.
« Eh bien, paresseuse ! on ne se lève pas ? Et nos promenades ? et notre programme de distractions, ce fameux programme arrêté au collège ?
— Il n'est plus question de promenades pour moi ! répondit Hélène. Vous n'avez pas entendu ce que m'a dit hier mon tuteur ? j'ai huit jours pour me choisir une carrière… Il me faut travailler…
— Et nous aussi ; mais, en attendant, nous avons un peu de vacances ! tu as huit jours à toi, nous les emploierons en promenades… Ce n'est pas en restant ici que tu la trouveras, ta carrière… Nous partons dans une heure !
— J'ai une migraine atroce…
— C'est par le grand air que tu la traiteras. Tu as une heure pour faire ta toilette et déjeuner sommairement… Nous laissons là notre uniforme de lycéennes et nous endossons une petite toilette de jeune fille sérieuse, bien simple, bien modeste, en attendant celles que nous irons dès aujourd'hui commander chez Mira, le grand couturier à la mode. »
Lorsque Hélène, coiffée, habillée et prête à sortir, entra dans la salle à manger, elle trouva les meubles mis de côté et tout le milieu de la pièce occupé par une immense carte étendue à terre.
« Qu'est-ce que cela ? demanda-t-elle en riant.
— Tu vois, nous faisons de la stratégie, nous préparons nos opérations… nous potassons notre petit plan de Paris ! …
au sommet de l'arc de triomphe.📷
— Il est immense, votre petit plan…
— Six mètres sur six ! Il n'en faut pas moins pour un plan détaillé et complet… celui-ci est le dernier paru, il est au courant des derniers arrangements et des embellissements…
— Ah ! les embellissements ! dit Barnabette. Pendant les huit années que nous avons passées au lycée, il paraît que des changements énormes et de merveilleux embellissements ont été opérés… nous sommes des provinciales, puisque nos dix journées de vacances annuelles nous les passions aux bains de mer.
— Paris s'est encore agrandi pendant ce temps-là… Papa me disait qu'il y a dix ans Chantilly était encore hors barrière, en province… maintenant, c'est un faubourg…
— Et Rouen qui vient d'être annexé !
— Vers l'est, Paris ne va que jusqu'à Meaux…
— Nous verrons tout cela ! nous prenons un aérocab et nous volons d'abord chez le couturier. Aidez-moi donc à plier le plan…
— Nous l'emportons ? demanda Hélène.
— Certainement, nous pouvons avoir besoin de le consulter. »
Après un déjeuner rapide, les trois impatientes jeunes filles, laissant un adieu pour M. Ponto dans leur phonographe, montèrent dans l'ascenseur qui les porta en moins de rien au belvédère de l'hôtel.
Un aérocab les attendait. Sans même consacrer une minute au superbe panorama que l'oeil embrassait de la plate-forme de l'hôtel, les jeunes filles s'installèrent dans le véhicule après avoir jeté l'adresse du couturier au mécanicien.
Mira, le grand couturier, avait son hôtel ou plutôt son château à Passy, non loin des hauteurs du Trocadéro, reliées à la plate-forme de l'arc de triomphe par un nouveau quartier aérien. L'aérocab fila en droite ligne par-dessus les ponts superposés de la Seine, les viaducs doubles et triples, construits pour les différents tubes, ces artères qui mènent et promènent sans cesse, du coeur aux extrémités de la France, des flots mouvants de voyageurs.
L'aérocab en approchant de Passy descendit à une altitude de soixante quinze mètres et modéra son allure. Depuis que le grand problème de la direction des aérostats a été victorieusement résolu, un changement des plus importants dans l'architecture des maisons a été imposé par l'importance de plus en plus grande de la circulation aérienne. Jadis on entrait dans les maisons par en bas et les beaux appartements se trouvaient aux étages inférieurs. Les étages supérieurs et les mansardes étaient pour les petites gens. Nous avons changé tout cela. Ce qui était naturel et logique pour nos bons et pédestres aïeux, ces gens si terre à terre, devenait impossible pour nous. On entre maintenant dans les maisons par en haut, bien que forcément l'entrée du rez-de-chaussée ait été conservée pour les piétons. On n'a pas pour cela deux concierges, ce qui eût été loin de constituer un progrès ; on n'en a qu'un seul, logé sur le toit, dans le belvédère d'arrivée même ou sous le belvédère ; ce concierge aérien communique avec l'entrée inférieure par un téléphonographe, moyen de communication très suffisant
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sur les toits
pour dire à un visiteur : au deuxième, la porte à gauche ! mais avec lequel les cancans sur les épouses des locataires peuvent être dangereux.
Les grands appartements sont aux étages supérieurs, le plus près possible des toits ; dans les grandes maisons, les principaux locataires ont leurs belvédères particuliers ou de petits belvédères-balcons. Naturellement, les maisons sont numérotées en haut comme en bas et des plaques indicatrices, élevées sur des poteaux, portent les noms des rues en caractères suffisamment gros pour être lus à vingt-cinq mètres en ballon. 📷
Une création
de Mira.
M. Mira était chez lui. De leur aérocab, les jeunes filles aperçurent sur sa terrasse le pontife de l'élégance, en train de reconduire des clientes. M. Mira, fournisseur habituel de Mme Ponto, était prévenu.
« Permettez-moi de vous étudier un instant, dit-il aux jeunes filles dès les premiers mots, montez, je vous prie sur ce piédestal, ayez l'obligeance de lever la tête… baissez la !… Soyez assez aimables pour lever les bras… marchez ! tournez-vous ! je vous demande encore deux minutes… le temps de laisser venir l'inspiration… Bien ! très bien ! je la tiens ! entrez dans ce salon, et amusez-vous à examiner mes dernières créations pendant que je vais causer avec mes collaborateurs et jeter mes idées sur le papier… »
M. Mira n'avait pas volé son immense et universelle réputation ; les jeunes filles en furent convaincues aux premiers regards jetés — avec respect — sur les créations du grand artiste. M. Mira était complet. C'était à la fois un homme d'imagination et un homme d'érudition, un poète et un archéologue. À côté de toilettes sorties tout entières du cerveau du grand homme, des costumes de styles historiques variés attestaient la sûreté de son goût et l'étendue de son savoir.
Sans que l'on s'en doute, les progrès de la science et les nouvelles idées politiques et sociales sont pour quelque chose dans les variations de la mode. La navigation aérienne et la déclaration solennelle des droits de la femme ont collaboré avec Mira pour amener les modes semi-masculines actuelles. Les longues jupes de nos grand'mères étaient par trop incommodes pour monter en aérostat, et de plus, les femmes d'opinions avancées les considéraient comme les symboles de l'antique esclavage ; après quelques années de lutte mouvementée entre jupes longues et jupes courtes, ces dernières triomphèrent et le costume semi-masculin fut adopté par toutes les femmes.
L'imagination des couturiers, et en particulier celle de l'immense Mira, trouva des modèles charmants. Les femmes portèrent des jupes très courtes relevées sur des culottes de velours de soie, sur des molletières de cuir de Russie brodé d'arabesques ; les grandes élégantes arborèrent les toilettes archéologiques, des costumes Louis xvi, Louis xiii, ou moyen âge, ou 1830, toujours arrangés et masculinisés. Le champ de l'histoire est vaste : en poussant ses recherches vers la mode archéologique, M. Mira répondait au goût actuel universellement porté vers la science, et faisait d'heureuses trouvailles d'ajustements oubliés, de dessins pleins d'intérêt.
M. Mira rejoignit ses clientes après un petit quart d'heure.
« C'est fini, dit-il aux jeunes filles ; je n'ai pas abordé pour vous l'archéologie pure, je suis resté dans le domaine de la fantaisie historique. J'ai trois costumes à faire pour chacune de vous, j'en vois deux en fantaisie pure et un en fantaisie historique. Les croquis sont faits et les ordres donnés.
— Déjà ! fit Barnabette ; et peut-on voir les croquis ?
— Oh ! impossible ! répondit Mira, jamais je ne montre de croquis à mes clientes ! de deux choses l'une : ou elles me feraient des remarques et des observations, ou elles n'en feraient pas ; si elles n'en font pas, leur faire voir les croquis est inutile et si elles en font, cela gêne la verve, cela refroidit l'imagination ! Vous recevrez les toilettes dans trois jours ! »
Il était inutile d'insister.
Les jeunes filles s'inclinèrent devant le maître et reprirent leur aérocab.
« Et maintenant, dit Barnabette, tout à la promenade ! Mécanicien, à l'Arc de triomphe ! »
De grandes transformations venaient de bouleverser ce quartier de Paris. Depuis longtemps la place manquait dans le Paris central ; la nombreuse population qui ne peut s'envoler vers les quartiers éloignés, vers les faubourgs charmants qui s'allongent en suivant les méandres de la Seine jusqu'à Rouen, la vieille capitale normande devenue faubourg de Paris, ne trouvait plus à se loger, bien que les maisons eussent gagné considérablement en hauteur. Dix ou douze étages à chaque maison ne suffisant plus, il fallait prendre de plus en plus sur le ciel.
Des spéculateurs hardis ont acheté l'Arc de triomphe et le Palais construit au dernier siècle sur les hauteurs du Trocadéro ; un tablier de fer colossal, soutenu de distance en distance par des piliers de fer portant sur des cubes de maçonnerie, a été jeté du sommet de l'Arc de triomphe aux deux tours du Trocadéro, par-dessus tout un quartier. — La place de l'Étoile, couverte entièrement, a été convertie en jardin d'hiver. Au-dessus, c'est-à-dire directement sur l'Arc des batailles, un immense palais s'est élevé, portant à des hauteurs inusitées ses pavillons et ses tours. 📷
La fin des robes
longues.
Ce palais est un grand hôtel international ; il contient dix mille chambres ou appartements, réunissant l'élégance parisienne au confortable comme on l'entend dans les cinq parties du monde. L'hôtel international symbolisant, pour ainsi dire, l'union des peuples, les architectes, pour rester dans la donnée, ont voulu tenter l'union des styles. Extérieurement et intérieurement, l'hôtel international réunit dans un ensemble grandiose et harmonieux, les architectures de tous les peuples : l'édifice central est européen, l'aile gauche, asiatique et américaine, l'aile droite, africaine et océanienne. Des annexes, des pavillons, des kiosques servent de traits d'union pour passer des styles généraux aux styles intermédiaires ou particuliers. De cette façon, les voyageurs retrouvent, en arrivant, les lignes de leur architecture nationale et ne sortent pour ainsi dire pas de leurs habitudes. Inutile de dire que la cuisine, comme tout le reste, est internationale ; des touristes esquimaux trouveraient au besoin du lait de renne et des plats à l'huile de foie de morue.
De l'Arc de triomphe au Trocadéro court, sur des piliers, un superbe jardin suspendu, un parc aérien réservé aux voyageurs de l'hôtel et aux habitants de l'édifice encore plus aérien que nous allons décrire ; car les architectes ne se sont pas contentés de la construction du gigantesque hôtel qui, jusqu'aux premières nuées, porte des coupoles et des tours. Ils ont voulu faire, en grand, de l'habitation aérienne et ils ont admirablement réussi.
Quand on ne trouve plus de terrain pour construire, il reste le pays des nuages, comme disent poétiquement les aéronautes ; pays charmant, qui est à tout le monde, qui ne coûte pas 5,000 francs le mètre et où l'on n'est pas gêné par les questions de voirie, d'alignement ou de mitoyenneté ; pays admirable et sain, supérieurement ventilé, incessamment balayé par les courants atmosphériques, qui entraînent au loin toutes les impuretés dont souffrent les poumons des simples terriens des villes.
Tout en haut, dans ce pays des nuages, à cent cinquante mètres au-dessus du jardin suspendu, se balance un gigantesque aérostat captif, composé de globes gonflés de gaz, attachés à une sorte de grand champignon, selon un système nouveau qui donne à tout l'ensemble une stabilité presque complète, en neutralisant, par des tuyaux et des tubes à vannes, les courants de l'atmosphère.
Ce gigantesque assemblage de globes captifs supporte, au lieu de nacelle, un grand édifice de forme allongée, construit légèrement mais solidement, sur quatre étages terminés par une terrasse, avec rotonde au centre et pavillons plus élevés aux deux extrémités. L'édifice contient un cercle, une salle de roulette, un café-restaurant, une salle de concerts et quelques appartements.