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Les mots de l'actualité, EFFACER   2010-02-19

EFFACER 2010-02-19

Un voyage-éclair pour Nicolas Sarkozy en Haïti : quelques visites s'enchaînent, et on annule la dette ; l'une des façons d'aider le pays sinistré à se rétablir après la catastrophe. Mais c'est le vocabulaire qui étonne ; pourquoi effacer ? L'image est fréquente ; elle n'a pas été inventée pour l'occasion, ni par le président de la République, ni par le journaliste qui rend compte de sa proposition. En effet, on efface une dette quand on l'annule, qu'on la supprime. C'est le privilège du créancier d'avoir cette générosité envers celui qui lui doit quelque chose. D'un mot, il peut faire que cette dette n'existe plus. C'est donc un genre de cadeau par défaut : on ne donne rien de positif, mais on enlève du négatif. Cette image de l'effacement, on la retrouve dans d'autres formules : « on passe l'éponge » par exemple. Cela correspond à une vieille pratique qui consiste à inscrire quelque part la dette : il y a une trace de ce qu'on doit et de ce qu'on rend, trace d'ailleurs assez officielle, d'autant plus importante que la tradition remonte à des cultures où l'écrit est rare, où peu de gens lisent et écrivent. On marque le coup en inscrivant quelque part ce qui est dû. Par ailleurs, on se souvient de la métaphore de l'ardoise ; c'est souvent sur ce support qu'on écrit les sommes qui ne sont pas encore payées. Et justement la pratique de l'ardoise est particulière ; il ne s'agit pas d'écrire quelque chose une fois pour toutes, mais de le noter provisoirement, jusqu'à ce que l'affaire soit réglée. Un coup de chiffon, et on peut repartir à zéro. L'ardoise est conçue pour être effacée, quel qu'en soit le motif, remboursement ou beau geste du créancier. Le symbole est donc fort : effacer n'est pas régler. D'une certaine façon on pense à l'amnistie, cet oubli judiciaire qui fait qu'on refabrique la mémoire de façon délibérée. On élimine certains événements pour faire comme s'ils ne s'étaient jamais produits, comme si la clémence avait cette toute-puissance de refaire l'histoire, ou tout au moins d'interdire qu'on fasse une quelconque référence à ce qui s'est passé. Effacer la dette est un peu du même tonneau : on supprime la trace, donc le souvenir.

Sous ces airs modestes, le verbe effacer a donc un sens très fort : il évoque une disparition totale. On s'en sert parfois dans un style un peu argotique, comme synonyme de tuer, d'assassiner. Très concrètement, la pratique a pu s'en retrouver à l'époque stalinienne par exemple, lorsque des photos étaient retouchées pour faire disparaître des personnalités importantes. On pouvait ainsi faire comme si elles n'avaient pas existé. Coproduction du Centre national de Documentation Pédagogique. http://www.cndp.fr/

EFFACER   2010-02-19 LÖSCHEN 2010-02-19 DELETE 2010-02-19 УДАЛИТЬ 2010-02-19

Un voyage-éclair pour Nicolas Sarkozy en Haïti : quelques visites s'enchaînent, et on annule la dette ; l'une des façons d'aider le pays sinistré à se rétablir après la catastrophe. Mais c'est le vocabulaire qui étonne ; pourquoi effacer ? L'image est fréquente ; elle n'a pas été inventée pour l'occasion, ni par le président de la République, ni par le journaliste qui rend compte de sa proposition. En effet, on efface une dette quand on l'annule, qu'on la supprime. C'est le privilège du créancier d'avoir cette générosité envers celui qui lui doit quelque chose. D'un mot, il peut faire que cette dette n'existe plus. C'est donc un genre de cadeau par défaut : on ne donne rien de positif, mais on enlève du négatif. Cette image de l'effacement, on la retrouve dans d'autres formules : « on passe l'éponge » par exemple. Cela correspond à une vieille pratique qui consiste à inscrire quelque part la dette : il y a une trace de ce qu'on doit et de ce qu'on rend, trace d'ailleurs assez officielle, d'autant plus importante que la tradition remonte à des cultures où l'écrit est rare, où peu de gens lisent et écrivent. On marque le coup en inscrivant quelque part ce qui est dû. Par ailleurs, on se souvient de la métaphore de l'ardoise ; c'est souvent sur ce support qu'on écrit les sommes qui ne sont pas encore payées. Et justement la pratique de l'ardoise est particulière ; il ne s'agit pas d'écrire quelque chose une fois pour toutes, mais de le noter provisoirement, jusqu'à ce que l'affaire soit réglée. Un coup de chiffon, et on peut repartir à zéro. L'ardoise est conçue pour être effacée, quel qu'en soit le motif, remboursement ou beau geste du créancier. Le symbole est donc fort : effacer n'est pas régler. D'une certaine façon on pense à l'amnistie, cet oubli judiciaire qui fait qu'on refabrique la mémoire de façon délibérée. On élimine certains événements pour faire comme s'ils ne s'étaient jamais produits, comme si la clémence avait cette toute-puissance de refaire l'histoire, ou tout au moins d'interdire qu'on fasse une quelconque référence à ce qui s'est passé. Effacer la dette est un peu du même tonneau : on supprime la trace, donc le souvenir.

Sous ces airs modestes, le verbe effacer a donc un sens très fort : il évoque une disparition totale. On s'en sert parfois dans un style un peu argotique, comme synonyme de tuer, d'assassiner. Très concrètement, la pratique a pu s'en retrouver à l'époque stalinienne par exemple, lorsque des photos étaient retouchées pour faire disparaître des personnalités importantes. On pouvait ainsi faire comme si elles n'avaient pas existé. Coproduction du Centre national de Documentation Pédagogique. http://www.cndp.fr/