MUSELIÈRE 2009-01-22
Une séance houleuse, mouvementée, au Palais-Bourbon, à Paris, avant-hier soir : la réforme du travail parlementaire fait craindre à l'opposition un amoindrissement, un rétrécissement de ses capacités d'expression. Alors, certains députés de l'opposition sont mécontents et le font savoir. On déclarait hier que les députés ne se laisseraient pas museler.
Les muselières sont faites pour les animaux, et pas pour tous : pour les animaux méchants. Pour défendre la liberté d'expression, on refuse donc les muselières. Une muselière est un objet qui emprisonne, qui immobilise le museau d'un chien et le rend inoffensif. On est sûr qu'il ne pourra pas mordre. Mais quand on parle de museler la presse, le Parlement, l'opposition, le sens est bien évidemment différent. Même l'image de départ ne semble pas être la même. Une muselière empêche de mordre. Elle empêche également d'aboyer, et c'est bien cela qu'on retiendra. Si on musèle un personnage politique, c'est qu'on l'empêche de donner de la voix, de dire ce qu'il a à dire avec la véhémence qu'il souhaite. Autrement dit, on le réduit au silence.
Et il est toujours extrêmement péjoratif de parler d'une presse ou d'une opposition muselée. On sous-entend qu'elles ont été matées par un pouvoir qui ne voulait pas entendre de voix trop dérangeantes. Une image assez semblable est celle de la presse bâillonnée. Le bâillon est un objet qu'on met sur la bouche de quelqu'un pour lui interdire de parler. En général, il s'agit d'un foulard, un chiffon, un morceau de tissu quelconque, encore qu'on puisse bâillonner quelqu'un avec la main, ou même recourir à cet instrument qu'on mettait à l'intérieur de la bouche, et dont le nom seul fait frémir, la poire d'angoisse. Mais le mot n'est plus usité, non plus que la chose. Différence nette avec la muselière, ces derniers instruments ne sont pas pour les chiens, ils ont été conçus pour les hommes. C'est peut-être pire, penserez-vous, mais au moins ça n'a pas le caractère méprisant qu'ont toutes ces images qui comparent des hommes aux chiens. Même si c'est le meilleur ami de l'homme, cet animal a toujours avec son maître des rapports de telle obéissance, et souvent de telle servilité, qu'ils sont toujours gênants quand on les transpose dans des rapports entre êtres humains. On retrouve cela dans d'autres formules. On dit par exemple qu'une opposition peut être tenue en laisse. Cela implique que sa liberté est surveillée, contrôlée, qu'elle a un champ d'action et de parole très réduit, qu'à tout moment on peut d'un coup sec la ramener plus près de soi. Enfin – et c'est peut être encore plus cinglant – on peut entendre dire que l'opposition est à la botte du pouvoir. De nouveau, on voit le maître et son chien. Mais cet accessoire nouveau de la botte fait davantage ressortir la différence d'état entre les deux. Pourquoi la botte ? Cela fait penser au chasseur, peut-être au soldat, voire au cavalier. En tout cas, c'est non seulement très masculin, mais très impérieux. Et cela évoque un pouvoir absolu de l'homme sur la bête, qui vient « aux pieds » et reconnaît qu'elle est dominée. Coproduction du Centre national de Documentation Pédagogique. http://www.cndp.fr/