La mystérieuse armée de terre cuite du 1er empereur chinois (1)
Mes chers camarades bien le bonjour !
Depuis le début de l'année, on a commencé un voyage au cœur de l'Histoire de la Chine.
Ce que je vous propose aujourd'hui, c'est de nous attaquer à un monument de l'archéologie
chinoise : la tombe du Premier Empereur de Chine et sa fameuse armée en terre cuite.
Alors, autant prévenir que d'ici la fin de la vidéo, vous n'aurez plus du tout envie d'entendre
parler de la « Momie 3 » avec Jet Li. Déjà parce que c'est pas ouf et ensuite parce comme toutes
découvertes célèbres, nous allons profiter de ce sujet pour revoir les faits historiques, mettre au
clair certains points et évidemment défoncer des idées reçues. Et y'en a quelques-unes…
Juste pour vous mettre dans l'ambiance, il faut le savoir avant de commencer, on ne déconne
pas avec cette tombe ! Quand les petits soldats voyagent à l'occasion d'expositions temporaires,
il s'agit d'en prendre soin. Et surtout de ne pas faire comme un certain Michael Rohana.
Un soir de décembre 2017, au Franklin Institute à Philadelphie (Etats-Unis), où l'armée est exposée
depuis quelques mois, ce jeune troubadour de 24 ans s'échappe d'une fête de Noël pour s'immiscer
en pleine nuit au cœur de l'exposition. Bien torché, il fait quelques selfies,
et puis décide de ramener un petit souvenir en cassant le pouce de l'une des statues.
Imaginez l'incident diplomatique pour une phalange estimée à 4,5
millions de dollars ! Le dommage est irréparable, et autant dire que ce
n'est pas demain la veille que l'armée reviendra en Occident. Merci Michael !
Donc en attendant de pouvoir aller les observer en Chine et faire comme tous
les chefs d'États un petit selfie devant l'armée,
on va revenir à une époque hyper importante dans l'histoire de la Chine : lorsque celle-ci
est unifiée au 3ème siècle avant notre ère. D'ailleurs, je vous le dis pour faire simple,
toutes les dates dans cette vidéo sont avant l'Ere commune. Allez, c'est parti !
Notre histoire commence avec la période dite des « Royaumes-Combattants » qui
s'étend du 5ème s. à 221. Son nom est déjà utilisé dans les textes de l'antiquité pour
désigner une phase durant laquelle un certain nombre de royaumes indépendants
se tapent dessus pour essayer d'être le meilleur. Resituons pour comprendre.
En ces temps lointains, régnait la dynastie des Zhou Orientaux (-771-221). Le pouvoir
royal gouverne un territoire qui n'est pas du tout celui de la Chine actuelle. Il se
cantonne aux territoires situés, en gros, du nord du fleuve jaune jusqu'au fleuve bleu.
Mais voilà, au fur et à mesure du temps, le roi des Zhou commence à perdre en légitimité pour
gouverner. Les vassaux commencent à se forger des territoires de plus en plus puissants :
ils deviennent les hégémons qui vont être maîtres de larges fiefs.
Hégémons comme hégémonique, le fait d'avoir un grand pouvoir dans l'État.
A l'image des Lannister, des Stark, des Tyrels dans Game of Thrones,
les grandes puissances s'affrontent entre elles, créent des alliances, se trahissent,
se font la guerre. Ce qui me donne envie de revoir toute la série au passage,
même la saison 8 ! Comme le souligne Jean Lévi, un orientaliste spécialisé sur la Chine,
les guerres de plus en plus fréquentes vont bouleverser les rapports sociaux et pousseront
à un encadrement sévère des populations dans un réseau administratif aux mailles extrêmement
serrées. De grandes personnalités comme Confucius, Mencius, Sun Zi y voient le jour.
Au tournant du 3ème siècle, les maisons centrales, que sont les Wei, Han, Song,
Qi et Yan située au cœur de la Chine, vont petit à petit perdre en importance au profit de deux
grands Etats : les Chu sur le fleuve Bleu, et les Qin, le long de la boucle du Fleuve Jaune.
L'histoire des Qin remonte dès la haute antiquité.
Étant donné leurs positions près des frontières naturelles avec la steppe,
ils ont souvent été appelés par la maison royale des Zhou pour protéger le cœur du royaume.
Au fur et à mesure du temps, ils se renforcent notamment en réorganisant leurs administrations,
s'enrichissant par l'agriculture et le commerce et surtout en appliquant une
discipline générale basée sur le système de la méritocratie. Les fonctionnaires, généraux,
nobles forment les nouvelles élites qui écartent la vieille aristocratie,
et accèdent aux postes clés du pouvoir par le résultat de leurs exploits. Si
tu ne fais pas du bon boulot, faut pas te faire trop d'espoir quoi !
Au troisième siècle avant , un certain Zi Chu règne sur Qin jusqu'en 246 av. notre
ère. A sa mort, succède son fils Ying Zheng : le futur Premier Empereur. N'ayant que 13 ans,
le pouvoir est entre les mains de son tuteur et homme influent, Lü Buwei. Ce dernier fera
beaucoup pour asseoir la domination des Qin sur les autres États. D'une certaine façon, il est
le premier à vouloir unifier les royaumes sous la seule bannière des Qin. A sa mort Ying Zheng,
maintenant âgé de 21 ans, assume pleinement ses fonctions de roi et s'impose par la force et la
ruse auprès des fiefs voisins qu'il parvient à unifier en 221 av. notre ère. C'est alors qu'il
change son titre de roi (Wang) pour celui de Qin Shi Huangdi, « Premier Auguste Souverain des Qin».
Pour que vous vous fassiez une idée du bonhomme, je vous propose d'écouter la très
belle description que nous trouvons dans « Les Mémoires Historiques » rédigés par Sima Qian,
historien à la cour impériale des Han (celle qui succède aux Qin), un siècle plus tard :
« Le roi de Qin est un homme au nez proéminent, aux yeux larges, à la poitrine d'oiseau de proie ;
il a la voix du chacal ; il est peu bienfaisant et a le cœur d'un tigre
ou d'un loup. Tant qu'il se trouve embarrassé, il lui est facile de se soumettre aux hommes ;
quand il aura atteint son but, il lui sera également aisé de dévorer les hommes. »
Voilà, donc sur Tinder, ce n'est pas tellement le profil qui déclenche des rencards !
Le Premier Empereur conduit une politique d'unification du monde. Depuis sa capitale
Xianyang, le long de la rivière wei, il fait venir 120 000 familles venant de tout
l'Empire. Alors qu'on le rappelle, jusqu'à il y a peu, c'était la baston générale ! Imaginez
l'impact social de ce brassage culturel de familles qui se détestaient entre elles. Je
peux vous dire que dans les tavernes ça devait dégénérer régulièrement !
C'est sûr, il y avait beaucoup de travail pour donner une harmonie à des territoires
qui s'affrontaient depuis des siècles. Au-delà de ça, il unifie la taille des essieux de chars
(et donc des routes) pour assurer une meilleure communication, régularise les
poids et les mesures, harmonise les monnaies, simplifie l'écriture pour l'envoi de courriers
et forme une longue ligne défensive au nord destinée à repousser les menaces de la steppe.
Sa politique est portée par le légisme, une philosophie qui se base sur le respect d'un
code pénal stricte et que son ministre, Li Si, fait appliquer à la règle.
Disons que cette doctrine ne fait pas bon ménage avec les autres courants de
pensées qu'il décide de censurer en 213 av. notre ère. après qu'un
confucéen décide lors d'un banquet de remettre en cause sa politique.
Qui dit censure, dit autodafé, et assassinats. D'ailleurs, il est victime de plusieurs tentatives
d'assassinats, comme cela est habilement montré dans le film Hero avec Jet Li.
L'Empereur, arrivé au sommet, craint plus que tout la mort et par tous les moyens,
il veut lutter contre. C'est pourquoi il se décide à claquer un pognon de dingue dans des
campagnes destinées à obtenir le fameux élixir de l'immortalité. L'alchimiste Xu Fu, est envoyé
en plein dans la Mer de l'Est à la recherche des îles où vivent les immortels et où il est
possible de se procurer ce breuvage. Accompagné de plusieurs milliers de personnes, Xu Fu ne revient
jamais. En réalité il s'est barré au Japon oui...Bref, d'autres alchimiste lui préconisent de
manger des « perles rouges » de cinabre, autrement dit, du sulfure de mercure. Un super conseil qui
le conduit très certainement à sa mort, lors d'une inspection générale des commanderies impériales,
le 10 septembre 210 ! Son inhumation est à l'image de son règne : unique et gigantesque.
On a un peu trop souvent tendance à dire que la découverte de la tombe de l'empereur,
au XXème siècle, se fait au temps de l'époque Maoïste. Mais en fait,
c'est le sinologue et archéologue Victor Segalen qui est le premier
à dresser une description très précise de l'extérieur du mausolée impérial. Il fait
des relevés topographiques du site et réalise plusieurs photographies.
Mais il faudra attendre 1974, pour que le monde entier s'intéresse à ce complexe funéraire. Un
beau jour de mars en plein soleil, au cœur du village de Xiyang, Yang Zhifa et ses cinq frères
creusent un puits et dégagent des pointes de flèches et des briques de terre cuite.
Sur le moment, je ne vous cache pas que personne ne se préoccupe vraiment de la
découverte. On utilise même des briques pour en faire des oreillers. Parce que
oui, en Chine la literie peut être composée de lits, d'oreillers et de couvertures en
BRIQUES. Moi qui aime bien les matelas un peu durs, faudrait que j'y pense ! Yang
Zhifa apporte en charrette au district local ce qui sera les premiers fragments
de l'armée en terre cuite et les vend pour la modique somme de 10 yuan, soit 1,28€.
Un bon prix. En mai 1974 (soit trois mois après),
une mission archéologique se rend sur les lieux et commence à dégager ce qui sera la fosse de
l'armée. Les fouilles s'étendent rapidement pour englober plus de 20 000m² de surface, et livrent
des découvertes dont on va maintenant parler.
L'immense complexe funéraire est aménagé au pied du Lishan,
le « mont du Cheval noir ». Il s'étend sur une surface approximative de 60
km² à environ 36 kilomètres à l'est de Xi'an, la capitale régionale du Shaanxi.
Premier cliché à casser : l'armée en terre cuite, malgré sa célébrité,
ne représente qu'un tout petit morceau du complexe funéraire, et elle ne se trouve pas du tout dans
l'enceinte sacrée. Elle est située à 1,2km à l'Est de cette enceinte où se trouve la grande majorité
des ensembles dédiés à la mort du souverain. Et c'est par là que nous allons commencer.
Ce complexe funéraire est appelé « Jardin funéraire (lingyuan), il s'agit du saint
des saints orienté sud-nord, protégé par trois enceintes fortifiées construites en blocs de
pisés, qui avaient la même fonction architecturale que les forteresses.
C'est tout autant un lieu de mort que de vie en constante activité, car cette zone est avant
tout un gigantesque chantier de constructions qui dure plus de 37 années, et qui accueille
plusieurs milliers de personnes par jour ! En gros c'est une « ville ». Alors, pendant tout
ce temps, il fallait bien loger les fonctionnaires et même les soldats pour protéger le lieu mais
aussi les ouvriers, à l'extérieur de l'enceinte bien évidemment, faut pas déconner quand même !
On y trouve aussi des bureaux pour recevoir les offrandes, une immense salle à banquets,
une nécropole pour les concubines sacrifiées…
….Ah oui désolé, je ne vous avais pas prévenu pour les concubines sacrifiées… et on y installe
aussi la fameuse salle du repos. C'est le temple de l'Auguste Empereur. Du temps de son vivant,
on y exposait dans cette salle son sarcophage. A sa mort, son corps est exposé au cœur du temple,
avec ses affaires personnelles pour que le monde entier viennent
se recueillir et faire des prières devant sa dépouille, un peu comme avec le Pape.
Lorsque le sarcophage est enfin scellé, celui-ci est transporté à la chambre funéraire proprement
dite. Elle est coiffée d'une pyramide à degrés, élevée sur un plan quadrangulaire (un peu comme
à Saqqara, pour les fans de l'Egypte) et qui pouvait atteindre les 87 mètres de haut.
Voilà ! Comme ça, c'est bien visible pour tout le monde, et toute personne qui décide
d'y promener son chien d'un peu trop près risque de se prendre une flèche. Surtout
que l'Empereur n'a pas choisi l'endroit par hasard. Sa tombe fait face à un axe