L'Empire chinois a t-il rencontré l'Empire romain ? - Les routes de la Soie (2)
pour relier l'Italie à l'Espagne en traversant notre très chère Gaule, ou encore les « voies
royales » désignant les routes de pouvoir des Perses Achéménides, qu'il convenait
d'emprunter pour toutes opérations militaires ou diplomatiques d'envergures.
On a aussi un certain Isidore de Charax, au Ier siècle avant notre ère, originaire d'une
ville située le long du Tigre fondée par Alexandre le Grand, qui s'occupe de décrire
un itinéraire connu sous le nom de « Stations Parthiques ». Il présente les étapes principales,
ou plutôt officielles, reliant, au sein de l'Empire Parthe, la ville de Zeugma (près
de Nizip, actuelle Turquie) à Alexandropolis (actuelle Kandahar, Afghanistan).
Alexandropolis qui vient d'Alexandre le Grand parce que oui, Alexandre aimait bien
nommer les villes qu'il a fondé avec son nom, ce qui a légèrement compliqué la tâche
aux archéologues pour les identifier ! Bref, sur cet itinéraire, pas de nom de routes.
Rien à propos de la soie ni même d'une voie générale reliant l'Asie centrale
à la Méditerranée.
La table dite de « Peutinger », aujourd'hui conservée à la bibliothèque autrichienne
de Vienne, est une copie du 13ème siècle d'une ancienne carte romaine peinte à Rome
sur le portique de Marcus Vipsanius Agrippa (64 -12 av. J.-C.), ami personnel de l'empereur
Auguste, en l'an 12 de notre ère.
On y trouve une représentation très concrète du cursus publicus, autrement plus connu par
le service de poste impérial qui assurait les échanges administratifs au sein de l'Empire
romain. Et on savait que les romains savaient faire des routes directes pour économiser
du temps de transport ! Ici, ce n'est pas une, mais plusieurs centaines de routes qui
sont nommées, divisées en segments et couvrant un itinéraire complet d'environ 200 000km.
Ça fait beaucoup ! Et tout à droite du rouleau, on trouve le toponyme : Sera Major ou « Métropole
de la Soie », située à proximité d'une mer.
Même là il n'y a donc pas de « Routes de la Soie ». En fait, l'idée même d'une
route unique permettant de relier les deux grands pôles de l'Eurasie n'était tout
simplement pas envisageable pour les populations anciennes. La route de la Soie, c'est une
conception moderne et étonnement on le doit au cercle des géographes allemands du 19ème
siècle, à un moment où les tensions entre la chine à l'occident sont de plus en plus
grandissantes Le « long XIXe siècle » marque un tournant
dans les rapports avec l'Empire Céleste. Dans ce pays comme ailleurs (Egypte, Inde…),
la fin des guerres napoléoniennes attire l'Empire britannique vers l'Est, ce qui
favorise grandement l'ouverture d'accords commerciaux entre les puissances occidentales
et les asiatiques.
En 1842, la Chine et le Royaume-Uni signent les accords commerciaux du « Traité de Nankin
». C'est ce qui marque la fin de la première guerre de l'opium et simplifie énormément
l'accès à ce pays jusqu'alors réservé à quelques-uns. Les concessions britanniques,
notamment Hong-Kong, vont permettre à de nombreux voyageurs occidentaux d'étudier,
de commercer et de s'enrichir en Chine.
Peu à peu, plus de 12 000 européens vivent en Chine sur un territoire partagé par les
russes, les anglais, les français... Ils vivent dans une position sociale élevée,
jouissant de nombreux droits et cette présence forte ne fait qu'amplifier des rapports
par toujours évident entre les deux civilisations. Une sorte de mélange de méfiance et d'incompréhension
qui conduit à des élans de xénophobie de la part des chinois.
Cette tension atteint son maximum avec le pillage par les troupes françaises et anglaises
du Palais d'Eté des empereurs Mandchous (Yuanmingyuan ; 火燒圓), celui-là même
qui, ironiquement, fut en partie édifiée avec l'aide des jésuites français et italiens
au cours du 18ème siècle.
Là, pour les chinois, c'est un peu la goutte d'eau !
C'est dans ce contexte si particulier, qu'en Allemagne, naît le terme de « Seidenstraße
», autrement dit “Route de la soie”. Ce terme, tout le monde pense que c'est
le Baron Ferdinand Von Richthofen (1833-1905) qui en est à l'origine en 1870. Et je dis
bien tout le monde ! On retrouve cette info autant dans les travaux scientifiques (sauf
quelques-uns bien sûr) que dans les grandes vulgarisations.
Mais en fait, et comme toutes choses quand on creuse un peu, non seulement l'appellation
existe plus tôt mais dans un contexte bien particulier.
Un certain Karl Ritter (1779-1859), le père de la Géographie moderne, s'intéresse
avant lui à une micro-histoire humaine des échanges en Asie centrale. Et oui, l'Asie
centrale, c'est à mi-chemin entre l'Occident et l'Asie, une véritable plaque tournante
des relations humaines entre ces deux civilisations depuis la lointaine Antiquité. En 1832, il
fait alors, et sans doute pour une des premières fois de l'histoire de notre monde, emploi
de ce terme, « Routes de la Soie ». Sûrement pour faire référence à la route qu'empruntaient
les marchands le long d'une route terrestre qui reliait la Chine à la mer Caspienne.
Vient ensuite notre cher Baron Ferdinand Von Richthofen, qui sera grandement influencé
par les travaux de Ritter et deviendra à vrai dire, pas l'inventeur, mais bien le
principal propagateur du terme “Route de la Soie” dès les années 1870. Et il faut
qu'on en parle un peu de ce bonhomme ! Né à Carlsruhe, en Pologne, Von Richthofen
est professeur de géologie à l'université de Berlin alors qu'il se rend, entre 1868
et 1872, au Japon, en Indonésie et bien sûr en Chine pour étudier les gisements de charbon
en Asie, une mission financée par la banque de Californie et la banque de Shanghai.
Ses premiers travaux auront d'abord une résonance politique pour l'Allemagne qui
décide d'entreprendre un immense projet : celui de relier Berlin à Xi'an, par l'intermédiaire
d'une voie ferrée commerciale.
Oui, les gars se disent tranquille : Si on reliait l'Europe à la Chine par le train
? Et qui d'autre que Von Richthofen pour faire l'étude géologique des espaces par
lesquels cette future ligne sera construite ! ET bah personne, donc c'est Richthofen
qui s'y colle !
La ligne de train doit alors passer le Gansu (Chine du nord-ouest), le Taklamakan, les
Pamirs, la plaine des futurs Kirghistan, Kazakhstan, la Russie (Moscou), puis l'Europe de l'Est
jusqu'à atteindre Berlin. Il s'agit en réalité d'une ancienne route, abandonnée
quelques siècles après Marco Polo, lorsque les routes maritimes se sont développées
entre l'Espagne, le Portugal et l'Asie dès le 15ème siècle.
Même si cette ligne ne sera finalement jamais construite (sans doute pour des raisons financières
et politiques) - elle le sera dès 2014 dans le cadre de la « Nouvelle Route de la Soie
économique » reliant Duisbourg à Pékin.
En tout cas, piqué de curiosité, Von Richthofen prend de l'intérêt pour l'histoire des
voies que la ligne aurait dû traverser et en particulier l'Asie centrale chinoise
que nous appelons aujourd'hui le « Xinjiang », ou province autonome Ouïghour, située
en Chine du Nord-Ouest. La géographie de cette province est particulière.
Coupée à l'Ouest, au Sud et au Nord, par de hautes chaînes de montagnes, la vie s'organise
autour de cet immense désert du Taklamakan.
C'est joli dit comme ça “Taklamakan”...si on le traduit ça pourrait donner “Point
de non-retour”. Voilà…ça pose l'ambiance !
Des oasis (sortes de cités-états), placées le long des routes nord et sud de ce désert
servaient depuis l'Antiquité d'espaces d'échanges commerciaux et de liaisons entre
le cœur de la Chine et l'Occident. La soie bien sûr était l'une des nombreuses marchandises
qui y transitaient.
Le point de passage le plus délicat était de franchir les obstacles naturels principaux
entre la Chine et l'Asie centrale à savoir la chaine du Kara Korum, le plateau des Pamirs
ou l'Indu Koush. Seules quelques voies de passages sont possibles, et bien sûr très
protégées par les pouvoirs locaux à différentes époques. Achéménides, Macédoniens, Parthes,
Kushans, Sogdiens, Sassanides, Seldjoukides, Kara-Khitan, Mongols, Moghols, Safavides…
ils sont tour à tour au contrôle de ces routes commerciales et sont naturellement
devenus les intermédiaires directs des échanges entre l'Est et l'Ouest, comme cela est
encore le cas de nos jours. Le sujet des « Routes de la Soie » prend
alors de l'ampleur avec les premières études de Von Richthofen qui emploie d'abord le
pluriel « Seidenstraßen » dans les titres, un pluriel qui disparaît en anglais (« Silk
Road »), dès les premières traductions faites en 1878, sans doute pour simplifier
et enjoliver l'expression. Peu à peu, les aventuriers occidentaux et asiatiques voudront
découvrir cette « Asie centrale » pour partir à la quête des trésors cachés qu'ils
restaient à découvrir.
Et autant vous dire qu'à partir des années 1900 c'est un véritable festival de découverte
et de trésors qui sont divulgués au grand public, notamment dans la province du Xinjiang
Sven Hedin (1865-1952), élève Suédois de Von Richthofen, est le premier à engager
une équipe pour l'étude du Lop-Nor, un immense marécage salé. Ses recherches conduisent
à la mise au jour de l'ancienne cité de Loulan, en 1901 au cœur du Taklamakan.
Quelques années plus tard seulement, Sir. Aurel Stein, un explorateur britannique découvre
les fameuses momies du Taklamakan, datant du second millénaire avant notre ère. Fait
incroyable, ces momies attestent de liens indo-européen dans la forme du visage ou
les motifs des vêtements. Et que dire des fameuses grottes de Dunhuang, avec des milliers
de manuscrits chinois, persans, turcs, tibétains, hébraïques découverts dans une grotte et
qui révéleront tant de secrets sur l'histoire des rapports entre l'Est et l'Ouest.
Pour résumer cette longue histoire, « Les Routes de la Soie » n'existaient pas avant
le 19ème siècle. Bien sûr la Soie n'était pas l'unique marchandise prisée par les
élites romaines et d'autres puissances de l'Eurasie mais elle restait un bien très
apprécié et très valorisé dès l'Antiquité comme le sera la porcelaine à l'Epoque
moderne.
Cette expression de “route de la soie”, elle n'est développée que dans le but
de mettre en avant une partie du monde jusqu'alors assez peu étudiée : celle de l'Asie centrale.
Et si on pense d'abord à la Chine quand on dit “Route de la soie”, cette expression
est surtout née pour mettre en avant ce territoire intermédiaire, si riche et complexe dans
son histoire.
Va en découler la construction scientifique d'une étude raisonnée des siècles d'échanges
intervenus entre la Chine et l'Ouest par l'intermédiaire de ces contrées, que nous
associons maintenant aux pays de l'Ex-Union Soviétique (les pays en Stan), le Xinjiang
chinois, et la Mongolie.
Alors on peut dire que la popularisation de cette appellation est plutôt bénéfique
pour la recherche et pour la mise en avant de ces cultures hybrides, qui sont, vous l'avez
vu, imprégnées par beaucoup d'influences extérieures. Il y a d'ailleurs beaucoup
d'expositions passées et futures, en préparation en France et dans le monde dans les prochaines
années, qui seront notamment destinées à les mettre en avant ces routes de la soie
pour repousser notre connaissance, toujours imparfaite, de l'ancien monde.
Et voilà les amis ! C'est la fin de cet épisode préparé avec Arnaud Bertrand, archéologue
spécialisé sur la Chine et ses relations avec l'Occident. Il est d'ailleurs directeur
de l'Association Française des Amis de l'Orient qui organise pas mal de trucs autour
du Moyen-Orient et de l'Extrême Orient. Si vous êtes curieux de l'Histoire de ces
zones géographiques, n'hésitez pas à vous intéresser à leur boulot ! Merci également
au sponso de cette émission, Tianci Media, une agence qui a pour but de faire découvrir
le patrimoine de l'Asie et notamment celui de la Chine. C'est grâce à eux que l'on
va pouvoir cette année faire pas mal d'épisodes sur cette thématique et que plus tard on
pourra peut-être poser nos valises ailleurs ! N'hésitez pas à le partager, inutile
de m'envoyer quelques étoffes de soie, juste un petit clic ça suffit ! Quant à
nous, on se retrouve très bientôt sur la chaîne pour de nouvelles aventures au fin
fond de l'Histoire, Tchao !