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Bernadette, Sœur Marie-Bernard (Henri Lasserre), Livre 3 – La Vie Cachée et la Mort (2)

Livre 3 – La Vie Cachée et la Mort (2)

Hélas! à des degrés différents, c'est là l'histoire de quiconque fait effort ici-bas pour atteindre, autant qu'il est en lui et avec la grâce de Dieu, à la chrétienne perfection. Il n'en est aucun qui ne tombe quelquefois, tantôt par un choc imprévu et un accident brusque, tantôt aussi par simple fatigue, lâcheté et faiblesse. Les uns trébuchent; les autres glissent; celui-là défaille épuisé-et retourne un instant en arrière : tous font quelques chutes plus ou moins rares, plus ou moins graves. Un seul Saint ne tomba jamais: c'est Celui qu'on nomme le Saint des Saints; une seule Sainte n'eut aucun grain de poussière à sa robe sans tache, c'est la Vierge Immaculée, Reine de tous les Anges et de tous les Élus.

La Sainteté n'est pas la perfection absolue, mais bien une tendance énergique et déterminée vers cette perfection, une bataille irréconciliable, déjà maîtresse des hautes positions. Elle n'est point encore la victoire totale et universelle : elle est le triomphe puissamment commencé, mais encore entravé çà et là par la résistance et par les blessures que fait l'adversaire.

— Qu'est-ce que vaincre? demandait-on à un grand capitaine.

— Vaincre, c'est avancer.

Mais la bataille se compose de cent et cent combats isolés; et, dans l'armée qui avance, il arrive, au vif mécontentement du Chef, il arrive, tantôt aux ailes et tantôt dans le centre, que tel régiment se laisse refouler, que telle compagnie lâche pied et que, sur le front de bandière, fléchissent et tombent mille soldats... Défaites de détail qui n'empêchent point (tout en l'affaiblissant pourtant un peu) la victoire générale! L'armée avance et le drapeau criblé de balles se plante successivement sur les bastions ennemis. Telle est la bataille des Saints.

Ils ne sont pas vainqueurs en tout ni partout, ils ont des points encore faibles : et pourquoi ne dirions-nous pas le mot devant lequel depuis un instant s'effraie notre plume? ils ont « des défauts » contre lesquels ils réagissent, mais en subissant plus ou moins fréquemment de partielles défaites, qui étonnent souvent autour d'eux ces faibles esprits dont l'illusion est de croire que la vertu est tout d'une pièce et que le Saint est un Ange.

Donc, le Saint peut avoir des défauts, c'est-à-dire une propension particulière vers tel ou tel genre d'imperfection, et se laisser surprendre de temps en temps par cette constante tentation de sa nature et de son caractère. Mais ce qui fait sa grandeur et sa gloire, c'est que, différent en cela des tièdes et des lâches, il ne vit nullement en paix avec cette défaillance qu'il ne l'accepte point en principe, qu'il en gémit, qu'il lutte, qu'il fait effort. Tandis que la plupart des hommes prennent leur parti de leurs inclinations dominantes: colère, susceptibilité, humeur, antipathies particulières, le vrai Chrétien et le Saint ne s'y résignent jamais. Chaque fois que, par fragilité ou surprise, ils tombent dans le défaut vers lequel leur nature penche, voilà qu'ils se relèvent vivement et s'en éloignent avec horreur, au lieu de s'y complaire el de s'y asseoir comme dans leur demeure. Étant donnée la faiblesse humaine, les Saints sont sans doute blessés sur bien des points, mais on peut dire que, sur aucun, ils ne sont vaincus, c'est-à-dire soumis. Sur aucun en effet, ils n'acceptent la domination de l'ennemi. Honteux d'eux-mêmes, se repentant vivement, ils réparent alors vis-it-vis des autres les peines qu'ils leur ont faites ou le scandale qu'ils ont pu leur causer...

Ayant, unis en son coeur, l'amour de Dieu et du prochain, voulant le bien et détestant le mal, fragile pourtant et peccable, le Saint est, avant toutes choses, « un homme de perpétuelle bonne volonté. »

Ces pensées que nous écrivons ne sont pas une digression, et elles rentrent doublement dans notre sujet : car d'un côté elles expliquent les petites imperfections qui pouvaient rester encore dans notre vénérée Soeur, et qu'elle se reprochait avec une si inflexible sévérité; et d'autre part ces pensées traduisent un sentiment profond qu'exprimait souvent Bernadette elle-même, en son bon sens exquis.

Elle avait beaucoup de goût pour la lecture; et la maladie lui laissait le loisir de se livrera cet attrait de son esprit et de son coeur. Or elle faisait entendre souvent des réflexions comme celles-ci:

— Je n'aime pas les Vies de Saints où on les présente comme étant entièrement parfaits, d'une perfection toute unie, sans une défaillance, sans une faute, sans une inégalité, sans une ombre. Ils sont tellement célestes que cela tend à nous décourager, nous, qui sommes si loin d'un tel état... S'ils y sont arrivés, on devrait du moins nous marquer toutes les étapes du chemin qu'ils ont suivi pour y parvenir. Je voudrais qu'en même temps que leur pure vertu, on nous fit voir les défauts dont ils n'étaient pas encore tout à fait maîtres, les luttes qu'ils avaient à soutenir, les chutes qui les humiliaient et dont ils avaient à se relever... Après tout, cela devait se passer ainsi! Leur Sainteté ne devait pas toujours marcher si facilement d'elle-même et comme sur des roulettes... Ils avaient certainement leur nature, leur suite du péché originel; ils avaient bien leur caractère: — comme moi qui en ai un si mauvais!

« La contemplation de leur triomphe total ne m'enseigne rien : c'est la vue de leur combat qui m'apprendrait à lutter. Il faut qu'on nous montre qu'ils étaient comme nous, afin qu'ensuite nous-mêmes, nous devenions comme eux. »

Chose assez singulière pour elle, pour elle qui avait été favorisée des Apparitions de Marie! elle ne se complaisait, en lisant ces mêmes Vies de Saints ni dans les extases, ni dans les visions, ni dans les particularités extraordinaires... Elle recherchait avant tout, ce que chacun peut imiter : la pratique de l'idéal chrétien, la mise en application de la morale catholique et des conseils de Jésus-Christ.

Le texte sacré des Écritures avait pour la Voyante de Lourdes un charme profond dont elle ne se lassa jamais. Oserons-nous dire qu'elle le préférait à tous les sermons? Elle y trouvait une saveur inexprimable, une saveur sans cesse renaissante que son intelligence ou son âme ne savaient point toujours goûter dans les commentaires les plus éloquents. Parfois on la surprenait, l'Évangile à la main, versant des larmes sur les douleurs de l'Homme-Dieu:

— La Passion me touche plus quand je la lis que quand on me la prêche, disait-elle.

Tout d'abord Bernadette frappa ses compagnes par sa grâce, sa bienveillance cordiale, sa gaieté d'enfant, le tour original imprévu et prime-sautier de son esprit alerle et vif. A tout ce qu'elle faisait, elle était tout entière: — jouant à la récréation comme pas une; — laborieuse, attentive, toujours l'aiguille en mouvement à l'heure du travail; — ardente, recueillie, transfigurée, sublime, quand elle était à l'église, contemplant et priant. Indépendante peut-être par nature, mais dépendante par préférence et par choix, elle avait au plus haut degré l'amour de sa règle conventuelle. Elle était comme un rossignol qui aurait quitté les grands bois, les bois immenses sans autres limites que la fantaisie de son vol, et qui aurait élu pour sa patrie l'enceinte d'un jardin fermé. Volontairement prisonnière dans l'enclos sacré de la vie religieuse, elle s'y mouvait, voltigeait, battait des ailes et chantait toute joyeuse, dans la sainte liberté des enfants de Dieu.

Assises à l'ombre d'un arbre sur la terrasse de Saint-Gildard, un groupe de religieuses, professes et novices, s'entretenaient un jour de l'importance qu'il y avait à suivre la règle avec rigueur et avec zèle, avec diligence et ponctualité.

— Au coeur du travail, disait l'une d'elles, la Bénédictin quitte une lettre commencée et manque à mettre un point sur un i pour se lever et obéir au son de la cloche.

— Cela n'est pas difficile, repartit la petite soeur Marie Bernard qui était, pour la sainte observance, un modèle d'exactitude.

— Là-dessus, le plus bel exemple, reprit une autre, a été donné par sainte Thérèse. On raconte qu'étant en sa cellule elle vit l'Enfant Jésus lui apparaître. L'ayant pris sur ses bras, elle jouissait de son entretien, lorsqu'elle entend sonner la cloche du monastère appelant les Religieuses au Chapitre ou à la Chapelle, je ne sais. Tout aussitôt, sans hésiter, sainte Thérèse pose l'Enfant Jésus à terre et se rend à l'exercice de communauté. Voilà pourtant qu'à son retour, elle le retrouve, ayant la taille et la figure de l'adolescence, et tel qu'il était quand il travaillait, avec la sainte Famille, dans l'atelier de Nazareth. — Ma fille, lui dit-il, par suite de ton acte d'obéissance à la règle, j'ai autant grandi en ton àme que je viens de grandir à tes yeux depuis ton départ de tout à l'heure.

Bernadette avait écouté attentivement la pieuse légende. Ses compagnes n'avaient qu'un cri pour trouver combien avait été sage et heureusement inspirée la Fondatrice du Carmel.

— Et vous, soeur Marie-Bernard, vous ne dites rien? remarqua l'une d'elles.

— Moi, répond vivement Bernadette, je n'aurais certes point fait comme sainte Thérèse.

Stupéfaction générale.

— Et qu'auriez-vous donc fait?

— Au lieu de poser à terre le petit Jésus, je l'aurais gardé sur mon bras et serais allée ainsi à l'exercice que l'on sonnait. Assurément il ne m'eût point quittée.

Outre l'attrait profond qui l'avait entraînée vers la vie religieuse, vers cette sainte existence toute remplie par le travail, par les oeuvres de charité, par la prière, par la méditation, par la contemplation de Dieu, Bernadette avait éprouvé aussi le besoin de trouver un refuge assuré contre l'envahissement des foules, contre la curiosité, même pieuse, dont elle était l'objet.

Lorsque, pour la première fois, elle franchit le seuil de la Maison-Mère, elle implora de la Supérieure générale la grâce, si cela était possible, de ne jamais être appelée au parloir, se soumettant du reste, même en cela, à l'obéissance parfaite, mais exprimant bien haut le voeu de son coeur.

A chaque instant cependant arrivaient à Saint-Gildard des étrangers qui demandaient à être reçus par la soeur Marie-Bernard et qui se résignaient difficilement à ne pas même apercevoir ses traits.

— Montrez-nous du moins où se trouve dans le couvent la chambre qu'elle habite.

Et ils regardaient, tout pensifs et recueillis, les fenêtres de sa cellule.

D'autres voulaient s'agenouiller à la place qu'elle avait coutume d'occuper à l'église. Ils baisaient avec respect l'accoudoir où elle appuyait ses mains et sur lequel, au moment de l'Élévation, elle prosternait son front virginal.

Certains tentaient de la voir par surprise en s'adressant à quelqu'une de ses compagnes et la priant de la leur désigner et de la leur faire connaître si elle passait.


Livre 3 – La Vie Cachée et la Mort (2)

Hélas! à des degrés différents, c'est là l'histoire de quiconque fait effort ici-bas pour atteindre, autant qu'il est en lui et avec la grâce de Dieu, à la chrétienne perfection. Il n'en est aucun qui ne tombe quelquefois, tantôt par un choc imprévu et un accident brusque, tantôt aussi par simple fatigue, lâcheté et faiblesse. Les uns trébuchent; les autres glissent; celui-là défaille épuisé-et retourne un instant en arrière : tous font quelques chutes plus ou moins rares, plus ou moins graves. Un seul Saint ne tomba jamais: c'est Celui qu'on nomme le Saint des Saints; une seule Sainte n'eut aucun grain de poussière à sa robe sans tache, c'est la Vierge Immaculée, Reine de tous les Anges et de tous les Élus.

La Sainteté n'est pas la perfection absolue, mais bien une tendance énergique et déterminée vers cette perfection, une bataille irréconciliable, déjà maîtresse des hautes positions. Elle n'est point encore la victoire totale et universelle : elle est le triomphe puissamment commencé, mais encore entravé çà et là par la résistance et par les blessures que fait l'adversaire.

— Qu'est-ce que vaincre? demandait-on à un grand capitaine.

— Vaincre, c'est avancer.

Mais la bataille se compose de cent et cent combats isolés; et, dans l'armée qui avance, il arrive, au vif mécontentement du Chef, il arrive, tantôt aux ailes et tantôt dans le centre, que tel régiment se laisse refouler, que telle compagnie lâche pied et que, sur le front de bandière, fléchissent et tombent mille soldats... Défaites de détail qui n'empêchent point (tout en l'affaiblissant pourtant un peu) la victoire générale! L'armée avance et le drapeau criblé de balles se plante successivement sur les bastions ennemis. Telle est la bataille des Saints.

Ils ne sont pas vainqueurs en tout ni partout, ils ont des points encore faibles : et pourquoi ne dirions-nous pas le mot devant lequel depuis un instant s'effraie notre plume? ils ont « des défauts » contre lesquels ils réagissent, mais en subissant plus ou moins fréquemment de partielles défaites, qui étonnent souvent autour d'eux ces faibles esprits dont l'illusion est de croire que la vertu est tout d'une pièce et que le Saint est un Ange.

Donc, le Saint peut avoir des défauts, c'est-à-dire une propension particulière vers tel ou tel genre d'imperfection, et se laisser surprendre de temps en temps par cette constante tentation de sa nature et de son caractère. Mais ce qui fait sa grandeur et sa gloire, c'est que, différent en cela des tièdes et des lâches, il ne vit nullement en paix avec cette défaillance qu'il ne l'accepte point en principe, qu'il en gémit, qu'il lutte, qu'il fait effort. Tandis que la plupart des hommes prennent leur parti de leurs inclinations dominantes: colère, susceptibilité, humeur, antipathies particulières, le vrai Chrétien et le Saint ne s'y résignent jamais. Chaque fois que, par fragilité ou surprise, ils tombent dans le défaut vers lequel leur nature penche, voilà qu'ils se relèvent vivement et s'en éloignent avec horreur, au lieu de s'y complaire el de s'y asseoir comme dans leur demeure. Étant donnée la faiblesse humaine, les Saints sont sans doute blessés sur bien des points, mais on peut dire que, sur aucun, ils ne sont vaincus, c'est-à-dire soumis. Sur aucun en effet, ils n'acceptent la domination de l'ennemi. Honteux d'eux-mêmes, se repentant vivement, ils réparent alors vis-it-vis des autres les peines qu'ils leur ont faites ou le scandale qu'ils ont pu leur causer...

Ayant, unis en son coeur, l'amour de Dieu et du prochain, voulant le bien et détestant le mal, fragile pourtant et peccable, le Saint est, avant toutes choses, « un homme de perpétuelle bonne volonté. »

Ces pensées que nous écrivons ne sont pas une digression, et elles rentrent doublement dans notre sujet : car d'un côté elles expliquent les petites imperfections qui pouvaient rester encore dans notre vénérée Soeur, et qu'elle se reprochait avec une si inflexible sévérité; et d'autre part ces pensées traduisent un sentiment profond qu'exprimait souvent Bernadette elle-même, en son bon sens exquis.

Elle avait beaucoup de goût pour la lecture; et la maladie lui laissait le loisir de se livrera cet attrait de son esprit et de son coeur. Or elle faisait entendre souvent des réflexions comme celles-ci:

— Je n'aime pas les Vies de Saints où on les présente comme étant entièrement parfaits, d'une perfection toute unie, sans une défaillance, sans une faute, sans une inégalité, sans une ombre. Ils sont tellement célestes que cela tend à nous décourager, nous, qui sommes si loin d'un tel état... S'ils y sont arrivés, on devrait du moins nous marquer toutes les étapes du chemin qu'ils ont suivi pour y parvenir. Je voudrais qu'en même temps que leur pure vertu, on nous fit voir les défauts dont ils n'étaient pas encore tout à fait maîtres, les luttes qu'ils avaient à soutenir, les chutes qui les humiliaient et dont ils avaient à se relever... Après tout, cela devait se passer ainsi! Leur Sainteté ne devait pas toujours marcher si facilement d'elle-même et comme sur des roulettes... Ils avaient certainement leur nature, leur suite du péché originel; ils avaient bien leur caractère: — comme moi qui en ai un si mauvais!

« La contemplation de leur triomphe total ne m'enseigne rien : c'est la vue de leur combat qui m'apprendrait à lutter. Il faut qu'on nous montre qu'ils étaient comme nous, afin qu'ensuite nous-mêmes, nous devenions comme eux. »

Chose assez singulière pour elle, pour elle qui avait été favorisée des Apparitions de Marie! elle ne se complaisait, en lisant ces mêmes Vies de Saints ni dans les extases, ni dans les visions, ni dans les particularités extraordinaires... Elle recherchait avant tout, ce que chacun peut imiter : la pratique de l'idéal chrétien, la mise en application de la morale catholique et des conseils de Jésus-Christ.

Le texte sacré des Écritures avait pour la Voyante de Lourdes un charme profond dont elle ne se lassa jamais. Oserons-nous dire qu'elle le préférait à tous les sermons? Elle y trouvait une saveur inexprimable, une saveur sans cesse renaissante que son intelligence ou son âme ne savaient point toujours goûter dans les commentaires les plus éloquents. Parfois on la surprenait, l'Évangile à la main, versant des larmes sur les douleurs de l'Homme-Dieu:

— La Passion me touche plus quand je la lis que quand on me la prêche, disait-elle.

Tout d'abord Bernadette frappa ses compagnes par sa grâce, sa bienveillance cordiale, sa gaieté d'enfant, le tour original imprévu et prime-sautier de son esprit alerle et vif. A tout ce qu'elle faisait, elle était tout entière: — jouant à la récréation comme pas une; — laborieuse, attentive, toujours l'aiguille en mouvement à l'heure du travail; — ardente, recueillie, transfigurée, sublime, quand elle était à l'église, contemplant et priant. Indépendante peut-être par nature, mais dépendante par préférence et par choix, elle avait au plus haut degré l'amour de sa règle conventuelle. Elle était comme un rossignol qui aurait quitté les grands bois, les bois immenses sans autres limites que la fantaisie de son vol, et qui aurait élu pour sa patrie l'enceinte d'un jardin fermé. Volontairement prisonnière dans l'enclos sacré de la vie religieuse, elle s'y mouvait, voltigeait, battait des ailes et chantait toute joyeuse, dans la sainte liberté des enfants de Dieu.

Assises à l'ombre d'un arbre sur la terrasse de Saint-Gildard, un groupe de religieuses, professes et novices, s'entretenaient un jour de l'importance qu'il y avait à suivre la règle avec rigueur et avec zèle, avec diligence et ponctualité.

— Au coeur du travail, disait l'une d'elles, la Bénédictin quitte une lettre commencée et manque à mettre un point sur un i pour se lever et obéir au son de la cloche.

— Cela n'est pas difficile, repartit la petite soeur Marie Bernard qui était, pour la sainte observance, un modèle d'exactitude.

— Là-dessus, le plus bel exemple, reprit une autre, a été donné par sainte Thérèse. On raconte qu'étant en sa cellule elle vit l'Enfant Jésus lui apparaître. L'ayant pris sur ses bras, elle jouissait de son entretien, lorsqu'elle entend sonner la cloche du monastère appelant les Religieuses au Chapitre ou à la Chapelle, je ne sais. Tout aussitôt, sans hésiter, sainte Thérèse pose l'Enfant Jésus à terre et se rend à l'exercice de communauté. Voilà pourtant qu'à son retour, elle le retrouve, ayant la taille et la figure de l'adolescence, et tel qu'il était quand il travaillait, avec la sainte Famille, dans l'atelier de Nazareth. — Ma fille, lui dit-il, par suite de ton acte d'obéissance à la règle, j'ai autant grandi en ton àme que je viens de grandir à tes yeux depuis ton départ de tout à l'heure.

Bernadette avait écouté attentivement la pieuse légende. Ses compagnes n'avaient qu'un cri pour trouver combien avait été sage et heureusement inspirée la Fondatrice du Carmel.

— Et vous, soeur Marie-Bernard, vous ne dites rien? remarqua l'une d'elles.

— Moi, répond vivement Bernadette, je n'aurais certes point fait comme sainte Thérèse.

Stupéfaction générale.

— Et qu'auriez-vous donc fait?

— Au lieu de poser à terre le petit Jésus, je l'aurais gardé sur mon bras et serais allée ainsi à l'exercice que l'on sonnait. Assurément il ne m'eût point quittée.

Outre l'attrait profond qui l'avait entraînée vers la vie religieuse, vers cette sainte existence toute remplie par le travail, par les oeuvres de charité, par la prière, par la méditation, par la contemplation de Dieu, Bernadette avait éprouvé aussi le besoin de trouver un refuge assuré contre l'envahissement des foules, contre la curiosité, même pieuse, dont elle était l'objet.

Lorsque, pour la première fois, elle franchit le seuil de la Maison-Mère, elle implora de la Supérieure générale la grâce, si cela était possible, de ne jamais être appelée au parloir, se soumettant du reste, même en cela, à l'obéissance parfaite, mais exprimant bien haut le voeu de son coeur.

A chaque instant cependant arrivaient à Saint-Gildard des étrangers qui demandaient à être reçus par la soeur Marie-Bernard et qui se résignaient difficilement à ne pas même apercevoir ses traits.

— Montrez-nous du moins où se trouve dans le couvent la chambre qu'elle habite.

Et ils regardaient, tout pensifs et recueillis, les fenêtres de sa cellule.

D'autres voulaient s'agenouiller à la place qu'elle avait coutume d'occuper à l'église. Ils baisaient avec respect l'accoudoir où elle appuyait ses mains et sur lequel, au moment de l'Élévation, elle prosternait son front virginal.

Certains tentaient de la voir par surprise en s'adressant à quelqu'une de ses compagnes et la priant de la leur désigner et de la leur faire connaître si elle passait.