08j. La Reine des Neiges. Chapitre 5 : 2ème partie.
Au-dessus du lit étaient perchés une centaine de pigeons que la fille des voleurs engraissait et mangeait sans pitié, quoiqu'elle les connût, les caressât et les nourrît.
Les pigeons semblaient tous dormir, cependant ils se bougèrent un peu quand les deux petites filles se couchèrent. – Maintenant, dit la petite fille, voici ma monture habituelle, et elle frappa contre un petit enclos de bois treillagé à jour.
Gerda s'attendait à voir s'élever soit un petit cheval, soit un petit mulet, soit un petit âne, mais elle vit bondir sur ses pieds un animal qu'elle ne connaissait pas et qui ressemblait au cerf ; mais son bois était plus grand proportionnellement et avait une autre forme.
– Oh !
le singulier animal, demanda la petite Gerda, comment s'appelle-t-il ? – C'est un renne, répondit la petite fille.
Il vient d'un pays où il n'y a pas de chevaux, et les habitants de ce pays les attellent à leurs traîneaux. Il nous le faut sans cesse tenir à la chaîne, sans quoi il se sauverait et retournerait dans le royaume des Neiges. Mais chaque soir je lui chatouille la gorge avec mon couteau, et comme il est prévenu qu'à sa première tentative de fuite, je lui couperai le cou pour boire son sang tout chaud, il se tient assez tranquille. Et la petite fille des voleurs tira d'une fente de la muraille, comme d'une gaine, un long couteau qu'elle fit passer sur le cou du renne, la pauvre bête trembla aussitôt de tout son corps, bramant tristement, mais la petite fille ne faisait que rire de sa terreur.
Puis elle se mit définitivement au lit avec Gerda.
– Est-ce que tu te couches avec ce long couteau près de toi ?
demanda la petite Gerda en jetant sur l'arme un regard inquiet. – Toujours, répondit la fille des voleurs ; on ne sait pas ce qui peut arriver.
La fille des voleurs passa un bras autour du cou de Gerda, et, tenant son couteau de l'autre main, elle s'endormit et commença de ronfler, qu'on eût pu l'entendre de la cour.
Mais la pauvre Gerda ne pouvait dormir, et elle demanda à deux pigeons qui se caressaient :
– N'avez-vous pas vu, par hasard, le petit Peters et son traîneau ?
– Kourrou, kourrou, kourroukou !
firent les pigeons ; oui, nous l'avons vu. – Oh !
alors, mes chers petits pigeons, dit la petite Gerda en joignant les mains comme pour les implorer, dites-moi que faisait-il, et où allait-il ? – Il était assis dans le char de la Reine des Neiges, qui passait tout près de nous au-dessus du bois, tandis que nous étions encore dans notre nid.
La Reine des Neiges souffla sur les petits ramiers, et à l'exception de nous deux, continua le pigeon en montrant sa compagne, tous moururent. Kourrou, kourrou, kourroukou. – Et où allait la Reine des Neiges ?
demanda Gerda. – Probablement en Laponie, où il y a toujours de la neige et de la glace.
Son petit traîneau le suivait attelé d'un gros poulet blanc. – Et à qui faut-il que je m'informe pour être sûre qu'il allait en Laponie ?
demanda la petite Gerda. – Au renne, dirent les ramiers, il est de ce pays-là.
Kourrou, kourrou, kourroukou. – Là où il y a toujours de la neige et de la glace, soupira le renne ; là, il fait magnifique, là, on bondit joyeux et libre dans les grandes vallées luisantes, là, la Reine des Neiges a dressé sa tente d'été.
Mais son château d'hiver est tout près du pôle, dans une île de glace qu'on appelle le Spitzberg. – Ô Peters, pauvre Peters, soupira Gerda, comme il doit avoir froid !
– Reste tranquille, dit la petite fille des voleurs, et ne parle pas et ne remue pas ainsi, ou bien, pour te faire tenir tranquille, je t'enfonce mon couteau dans le cœur.
Gerda eut grand peur, elle se tut et resta sans faire un mouvement.
Le matin, la petite fille des voleurs demanda à Gerda : – Que disais-tu donc cette nuit à mes pigeons et à mon renne ?
Gerda lui raconta alors que les pigeons avaient vu passer le petit Peters dans son traîneau, avec la Reine des Neiges, qui l'emmenait en Laponie.
La petite fille devint sérieuse.
Mais secouant la tête : – N'importe, dit-elle.
Et se tournant vers le renne, elle lui demanda :
– Sais-tu où est la Laponie ?
– Qui pourrait mieux le savoir que moi ?
répondit l'animal, puisque c'est mon pays : j'y suis né, j'y ai été élevé et j'ai bondi à travers ses champs de neige. Et ses yeux brillèrent comme s'il revoyait sa patrie.
– Écoute, dit la petite fille des voleurs à Gerda, tu vois que tous nos hommes sont partis en expédition.
Il ne reste ici que ma mère pour leur faire la cuisine ; mais vers midi, elle vide une grande gourde qui contient six bouteilles et elle s'endort ; aussitôt qu'elle sera endormie, je ferai quelque chose pour toi. La petite Gerda attendit midi avec impatience ; à midi, comme le lui avait dit la fille des voleurs, la vieille vida sa gourde tout d'un trait et s'endormit.
Alors la fille des voleurs alla vers le renne et lui dit :
– Je pourrais encore longtemps me donner du plaisir en te passant mon couteau sur la gorge ; car alors tu as si peur, que j'en crève de rire.
Mais n'importe, je vais te détacher et te mettre dehors afin que tu puisses retourner en Laponie ; mais c'est à une condition, c'est que tu porteras cette petite fille au château de la Reine des Neiges, où est son petit compagnon. Le renne fit un bond de joie.
– Alors, tu t'y engages positivement ?
– Foi de renne !
dit-il, je la descendrai dans la cour même du château. La fille des voleurs sangla un coussin sur le dos du renne, hissa la petite Gerda sur le coussin, l'attacha avec des courroies, lui mit au pied, par-dessus ses petits souliers rouges tout cirés, des bottines en poil de lapin, aux mains des gants de même poil, appartenant à sa mère et dans lesquels les bras de la petite Gerda entraient jusqu'au coude, puis elle l'embrassa.
La petite Gerda versait des larmes de joie.
– Ah !
je ne puis souffrir que tu pleurniches ainsi, lui dit son amie ; tu dois maintenant avoir la mine joyeuse, puisque tu vas retrouver ton petit compagnon. Puis elle ajouta :
– Tiens, voici deux pains et un jambonneau, pour que tu ne meures pas de faim.
Et elle les attacha sur le dos du renne.
Puis elle sortit la première, attacha les bouledogues dans leurs niches, revint près de Gerda, et, coupant avec son couteau le licou du renne, elle lui dit :
– Pars maintenant, mais prends bien garde à la petite fille.
Gerda étendit les mains vers la fille des voleurs en signe d'adieu, et le renne s'élança hors du château, puis hors de la cour, puis à travers les bois.
À peine si on eût pu le suivre des yeux ; il traversait les vallées, les fleuves, les steppes, comme s'il eût eu des ailes ; les loups hurlaient derrière lui, les corbeaux croassaient au-dessus de lui. Le renne volait plutôt qu'il ne galopait ; le feu lui sortait des naseaux. – Ah !
voilà mes étoiles du pôle, dit le renne ; regarde comme elles brillent ! Et, à cette vue, le renne redoublait encore de vitesse.
Il courut ainsi huit jours et huit nuits, les deux pains étaient mangés, et aussi le jambonneau !
Mais, ils étaient en Laponie !