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Madame Bovary de Gustave Flaubert, Deuxième Partie, 8b

Deuxième Partie, 8b

Alors elle le regarda comme on contemple un voyageur qui a passé par des pays extraordinaires, et elle reprit :

— Nous n'avons pas même cette distraction, nous autres pauvres femmes ! — Triste distraction car on n'y trouve pas le bonheur. — Mais le trouve-t-on jamais ?

demanda-t-elle.

— Oui, il se rencontre un jour, répondit-il.

[ 199 ] « Et c'est là ce que vous avez compris, disait le Conseiller. Vous, agriculteurs et ouvriers des campagnes ; vous, pionniers pacifiques d'une œuvre toute de civilisation ! vous, hommes de progrès et de moralité ! vous avez compris, dis-je, que les orages politiques sont encore plus redoutables vraiment que les désordres de l'atmosphère… » — Il se rencontre un jour, répéta Rodolphe, un jour, tout à coup, et quand on en désespérait.

Alors des horizons s'entrouvrent, c'est comme une voix qui crie : « Le voilà ! » Vous sentez le besoin de faire à cette personne la confidence de votre vie ; de lui donner tout, de lui sacrifier tout ! On ne s'explique pas, on se devine. On s'est entrevu dans ses rêves. (Et il la regardait.) Enfin, il est là, ce trésor que l'on a tant cherché, là, devant vous ; il brille, il étincelle. Cependant on en doute encore, on n'ose y croire ; on en reste ébloui, comme si l'on sortait des ténèbres à la lumière. Et, en achevant ces mots, Rodolphe ajouta la pantomime a sa phrase.

Il se passa la main sur le visage, tel qu'un homme pris d'étourdissement ; puis il la laissa retomber sur celle d'Emma. Elle retira la sienne. Mais le Conseiller lisait toujours :

« Et qui s'en étonnerait, Messieurs ? Celui-là seul qui serait assez aveugle, assez plongé (je ne crains pas de le dire), assez plongé dans les préjugés d'un autre âge pour méconnaître encore l'esprit des populations agricoles. Où trouver, en effet, plus de patriotisme que dans les campagnes, plus de dévouement à la cause publique, plus [ 200 ] d'intelligence en un mot ? Et je n'entends pas, Messieurs, cette intelligence superficielle, vain ornement des esprits oisifs, mais plus de cette intelligence profonde et modérée, qui s'applique par-dessus toute chose à poursuivre des buts utiles, contribuant ainsi au bien de chacun, à l'amélioration commune et au soutien des États, fruit du respect des lois et de la pratique des devoirs… » — Ah !

encore, dit Rodolphe. Toujours les devoirs, je suis assommé de ces mots-là. Ils sont un tas de vieilles ganaches en gilet de flanelle, et de bigotes à chaufferette et à chapelet, qui continuellement nous chantent aux oreilles : « Le devoir ! le devoir ! » Eh ! parbleu ! le devoir, c'est de sentir ce qui est grand, de chérir ce qui est beau, et non pas d'accepter toutes les conventions de la société, avec les ignominies qu'elle nous impose. — Cependant…, cependant…, objectait Mme Bovary.

— Eh non !

pourquoi déclamer contre les passions ? Ne sont-elles pas la seule belle chose qu'il y ait sur la terre, la source de l'héroïsme, de l'enthousiasme, de la poésie, de la musique, des arts, de tout enfin ? — Mais il faut bien, dit Emma, suivre un peu l'opinion du monde et obéir à sa morale. — Ah !

c'est qu'il y en a deux, répliqua-t-il. La petite, la convenue, celle des hommes, celle qui varie sans cesse et qui braille si fort, s'agite en bas, terre à terre, comme ce rassemblement d'imbéciles que vous voyez. Mais l'autre, l'éternelle, elle est tout autour et au-dessus, comme [ 201 ] le paysage qui nous environne et le ciel bleu qui nous éclaire. M.

Lieuvain venait de s'essuyer la bouche avec son mouchoir de poche. Il reprit :

« Et qu'aurais-je à faire, messieurs, de vous démontrer ici l'utilité de l'agriculture ? Qui donc pourvoit à nos besoins ? qui donc fournit à notre subsistance ? N'est-ce pas l'agriculteur ? L'agriculteur, messieurs, qui, ensemençant d'une main laborieuse les sillons féconds des campagnes, fait naître le blé, lequel broyé est mis en poudre au moyen d'ingénieux appareils, en sort sous le nom de farine, et, de là, transporté dans les cités, est bientôt rendu chez le boulanger, qui en confectionne un aliment pour le pauvre comme pour le riche. N'est-ce pas l'agriculteur encore qui engraisse, pour nos vêtements, ses abondants troupeaux dans les pâturages ? Car comment nous vêtirions-nous, car comment nous nourririons-nous sans l'agriculteur ? Et même, messieurs, est-il besoin d'aller si loin chercher des exemples ? Qui n'a souvent réfléchi à toute l'importance que l'on retire de ce modeste animal, ornement de nos basses-cours, qui fournit à la fois un oreiller moelleux pour nos couches, sa chair succulente pour nos tables, et des œufs ? Mais je n'en finirais pas, s'il fallait énumérer les uns après les autres les différents produits que la terre bien cultivée, telle qu'une mère généreuse, prodigue à ses enfants. Ici, c'est la vigne ; ailleurs, ce sont les pommiers à cidre ; là, le colza ; plus loin, les fromages ; et le lin ; messieurs, n'oublions pas le lin ! qui a pris dans ces dernières années un accroissement considérable [ 202 ] et sur lequel j'appellerai plus particulièrement votre attention. Il n'avait pas besoin de l'appeler : car toutes les bouches de la multitude se tenaient ouvertes, comme pour boire ses paroles. Tuvache, à côté de lui, l'écoutait en écarquillant les yeux ; M. Derozerays, de temps à autre, fermait doucement les paupières ; et, plus loin, le pharmacien, avec son fils Napoléon entre ses jambes, bombait sa main contre son oreille pour ne pas perdre une seule syllabe. Les autres membres du jury balançaient lentement leur menton dans leur gilet, en signe d'approbation. Les pompiers, au bas de l'estrade, se reposaient sur leurs baïonnettes ; et Binet, immobile, restait le coude en dehors, avec la pointe du sabre en l'air. Il entendait peut-être, mais il ne devait rien apercevoir, à cause de la visière de son casque qui lui descendait sur le nez. Son lieutenant, le fils cadet du sieur Tuvache, avait encore exagéré le sien ; car il en portait un énorme et qui lui vacillait sur la tête, en laissant dépasser un bout de son foulard d'indienne. Il souriait là-dessous avec une douceur tout enfantine, et sa petite figure pâle, où des gouttes ruisselaient, avait une expression de jouissance, d'accablement et de sommeil La place jusqu'aux maisons était comble de monde. On voyait des gens accoudés à toutes les fenêtres, d'autres debout sur toutes les portes, et Justin, devant la devanture de la pharmacie, paraissait tout fixé dans la contemplation de ce qu'il regardait. Malgré le silence, la voix de M. Lieuvain se perdait dans l'air. Elle vous [ 203 ] arrivait par lambeaux de phrases, qu'interrompait, çà et là le bruit des chaises dans la foule ; puis on entendait, tout à coup, partir derrière soi un long mugissement de bœuf, ou bien les bêlements des agneaux qui se répondaient au coin des rues. En effet, les vachers et les bergers avaient poussé leurs bêtes jusque-là, et elles beuglaient de temps à autre, tout en arrachant avec leur langue quelque bribe de feuillage qui leur pendait sur le museau.

Rodolphe s'était rapproché d'Emma, et il disait d'une voix basse, en parlant vite : — Est-ce que cette conjuration du monde ne vous révolte pas ?

Est-il un seul sentiment qu'il ne condamne ? Les instincts les plus nobles, les sympathies les plus pures sont persécutés, calomniés, et, s'il se rencontre enfin deux pauvres âmes, tout est organisé pour qu'elles ne puissent se joindre. Elles essayeront cependant, elles battront des ailes, elles s'appelleront. Oh !

n'importe, tôt ou tard, dans six mois, dix ans, elles se réuniront, s'aimeront, parce que la fatalité l'exige et qu'elles sont nées l'une pour l'autre. Il se tenait les bras croisés sur ses genoux, et, ainsi levant la figure vers Emma, il la regardait de près, fixement.

Elle distinguait dans ses yeux des petits rayons d'or s'irradiant tout autour de ses pupilles noires, et même elle sentait le parfum de la pommade qui lustrait sa chevelure. Alors une mollesse la saisit, elle se rappela ce vicomte qui l'avait fait valser à la Vaubyessard, et dont la barbe exhalait, comme ces cheveux-là, cette odeur de vanille et de citron ; et, machinalement, elle entreferma les paupières pour la mieux respirer : Mais, dans ce geste qu'elle fit en se [ 204 ] cambrant sur sa chaise, elle aperçut au loin, tout au fond de l'horizon, la vieille diligence l'Hirondelle, qui descendait lentement la côte des Leux, en traînant après soi un long panache de poussière. C'était dans cette voiture jaune que Léon, si souvent, était revenu vers elle ; et par cette route là-bas qu'il était parti pour toujours ! Elle crut le voir en face, à sa fenêtre ; puis tout se confondit, des nuages passèrent ; il lui sembla qu'elle tournait encore dans la valse, sous le feu des lustres, au bras du vicomte, et que Léon n'était pas loin, qui allait venir… et cependant elle sentait toujours la tête de Rodolphe à côté d'elle. La douceur de cette sensation pénétrait ainsi ses désirs d'autrefois, et comme des grains de sable sous un coup de vent, ils tourbillonnaient dans la bouffée subtile du parfum qui se répandait sur son âme. Elle ouvrit les narines à plusieurs reprises, fortement, pour aspirer la fraîcheur des lierres autour des chapiteaux. Elle retira ses gants, elle s'essuya les mains ; puis, avec son mouchoir, elle s'éventait la figure, tandis qu'à travers le battement de ses tempes elle entendait la rumeur de la foule et la voix du Conseiller qui psalmodiait ses phrases. Il disait :

« Continuez !

persévérez ! n'écoutez ni les suggestions de la routine, ni les conseils trop hâtifs d'un empirisme téméraire ! Appliquez-vous surtout à l'amélioration du sol, aux bons engrais, au développement des races chevalines, bovines, ovines et porcines ! Que ces comices soient pour vous comme des arènes pacifiques où le vainqueur, en en sortant, tendra la main au vaincu et fraternisera [ 205 ] avec lui, dans l'espoir d'un succès meilleur ! Et vous, vénérables serviteurs ! humbles domestiques, dont aucun gouvernement jusqu'à ce jour n'avait pris en considération les pénibles labeurs, venez recevoir la récompense de vos vertus silencieuses, et soyez convaincus que l'état, désormais, a les yeux fixés sur vous, qu'il vous encourage, qu'il vous protège, qu'il fera droit à vos justes réclamations et allégera, autant qu'il est en lui, le fardeau de vos pénibles sacrifices ! M.

Lieuvain se rassit alors ; M. Derozerays se leva, commençant un autre discours. Le sien, peut-être, ne fut point aussi fleuri que celui du Conseiller ; mais il se recommandait par un caractère de style plus positif, c'est-à-dire par des connaissances plus spéciales et des considérations plus relevées. Ainsi, l'éloge du gouvernement y tenait moins de place ; la religion et l'agriculture en occupaient davantage. On y voyait le rapport de l'une et de l'autre, et comment elles avaient concouru toujours à la civilisation. Rodolphe, avec Mme Bovary, causait rêves, pressentiments, magnétisme. Remontant au berceau des sociétés, l'orateur vous dépeignait ces temps farouches où les hommes vivaient de glands, au fond des bois. Puis ils avaient quitté la dépouille des bêtes ; endossé le drap, creusé des sillons, planté la vigne. Etait-ce un bien, et n'y avait-il pas dans cette découverte plus d'inconvénients que d'avantages ? M. Derozerays se posait ce problème. Du magnétisme, peu à peu, Rodolphe en était venu aux affinités, et, tandis que M. le président citait Cincinnatus à sa charrue, Dioclétien plantant ses [ 206 ] choux, et les empereurs de la Chine inaugurant l'année par des semailles, le jeune homme expliquait à la jeune femme que ces attractions irrésistibles tiraient leur cause de quelque existence antérieure. — Ainsi, nous, disait-il, pourquoi nous sommes-nous connus ?

quel hasard l'a voulu ? C'est qu'à travers l'éloignement, sans doute, comme deux fleuves qui coulent pour se rejoindre, nos pentes particulières nous avaient poussés l'un vers l'autre. Et il saisit sa main ; elle ne la retira pas.

« Ensemble de bonnes cultures !

» cria le président.

— Tantôt, par exemple, quand je suis venu chez vous…

« À M. Bizet, de Quincampoix.

— Savais-je que je vous accompagnerais ?

« Soixante et dix francs !

— Cent fois même j'ai voulu partir, et je vous ai suivie, je suis resté. « Fumiers.

— Comme je resterais ce soir, demain, les autres jours, toute ma vie !

« À M. Caron, d'Argueil, une médaille d'or ! — Car jamais je n'ai trouvé dans la société de personne un charme aussi complet. « À M. Bain, de Givry-Saint-Martin !

— Aussi, moi, j'emporterai votre souvenir. [ 207 ] « Pour un bélier mérinos… »

— Mais vous m'oublierez, j'aurai passé comme une ombre. « À M. Belot, de Notre-Dame… »

— Oh !

non, n'est-ce pas, je serai quelque chose dans votre pensée, dans votre vie ? « Race porcine, prix ex aequo : à MM.

Lehérissé et Cullembourg ; soixante francs ! Rodolphe lui serrait la main, et il la sentait toute chaude et frémissante comme une tourterelle captive qui veut reprendre sa volée ; mais, soit qu'elle essayât de la dégager ou bien qu'elle répondît à cette pression, elle fit un mouvement des doigts ; il s'écria : — Oh !

merci ! Vous ne me repoussez pas ! Vous êtes bonne ! Vous comprenez que je suis à vous ! Laissez que je vous voie, que je vous contemple !

Un coup de vent qui arriva par les fenêtres fronça le tapis de la table, et, sur la place, en bas, tous les grands bonnets des paysannes se soulevèrent, comme des ailes de papillons blancs qui s'agitent. « Emploi de tourteaux de graines oléagineuses », continua le président.

Il se hâtait :

« Engrais flamand, – culture du lin, – drainage, – baux à longs termes, – services de domestiques.

Rodolphe ne parlait plus.

Ils se regardaient. Un désir suprême faisait frissonner leurs lèvres [ 208 ] sèches ; et mollement, sans effort, leurs doigts se confondirent.

« Catherine-Nicaise-Élisabeth Leroux, de Sassetot-la-Guerrière, pour cinquante-quatre ans de service dans la même ferme, une médaille d'argent – du prix de vingt-cinq francs ! « Où est-elle, Catherine Leroux ?

» répéta le Conseiller.

Elle ne se présentait pas, et l'on entendait des voix qui chuchotaient : — Vas-y !

— Non.

— À gauche !

— N'aie pas peur ! — Ah !

qu'elle est bête ! — Enfin y est-elle ?

s'écria Tuvache. — Oui !… la voilà !

— Qu'elle approche donc ! Alors on vit s'avancer sur l'estrade une petite vieille femme de maintien craintif, et qui paraissait se ratatiner dans ses pauvres vêtements. Elle avait aux pieds de grosses galoches de bois, et, le long des hanches, un grand tablier bleu. Son visage maigre, entouré d'un béguin sans bordure, était plus plissé de rides qu'une pomme de reinette flétrie, et des manches de sa camisole rouge dépassaient deux longues mains, à articulations noueuses. La poussière des granges, la potasse des lessives et le suint des laines les avaient si bien encroûtées, éraillées, durcies, qu'elles semblaient sales quoiqu'elles fussent rincées d'eau claire ; et, à force d'avoir servi, elles restaient entrouvertes, comme pour présenter d'elles-mêmes l'humble [ 209 ] témoignage de tant de souffrances subies. Quelque chose d'une rigidité monacale relevait l'expression de sa figure. Rien de triste ou d'attendri n'amollissait ce regard pâle. Dans la fréquentation des animaux, elle avait pris leur mutisme et leur placidité. C'était la première fois qu'elle se voyait au milieu d'une compagnie si nombreuse ; et, intérieurement effarouchée par les drapeaux, par les tambours, par les messieurs en habit noir et par la croix d'honneur du Conseiller, elle demeurait tout immobile, ne sachant s'il fallait s'avancer ou s'enfuir, ni pourquoi la foule la poussait et pourquoi les examinateurs lui souriaient. Ainsi se tenait, devant ces bourgeois épanouis, ce demi-siècle de servitude.

— Approchez, vénérable Catherine-Nicaise-Élisabeth Leroux !

dit M. le Conseiller, qui avait pris des mains du président la liste des lauréats.

Et tour à tour examinant la feuille de papier, puis la vieille femme, il répétait d'un ton paternel : — Approchez, approchez !

— Etes-vous sourde ?

dit Tuvache, en bondissant sur son fauteuil.

Et il se mit là lui crier dans l'oreille : — Cinquante-quatre ans de service !

Une médaille d'argent ! Vingt-cinq francs ! C'est pour vous. Puis, quand elle eut sa médaille, elle la considéra.

Alors un sourire de béatitude se répandit sur sa figure, et on l'entendit qui marmottait en s'en allant : — Je la donnerai au curé de chez nous, pour qu'il me dise des messes. [ 210 ] — Quel fanatisme ! exclama le pharmacien, en se penchant vers le notaire.

La séance était finie ; la foule se dispersa ; et, maintenant que des discours étaient lus, chacun reprenait son rang et tout rentrait dans la coutume : les maîtres rudoyaient les domestiques, et ceux-ci frappaient les animaux, triomphateurs indolents qui s'en retournaient à l'étable, une couronne verte entre les cornes. Cependant les gardes nationaux étaient montés au premier étage de la mairie, avec des brioches embrochées à leurs baïonnettes, et le tambour du bataillon qui portait un panier de bouteilles.

{{Mme} Bovary prit le bras de Rodolphe ; il la reconduisit chez elle ; ils se séparèrent devant sa porte ; puis il se promena seul dans la prairie, tout en attendant l'heure du banquet. Le festin fut long, bruyant, mal servi ; l'on était si tassé, que l'on avait peine à remuer les coudes, et les planches étroites qui servaient de bancs faillirent se rompre sous le poids des convives. Ils mangeaient abondamment. Chacun s'en donnait pour sa quote-part. La sueur coulait sur tous les fronts ; et une vapeur blanchâtre, comme la buée d'un fleuve par un matin d'automne, flottait au-dessus de la table, entre les quinquets suspendus. Rodolphe, le dos appuyé contre le calicot de la tente, pensait si fort à Emma, qu'il n'entendait rien. Derrière lui, sur le gazon, des domestiques empilaient des assiettes sales ; ses voisins parlaient, il ne leur répondait pas ; on lui emplissait son verre, et un silence s'établissait dans sa pensée, malgré les accroissements de la rumeur. Il rêvait à ce qu'elle avait dit et à la [ 211 ] forme de ses lèvres ; sa figure, comme en un miroir magique, brillait sur la plaque des shakos ; les plis de sa robe descendaient le long des murs, et des journées d'amour se déroulaient à l'infini dans les perspectives de l'avenir. Il la revit le soir, pendant le feu d'artifice ; mais elle était avec son mari, {{Mme} Homais et le pharmacien, lequel se tourmentait beaucoup sur le danger des fusées perdues ; et, à chaque moment, il quittait la compagnie pour aller faire à Binet des recommandations. Les pièces pyrotechniques envoyées à l'adresse du sieur Tuvache avaient, par excès de précaution, été enfermées dans sa cave ; aussi la poudre humide ne s'enflammait guère, et le morceau principal, qui devait figurer un dragon se mordant la queue, rata complètement. De temps à autre, il partait une pauvre chandelle romaine ; alors la foule béante poussait une clameur où se mêlait le cri des femmes à qui l'on chatouillait la taille pendant l'obscurité. Emma, silencieuse, se blottissait doucement contre l'épaule de Charles ; puis, le menton levé, elle suivait dans le ciel noir le jet lumineux des fusées. Rodolphe la contemplait à la lueur des lampions qui brûlaient.

Ils s'éteignirent peu à peu. Les étoiles s'allumèrent. Quelques gouttes de pluie vinrent à tomber. Elle noua son fichu sur sa tête nue.

À ce moment, le fiacre du Conseiller sortit de l'auberge. Son cocher, qui était ivre, s'assoupit tout à coup ; et l'on apercevait de loin, par-dessus la capote, entre les deux lanternes, la masse de son corps qui se balançait de droite et de gauche selon le tangage des soupentes. [ 212 ] — En vérité, dit l'apothicaire, on devrait bien sévir contre l'ivresse ! Je voudrais que l'on inscrivît, hebdomadairement, à la porte de la mairie, sur un tableau ad hoc, les noms de tous ceux qui, durant la semaine, se seraient intoxiqués avec des alcools. D'ailleurs, sous le rapport de la statistique, on aurait là comme des annales patentes qu'on irait au besoin… Mais excusez. Et il courut encore vers le capitaine.

Celui-ci rentrait à sa maison.

Il allait revoir son tour.

— Peut-être ne feriez-vous pas mal, lui dit Homais, d'envoyer un de vos hommes ou d'aller vous-même… -Laissez-moi donc tranquille, répondit le percepteur, puisqu'il n'y a rien ! — Rassurez-vous, dit l'apothicaire, quand il fut revenu près de ses amis. M. Binet m'a certifié que les mesures étaient prises. Nulle flammèche ne sera tombée. Les pompes sont pleines. Allons dormir.

— Ma foi !

j'en ai besoin, fit {{Mme} Homais qui bâillait considérablement ; mais, n'importe, nous avons eu pour notre fête une bien belle journée. Rodolphe répéta d'une voix basse et avec un regard tendre : — Oh !

oui, bien belle !

Et, s'étant salués, on se tourna le dos. Deux jours après, dans le Fanal de Rouen, il y avait un grand article sur les comices.

Homais l'avait composé, de verve, dès le lendemain : « Pourquoi ces festons, ces fleurs, ces guirlandes ?

Où courait cette foule comme les flots d'une mer en furie, sous les torrents d'un soleil [ 213 ] tropical qui répandait sa chaleur sur nos guérets ? Ensuite, il parlait de la condition des paysans.

Certes, le gouvernement faisait beaucoup, mais, pas assez ! « Du courage ! lui criait-il ; mille réformes sont indispensables, accomplissons-les. » Puis, abordant l'entrée du Conseiller, il n'oubliait point « l'air martial de notre milice » , ni « nos plus sémillantes villageoises », ni « les vieillards à tête chauve, sorte de patriarches qui étaient là, et dont quelques-uns, débris de nos immortelles phalanges, sentaient encore battre leurs cœurs au son mâle des tambours. » Il se citait des premiers parmi les membres du jury, et même il rappelait, dans une note, que M. Homais, pharmacien, avait envoyé un mémoire sur le cidre à la Société d'agriculture. Quand il arrivait à la distribution des récompenses, il dépeignait la joie des lauréats en traits dithyrambiques. « Le père embrassait son fils, le frère le frère, l'époux l'épouse. Plus d'un montrait avec orgueil son humble médaille, et sans doute, revenu chez lui, près de sa bonne ménagère, il l'aura suspendue en pleurant aux murs discrets de sa chaumine. « Vers six heures, un banquet, dressé dans l'herbage de M. Liégeard, a réuni les principaux assistants de la fête. La plus grande cordialité n'a cessé d'y régner. Divers toasts ont été portés : M. Lieuvain, au monarque ! M. Tuvache, au préfet ! M. Derozerays, à l'agriculture ! M. Homais, à l'industrie et aux beaux-arts, ces deux sœurs ! M. Leplichey, aux améliorations ! Le soir, un brillant feu d'artifice a tout à coup illuminé les airs. On eût dit un véritable kaléidoscope, un vrai décor d'Opéra, et un moment notre petite [ 214 ] localité, a pu se croire transportée au milieu d'un rêve des Mille et une nuits. « Constatons qu'aucun événement fâcheux n'est venu troubler cette réunion de famille. Et il ajoutait : « On y a seulement remarqué l'absence du clergé. Sans doute les sacristies entendent le progrès d'une autre manière. Libre à vous, messieurs de Loyola !

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Deuxième Partie, 8b Zweiter Teil, 8b Part Two, 8b Seconda parte, 8b

Alors elle le regarda comme on contemple un voyageur qui a passé par des pays extraordinaires, et elle reprit : Then she looked at him as one contemplates a traveler who has passed through extraordinary countries, and she continued:

— Nous n'avons pas même cette distraction, nous autres pauvres femmes ! — Triste distraction car on n'y trouve pas le bonheur. — Mais le trouve-t-on jamais ? - But do we ever find it?

demanda-t-elle.

— Oui, il se rencontre un jour, répondit-il. - Yes, he meets one day, he replied.

[ 199 ] « Et c'est là ce que vous avez compris, disait le Conseiller. [199] "And that is what you understood," said the Counselor. Vous, agriculteurs et ouvriers des campagnes ; vous, pionniers pacifiques d'une œuvre toute de civilisation ! You, farmers and workers in the countryside; you, peaceful pioneers of a whole work of civilization! vous, hommes de progrès et de moralité ! ||||||Moralität vous avez compris, dis-je, que les orages politiques sont encore plus redoutables vraiment que les désordres de l'atmosphère… » you have understood, I say, that political storms are really more formidable than the disorders of the atmosphere ... " — Il se rencontre un jour, répéta Rodolphe, un jour, tout à coup, et quand on en désespérait.

Alors des horizons s'entrouvrent, c'est comme une voix qui crie : « Le voilà ! » Vous sentez le besoin de faire à cette personne la confidence de votre vie ; de lui donner tout, de lui sacrifier tout ! On ne s'explique pas, on se devine. We don't explain ourselves, we guess. On s'est entrevu dans ses rêves. We met in his dreams. (Et il la regardait.) Enfin, il est là, ce trésor que l'on a tant cherché, là, devant vous ; il brille, il étincelle. Cependant on en doute encore, on n'ose y croire ; on en reste ébloui, comme si l'on sortait des ténèbres à la lumière. Et, en achevant ces mots, Rodolphe ajouta la pantomime a sa phrase. ||||||||pantomime|||

Il se passa la main sur le visage, tel qu'un homme pris d'étourdissement ; puis il la laissa retomber sur celle d'Emma. Elle retira la sienne. She withdrew hers. Mais le Conseiller lisait toujours : But the Counselor still read:

« Et qui s'en étonnerait, Messieurs ? "And who would be surprised, gentlemen? Celui-là seul qui serait assez aveugle, assez plongé (je ne crains pas de le dire), assez plongé dans les préjugés d'un autre âge pour méconnaître encore l'esprit des populations agricoles. The only one who would be blind enough, immersed enough (I am not afraid to say it), immersed enough in the prejudices of another age to still misunderstand the spirit of the agricultural populations. Où trouver, en effet, plus de patriotisme que dans les campagnes, plus de dévouement à la cause publique, plus [ 200 ] d'intelligence en un mot ? Et je n'entends pas, Messieurs, cette intelligence superficielle, vain ornement des esprits oisifs, mais plus de cette intelligence profonde et modérée, qui s'applique par-dessus toute chose à poursuivre des buts utiles, contribuant ainsi au bien de chacun, à l'amélioration commune et au soutien des États, fruit du respect des lois et de la pratique des devoirs… » ||||||||||||||||||||||||above|||||||||||||||||||||||||||||||| — Ah !

encore, dit Rodolphe. Toujours les devoirs, je suis assommé de ces mots-là. |||||smashed|||| Ils sont un tas de vieilles ganaches en gilet de flanelle, et de bigotes à chaufferette et à chapelet, qui continuellement nous chantent aux oreilles : « Le devoir ! ||||||goblins|||||||bigots||heater||||||||||| They are a bunch of old ganaches in flannel jackets, and bigots with heaters and rosaries, who continually sing to us: "Duty! le devoir ! » Eh ! parbleu ! le devoir, c'est de sentir ce qui est grand, de chérir ce qui est beau, et non pas d'accepter toutes les conventions de la société, avec les ignominies qu'elle nous impose. — Cependant…, cependant…, objectait Mme Bovary.

— Eh non !

pourquoi déclamer contre les passions ? Ne sont-elles pas la seule belle chose qu'il y ait sur la terre, la source de l'héroïsme, de l'enthousiasme, de la poésie, de la musique, des arts, de tout enfin ? — Mais il faut bien, dit Emma, suivre un peu l'opinion du monde et obéir à sa morale. — Ah !

c'est qu'il y en a deux, répliqua-t-il. that there are two, he replied. La petite, la convenue, celle des hommes, celle qui varie sans cesse et qui braille si fort, s'agite en bas, terre à terre, comme ce rassemblement d'imbéciles que vous voyez. ||||||||||||||screams||||||||||||||| The little one, the one who agreed, that of men, the one who is constantly changing and who bawls so loudly, is agitated below, down to earth, like that gathering of fools you see. Mais l'autre, l'éternelle, elle est tout autour et au-dessus, comme [ 201 ] le paysage qui nous environne et le ciel bleu qui nous éclaire. M.

Lieuvain venait de s'essuyer la bouche avec son mouchoir de poche. Il reprit :

« Et qu'aurais-je à faire, messieurs, de vous démontrer ici l'utilité de l'agriculture ? "And what would I have to do, gentlemen, to show you here the usefulness of agriculture? Qui donc pourvoit à nos besoins ? qui donc fournit à notre subsistance ? N'est-ce pas l'agriculteur ? L'agriculteur, messieurs, qui, ensemençant d'une main laborieuse les sillons féconds des campagnes, fait naître le blé, lequel broyé est mis en poudre au moyen d'ingénieux appareils, en sort sous le nom de farine, et, de là, transporté dans les cités, est bientôt rendu chez le boulanger, qui en confectionne un aliment pour le pauvre comme pour le riche. |||säend||||||||||||||gemahlen|||||||von genialen||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||fertile|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| N'est-ce pas l'agriculteur encore qui engraisse, pour nos vêtements, ses abondants troupeaux dans les pâturages ? ||||||fatten||||||||| Car comment nous vêtirions-nous, car comment nous nourririons-nous sans l'agriculteur ? |||vêtirions|||||||| Et même, messieurs, est-il besoin d'aller si loin chercher des exemples ? Qui n'a souvent réfléchi à toute l'importance que l'on retire de ce modeste animal, ornement de nos basses-cours, qui fournit à la fois un oreiller moelleux pour nos couches, sa chair succulente pour nos tables, et des œufs ? Mais je n'en finirais pas, s'il fallait énumérer les uns après les autres les différents produits que la terre bien cultivée, telle qu'une mère généreuse, prodigue à ses enfants. Ici, c'est la vigne ; ailleurs, ce sont les pommiers à cidre ; là, le colza ; plus loin, les fromages ; et le lin ; messieurs, n'oublions pas le lin ! ||||||||apple trees|||||canola|||||||||||| qui a pris dans ces dernières années un accroissement considérable [ 202 ] et sur lequel j'appellerai plus particulièrement votre attention. Il n'avait pas besoin de l'appeler : car toutes les bouches de la multitude se tenaient ouvertes, comme pour boire ses paroles. Tuvache, à côté de lui, l'écoutait en écarquillant les yeux ; M. Derozerays, de temps à autre, fermait doucement les paupières ; et, plus loin, le pharmacien, avec son fils Napoléon entre ses jambes, bombait sa main contre son oreille pour ne pas perdre une seule syllabe. |||||||widening||||||||||||||||||||||||||||||||||||| Les autres membres du jury balançaient lentement leur menton dans leur gilet, en signe d'approbation. Les pompiers, au bas de l'estrade, se reposaient sur leurs baïonnettes ; et Binet, immobile, restait le coude en dehors, avec la pointe du sabre en l'air. Il entendait peut-être, mais il ne devait rien apercevoir, à cause de la visière de son casque qui lui descendait sur le nez. Son lieutenant, le fils cadet du sieur Tuvache, avait encore exagéré le sien ; car il en portait un énorme et qui lui vacillait sur la tête, en laissant dépasser un bout de son foulard d'indienne. ||||||||||||||||||||||wackelte|||||||||||| Il souriait là-dessous avec une douceur tout enfantine, et sa petite figure pâle, où des gouttes ruisselaient, avait une expression de jouissance, d'accablement et de sommeil La place jusqu'aux maisons était comble de monde. On voyait des gens accoudés à toutes les fenêtres, d'autres debout sur toutes les portes, et Justin, devant la devanture de la pharmacie, paraissait tout fixé dans la contemplation de ce qu'il regardait. Malgré le silence, la voix de M. Lieuvain se perdait dans l'air. Elle vous [ 203 ] arrivait par lambeaux de phrases, qu'interrompait, çà et là le bruit des chaises dans la foule ; puis on entendait, tout à coup, partir derrière soi un long mugissement de bœuf, ou bien les bêlements des agneaux qui se répondaient au coin des rues. |||||||unterbrochen wurde||||||||||||||||||||||||||||||||||||| En effet, les vachers et les bergers avaient poussé leurs bêtes jusque-là, et elles beuglaient de temps à autre, tout en arrachant avec leur langue quelque bribe de feuillage qui leur pendait sur le museau. |||||||||||||||||||||||||||||||||||muzzle

Rodolphe s'était rapproché d'Emma, et il disait d'une voix basse, en parlant vite : — Est-ce que cette conjuration du monde ne vous révolte pas ?

Est-il un seul sentiment qu'il ne condamne ? Les instincts les plus nobles, les sympathies les plus pures sont persécutés, calomniés, et, s'il se rencontre enfin deux pauvres âmes, tout est organisé pour qu'elles ne puissent se joindre. The noblest instincts, the purest sympathies are persecuted, slandered, and, if two poor souls finally meet, everything is organized so that they cannot join. Elles essayeront cependant, elles battront des ailes, elles s'appelleront. They will try however, they will flap their wings, they will be called. Oh !

n'importe, tôt ou tard, dans six mois, dix ans, elles se réuniront, s'aimeront, parce que la fatalité l'exige et qu'elles sont nées l'une pour l'autre. Il se tenait les bras croisés sur ses genoux, et, ainsi levant la figure vers Emma, il la regardait de près, fixement.

Elle distinguait dans ses yeux des petits rayons d'or s'irradiant tout autour de ses pupilles noires, et même elle sentait le parfum de la pommade qui lustrait sa chevelure. |||||||||die sich ausstrahlten||||||||||||||||||| Alors une mollesse la saisit, elle se rappela ce vicomte qui l'avait fait valser à la Vaubyessard, et dont la barbe exhalait, comme ces cheveux-là, cette odeur de vanille et de citron ; et, machinalement, elle entreferma les paupières pour la mieux respirer : Mais, dans ce geste qu'elle fit en se [ 204 ] cambrant sur sa chaise, elle aperçut au loin, tout au fond de l'horizon, la vieille diligence l'Hirondelle, qui descendait lentement la côte des Leux, en traînant après soi un long panache de poussière. ||||||||||||||||||||||||||||||||||||entreferma|||||||||||||||cambrant|||||||||||||||||||||||||||||||| C'était dans cette voiture jaune que Léon, si souvent, était revenu vers elle ; et par cette route là-bas qu'il était parti pour toujours ! Elle crut le voir en face, à sa fenêtre ; puis tout se confondit, des nuages passèrent ; il lui sembla qu'elle tournait encore dans la valse, sous le feu des lustres, au bras du vicomte, et que Léon n'était pas loin, qui allait venir… et cependant elle sentait toujours la tête de Rodolphe à côté d'elle. |glaubte|||||||||||verblasste|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| La douceur de cette sensation pénétrait ainsi ses désirs d'autrefois, et comme des grains de sable sous un coup de vent, ils tourbillonnaient dans la bouffée subtile du parfum qui se répandait sur son âme. Elle ouvrit les narines à plusieurs reprises, fortement, pour aspirer la fraîcheur des lierres autour des chapiteaux. |||Nasenlöcher||||||||||||| |||||||||||||ivy|||capitals Elle retira ses gants, elle s'essuya les mains ; puis, avec son mouchoir, elle s'éventait la figure, tandis qu'à travers le battement de ses tempes elle entendait la rumeur de la foule et la voix du Conseiller qui psalmodiait ses phrases. |||||||||||||sich die Luft zufächeln|||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||was fanning||||||||||||||||||||||||psalmodized|| Il disait :

« Continuez !

persévérez ! n'écoutez ni les suggestions de la routine, ni les conseils trop hâtifs d'un empirisme téméraire ! |||||||||||||Empirismus| Appliquez-vous surtout à l'amélioration du sol, aux bons engrais, au développement des races chevalines, bovines, ovines et porcines ! ||||||||||||||||||Schweine ||||||||||||||||ovine|| Que ces comices soient pour vous comme des arènes pacifiques où le vainqueur, en en sortant, tendra la main au vaincu et fraternisera [ 205 ] avec lui, dans l'espoir d'un succès meilleur ! Et vous, vénérables serviteurs ! humbles domestiques, dont aucun gouvernement jusqu'à ce jour n'avait pris en considération les pénibles labeurs, venez recevoir la récompense de vos vertus silencieuses, et soyez convaincus que l'état, désormais, a les yeux fixés sur vous, qu'il vous encourage, qu'il vous protège, qu'il fera droit à vos justes réclamations et allégera, autant qu'il est en lui, le fardeau de vos pénibles sacrifices ! |||||||||||||mühsamen||||||||||||||||||||||||||||||||||||allégera||||||||||| M.

Lieuvain se rassit alors ; M. Derozerays se leva, commençant un autre discours. Le sien, peut-être, ne fut point aussi fleuri que celui du Conseiller ; mais il se recommandait par un caractère de style plus positif, c'est-à-dire par des connaissances plus spéciales et des considérations plus relevées. Ainsi, l'éloge du gouvernement y tenait moins de place ; la religion et l'agriculture en occupaient davantage. On y voyait le rapport de l'une et de l'autre, et comment elles avaient concouru toujours à la civilisation. Rodolphe, avec Mme Bovary, causait rêves, pressentiments, magnétisme. Remontant au berceau des sociétés, l'orateur vous dépeignait ces temps farouches où les hommes vivaient de glands, au fond des bois. |||||||malte||||||||||||| Puis ils avaient quitté la dépouille des bêtes ; endossé le drap, creusé des sillons, planté la vigne. |||||remains||||||||||| Etait-ce un bien, et n'y avait-il pas dans cette découverte plus d'inconvénients que d'avantages ? Was it good, and were there not more disadvantages than advantages in this discovery? M. Derozerays se posait ce problème. Du magnétisme, peu à peu, Rodolphe en était venu aux affinités, et, tandis que M. le président citait Cincinnatus à sa charrue, Dioclétien plantant ses [ 206 ] choux, et les empereurs de la Chine inaugurant l'année par des semailles, le jeune homme expliquait à la jeune femme que ces attractions irrésistibles tiraient leur cause de quelque existence antérieure. ||||||||||||||||||||||||||||||||||||seeds||||||||||||||||||| — Ainsi, nous, disait-il, pourquoi nous sommes-nous connus ? - So, we, he said, why did we know each other?

quel hasard l'a voulu ? what chance wanted it? C'est qu'à travers l'éloignement, sans doute, comme deux fleuves qui coulent pour se rejoindre, nos pentes particulières nous avaient poussés l'un vers l'autre. Et il saisit sa main ; elle ne la retira pas.

« Ensemble de bonnes cultures ! “Together of good cultures!

» cria le président.

— Tantôt, par exemple, quand je suis venu chez vous…

« À M. Bizet, de Quincampoix.

— Savais-je que je vous accompagnerais ?

« Soixante et dix francs !

— Cent fois même j'ai voulu partir, et je vous ai suivie, je suis resté. - A hundred times even I wanted to leave, and I followed you, I stayed. « Fumiers. Fumiers

— Comme je resterais ce soir, demain, les autres jours, toute ma vie !

« À M. Caron, d'Argueil, une médaille d'or ! — Car jamais je n'ai trouvé dans la société de personne un charme aussi complet. « À M. Bain, de Givry-Saint-Martin !

— Aussi, moi, j'emporterai votre souvenir. - Also, I will take your souvenir. [ 207 ] « Pour un bélier mérinos… » ||ram|

— Mais vous m'oublierez, j'aurai passé comme une ombre. « À M. Belot, de Notre-Dame… »

— Oh !

non, n'est-ce pas, je serai quelque chose dans votre pensée, dans votre vie ? « Race porcine, prix ex aequo : à MM.

Lehérissé et Cullembourg ; soixante francs ! Rodolphe lui serrait la main, et il la sentait toute chaude et frémissante comme une tourterelle captive qui veut reprendre sa volée ; mais, soit qu'elle essayât de la dégager ou bien qu'elle répondît à cette pression, elle fit un mouvement des doigts ; il s'écria : |||||||||||||||dove|||||||||||||||||||||||||||| — Oh !

merci ! Vous ne me repoussez pas ! |||stoßen| Vous êtes bonne ! Vous comprenez que je suis à vous ! Laissez que je vous voie, que je vous contemple !

Un coup de vent qui arriva par les fenêtres fronça le tapis de la table, et, sur la place, en bas, tous les grands bonnets des paysannes se soulevèrent, comme des ailes de papillons blancs qui s'agitent. ||||||||||||||||||||||||||||sich erhoben|||||||| |||||||||wrinkled||||||||||||||||||||||||||| « Emploi de tourteaux de graines oléagineuses », continua le président. |||||oilseeds||| "Use of oilseed meal," continued the president.

Il se hâtait : He hurried:

« Engrais flamand, – culture du lin, – drainage, – baux à longs termes, – services de domestiques. |||||drainage|leases|||||| “Flemish fertilizers, - cultivation of flax, - drainage, - long-term leases, - domestic services.

Rodolphe ne parlait plus.

Ils se regardaient. They looked at each other. Un désir suprême faisait frissonner leurs lèvres [ 208 ] sèches ; et mollement, sans effort, leurs doigts se confondirent.

« Catherine-Nicaise-Élisabeth Leroux, de Sassetot-la-Guerrière, pour cinquante-quatre ans de service dans la même ferme, une médaille d'argent – du prix de vingt-cinq francs ! « Où est-elle, Catherine Leroux ?

» répéta le Conseiller.

Elle ne se présentait pas, et l'on entendait des voix qui chuchotaient : |||||||||||flüsterten — Vas-y ! - Go ahead !

— Non.

— À gauche !

— N'aie pas peur ! — Ah !

qu'elle est bête ! — Enfin y est-elle ?

s'écria Tuvache. — Oui !… la voilà !

— Qu'elle approche donc ! Alors on vit s'avancer sur l'estrade une petite vieille femme de maintien craintif, et qui paraissait se ratatiner dans ses pauvres vêtements. |||||||||||||||||verwelken|||| Elle avait aux pieds de grosses galoches de bois, et, le long des hanches, un grand tablier bleu. Son visage maigre, entouré d'un béguin sans bordure, était plus plissé de rides qu'une pomme de reinette flétrie, et des manches de sa camisole rouge dépassaient deux longues mains, à articulations noueuses. |||||beanie|||||||||||reinette|||||||||||||||knotted La poussière des granges, la potasse des lessives et le suint des laines les avaient si bien encroûtées, éraillées, durcies, qu'elles semblaient sales quoiqu'elles fussent rincées d'eau claire ; et, à force d'avoir servi, elles restaient entrouvertes, comme pour présenter d'elles-mêmes l'humble [ 209 ] témoignage de tant de souffrances subies. |||||Pottasche|||||||||||||abgerieben||||||||||||||||||||||||||||| |||||potash||||||||||||caked|railed||||||||||||||||||||||||||||| The dust from the barns, the potash from the washing powder and the woolen grease had so badly encrusted them, shredded, hardened, that they seemed dirty even though they were rinsed with clear water; and, by dint of having served, they remained ajar, as if to present themselves the humble [209] testimony of so much suffering suffered. Quelque chose d'une rigidité monacale relevait l'expression de sa figure. ||||monastic||||| Rien de triste ou d'attendri n'amollissait ce regard pâle. Nothing sad or tender softened that pale look. Dans la fréquentation des animaux, elle avait pris leur mutisme et leur placidité. C'était la première fois qu'elle se voyait au milieu d'une compagnie si nombreuse ; et, intérieurement effarouchée par les drapeaux, par les tambours, par les messieurs en habit noir et par la croix d'honneur du Conseiller, elle demeurait tout immobile, ne sachant s'il fallait s'avancer ou s'enfuir, ni pourquoi la foule la poussait et pourquoi les examinateurs lui souriaient. Ainsi se tenait, devant ces bourgeois épanouis, ce demi-siècle de servitude. Thus stood before these flourishing bourgeois this half-century of servitude.

— Approchez, vénérable Catherine-Nicaise-Élisabeth Leroux !

dit M. le Conseiller, qui avait pris des mains du président la liste des lauréats.

Et tour à tour examinant la feuille de papier, puis la vieille femme, il répétait d'un ton paternel : — Approchez, approchez !

— Etes-vous sourde ?

dit Tuvache, en bondissant sur son fauteuil.

Et il se mit là lui crier dans l'oreille : And he stood there shouting in his ear: — Cinquante-quatre ans de service !

Une médaille d'argent ! Vingt-cinq francs ! C'est pour vous. Puis, quand elle eut sa médaille, elle la considéra.

Alors un sourire de béatitude se répandit sur sa figure, et on l'entendit qui marmottait en s'en allant : Then a smile of bliss spread over his face, and we heard him mumbling as he left: — Je la donnerai au curé de chez nous, pour qu'il me dise des messes. [ 210 ] — Quel fanatisme ! exclama le pharmacien, en se penchant vers le notaire.

La séance était finie ; la foule se dispersa ; et, maintenant que des discours étaient lus, chacun reprenait son rang et tout rentrait dans la coutume : les maîtres rudoyaient les domestiques, et ceux-ci frappaient les animaux, triomphateurs indolents qui s'en retournaient à l'étable, une couronne verte entre les cornes. ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||the stable|||||| Cependant les gardes nationaux étaient montés au premier étage de la mairie, avec des brioches embrochées à leurs baïonnettes, et le tambour du bataillon qui portait un panier de bouteilles. |||||||||||||||aufgespießte|||||||||||||| ||||||||||||||brioches|spiked||||||||||||||

{{Mme} Bovary prit le bras de Rodolphe ; il la reconduisit chez elle ; ils se séparèrent devant sa porte ; puis il se promena seul dans la prairie, tout en attendant l'heure du banquet. Le festin fut long, bruyant, mal servi ; l'on était si tassé, que l'on avait peine à remuer les coudes, et les planches étroites qui servaient de bancs faillirent se rompre sous le poids des convives. Ils mangeaient abondamment. Chacun s'en donnait pour sa quote-part. Everyone gave their share. La sueur coulait sur tous les fronts ; et une vapeur blanchâtre, comme la buée d'un fleuve par un matin d'automne, flottait au-dessus de la table, entre les quinquets suspendus. ||||||||||||||||||||||||||||lamps| Rodolphe, le dos appuyé contre le calicot de la tente, pensait si fort à Emma, qu'il n'entendait rien. ||||||canvas||||||||||| Rodolphe, his back leaning against the calico of the tent, thought of Emma so hard that he heard nothing. Derrière lui, sur le gazon, des domestiques empilaient des assiettes sales ; ses voisins parlaient, il ne leur répondait pas ; on lui emplissait son verre, et un silence s'établissait dans sa pensée, malgré les accroissements de la rumeur. |||||||stapelten||||||||||||||||||||||||||Zunahmen||| Il rêvait à ce qu'elle avait dit et à la [ 211 ] forme de ses lèvres ; sa figure, comme en un miroir magique, brillait sur la plaque des shakos ; les plis de sa robe descendaient le long des murs, et des journées d'amour se déroulaient à l'infini dans les perspectives de l'avenir. Il la revit le soir, pendant le feu d'artifice ; mais elle était avec son mari, {{Mme} Homais et le pharmacien, lequel se tourmentait beaucoup sur le danger des fusées perdues ; et, à chaque moment, il quittait la compagnie pour aller faire à Binet des recommandations. He saw her again in the evening, during the fireworks; but she was with her husband, {{Mme} Homais and the pharmacist, who was very worried about the danger of lost rockets; and, at every moment, he left the company to go and make recommendations to Binet. Les pièces pyrotechniques envoyées à l'adresse du sieur Tuvache avaient, par excès de précaution, été enfermées dans sa cave ; aussi la poudre humide ne s'enflammait guère, et le morceau principal, qui devait figurer un dragon se mordant la queue, rata complètement. The pyrotechnics sent to Mr. Tuvache's address had, as a precaution, been locked in his cellar; also the wet powder hardly ignited, and the main piece, which must have represented a dragon biting its tail, completely missed. De temps à autre, il partait une pauvre chandelle romaine ; alors la foule béante poussait une clameur où se mêlait le cri des femmes à qui l'on chatouillait la taille pendant l'obscurité. |||||||||||||||||||||||||||kitzelte|||| From time to time he would leave a poor Roman candle; then the gaping crowd uttered a clamor mingled with the cry of women whose waist was tickled during the dark. Emma, silencieuse, se blottissait doucement contre l'épaule de Charles ; puis, le menton levé, elle suivait dans le ciel noir le jet lumineux des fusées. Rodolphe la contemplait à la lueur des lampions qui brûlaient.

Ils s'éteignirent peu à peu. |verblassten||| Les étoiles s'allumèrent. Quelques gouttes de pluie vinrent à tomber. Elle noua son fichu sur sa tête nue. |||scarf|||| She tied her kerchief on her bare head.

À ce moment, le fiacre du Conseiller sortit de l'auberge. Son cocher, qui était ivre, s'assoupit tout à coup ; et l'on apercevait de loin, par-dessus la capote, entre les deux lanternes, la masse de son corps qui se balançait de droite et de gauche selon le tangage des soupentes. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||Wanken|| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||sway His coachman, who was drunk, suddenly dozed off; and you could see from a distance, over the hood, between the two lanterns, the mass of his body which swayed from right to left according to the pitch of the lofts. [ 212 ] — En vérité, dit l'apothicaire, on devrait bien sévir contre l'ivresse ! [212] - In truth, said the apothecary, we should be tough on drunkenness! Je voudrais que l'on inscrivît, hebdomadairement, à la porte de la mairie, sur un tableau ad hoc, les noms de tous ceux qui, durant la semaine, se seraient intoxiqués avec des alcools. ||||einschreiben|wöchentlich|||||||||||||||||||||||||| D'ailleurs, sous le rapport de la statistique, on aurait là comme des annales patentes qu'on irait au besoin… Mais excusez. ||||||||||||annals|patent|||||| Besides, in terms of statistics, we would have there as patent annals that we would go if necessary ... But excuse. Et il courut encore vers le capitaine.

Celui-ci rentrait à sa maison.

Il allait revoir son tour. He was going to see his turn again.

— Peut-être ne feriez-vous pas mal, lui dit Homais, d'envoyer un de vos hommes ou d'aller vous-même… - Maybe you wouldn't hurt, said Homais, to send one of your men or to go yourself ... -Laissez-moi donc tranquille, répondit le percepteur, puisqu'il n'y a rien ! -Leave me alone, replied the collector, since there is nothing! — Rassurez-vous, dit l'apothicaire, quand il fut revenu près de ses amis. Beruhigen||||||||||| M. Binet m'a certifié que les mesures étaient prises. Nulle flammèche ne sera tombée. |spark||| Les pompes sont pleines. Allons dormir.

— Ma foi !

j'en ai besoin, fit {{Mme} Homais qui bâillait considérablement ; mais, n'importe, nous avons eu pour notre fête une bien belle journée. Rodolphe répéta d'une voix basse et avec un regard tendre : — Oh !

oui, bien belle !

Et, s'étant salués, on se tourna le dos. And, having greeted each other, we turned our backs. Deux jours après, dans le Fanal de Rouen, il y avait un grand article sur les comices.

Homais l'avait composé, de verve, dès le lendemain : Homais had composed it, with verve, the next day: « Pourquoi ces festons, ces fleurs, ces guirlandes ?

Où courait cette foule comme les flots d'une mer en furie, sous les torrents d'un soleil [ 213 ] tropical qui répandait sa chaleur sur nos guérets ? |||||||||||||||||||||||Wiesen |||||||||||||||||||||||fields Ensuite, il parlait de la condition des paysans.

Certes, le gouvernement faisait beaucoup, mais, pas assez ! « Du courage ! lui criait-il ; mille réformes sont indispensables, accomplissons-les. |||||||führen wir sie aus| he cried to her; a thousand reforms are essential, let us accomplish them. » Puis, abordant l'entrée du Conseiller, il n'oubliait point « l'air martial de notre milice » , ni « nos plus sémillantes villageoises », ni « les vieillards à tête chauve, sorte de patriarches qui étaient là, et dont quelques-uns, débris de nos immortelles phalanges, sentaient encore battre leurs cœurs au son mâle des tambours. ||||||||||||||||||||||||||||||||||debris||||||||||||male|| Then, approaching the entrance of the Counselor, he did not forget "the martial air of our militia", nor "our most shining villagers", nor "the old men with bald heads, sort of patriarchs who were there, and whose some, the remains of our immortal phalanxes, still felt their hearts beat to the male sound of drums. » Il se citait des premiers parmi les membres du jury, et même il rappelait, dans une note, que M. Homais, pharmacien, avait envoyé un mémoire sur le cidre à la Société d'agriculture. Quand il arrivait à la distribution des récompenses, il dépeignait la joie des lauréats en traits dithyrambiques. ||||||||||||||||dithyrambischen When he arrived at the distribution of the awards, he portrayed the joy of the laureates in dithyrambic lines. « Le père embrassait son fils, le frère le frère, l'époux l'épouse. Plus d'un montrait avec orgueil son humble médaille, et sans doute, revenu chez lui, près de sa bonne ménagère, il l'aura suspendue en pleurant aux murs discrets de sa chaumine. |||||||||||||||||||||||||||||cottage More than one proudly displayed his humble medal, and no doubt, having returned home, near his good housewife, he would have suspended her, crying on the discreet walls of his cottage. « Vers six heures, un banquet, dressé dans l'herbage de M. Liégeard, a réuni les principaux assistants de la fête. La plus grande cordialité n'a cessé d'y régner. Divers toasts ont été portés : M. Lieuvain, au monarque ! Various toasts were brought: Mr. Lieuvain, to the monarch! M. Tuvache, au préfet ! M. Derozerays, à l'agriculture ! M. Homais, à l'industrie et aux beaux-arts, ces deux sœurs ! Mr. Homais, to industry and the fine arts, these two sisters! M. Leplichey, aux améliorations ! Le soir, un brillant feu d'artifice a tout à coup illuminé les airs. On eût dit un véritable kaléidoscope, un vrai décor d'Opéra, et un moment notre petite [ 214 ] localité, a pu se croire transportée au milieu d'un rêve des Mille et une nuits. « Constatons qu'aucun événement fâcheux n'est venu troubler cette réunion de famille. “Let us note that no unfortunate event came to disturb this family reunion. Et il ajoutait : « On y a seulement remarqué l'absence du clergé. Sans doute les sacristies entendent le progrès d'une autre manière. No doubt the sacristies hear progress in another way. Libre à vous, messieurs de Loyola ! Free to you, gentlemen of Loyola!