Montserrat Figueras, les femmes et la musique ancienne - Aliette de Laleu
Saskia de Ville : Bonjour Aliette de Laleu
Bonjour Saskia
Saskia : On approche du 21 mars, journée européenne de la musique ancienne, un événement
que vous aimeriez célébrer avec une figure féminine de la musique, une voix que l'on
n'oublie pas…
*Musique* Nani, nani - Montserrat Figueras
Cette voix c'est celle de Montserrat Figueras.
Une chanteuse espagnole que je ne connaissais pas vraiment bien… Et puis jeudi dernier
Nathalie Moller, une collègue fan de flamenco, d'Espagne et de chant a écrit un article
à lire sur francemusique.fr à l'occasion de l'anniversaire de Montserrat Figueras,
née le 15 mars 1942, et décédée trop tôt, emportée par un cancer en 2011.
Cet article revient sur la vie passionnante de cette musicienne, sur sa voix, et sur son
incroyable travail de recherches musicales.
Avec son mari le violiste, violoncelliste et chef d'orchestre Jordi Savall, elle puisait
la musique à la source, quand les mélodies, les chants n'étaient pas écrits, mais
traversaient le temps par tradition orale.
Par exemple, ce que l'on entend là, c'est une berceuse Nani, nani qui date du 15e siècle
et qui a été retrouvée au Maroc…
*Musique*
Cette romance séfarade, chantée ici par Montserrat Figueras, est extraite d'un disque
incroyable qui s'appelle Ninna Nanna, produit par la chanteuse espagnole et qui ne contient
que des berceuses.
Pourquoi ? Et bien s'il y a bien une musique qui est restée exclusivement féminine depuis
la nuit des temps c'est la berceuse.
Un moment intime et tellement fort pour les femmes, qu'elles soient mères ou nourrices,
quand elles chantent une berceuse, elles s'expriment.
La solitude, la joie, l'inquiétude, le chagrin parfois… Tout ça loin des oreilles
masculines et sans que le bébé puisse comprendre ce que la femme exprime.
Celle que l'on est en train d'écouter est le chant d'une femme qui met son mari
à la porte car il la trompe.
La femme se retrouve seule avec son enfant et peut se confier grâce à la musique
Saskia : Un autre disque de Montserrat Figueras a attiré votre attention...
C'est un autre travail qui célèbre les femmes, le disque s'appelle Lux Feminae
et il célèbre les héroïnes de poèmes et de chansons.
Toujours avec cette volonté de ressusciter la musique ancienne, Montserrat Figueras redonne
une place centrale à la femme à travers des poèmes chantés, beaucoup de musiques
anonymes des années 900 à 1600.
Et l'une d'elle est inspiré d'une poétesse et princesse d'Almeria du 11e siècle, Umm al Kiram.
Umm al Kiram a très certainement été inspirée par une autre princesse d'une ville voisine,
Wallada bint al-Mustakfi, qui habitait à Cordoue.
Wallada était une féministe avant l'heure.
Elle se bat pour aimer qui elle veut, elle sort sans voile, elle reçoit chez elles artistes
et poètes, masculins et féminins, et tient des petits salons littéraires où elle n'hésite
pas à lire ses propres poèmes.
Mais ce que je préfère chez elle c'est sa tunique brodée de ses textes en lettres
d'or : “Je suis capable de grandes choses et je poursuis mon chemin altièrement”
ou encore “Je permets à mon amant de caresser ma joue, et j'offre mon baiser à celui
qui le désire”.
On comprend mieux pourquoi la princesse Umm al Kiram s'est inspirée de cette femme.
Malheureusement elle n'a pas eu la même liberté puisque son père tombe un jour sur
un des poèmes d'amour écrit par sa fille.
Le texte est dédié à un jeune espagnol dont elle est tombée folle amoureuse…
Ce qui ne plait pas du tout au roi d'Alméria, qui, furieux, décide de faire exécuter le
jeune homme…
*Musique* Hal sabil Likhalwa - Montserrat Figueras
Hal sabil Likhalwa, poème d'Umm al Kiram chanté par l'éternelle Montserrat Figueras,
un modèle, une voix, à qui l'on doit beaucoup et qu'il faut
aller écouter et réécouter, c'est merveilleux.
Saskia : J'en ai moi même la larme à l'œil Aliette de Laleu
Vous êtes sûre que c'est vraiment la voix ?
Saskia : Merci beaucoup, j'adore Montserrat Figueras
Chers auditeurs allez écouter ça. Merci Max Emanuel Cencic d'être venu nous voir
Et Aliette on réécoute cette chronique sur francemusique.fr