×

Utilizziamo i cookies per contribuire a migliorare LingQ. Visitando il sito, acconsenti alla nostra politica dei cookie.

image

Adolphe, Benjamin Constant, CHAPITRE X

CHAPITRE X

Je passai les jours suivants plus tranquille. J'avais rejeté dans le vague la nécessité d'agir ; elle ne me poursuivait plus comme un spectre ; je croyais avoir tout le temps de préparer Ellénore. Je voulais être plus doux, plus tendre avec elle, pour conserver au moins des souvenirs d'amitié. Mon trouble était tout différent de celui que j'avais connu jusqu'alors. J'avais imploré le ciel pour qu'il élevât soudain entre Ellénore et moi un obstacle que je ne pusse franchir. Cet obstacle s'était élevé. Je fixais mes regards sur Ellénore comme sur un être que j'allais perdre. L'exigence, qui m'avait paru tant de fois insupportable, ne m'effrayait plus ; je m'en sentais affranchi d'avance. J'étais plus libre en lui cédant encore, et je n'éprouvais plus cette révolte intérieure qui jadis me portait sans cesse à tout déchirer. Il n'y avait plus en moi d'impatience ; il y avait, au contraire, un désir secret de retarder le moment funeste. Ellénore s'aperçut de cette disposition plus affectueuse et plus sensible : elle-même devint moins amère. Je recherchais des entretiens que j'avais évités ; je jouissais de ses expressions d'amour, naguère importunes, précieuses maintenant, comme pouvant chaque fois être les dernières. Un soir, nous nous étions quittés après une conversation plus douce que de coutume. Le secret que je renfermais dans mon sein me rendait triste, mais ma tristesse n'avait rien de violent. L'incertitude sur l'époque de la séparation que j'avais voulue me servait à en écarter l'idée. La nuit j'entendis dans le château un bruit inusité. Ce bruit cessa bientôt, et je n'y attachai point d'importance. Le matin cependant, l'idée m'en revint ; j'en voulus savoir la cause, et je dirigeai mes pas vers la chambre d'Ellénore. Quel fut mon étonnement, lorsqu'on me dit que depuis douze heures elle avait une fièvre ardente, qu'un médecin que ses gens avaient fait appeler déclarait sa vie en danger, et qu'elle avait défendu impérieusement que l'on m'avertît ou qu'on me laissât pénétrer jusqu'à elle ! Je voulus insister. Le médecin sortit lui-même pour me représenter la nécessité de ne lui causer aucune émotion. Il attribuait sa défense, dont il ignorait le motif, au désir de ne pas me causer d'alarmes. J'interrogeai les gens d'Ellénore avec angoisse sur ce qui avait pu la plonger d'une manière si subite dans un état si dangereux. La veille, après m'avoir quitté, elle avait reçu de Varsovie une lettre apportée par un homme à cheval ; l'ayant ouverte et parcourue, elle s'était évanouie ; revenue à elle, elle s'était jetée sur son lit sans prononcer une parole. L'une de ses femmes, inquiète de l'agitation qu'elle remarquait en elle, était restée dans sa chambre à son insu ; vers le milieu de la nuit, cette femme l'avait vue saisie d'un tremblement qui ébranlait le lit sur lequel elle était couchée : elle avait voulu m'appeler ; Ellénore s'y était opposée avec une espèce de terreur tellement violente, qu'on n'avait osé lui désobéir. On avait envoyé chercher un médecin ; Ellénore avait refusé, refusait encore de lui répondre ; elle avait passé la nuit, prononçant des mots entrecoupés qu'on n'avait pu comprendre, et appuyant souvent son mouchoir sur sa bouche, comme pour s'empêcher de parler. Tandis qu'on me donnait ces détails, une autre femme, qui était restée près d'Ellénore, accourut tout effrayée. Ellénore paraissait avoir perdu l'usage de ses sens. Elle ne distinguait rien de ce qui l'entourait. Elle poussait quelquefois des cris, elle répétait mon nom ; puis, épouvantée, elle faisait signe de la main, comme pour que l'on éloignât d'elle quelque objet qui lui était odieux. J'entrai dans sa chambre. Je vis au pied de son lit deux lettres. L'une était la mienne au baron de T*, l'autre était de lui-même à Ellénore. Je ne conçus que trop alors le mot de cette affreuse énigme. Tous mes efforts pour obtenir le temps que je voulais consacrer encore aux derniers adieux s'étaient tournés de la sorte contre l'infortunée que j'aspirais à ménager. Ellénore avait lu, tracées de ma main, mes promesses de l'abandonner, promesses qui n'avaient été dictées que par le désir de rester plus longtemps près d'elle, et que la vivacité de ce désir même m'avait porté à répéter, à développer de mille manières. L'œil indifférent de M. de T* avait facilement démêlé dans ces protestations réitérées à chaque ligne l'irrésolution que je déguisais, et les ruses de ma propre incertitude ; mais le cruel avait trop bien calculé qu'Ellénore y verrait un arrêt irrévocable. Je m'approchai d'elle : elle me regarda sans me reconnaître. Je lui parlai : elle tressaillit. Quel est ce bruit ? s'écria-t-elle ; c'est la voix qui m'a fait du mal. Le médecin remarqua que ma présence ajoutait à son délire, et me conjura de m'éloigner. Comment peindre ce que j'éprouvai pendant trois longues heures ? Le médecin sortit enfin. Ellénore était tombée dans un profond assoupissement. Il ne désespérait pas de la sauver, si, à son réveil, la fièvre était calmée.

Ellénore dormit longtemps. Instruit de son réveil, je lui écrivis pour lui demander de me recevoir. Elle me fit dire d'entrer. Je voulus parler ; elle m'interrompit. — Que je n'entende de vous, dit-elle, aucun mot cruel. Je ne réclame plus, je ne m'oppose à rien ; mais que cette voix que j'ai tant aimée, que cette voix qui retentissait au fond de mon cœur n'y pénètre pas pour le déchirer. Adolphe, Adolphe, j'ai été violente, j'ai pu vous offenser ; mais vous ne savez pas ce que j'ai souffert. Dieu veuille que jamais vous ne le sachiez !

Son agitation devint extrême. Elle posa son front sur ma main ; il était brûlant ; une contraction terrible défigurait ses traits. — Au nom du ciel, m'écriai-je, chère Ellénore, écoutez-moi. Oui, je suis coupable : cette lettre… Elle frémit et voulut s'éloigner. Je la retins. Faible, tourmenté, continuai-je, j'ai pu céder un moment à une instance cruelle ; mais n'avez-vous pas vous-même mille preuves que je ne puis vouloir ce qui nous sépare ? J'ai été mécontent, malheureux, injuste ; peut-être, en luttant avec trop de violence contre une imagination rebelle, avez-vous donné de la force à des velléités passagères que je méprise aujourd'hui ; mais pouvez-vous douter de mon affection profonde ? nos âmes ne sont-elles pas enchaînées l'une à l'autre par mille liens que rien ne peut rompre ? tout le passé ne nous est-il pas commun ? pouvons-nous jeter un regard sur les trois années qui viennent de finir, sans nous retracer des impressions que nous avons partagées, des plaisirs que nous avons goûtés, des peines que nous avons supportées ensemble ? Ellénore, commençons en ce jour une nouvelle époque, rappelons les heures du bonheur et de l'amour. Elle me regarda quelque temps avec l'air du doute. — Votre père, reprit-elle enfin, vos devoirs, votre famille, ce qu'on attend de vous !… — Sans doute, répondis-je, une fois, un jour peut-être… Elle remarqua que j'hésitais. — Mon Dieu, s'écria-t-elle, pourquoi m'avait-il rendu l'espérance pour me la ravir aussitôt ! Adolphe, je vous remercie de vos efforts, ils m'ont fait du bien, d'autant plus de bien qu'ils ne vous coûteront, je l'espère, aucun sacrifice ; mais, je vous en conjure, ne parlons plus de l'avenir… Ne vous reprochez rien, quoi qu'il arrive. Vous avez été bon pour moi. J'ai voulu ce qui n'était pas possible. L'amour était toute ma vie : il ne pouvait être la vôtre. Soignez-moi maintenant quelques jours encore. Des larmes coulèrent abondamment de ses yeux ; sa respiration fut moins oppressée ; elle appuya sa tête sur mon épaule. — C'est ici, dit-elle, que j'ai toujours désiré mourir. Je la serrai contre mon cœur, j'abjurai de nouveau mes projets, je désavouai mes fureurs cruelles. — Non, reprit-elle, il faut que vous soyez libre et content. — Puis-je l'être si vous êtes malheureuse ? — Je ne serai pas longtemps malheureuse, vous n'aurez pas longtemps à me plaindre. — Je rejetai loin de moi des craintes que je voulais croire chimériques. — Non, non, cher Adolphe, me dit-elle, quand on a longtemps invoqué la mort, le ciel nous envoie à la fin je ne sais quel pressentiment infaillible qui nous avertit que notre prière est exaucée. — Je lui jurai de ne jamais la quitter. — Je l'ai toujours espéré, maintenant j'en suis sûre. C'était une de ces journées d'hiver où le soleil semble éclairer tristement la campagne grisâtre, comme s'il regardait en pitié la terre qu'il a cessé de réchauffer. Ellénore me proposa de sortir. — Il fait bien froid, lui dis-je. — N'importe, je voudrais me promener avec vous. Elle prit mon bras ; nous marchâmes longtemps sans rien dire ; elle avançait avec peine, et se penchait sur moi presque tout entière. — Arrêtons-nous un instant. — Non, me répondit-elle, j'ai du plaisir à me sentir encore soutenue par vous. Nous retombâmes dans le silence. Le ciel était serein ; mais les arbres étaient sans feuilles ; aucun souffle n'agitait l'air, aucun oiseau ne le traversait : tout était immobile, et le seul bruit qui se fît entendre était celui de l'herbe glacée qui se brisait sous nos pas. — Comme tout est calme ! me dit Ellénore ; comme la nature se résigne ! Le cœur aussi ne doit-il pas apprendre à se résigner ? Elle s'assit sur une pierre ; tout à coup elle se mit à genoux, et, baissant la tête, elle l'appuya sur ses deux mains. J'entendis quelques mots prononcés à voix basse. Je m'aperçus qu'elle priait. Se relevant enfin : — Rentrons, dit-elle, le froid m'a saisie. J'ai peur de me trouver mal. Ne me dites rien ; je ne suis pas en état de vous entendre.

À dater de ce jour, je vis Ellénore s'affaiblir et dépérir. Je rassemblai de toutes parts des médecins autour d'elle : les uns m'annoncèrent un mal sans remède, d'autres me bercèrent d'espérances vaines ; mais la nature, sombre et silencieuse, poursuivait d'un bras invisible son travail impitoyable. Par moments, Ellénore semblait reprendre à la vie. On eût dit quelquefois que la main de fer qui pesait sur elle s'était retirée. Elle relevait sa tête languissante ; ses joues se couvraient de couleurs un peu plus vives ; ses yeux se ranimaient : mais tout à coup, par le jeu cruel d'une puissance inconnue, ce mieux mensonger disparaissait, sans que l'art en pût deviner la cause. Je la vis de la sorte marcher par degrés à la destruction. Je vis se graver sur cette figure si noble et si expressive les signes avant-coureurs de la mort. Je vis, spectacle humiliant et déplorable, ce caractère énergique et fier recevoir de la souffrance physique mille impressions confuses et incohérentes, comme si, dans ces instants terribles, l'âme, froissée par le corps, se métamorphosait en tous sens pour se plier avec moins de peine à la dégradation des organes. Un seul sentiment ne varia jamais dans le cœur d'Ellénore : ce fut sa tendresse pour moi. Sa faiblesse lui permettait rarement de me parler ; mais elle fixait sur moi ses yeux en silence, et il me semblait alors que ses regards me demandaient la vie que je ne pouvais plus lui donner. Je craignais de lui causer une émotion violente ; j'inventais des prétextes pour sortir : je parcourais au hasard tous les lieux où je m'étais trouvé avec elle ; j'arrosais de mes pleurs les pierres, le pied des arbres, tous les objets qui me retraçaient son souvenir. Ce n'était pas les regrets de l'amour, c'était un sentiment plus sombre et plus triste ; l'amour s'identifie tellement à l'objet aimé que dans son désespoir même il y a quelque charme. Il lutte contre la réalité, contre la destinée ; l'ardeur de son désir le trompe sur ses forces, et l'exalte au milieu de sa douleur. La mienne était morne et solitaire ; je n'espérais point mourir avec Ellénore ; j'allais vivre sans elle dans ce désert du monde, que j'avais souhaité tant de fois de traverser indépendant. J'avais brisé l'être qui m'aimait ; j'avais brisé ce cœur, compagnon du mien, qui avait persisté à se dévouer à moi, dans sa tendresse infatigable ; déjà l'isolement m'atteignait. Ellénore respirait encore, mais je ne pouvais déjà plus lui confier mes pensées ; j'étais déjà seul sur la terre ; je ne vivais plus dans cette atmosphère d'amour qu'elle répandait autour de moi ; l'air que je respirais me paraissait plus rude, les visages des hommes que je rencontrais plus indifférents ; toute la nature semblait me dire que j'allais à jamais cesser d'être aimé. Le danger d'Ellénore devint tout à coup plus imminent ; des symptômes qu'on ne pouvait méconnaître annoncèrent sa fin prochaine : un prêtre de sa religion l'en avertit. Elle me pria de lui apporter une cassette qui contenait beaucoup de papiers ; elle en fit brûler plusieurs devant elle, mais elle paraissait en chercher un qu'elle ne trouvait point, et son inquiétude était extrême. Je la suppliai de cesser cette recherche qui l'agitait, et pendant laquelle, deux fois, elle s'était évanouie. — J'y consens, me répondit-elle ; mais, cher Adolphe, ne me refusez pas une prière. Vous trouverez parmi mes papiers, je ne sais où, une lettre qui vous est adressée ; brûlez-la sans la lire, je vous en conjure au nom de notre amour, au nom de ces derniers moments que vous avez adoucis. Je le lui promis ; elle fut tranquille. — Laissez-moi me livrer à présent, me dit-elle, aux devoirs de ma religion ; j'ai bien des fautes à expier ; mon amour pour vous fut peut-être une faute ; je ne le croirais pourtant pas, si cet amour avait pu vous rendre heureux. Je la quittai : je ne rentrai qu'avec tous ses gens pour assister aux dernières et solennelles prières ; à genoux dans un coin de sa chambre, tantôt je m'abîmais dans mes pensées, tantôt je contemplais, par une curiosité involontaire, tous ces hommes réunis, la terreur des uns, la distraction des autres, et cet effet singulier de l'habitude qui introduit l'indifférence dans toutes les pratiques prescrites, et qui fait regarder les cérémonies les plus augustes et les plus terribles comme des choses convenues et de pure forme ; j'entendais ces hommes répéter machinalement les paroles funèbres, comme si eux aussi n'eussent pas dû être acteurs un jour dans une scène pareille, comme si eux aussi n'eussent pas dû mourir un jour. J'étais loin cependant de dédaigner ces pratiques ; en est-il une seule dont l'homme, dans son ignorance, ose prononcer l'inutilité ? Elles rendaient du calme à Ellénore ; elles l'aidaient à franchir ce pas terrible vers lequel nous avançons tous, sans qu'aucun de nous puisse prévoir ce qu'il doit éprouver alors. Ma surprise n'est pas que l'homme ait besoin d'une religion ; ce qui m'étonne, c'est qu'il se croie jamais assez fort, assez à l'abri du malheur pour oser en rejeter une : il devrait, ce me semble, être porté, dans sa faiblesse, à les invoquer toutes ; dans la nuit épaisse qui nous entoure, est-il une lueur que nous puissions repousser ? au milieu du torrent qui nous entraîne, est-il une branche à laquelle nous osions refuser de nous retenir ?

L'impression produite sur Ellénore par une solennité si lugubre parut l'avoir fatiguée. Elle s'assoupit d'un sommeil assez paisible ; elle se réveilla moins souffrante ; j'étais seul dans sa chambre ; nous nous parlions de temps en temps à de longs intervalles. Le médecin qui s'était montré le plus habile dans ses conjectures m'avait prédit qu'elle ne vivrait pas vingt-quatre heures ; je regardais tour à tour une pendule qui marquait les heures, et le visage d'Ellénore, sur lequel je n'apercevais nul changement nouveau. Chaque minute qui s'écoulait ranimait mon espérance, et je révoquais en doute les présages d'un art mensonger. Tout à coup Ellénore s'élança par un mouvement subit ; je la retins dans mes bras : un tremblement convulsif agitait tout son corps ; ses yeux me cherchaient, mais dans ses yeux se peignait un effroi vague, comme si elle eût demandé grâce à quelque objet menaçant qui se dérobait à mes regards ; elle se relevait, elle retombait, on voyait qu'elle s'efforçait de fuir ; on eût dit qu'elle luttait contre une puissance physique invisible, qui, lassée d'attendre le moment funeste, l'avait saisie et la retenait pour l'achever sur ce lit de mort. Elle céda enfin à l'acharnement de la nature ennemie ; ses membres s'affaissèrent, elle sembla reprendre quelque connaissance : elle me serra la main ; elle voulut pleurer, il n'y avait plus de larmes ; elle voulut parler, il n'y avait plus de voix : elle laissa tomber, comme résignée, sa tête sur le bras qui l'appuyait ; sa respiration devint plus lente : quelques instants après elle n'était plus. Je demeurai longtemps immobile près d'Ellénore sans vie. La conviction de sa mort n'avait pas encore pénétré dans mon âme ; mes yeux contemplaient avec un étonnement stupide ce corps inanimé. Une de ses femmes étant entrée, répandit dans la maison la sinistre nouvelle. Le bruit qui se fit autour de moi me tira de la léthargie où j'étais plongé ; je me levai : ce fut alors que j'éprouvai la douleur déchirante et toute l'horreur de l'adieu sans retour. Tant de mouvement, cette activité de la vie vulgaire, tant de soins et d'agitations qui ne la regardaient plus, dissipèrent cette illusion que je prolongeais, cette illusion par laquelle je croyais encore exister avec Ellénore. Je sentis le dernier lien se rompre, et l'affreuse réalité se placer à jamais entre elle et moi. Combien elle me pesait, cette liberté que j'avais tant regrettée ! Combien elle manquait à mon cœur, cette dépendance qui m'avait révolté souvent ! Naguère, toutes mes actions avaient un but ; j'étais sûr, par chacune d'elles, d'épargner une peine ou de causer un plaisir : je m'en plaignais alors : j'étais impatienté qu'un œil ami observât mes démarches, que le bonheur d'un autre y fût attaché. Personne maintenant ne les observait ; elles n'intéressaient personne ; nul ne me disputait mon temps ni mes heures ; aucune voix ne me rappelait quand je sortais ; j'étais libre en effet ; je n'étais plus aimé : j'étais étranger pour tout le monde. L'on m'apporta tous les papiers d'Ellénore, comme elle l'avait ordonné ; à chaque ligne, j'y rencontrai de nouvelles preuves de son amour, de nouveaux sacrifices qu'elle m'avait faits et qu'elle m'avait cachés. Je trouvai enfin cette lettre que j'avais promis de brûler ; je ne la reconnus pas d'abord, elle était sans adresse, elle était ouverte : quelques mots frappèrent mes regards malgré moi ; je tentai vainement de les en détourner, je ne pus résister au besoin de la lire tout entière. Je n'ai pas la force de la transcrire : Ellénore l'avait écrite après une des scènes violentes qui avaient précédé sa maladie. Adolphe, me disait-elle, pourquoi vous acharnez-vous sur moi ? quel est mon crime ? de vous aimer, de ne pouvoir exister sans vous. Par quelle pitié bizarre n'osez-vous rompre un lien qui vous pèse, et déchirez-vous l'être malheureux près de qui votre pitié vous retient ? Pourquoi me refusez-vous le triste plaisir de vous croire au moins généreux ? Pourquoi vous montrez-vous furieux et faible ? L'idée de ma douleur vous poursuit, et le spectacle de cette douleur ne peut vous arrêter ! Qu'exigez-vous ? que je vous quitte ? ne voyez-vous pas que je n'en ai pas la force ? Ah ! c'est à vous, qui n'aimez pas, c'est à vous à la trouver, cette force dans ce cœur lassé de moi, que tant d'amour ne saurait désarmer. Vous ne me la donnerez pas, vous me ferez languir dans les larmes, vous me ferez mourir à vos pieds. Dites un mot, écrivait-elle ailleurs. Est-il un pays où je ne vous suive ? est-il une retraite où je ne me cache pour vivre auprès de vous, sans être un fardeau dans votre vie ? Mais non, vous ne le voulez pas. Tous les projets que je propose, timide et tremblante, car vous m'avez glacée d'effroi, vous les repoussez avec impatience. Ce que j'obtiens de mieux, c'est votre silence. Tant de dureté ne convient pas à votre caractère. Vous êtes bon ; vos actions sont nobles et dévouées : mais quelles actions effaceraient vos paroles ? Ces paroles acérées retentissent autour de moi : je les entends la nuit ; elles me suivent, elle me dévorent, elles flétrissent tout ce que vous faites. Faut-il donc que je meure, Adolphe ? Eh bien, vous serez content ; elle mourra, cette pauvre créature que vous avez protégée, mais que vous frappez à coups redoublés. Elle mourra, cette importune Ellénore que vous ne pouvez supporter autour de vous, que vous regardez comme un obstacle, pour qui vous ne trouvez pas sur la terre une place qui ne vous fatigue ; elle mourra : vous marcherez seul au milieu de cette foule à laquelle vous êtes impatient de vous mêler ! Vous les connaîtrez, ces hommes que vous remerciez aujourd'hui d'être indifférents ; et peut-être un jour, froissé par ces cœurs arides, vous regretterez ce cœur dont vous disposiez, qui vivait de votre affection, qui eût bravé mille périls pour votre défense, et que vous ne daignez plus récompenser d'un regard.

Learn languages from TV shows, movies, news, articles and more! Try LingQ for FREE

CHAPITRE X CHAPTER X

Je passai les jours suivants plus tranquille. J'avais rejeté dans le vague la nécessité d'agir ; elle ne me poursuivait plus comme un spectre ; je croyais avoir tout le temps de préparer Ellénore. Je voulais être plus doux, plus tendre avec elle, pour conserver au moins des souvenirs d'amitié. Mon trouble était tout différent de celui que j'avais connu jusqu'alors. ||||||||||until then My trouble was entirely different from that which I had known until then. J'avais imploré le ciel pour qu'il élevât soudain entre Ellénore et moi un obstacle que je ne pusse franchir. ||||||elevate|||||||||||| I had implored heaven to suddenly raise an obstacle between Ellénore and me that I could not overcome. Cet obstacle s'était élevé. ||had| That obstacle had risen. Je fixais mes regards sur Ellénore comme sur un être que j'allais perdre. |||||Ellénore||||||| I fixed my gaze on Ellénore as on a being I was about to lose. L'exigence, qui m'avait paru tant de fois insupportable, ne m'effrayait plus ; je m'en sentais affranchi d'avance. Требование|||||||||меня не пугала|||||освобожденный| The requirement||||||||||||||| The demand, which had often seemed unbearable to me, no longer frightened me; I felt freed from it in advance. J'étais plus libre en lui cédant encore, et je n'éprouvais plus cette révolte intérieure qui jadis me portait sans cesse à tout déchirer. |||||уступая||||не испытывал||||||||||||| I was freer by conceding to her again, and I no longer felt that inner rebellion that once drove me to tear everything apart. Il n'y avait plus en moi d'impatience ; il y avait, au contraire, un désir secret de retarder le moment funeste. |||||||||||||||||||смертельный There was no longer any impatience in me; on the contrary, there was a secret desire to delay the fateful moment. Ellénore s'aperçut de cette disposition plus affectueuse et plus sensible : elle-même devint moins amère. ||||||нежная|||||||| Ellénore noticed this more affectionate and sensitive disposition: she herself became less bitter. Je recherchais des entretiens que j'avais évités ; je jouissais de ses expressions d'amour, naguère importunes, précieuses maintenant, comme pouvant chaque fois être les dernières. |||||||||||||недавно|||||||||| ||||||||enjoyed||||||importune||||||||| I sought conversations that I had avoided; I indulged in her expressions of love, once unwelcome, now precious, as they could each time be the last. Un soir, nous nous étions quittés après une conversation plus douce que de coutume. |||||||||||||custom Le secret que je renfermais dans mon sein me rendait triste, mais ma tristesse n'avait rien de violent. ||||contained||||||||||||| The secret that I held in my heart made me sad, but my sadness was not violent at all. L'incertitude sur l'époque de la séparation que j'avais voulue me servait à en écarter l'idée. The uncertainty about the time of the separation that I had wanted helped me to dismiss the idea. La nuit j'entendis dans le château un bruit inusité. ||||||||необычный At night I heard an unusual noise in the castle. Ce bruit cessa bientôt, et je n'y attachai point d'importance. |||||||attached|| Le matin cependant, l'idée m'en revint ; j'en voulus savoir la cause, et je dirigeai mes pas vers la chambre d'Ellénore. In the morning, however, the idea came back to me; I wanted to know the cause, and I directed my steps towards Ellénore's room. Quel fut mon étonnement, lorsqu'on me dit que depuis douze heures elle avait une fièvre ardente, qu'un médecin que ses gens avaient fait appeler déclarait sa vie en danger, et qu'elle avait défendu impérieusement que l'on m'avertît ou qu'on me laissât pénétrer jusqu'à elle ! ||||||||||||||||||||||||||||||||||||warned||||||| What was my astonishment when I was told that for twelve hours she had been having a high fever, that a doctor summoned by her people declared her life in danger, and that she had imperiously insisted that I not be informed or allowed to enter her presence! Je voulus insister. I wanted to insist. Le médecin sortit lui-même pour me représenter la nécessité de ne lui causer aucune émotion. Il attribuait sa défense, dont il ignorait le motif, au désir de ne pas me causer d'alarmes. ||||||||||||||||of alarms He attributed his defense, of which he was unaware of the motive, to the desire not to alarm me. J'interrogeai les gens d'Ellénore avec angoisse sur ce qui avait pu la plonger d'une manière si subite dans un état si dangereux. ||||||||||||||||внезапно||||| I anxiously questioned the people of Ellénore about what could have plunged her so suddenly into such a dangerous state. La veille, après m'avoir quitté, elle avait reçu de Varsovie une lettre apportée par un homme à cheval ; l'ayant ouverte et parcourue, elle s'était évanouie ; revenue à elle, elle s'était jetée sur son lit sans prononcer une parole. The day before, after having left me, she had received a letter from Warsaw brought by a horseman; having opened and skimmed it, she fainted; when she came to, she threw herself on her bed without saying a word. L'une de ses femmes, inquiète de l'agitation qu'elle remarquait en elle, était restée dans sa chambre à son insu ; vers le milieu de la nuit, cette femme l'avait vue saisie d'un tremblement qui ébranlait le lit sur lequel elle était couchée : elle avait voulu m'appeler ; Ellénore s'y était opposée avec une espèce de terreur tellement violente, qu'on n'avait osé lui désobéir. ||||||||||||||||||без её ведома|||||||||||пораженная||||трясло|||||||||||||||противилась|||||||||||| ||||||||remarked|||||||||||||||||||||||||shook||||||||||||||||||||||||||| One of her women, worried about the agitation she noticed in her, had stayed in her room without her knowledge; around the middle of the night, this woman had seen her seized by a trembling that shook the bed on which she lay: she had wanted to call me; Ellénore had opposed her with a kind of terror so violent that no one had dared to disobey her. On avait envoyé chercher un médecin ; Ellénore avait refusé, refusait encore de lui répondre ; elle avait passé la nuit, prononçant des mots entrecoupés qu'on n'avait pu comprendre, et appuyant souvent son mouchoir sur sa bouche, comme pour s'empêcher de parler. They had sent for a doctor; Ellénore had refused, and still refused to answer him; she had spent the night uttering fragmented words that could not be understood, often pressing her handkerchief against her mouth as if to prevent herself from speaking. Tandis qu'on me donnait ces détails, une autre femme, qui était restée près d'Ellénore, accourut tout effrayée. ||||||||||||||rushed|| While I was being given these details, another woman, who had stayed close to Ellénore, rushed in, completely frightened. Ellénore paraissait avoir perdu l'usage de ses sens. Ellénore seemed to have lost the use of her senses. Elle ne distinguait rien de ce qui l'entourait. She couldn't distinguish anything around her. Elle poussait quelquefois des cris, elle répétait mon nom ; puis, épouvantée, elle faisait signe de la main, comme pour que l'on éloignât d'elle quelque objet qui lui était odieux. |||||||||||||||||||||removed||||||| Sometimes she would scream, repeating my name; then, terrified, she would gesture with her hand, as if to have something that was hateful to her removed. J'entrai dans sa chambre. Je vis au pied de son lit deux lettres. L'une était la mienne au baron de T***, l'autre était de lui-même à Ellénore. One was mine to Baron T*, the other was his own to Ellénore. Je ne conçus que trop alors le mot de cette affreuse énigme. ||conceived||||||||| I then realized only too well the word of that dreadful riddle. Tous mes efforts pour obtenir le temps que je voulais consacrer encore aux derniers adieux s'étaient tournés de la sorte contre l'infortunée que j'aspirais à ménager. |||||||||||||||||||||||I aspired|| All my efforts to obtain the time I wanted to dedicate still to the last farewells had turned against the unfortunate one I was trying to spare. Ellénore avait lu, tracées de ma main, mes promesses de l'abandonner, promesses qui n'avaient été dictées que par le désir de rester plus longtemps près d'elle, et que la vivacité de ce désir même m'avait porté à répéter, à développer de mille manières. |||||||||||||||||||||||||||||живость желания||||||||||||| Ellénore had read, traced by my hand, my promises to abandon her, promises that had only been dictated by the desire to stay with her longer, and that the very intensity of this desire had led me to repeat, to develop in a thousand ways. L'œil indifférent de M. de T*** avait facilement démêlé dans ces protestations réitérées à chaque ligne l'irrésolution que je déguisais, et les ruses de ma propre incertitude ; mais le cruel avait trop bien calculé qu'Ellénore y verrait un arrêt irrévocable. ||||||||разобрал||||повторяемые||||нерешительность|||скрывал|||уловки||||неопределенность|||||||||||||необратимый приговор ||||||||||||||||the irresolution|||disguised|||||||||||||||||||| The indifferent eye of Mr. de T* had easily unraveled in these repeated protestations at every line the indecision that I disguised, and the tricks of my own uncertainty; but the cruel one had calculated too well that Ellénore would see it as an irrevocable decision. Je m'approchai d'elle : elle me regarda sans me reconnaître. I approached her: she looked at me without recognizing me. Je lui parlai : elle tressaillit. I spoke to her: she trembled. Quel est ce bruit ? What is that noise? s'écria-t-elle ; c'est la voix qui m'a fait du mal. she exclaimed; it is the voice that harmed me. Le médecin remarqua que ma présence ajoutait à son délire, et me conjura de m'éloigner. ||||||||||||conjured|| The doctor noticed that my presence was adding to his delirium, and urged me to move away. Comment peindre ce que j'éprouvai pendant trois longues heures ? How can I describe what I felt during three long hours? Le médecin sortit enfin. The doctor finally left. Ellénore était tombée dans un profond assoupissement. ||||||doze Il ne désespérait pas de la sauver, si, à son réveil, la fièvre était calmée. He did not despair of saving her, if, upon his waking, the fever had calmed.

Ellénore dormit longtemps. Ellénore slept for a long time. Instruit de son réveil, je lui écrivis pour lui demander de me recevoir. Informed of her awakening, I wrote to her to ask her to receive me. Elle me fit dire d'entrer. She told me to come in. Je voulus parler ; elle m'interrompit. I wanted to speak; she interrupted me. — Que je n'entende de vous, dit-elle, aucun mot cruel. ||understand||||||| — Do not let me hear any cruel words from you, she said. Je ne réclame plus, je ne m'oppose à rien ; mais que cette voix que j'ai tant aimée, que cette voix qui retentissait au fond de mon cœur n'y pénètre pas pour le déchirer. ||||||oppose|||||||||||||||||||||||||| I no longer claim, I oppose nothing; but may this voice that I have loved so much, this voice that echoed in the depths of my heart, not penetrate there to tear it apart. Adolphe, Adolphe, j'ai été violente, j'ai pu vous offenser ; mais vous ne savez pas ce que j'ai souffert. Adolphe, Adolphe, I have been violent, I may have offended you; but you do not know what I have suffered. Dieu veuille que jamais vous ne le sachiez ! |||||||know God grant that you may never know it!

Son agitation devint extrême. Elle posa son front sur ma main ; il était brûlant ; une contraction terrible défigurait ses traits. |||||||||||||disfigured|| — Au nom du ciel, m'écriai-je, chère Ellénore, écoutez-moi. Oui, je suis coupable : cette lettre… Elle frémit et voulut s'éloigner. Yes, I am guilty: this letter... It trembled and wanted to move away. Je la retins. I held her back. Faible, tourmenté, continuai-je, j'ai pu céder un moment à une instance cruelle ; mais n'avez-vous pas vous-même mille preuves que je ne puis vouloir ce qui nous sépare ? Weak, tormented, I continued, I may have yielded for a moment to a cruel request; but do you not have a thousand proofs yourself that I cannot want what separates us? J'ai été mécontent, malheureux, injuste ; peut-être, en luttant avec trop de violence contre une imagination rebelle, avez-vous donné de la force à des velléités passagères que je méprise aujourd'hui ; mais pouvez-vous douter de mon affection profonde ? ||||||||||||||||бунтующий|||||||||порывы|мимолетные|||презрение||||||||| |||||||||||||||||||||||||fancies|passenger|||||||||||| nos âmes ne sont-elles pas enchaînées l'une à l'autre par mille liens que rien ne peut rompre ? ||||||связаны||||||||||| ||||||chained||||||||||| Aren't our souls chained to each other by a thousand bonds that nothing can break? tout le passé ne nous est-il pas commun ? Isn't all the past common to us? pouvons-nous jeter un regard sur les trois années qui viennent de finir, sans nous retracer des impressions que nous avons partagées, des plaisirs que nous avons goûtés, des peines que nous avons supportées ensemble ? |||||||||||||||||||||||||||tasted||||||| Can we reflect on the three years that have just ended without recalling the impressions we shared, the pleasures we enjoyed, the sorrows we endured together? Ellénore, commençons en ce jour une nouvelle époque, rappelons les heures du bonheur et de l'amour. Elle me regarda quelque temps avec l'air du doute. — Votre père, reprit-elle enfin, vos devoirs, votre famille, ce qu'on attend de vous !… — Sans doute, répondis-je, une fois, un jour peut-être… Elle remarqua que j'hésitais. — Your father, she finally replied, your duties, your family, what is expected of you! … — Of course, I answered, once, perhaps one day… She noticed that I hesitated. — Mon Dieu, s'écria-t-elle, pourquoi m'avait-il rendu l'espérance pour me la ravir aussitôt ! — My God, she exclaimed, why had he given me hope just to take it away from me at once! Adolphe, je vous remercie de vos efforts, ils m'ont fait du bien, d'autant plus de bien qu'ils ne vous coûteront, je l'espère, aucun sacrifice ; mais, je vous en conjure, ne parlons plus de l'avenir… Ne vous reprochez rien, quoi qu'il arrive. ||||||||||||||||||||||||||||||||||||reproach|||| Adolphe, I thank you for your efforts, they have done me good, all the more so because I hope they won't cost you any sacrifice; but, I beg you, let's not talk about the future anymore… Don’t blame yourself for anything, whatever happens. Vous avez été bon pour moi. J'ai voulu ce qui n'était pas possible. I wanted what was not possible. L'amour était toute ma vie : il ne pouvait être la vôtre. Love was all my life: it could not be yours. Soignez-moi maintenant quelques jours encore. Take care of me for a few more days now. Des larmes coulèrent abondamment de ses yeux ; sa respiration fut moins oppressée ; elle appuya sa tête sur mon épaule. Tears flowed abundantly from her eyes; her breathing became less labored; she rested her head on my shoulder. — C'est ici, dit-elle, que j'ai toujours désiré mourir. — This is where, she said, I have always wished to die. Je la serrai contre mon cœur, j'abjurai de nouveau mes projets, je désavouai mes fureurs cruelles. ||||||abjured||||||||| I held her against my heart, I renounced my plans again, I disavowed my cruel rage. — Non, reprit-elle, il faut que vous soyez libre et content. — No, she replied, you must be free and happy. — Puis-je l'être si vous êtes malheureuse ? — Can I be if you are unhappy? — Je ne serai pas longtemps malheureuse, vous n'aurez pas longtemps à me plaindre. — I won't be unhappy for long, you won't have to pity me for long. — Je rejetai loin de moi des craintes que je voulais croire chimériques. |||||||||||неосуществимые — I pushed far away from me fears that I wanted to believe were chimerical. — Non, non, cher Adolphe, me dit-elle, quand on a longtemps invoqué la mort, le ciel nous envoie à la fin je ne sais quel pressentiment infaillible qui nous avertit que notre prière est exaucée. |||||||||||призывал|||||||||||||||||||||||услышана ||||||||||||||||||||||||||||||||||granted — No, no, dear Adolphe, she said to me, when one has long called upon death, heaven sends us in the end I don't know what infallible premonition that warns us our prayer has been granted. — Je lui jurai de ne jamais la quitter. — I swore to her that I would never leave her. — Je l'ai toujours espéré, maintenant j'en suis sûre. C'était une de ces journées d'hiver où le soleil semble éclairer tristement la campagne grisâtre, comme s'il regardait en pitié la terre qu'il a cessé de réchauffer. It was one of those winter days when the sun seems to sadly light up the gray countryside, as if it looked pityingly at the land it has stopped warming. Ellénore me proposa de sortir. Ellénore suggested that we go out. — Il fait bien froid, lui dis-je. — It's really cold, I said to her. — N'importe, je voudrais me promener avec vous. ||would|||| — No matter, I would like to walk with you. Elle prit mon bras ; nous marchâmes longtemps sans rien dire ; elle avançait avec peine, et se penchait sur moi presque tout entière. |||||walked|||||||||||||||| She took my arm; we walked for a long time without saying anything; she was advancing with difficulty and was leaning almost entirely on me. — Arrêtons-nous un instant. — Let’s stop for a moment. — Non, me répondit-elle, j'ai du plaisir à me sentir encore soutenue par vous. Nous retombâmes dans le silence. |fell||| We fell back into silence. Le ciel était serein ; mais les arbres étaient sans feuilles ; aucun souffle n'agitait l'air, aucun oiseau ne le traversait : tout était immobile, et le seul bruit qui se fît entendre était celui de l'herbe glacée qui se brisait sous nos pas. ||||||||||||moved|||||||||||||||||||||||||||| The sky was serene; but the trees were leafless; no breath disturbed the air, no bird crossed it: everything was motionless, and the only sound that could be heard was that of the frozen grass breaking under our feet. — Comme tout est calme ! — How calm everything is! me dit Ellénore ; comme la nature se résigne ! |||||||соглашается |||||||resigns Le cœur aussi ne doit-il pas apprendre à se résigner ? Elle s'assit sur une pierre ; tout à coup elle se mit à genoux, et, baissant la tête, elle l'appuya sur ses deux mains. ||||||||||||||||||supported|||| She sat down on a stone; suddenly she knelt down, and, lowering her head, she rested it on her two hands. J'entendis quelques mots prononcés à voix basse. I heard a few words spoken in a low voice. Je m'aperçus qu'elle priait. I realized that she was praying. Se relevant enfin : — Rentrons, dit-elle, le froid m'a saisie. Finally getting up: — Let's go back, she said, the cold has seized me. J'ai peur de me trouver mal. I'm afraid of feeling unwell. Ne me dites rien ; je ne suis pas en état de vous entendre. Don't say anything to me; I'm not in a state to hear you.

À dater de ce jour, je vis Ellénore s'affaiblir et dépérir. |датировать|||||||ослабевать||угасать From this day on, I saw Ellénore weaken and fade away. Je rassemblai de toutes parts des médecins autour d'elle : les uns m'annoncèrent un mal sans remède, d'autres me bercèrent d'espérances vaines ; mais la nature, sombre et silencieuse, poursuivait d'un bras invisible son travail impitoyable. ||||||||||||||||||колыбельными||тщетные||||||||||||| |gathered||||||||||announced|||||||rocked||||||||||||||| I gathered physicians from all sides around her: some informed me of an incurable illness, others lulled me with vain hopes; but nature, dark and silent, relentlessly continued its merciless work with an invisible hand. Par moments, Ellénore semblait reprendre à la vie. At times, Ellénore seemed to come back to life. On eût dit quelquefois que la main de fer qui pesait sur elle s'était retirée. It sometimes seemed as if the iron hand that weighed upon her had retreated. Elle relevait sa tête languissante ; ses joues se couvraient de couleurs un peu plus vives ; ses yeux se ranimaient : mais tout à coup, par le jeu cruel d'une puissance inconnue, ce mieux mensonger disparaissait, sans que l'art en pût deviner la cause. ||||||||||||||||||rejuvenated|||||||||||||better|||||||||| She lifted her languid head; her cheeks took on slightly brighter colors; her eyes were rekindled: but suddenly, by the cruel play of an unknown power, this deceptive improvement disappeared, without art being able to discern the cause. Je la vis de la sorte marcher par degrés à la destruction. I saw her thus walk gradually towards destruction. Je vis se graver sur cette figure si noble et si expressive les signes avant-coureurs de la mort. I saw the ominous signs of death engraved on this figure, so noble and so expressive. Je vis, spectacle humiliant et déplorable, ce caractère énergique et fier recevoir de la souffrance physique mille impressions confuses et incohérentes, comme si, dans ces instants terribles, l'âme, froissée par le corps, se métamorphosait en tous sens pour se plier avec moins de peine à la dégradation des organes. ||||||||||||||||||неясные впечатления||непоследовательные||||||||сжатая|||||превращалась||||||сгибаться, поддаваться|||||||деградация органов|| |||||||||||||||||||||||||||||||||metamorphosed||||||||||||||| I witnessed, a humiliating and deplorable spectacle, this energetic and proud character receiving a thousand confused and incoherent impressions from physical suffering, as if, in those terrible moments, the soul, crushed by the body, were metamorphosing in every direction to bend with less pain to the degradation of the organs. Un seul sentiment ne varia jamais dans le cœur d'Ellénore : ce fut sa tendresse pour moi. One single sentiment never varied in Ellénore's heart: it was her tenderness for me. Sa faiblesse lui permettait rarement de me parler ; mais elle fixait sur moi ses yeux en silence, et il me semblait alors que ses regards me demandaient la vie que je ne pouvais plus lui donner. Her weakness rarely allowed her to speak to me; but she fixed her eyes on me in silence, and it seemed to me that her gaze was asking for the life I could no longer give her. Je craignais de lui causer une émotion violente ; j'inventais des prétextes pour sortir : je parcourais au hasard tous les lieux où je m'étais trouvé avec elle ; j'arrosais de mes pleurs les pierres, le pied des arbres, tous les objets qui me retraçaient son souvenir. ||||||||||||||||||||||||||was watering||||||||||||||||| I feared causing her intense emotion; I invented excuses to go out: I wandered randomly through all the places where I had been with her; I watered the stones, the feet of the trees, and all the objects that reminded me of her with my tears. Ce n'était pas les regrets de l'amour, c'était un sentiment plus sombre et plus triste ; l'amour s'identifie tellement à l'objet aimé que dans son désespoir même il y a quelque charme. It was not the regrets of love; it was a darker and sadder feeling; love identifies so closely with the beloved object that even in its despair there is some charm. Il lutte contre la réalité, contre la destinée ; l'ardeur de son désir le trompe sur ses forces, et l'exalte au milieu de sa douleur. ||||||||||||||||||exalts||||| He fights against reality, against destiny; the fervor of his desire deceives him about his strength, and elevates him in the midst of his pain. La mienne était morne et solitaire ; je n'espérais point mourir avec Ellénore ; j'allais vivre sans elle dans ce désert du monde, que j'avais souhaité tant de fois de traverser indépendant. Mine was dull and solitary; I did not hope to die with Ellénore; I was going to live without her in this desert of the world, which I had wished so many times to cross independently. J'avais brisé l'être qui m'aimait ; j'avais brisé ce cœur, compagnon du mien, qui avait persisté à se dévouer à moi, dans sa tendresse infatigable ; déjà l'isolement m'atteignait. ||||||||||||||||||||||||||достигал меня ||||||broken||||||||||||||||||||reached I had broken the being who loved me; I had broken this heart, companion to mine, which had persisted in devoting itself to me, with its tireless tenderness; isolation was already reaching me. Ellénore respirait encore, mais je ne pouvais déjà plus lui confier mes pensées ; j'étais déjà seul sur la terre ; je ne vivais plus dans cette atmosphère d'amour qu'elle répandait autour de moi ; l'air que je respirais me paraissait plus rude, les visages des hommes que je rencontrais plus indifférents ; toute la nature semblait me dire que j'allais à jamais cesser d'être aimé. Le danger d'Ellénore devint tout à coup plus imminent ; des symptômes qu'on ne pouvait méconnaître annoncèrent sa fin prochaine : un prêtre de sa religion l'en avertit. ||||||||||||||ignore||||||||||| Elle me pria de lui apporter une cassette qui contenait beaucoup de papiers ; elle en fit brûler plusieurs devant elle, mais elle paraissait en chercher un qu'elle ne trouvait point, et son inquiétude était extrême. |||||||||||||||||several||||||||||||||its||| She asked me to bring her a box that contained many papers; she had several burned in front of her, but she seemed to be looking for one that she could not find, and her anxiety was extreme. Je la suppliai de cesser cette recherche qui l'agitait, et pendant laquelle, deux fois, elle s'était évanouie. ||||||||was agitating|||||||| I begged her to stop this search that was agitating her, and during which, twice, she had fainted. — J'y consens, me répondit-elle ; mais, cher Adolphe, ne me refusez pas une prière. ||me||||||||||| — I agree, she replied to me; but, dear Adolphe, do not refuse me a request. Vous trouverez parmi mes papiers, je ne sais où, une lettre qui vous est adressée ; brûlez-la sans la lire, je vous en conjure au nom de notre amour, au nom de ces derniers moments que vous avez adoucis. You will find among my papers, I don't know where, a letter addressed to you; burn it without reading it, I implore you in the name of our love, in the name of those last moments you have softened. Je le lui promis ; elle fut tranquille. I promised her this; she was at ease. — Laissez-moi me livrer à présent, me dit-elle, aux devoirs de ma religion ; j'ai bien des fautes à expier ; mon amour pour vous fut peut-être une faute ; je ne le croirais pourtant pas, si cet amour avait pu vous rendre heureux. — Let me now devote myself, she said to me, to the duties of my religion; I have many faults to atone for; my love for you may have been a fault; yet I would not believe it, if this love could have made you happy. Je la quittai : je ne rentrai qu'avec tous ses gens pour assister aux dernières et solennelles prières ; à genoux dans un coin de sa chambre, tantôt je m'abîmais dans mes pensées, tantôt je contemplais, par une curiosité involontaire, tous ces hommes réunis, la terreur des uns, la distraction des autres, et cet effet singulier de l'habitude qui introduit l'indifférence dans toutes les pratiques prescrites, et qui fait regarder les cérémonies les plus augustes et les plus terribles comme des choses convenues et de pure forme ; j'entendais ces hommes répéter machinalement les paroles funèbres, comme si eux aussi n'eussent pas dû être acteurs un jour dans une scène pareille, comme si eux aussi n'eussent pas dû mourir un jour. |||||||||||||||||||||||||||plunged||||||||||||||||||||||||||||||||in|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| I left her: I only returned with all her people to attend the last solemn prayers; kneeling in a corner of her room, sometimes I sank into my thoughts, sometimes I contemplated, out of involuntary curiosity, all those men gathered together, the terror of some, the distraction of others, and this peculiar effect of habit that introduces indifference into all prescribed practices, and that makes the most august and terrible ceremonies seem like agreed-upon formalities; I heard these men mechanically repeating the funeral words, as if they too should not one day be actors in such a scene, as if they too should not one day die. J'étais loin cependant de dédaigner ces pratiques ; en est-il une seule dont l'homme, dans son ignorance, ose prononcer l'inutilité ? However, I was far from despising these practices; is there any of them that man, in his ignorance, dares to pronounce as useless? Elles rendaient du calme à Ellénore ; elles l'aidaient à franchir ce pas terrible vers lequel nous avançons tous, sans qu'aucun de nous puisse prévoir ce qu'il doit éprouver alors. |||||||helped||||||||||||||||||||| They brought calm to Ellénore; they helped her to take that terrible step towards which we all advance, without any of us being able to foresee what we will feel then. Ma surprise n'est pas que l'homme ait besoin d'une religion ; ce qui m'étonne, c'est qu'il se croie jamais assez fort, assez à l'abri du malheur pour oser en rejeter une : il devrait, ce me semble, être porté, dans sa faiblesse, à les invoquer toutes ; dans la nuit épaisse qui nous entoure, est-il une lueur que nous puissions repousser ? My surprise is not that man needs a religion; what astonishes me is that he ever believes himself strong enough, safe enough from misfortune to dare to reject one: it seems to me that in his weakness, he should be inclined to invoke them all; in the thick night that surrounds us, is there a glimmer that we can push away? au milieu du torrent qui nous entraîne, est-il une branche à laquelle nous osions refuser de nous retenir ? ||||||||||||||dare|||| In the midst of the torrent that sweeps us away, is there a branch to which we would dare to refuse to cling?

L'impression produite sur Ellénore par une solennité si lugubre parut l'avoir fatiguée. ||||||торжественность||мрачный||| |||||||||seemed|| The impression made on Ellénore by such a gloomy solemnity seemed to have fatigued her. Elle s'assoupit d'un sommeil assez paisible ; elle se réveilla moins souffrante ; j'étais seul dans sa chambre ; nous nous parlions de temps en temps à de longs intervalles. |dozed||||||||||||||||||||||||| She fell into a fairly peaceful sleep; she woke up less in pain; I was alone in her room; we spoke to each other from time to time at long intervals. Le médecin qui s'était montré le plus habile dans ses conjectures m'avait prédit qu'elle ne vivrait pas vingt-quatre heures ; je regardais tour à tour une pendule qui marquait les heures, et le visage d'Ellénore, sur lequel je n'apercevais nul changement nouveau. Chaque minute qui s'écoulait ranimait mon espérance, et je révoquais en doute les présages d'un art mensonger. ||||rejuvenated|||||||||||| Every passing minute revived my hope, and I began to doubt the omens of a deceitful art. Tout à coup Ellénore s'élança par un mouvement subit ; je la retins dans mes bras : un tremblement convulsif agitait tout son corps ; ses yeux me cherchaient, mais dans ses yeux se peignait un effroi vague, comme si elle eût demandé grâce à quelque objet menaçant qui se dérobait à mes regards ; elle se relevait, elle retombait, on voyait qu'elle s'efforçait de fuir ; on eût dit qu'elle luttait contre une puissance physique invisible, qui, lassée d'attendre le moment funeste, l'avait saisie et la retenait pour l'achever sur ce lit de mort. Suddenly, Ellénore surged forward with a sudden movement; I caught her in my arms: a convulsive trembling shook her entire body; her eyes sought mine, but in her eyes was painted a vague dread, as if she were pleading for mercy from some threatening object that eluded my sight; she rose, she fell again, it was clear that she was trying to flee; it seemed as if she were struggling against an invisible physical force, which, tired of waiting for the fatal moment, had seized her and was holding her back to finish her off on this deathbed. Elle céda enfin à l'acharnement de la nature ennemie ; ses membres s'affaissèrent, elle sembla reprendre quelque connaissance : elle me serra la main ; elle voulut pleurer, il n'y avait plus de larmes ; elle voulut parler, il n'y avait plus de voix : elle laissa tomber, comme résignée, sa tête sur le bras qui l'appuyait ; sa respiration devint plus lente : quelques instants après elle n'était plus. |||||||||||collapsed||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||supported||||||||||| She finally succumbed to the relentless assault of the hostile nature; her limbs sank, she seemed to regain some awareness: she squeezed my hand; she wanted to cry, but there were no tears left; she wanted to speak, but there was no voice left: she let her head fall, as if resigned, onto the arm that supported her; her breathing became slower: a few moments later, she was no more. Je demeurai longtemps immobile près d'Ellénore sans vie. La conviction de sa mort n'avait pas encore pénétré dans mon âme ; mes yeux contemplaient avec un étonnement stupide ce corps inanimé. ||||||||||||||contemplated||||||| Une de ses femmes étant entrée, répandit dans la maison la sinistre nouvelle. Le bruit qui se fit autour de moi me tira de la léthargie où j'étais plongé ; je me levai : ce fut alors que j'éprouvai la douleur déchirante et toute l'horreur de l'adieu sans retour. The noise that arose around me pulled me out of the lethargy I was immersed in; I got up: it was then that I experienced the heart-wrenching pain and all the horror of the irreversible goodbye. Tant de mouvement, cette activité de la vie vulgaire, tant de soins et d'agitations qui ne la regardaient plus, dissipèrent cette illusion que je prolongeais, cette illusion par laquelle je croyais encore exister avec Ellénore. |||||||||||||of agitations||||||dissipated||||||||||||||| So much movement, this activity of ordinary life, so much care and agitation that no longer concerned her, dispelled the illusion I had been prolonging, the illusion through which I still believed I existed with Ellénore. Je sentis le dernier lien se rompre, et l'affreuse réalité se placer à jamais entre elle et moi. I felt the last link break, and the dreadful reality place itself forever between her and me. Combien elle me pesait, cette liberté que j'avais tant regrettée ! |||||||||regretted How much that freedom I had regretted so much weighed upon me! Combien elle manquait à mon cœur, cette dépendance qui m'avait révolté souvent ! How much that dependence, which often revolted me, was lacking in my heart! Naguère, toutes mes actions avaient un but ; j'étais sûr, par chacune d'elles, d'épargner une peine ou de causer un plaisir : je m'en plaignais alors : j'étais impatienté qu'un œil ami observât mes démarches, que le bonheur d'un autre y fût attaché. Once, all my actions had a purpose; I was sure, with each of them, to spare someone pain or to bring someone pleasure: I complained about it then: I was irritated that a friendly eye observed my steps, that the happiness of another was attached to it. Personne maintenant ne les observait ; elles n'intéressaient personne ; nul ne me disputait mon temps ni mes heures ; aucune voix ne me rappelait quand je sortais ; j'étais libre en effet ; je n'étais plus aimé : j'étais étranger pour tout le monde. ||||||interested|||||||||||||||||||||||||||||||| No one was watching them now; they did not interest anyone; no one disputed my time or my hours; no voice called me back when I left; I was indeed free; I was no longer loved: I was a stranger to everyone. L'on m'apporta tous les papiers d'Ellénore, comme elle l'avait ordonné ; à chaque ligne, j'y rencontrai de nouvelles preuves de son amour, de nouveaux sacrifices qu'elle m'avait faits et qu'elle m'avait cachés. I was brought all of Ellénore's papers, as she had ordered; with each line, I encountered new proofs of her love, new sacrifices she had made for me and had kept hidden. Je trouvai enfin cette lettre que j'avais promis de brûler ; je ne la reconnus pas d'abord, elle était sans adresse, elle était ouverte : quelques mots frappèrent mes regards malgré moi ; je tentai vainement de les en détourner, je ne pus résister au besoin de la lire tout entière. I finally found that letter I had promised to burn; I did not recognize it at first, it was without an address, it was opened: a few words caught my eye despite myself; I attempted in vain to turn away from them, I could not resist the need to read it in its entirety. Je n'ai pas la force de la transcrire : Ellénore l'avait écrite après une des scènes violentes qui avaient précédé sa maladie. Adolphe, me disait-elle, pourquoi vous acharnez-vous sur moi ? ||||||настаиваете||| ||||||persist||| Adolphe, she said to me, why are you so relentless against me? quel est mon crime ? What is my crime? de vous aimer, de ne pouvoir exister sans vous. To love you, to be unable to exist without you. Par quelle pitié bizarre n'osez-vous rompre un lien qui vous pèse, et déchirez-vous l'être malheureux près de qui votre pitié vous retient ? By what strange pity do you not dare to break a bond that weighs upon you, and do you tear the unhappy being near whom your pity holds you? Pourquoi me refusez-vous le triste plaisir de vous croire au moins généreux ? Why do you deny me the sad pleasure of at least believing you to be generous? Pourquoi vous montrez-vous furieux et faible ? Why do you show yourself furious and weak? L'idée de ma douleur vous poursuit, et le spectacle de cette douleur ne peut vous arrêter ! The idea of my pain haunts you, and the sight of this pain cannot stop you! Qu'exigez-vous ? What do you require| What do you require? que je vous quitte ? That I leave you? ne voyez-vous pas que je n'en ai pas la force ? ||||||have not|||| Don't you see that I don't have the strength for it? Ah ! Ah! c'est à vous, qui n'aimez pas, c'est à vous à la trouver, cette force dans ce cœur lassé de moi, que tant d'amour ne saurait désarmer. ||||||||||||||||heart|||||||||disarm It is up to you, who do not love, to find that strength in this heart weary of me, a heart that so much love could not disarm. Vous ne me la donnerez pas, vous me ferez languir dans les larmes, vous me ferez mourir à vos pieds. |||||||||linger|||||||||| You will not give it to me, you will make me languish in tears, you will make me die at your feet. Dites un mot, écrivait-elle ailleurs. Say a word, she wrote elsewhere. Est-il un pays où je ne vous suive ? Is there a country where I will not follow you? est-il une retraite où je ne me cache pour vivre auprès de vous, sans être un fardeau dans votre vie ? Mais non, vous ne le voulez pas. But no, you don't want it. Tous les projets que je propose, timide et tremblante, car vous m'avez glacée d'effroi, vous les repoussez avec impatience. All the projects I propose, shy and trembling, because you have chilled me with dread, you push them away with impatience. Ce que j'obtiens de mieux, c'est votre silence. What I get from you at best is your silence. Tant de dureté ne convient pas à votre caractère. Vous êtes bon ; vos actions sont nobles et dévouées : mais quelles actions effaceraient vos paroles ? ||||||||преданные|||||| ||||||||||||would erase|| You are good; your actions are noble and devoted: but what actions could erase your words? Ces paroles acérées retentissent autour de moi : je les entends la nuit ; elles me suivent, elle me dévorent, elles flétrissent tout ce que vous faites. ||острые|||||||||||||||||увядают||||| ||sharp|||||||||||||||||wilt||||| These sharp words resonate around me: I hear them at night; they follow me, they devour me, they wither everything you do. Faut-il donc que je meure, Adolphe ? Must I then die, Adolphe? Eh bien, vous serez content ; elle mourra, cette pauvre créature que vous avez protégée, mais que vous frappez à coups redoublés. ||||||||||||||||||||doubled Well, you will be happy; she will die, that poor creature you have protected, but whom you strike with repeated blows. Elle mourra, cette importune Ellénore que vous ne pouvez supporter autour de vous, que vous regardez comme un obstacle, pour qui vous ne trouvez pas sur la terre une place qui ne vous fatigue ; elle mourra : vous marcherez seul au milieu de cette foule à laquelle vous êtes impatient de vous mêler ! She will die, that annoying Ellénore whom you cannot stand around you, whom you see as an obstacle, for whom you cannot find a place on earth that does not tire you; she will die: you will walk alone in the midst of this crowd you are eager to mingle with! Vous les connaîtrez, ces hommes que vous remerciez aujourd'hui d'être indifférents ; et peut-être un jour, froissé par ces cœurs arides, vous regretterez ce cœur dont vous disposiez, qui vivait de votre affection, qui eût bravé mille périls pour votre défense, et que vous ne daignez plus récompenser d'un regard. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||опасностей||||||||удостоверьтесь|||| |||||||||||||||||||||||||||had|||||||||||||||||||||| You will come to know these men whom you thank today for being indifferent; and perhaps one day, hurt by these dry hearts, you will regret that heart you had, which lived on your affection, which would have faced a thousand dangers for your defense, and which you no longer deem worthy of even a glance.