La TRILOGIE CORNETTO, d'Edgar Wright - L'analyse de M. Bobine
Adeptes de la grande toile, bonjour !
Si je vous dis que le sujet de notre épisode est né dans les années 70,
qu'il est Anglais,
que la poignée de films qu'il a réalisé
lui ont permis de démonter qu'il avait un réel talent et une vrai originalité.
Et enfin qu'il a pour nom de famille "Wright",
vous voyez de qui je veux parler ?
Et bien oui…
Cette fois, on va pas vous la faire à l'envers comme notre épisode précédent,
on va bien s'intéresser au petit génie Edgar Wright,
et en particulier à sa Trilogie Cornetto !
Conçue comme trois films indépendants
mais écrite par le même duo Simon Pegg et Edgar Wright,
la Trilogie Cornetto comprend donc Shaun of the Dead,
Hot Fuzz et The World's End.
Si ces trois films ont hérité du titre de "trilogie",
c'est parce qu'au-delà d'une référence aux glaces Cornetto,
on y trouve des acteurs récurrents,
des plans récurrents,
des gags récurrents,
des bruitages récurrents
et même des jeux d'écritures tout aussi récurrents.
Mais surtout,
les trois films sont construits autour d'un même ressort narratif
consistant à reprendre des genres lcinématographiques relativement codifiés
pour y inclure une dimension comique :
le film de zombie pour Shaun of the Dead,
le buddy-movie policier pour Hot Fuzz
et le film de bodysnatcher pour The World's End.
Edgar Wright étant un cinéphage maniaque et méticuleux,
ces trois films ne se contentent pas d'emprunter la structure scénaristique
des genres en question.
Ils en reproduisent également des caractéristiques techniques
comme l'utilisation de focales particulières,
des choix d'éclairage spécifiques
ou encore un sound-design reconnaissable.
Grâce et à cause du soin qu'il porte à ce qu'on pourrait appeler
des "comédies de genre",
Wright est surtout considéré comme un formaliste...
tant par ses admirateurs que par ses détracteurs, d'ailleurs.
Les premiers le voient comme un petit virtuose de l'écriture
et de la mise en scène,
les seconds le considèrent plutôt comme un réalisateur au style marqué
mais qui n'a pas grand chose à dire…
et il faut bien reconnaître que le cinéma d'Edgar Wright
se soucie assez peu de faire passer un message.
Cela dit,
il serait tout aussi faux de prétendre qu'il n'y a rien sous la surface.
Comme nous allons le voir,
si les films de la trilogie Cornetto
ne sont pas ce qu'on pourrait appeler des films politiques,
ils portent néanmoins une certaine réflexion
sur les genres dont ils s'inspirent et sur l'idéologie qu'ils véhiculent.
Pour le comprendre,
il faut mentionner une autre caractéristique commune
aux trois volets de la trilogie :
dans chacun des films,
le personnage incarné par Simon Pegg
doit faire face à une forme de pression sociale
qui lui demande d'abandonner son individualité
et de rentrer dans le rang.
Dans Shaun of the Dead,
le personnage de Shaun doit faire un choix entre sa vie d'adolescent attardé
et sa vie de couple.
Dans Hot Fuzz,
Nick Angel énerve ses collègues par son côté "premier de la classe"
qui s'obstine à appliquer le règlement à la lettre
au lieu de se plier aux règles implicites de son environnement.
Dans The World's End,
Gary King doit constamment faire face aux objections de ses amis,
réticents à le suivre dans sa démarche régressive.
Dans les trois films,
le personnage incarné par Nick Frost agit
comme une influence directe sur le personnage de Simon Pegg.
Dans Shaun of the Dead,
Ed essaie de convaincre Shaun
que la vie des habitués du bar le Winchester
est bien plus passionnante que celles des gens normaux.
Dans Hot Fuzz,
Danny Butterman aide Nick Angel à sortir du cadre rigide
dans lequel il s'est enfermé.
Dans The World's End,
Andy Knightley agit comme un antagoniste
puis comme un protecteur vis-à-vis Gary King.
Enfin, dans les trois films,
le "méchant" symbolise une forme de corps social
où toute forme d'individualité et de libre arbitre a été abolie.
Dans Shaun of the Dead, on a donc la masse des zombies.
Dans Hot Fuzz,
la conspiration où les membres sont interchangeables
et reprennent en choeur les mêmes phrases.
Et enfin, dans The World's End,
la corporation galactique qui veut absorber la Terre
exige des comportements uniformes de la part de tous ses membres.
En cela,
les trois films de la trilogie reprennent la dramaturgie des genres
dont ils s'inspirent.
L'opposition entre l'individualisme du héros
et l'uniformité de son adversaire est en effet une thématique récurrente
du film de zombie,
du buddy-movie policier et du film de bodysnatchers.
Dès le séminal Zombie de George Romero,
les héros réfugiés sur le toit d'un centre commercial étaient distingués
de la foule anonyme des zombies qui se pressaient autour d'eux.
Dans le buddy-movie policier,
l'opposition des protagonistes à une hiérarchie sans visage
(qu'il s'agisse du maire ou du chef de la police)
est devenu un cliché du genre.
Quand au film de body-snatcher,
il explorait cette thématique dès L'Invasion des Profanateurs de Sépultures.
Cela dit,
Edgar Wright et Simon Pegg ne se contentent pas de reprendre
cette opposition entre individualisme et uniformité…
ils vont aussi l'interroger
et par là même, remettre en question les fondements idéologiques
des genres qu'ils reprennent.
Dans les films les plus marquant de chacun de ces genres,
il n'y a aucun doute
quant à la légitimité morale et politique du héros.
Celui-ci s'oppose à la masse
et son action n'est jamais remise en question.
Au contraire, elle est valorisée et montrée en exemple.
Son refus de s'intégrer au groupe n'est en aucun cas
présenté comme une erreur.
En cela,
le film de zombie, le buddy movie policier
et le film de bodysnatcher sont des genres très américains,
qui perpétuent le mythe du self-made man
qui ne doit sa réussite qu'à lui-même
et pour qui la société et ses institutions représentent des entraves.
Évidemment, pour des Anglais comme Edgar Wright et Simon Pegg,
un tel présupposé idéologique ne va pas de soi.
Ce n'est pas parce qu'il est seul contre tous que le héros a forcément raison.
L'opposition philosophique entre le primat de l'individu
ou de la collectivité est alors une question ouverte
à laquelle la Trilogie Cornetto propose plusieurs réponses.
Dans le cas de Shaun of the Dead,
le film commence par un générique
nous montrant comment la société transforme les gens en zombies.
Elle les déshumanise et les réduit à une masse anonyme
où chacun répète sans cesse les mêmes gestes de la vie quotidienne,
une sorte de métro-boulot-conso.
Le dilemme qui va se poser à Shaun est qu'il va devoir choisir
entre la vie ordinaire à laquelle aspire sa copine
et la vie d'ado attardé de son pote Ed.
S'il veut garder l'amour de Liz, il doit donc rentrer dans le rang
rejoindre la horde des "zombies" du générique.
Tant qu'il suit le mode de vie de son pote Ed,
il garde son individualité, à l'instar des clients du Winchester
qui ont tous quelque chose qui les distingue du reste de la société.
Or la conclusion du film va à l'encontre de cette opposition
puisque Shaun a finalement trouvé un compromis
entre une vie de couple ordinaire
et la nécessite de garder une part d'individualité.
Il est heureux avec Liz,
mais se permet aussi d'avoir un peu de temps pour jouer à des jeux vidéos avec Ed…
Ed qui est d'ailleurs transformé en zombie
comme pour nous dire rétroactivement que lui aussi était déjà
un zombie prisonnier de ses principes hédonistes.
La conclusion de Shaun of the Dead représente une sorte de synthèse
de l'opposition idéologique inhérente au film de zombie.
Les deux autres volets de la trilogie apportent, quant à eux,
des réponses totalement différentes.
Dans Hot Fuzz,
le personnage de Nick Angel va progressivement évoluer.
Rigoureux défenseur de la loi,
il débarque dans une petite ville où le chef de la police exerce en réalité
un pouvoir autocratique et arbitraire.
Se raccrochant dans un premier temps
à une application stricte des lois et des règlements,
Nick Angel va basculer dans le dernier acte
et finalement assumer son statut de super-flic agissant au-dessus des lois.
D'ailleurs, Simon Pegg expliquera
que la fin de Hot Fuzz n'est pas vraiment une happy-end,
puisque Nick Angel ne fait que remplacer l'utopie proto-fasciste des conspirateurs
par sa propre version d'une utopie proto-fasciste.
On remarquera que le moment où la personnalité de Nick Angel bascule
fait référence au western,
un autre genre typiquement américain
dont le prédécesseur de Nick Angel était manifestement fan.
Hot Fuzz suggère donc une forme de continuité idéologique
aussi bien entre Frank Butterman et Nick Angel
qu'entre le western et le buddy movie policier.
Hot Fuzz apparaît donc comme le film de la trilogie le plus fidèle formellement
et le plus critique idéologiquement vis-à-vis du genre dont il s'inspire,
dans la mesure où il montre qu'une victoire du héros
ne fait que perpétuer un ordre social fascisant.
D'une certaine façon,
The World's End semble répondre à l'argument de Hot Fuzz.
D'une part, le pouvoir autocratique
de la conspiration de Hot Fuzz est désormais remplacé
par une sorte de totalitarisme mou,
où le Network n'impose rien par la force
mais s'assure du consentement de la population.
D'autre part,
le personnage de Gary King ne symbolise pas tant
l'individu seul et indépendant
qu'une forme bien définie d'organisation sociale.
Non seulement on comprend qu'il est incapable d'accomplir quoique ce soit
sans sa bande de potes,
mais en plus,
celle-ci est organisée suivant le modèle d'une cour féodale…
modèle auquel les noms des personnages font explicitement référence :
King, Prince, Knightley, Chamberlain, Page.
Bien sûr, on retrouve tout de même la logique d'une organisation
où un seul individu est central et tout-puissant.
Le point de vue de The World's End est donc
immédiatement plus sombre et désabusé que ceux des films précédents :
le film nous donne le choix entre l'archaïsme d'une société profondément inégalitaire
et la modernité d'un égalitarisme tout aussi rigide et oppressant.
Toute l'ambiguité du final de The World's End est finalement
la conséquence logique de cette opposition.
Si l'apocalypse provoquée par l'alcoolisme de Gary King a véritablement
des conséquences tragiques,
le monde qu'elle engendre semble enfin proposer à chacun
la société qui lui convient.
Que ce soit une existence tranquille et autonome pour Steven Prince,
une perpétuation de la société moderne pour Oliver Chamberlain
ou un retour au Moyen-âge pour Gary King.
En cela,
The World's End constitue une parfaite conclusion à la Trilogie Cornetto.
Shaun of the Dead illustrait la possibilité de concilier ses aspirations
avec les contraintes de la société.
Hot Fuzz montrait le danger idéologique inhérent
à la volonté d'adapter la société à soi.
The World's End conclue donc sur une touche ambiguë,
où chaque spectateur peut et doit se faire son propre avis
sur la situation de l'humanité…
et donc se faire son propre avis sur le bien-fondé idéologique
des genres repris par les trois films
mais aussi sur les conclusions proposées par les films de la trilogie.
Au final,
on peut donc dire qu'Edgar Wright est effectivement un formaliste…
mais comme son copain Quentin Tarantino,
c'est un formaliste pour qui la forme est importante
parce qu'elle transmet et exprime intrinsèquement certaines idées.
En jouant avec les codes des genres qu'il reprend,
il est naturel pour Wright de jouer avec les idées que ces codes véhiculent.
En cela,
Edgar Wright n'est pas un cinéaste politique au sens traditionnel du terme,
il ne cherche pas à délivrer un message politique,
mais il célèbre et met en lumière la capacité du cinéma
à transmettre des idées et des notions complexes
aux travers d'images en apparence simples…
ce qui est finalement le propre d'un grand cinéaste !
Voilà ! C'est tout pour aujourd'hui !
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