08g. La Reine des Neiges. Chapitre 4 : 2ème partie.
– Il avait, continua la corneille, qui ne se laissait pas facilement couper la parole, un petit havresac sur le dos.
– Vous ne me parlez pas de son traîneau.
Il devait avoir son traîneau, puisque c'est avec son traîneau qu'il est parti. – C'est possible, reprit la corneille, peut-être était-ce son traîneau et non un havresac qu'il avait sur le dos, je n'y ai pas regardé de si près.
Mais voilà ce que je sais de ma fiancée la corneille apprivoisée quand il passa la grande porte du château et qu'il vit les gardes tout en argent, quand il eut monté les escaliers et qu'il vit les laquais tout en or, il ne parut pas le moins du monde intimidé, il fit un petit signe amical et dit : « – C'est trop ennuyeux de rester sur l'escalier à attendre, moi, j'entre.
« Il entra dans les salles illuminées, et là où les conseillers de la princesse, tout vêtus d'habits brodés, allaient pieds nus pour ne pas faire de bruit, il alla avec ses souliers qui criaient tout haut, mais cela ne le démonta pas le moins du monde.
– C'était le petit Peters, c'était le petit Peters, cria Gerda, je sais qu'il avait des souliers neufs, je les ai entendus crier dans la chambre de la grand-mère.
– Oui vraiment ils criaient, reprit la corneille, mais lui, sans s'en inquiéter, alla courageusement tout droit à la princesse, qui était assise sur une perle grosse comme la roue d'un rouet, et toutes les dames de la cour avec leurs dames d'atours, et les dames d'atours de leurs dames d'atours, et tous les seigneurs avec leurs serviteurs, et les serviteurs de leurs serviteurs qui, à leur tour, avaient tous un petit laquais, étaient rangés dans la salle, et plus près ils étaient de la porte, plus ils avaient l'air fiers.
– Oh !
cela devait être bien imposant, dit la petite Gerda, et cependant, dis-tu, Peters n'a pas été un seul instant déconcerté ? – Pas un instant, dit la corneille.
Il se mit à parler, à ce que m'a dit ma fiancée la corneille apprivoisée, dans la langue du pays, presque aussi bien que je le fais moi-même quand je parle dans ma langue de corneille. – Ah !
c'est bien là mon cher petit Peters, dit Gerda, il avait tant d'esprit ! Il savait compter de tête, même avec fractions. Ne voudrais-tu pas me conduire au château, ma belle corneille ? – Oui da, c'est bientôt dit, répondit la corneille, mais comment arrangerons-nous cela ?
Je vais en causer avec ma fiancée, elle pourra nous donner un bon conseil, car il faut que je te dise qu'il n'y a pas d'exemple qu'une petite fille de ton âge soit entrée au château. – Oh !
si fait, si fait, j'y entrerai, répondit résolument la petite Gerda, dès que Peters saura que je suis là, il sortira et me fera entrer. – Attends-moi donc ici, dit la corneille, je reviendrai le plus tôt que je pourrai.
Et elle secoua la tête et s'envola.
Ce ne fut qu'assez tard dans la soirée que la corneille fut de retour.
– Krrra, krrra, krrra, fit-elle, je te salue trois fois de la part de ma fiancée.
Voici un petit pain que j'ai pris pour toi à la cuisine, car tu dois avoir faim. Il n'est pas possible que tu entres au château, les gardes en argent et les laquais en or ne te laisseront jamais passer. Mais ne t'afflige pas ; tu pourras monter dans les greniers, et une fois là, ma fiancée connaît un petit escalier dérobé qui conduit à la chambre à coucher, et elle sait où en prendre la clef, suis-moi donc. La petite Gerda suivit la corneille, qui marchait en sautillant devant elle, et elles arrivèrent à la grille du parc ; les deux battants en étaient tenus par une chaîne ; mais comme la chaîne était un peu lâche et que Gerda était toute mignonne, elle put passer par l'entrebâillement.
Quant à la corneille, elle passa entre les barreaux.
Une fois dans le parc, elles prirent la grande allée, où les feuilles commençaient à craquer sous les pieds.
Arrivées au bout de l'allée elles se cachèrent dans un massif et attendirent que les lumières du château s'éteignissent les unes après les autres. Lorsque la dernière fut éteinte, la corneille conduisit Gerda à une petite porte toute cachée dans des lierres. Il fallait voir comme le cœur de Gerda battait de crainte et de bonheur ; on eût dit qu'elle allait faire quelque chose de mal, tant son émotion était grande, et cependant elle voulait seulement s'assurer si c'était bien le petit Peters qui était au château.
Oui, ce devait être lui, et Gerda se le rappelait tel qu'il était, avec son charmant sourire et ses yeux intelligents, lorsque tous deux ils étaient assis sous les roses.
Allait-il être joyeux de la revoir ! allait-il être content de l'entendre raconter tout le long chemin qu'elle venait de faire pour le retrouver ! d'apprendre d'elle combien tout le monde au logis avait été affligé de ne pas le voir revenir ! Elle en frissonnait d'une telle joie que l'on eût dit de la terreur. Elles étaient alors dans l'escalier, une petite lampe brûlait sur une armoire.
Sur la première marche du palier se tenait la corneille apprivoisée, tournant la tête pour mieux voir Gerda, laquelle faisait à la corneille la révérence, ainsi que la grand-mère le lui avait enseigné. Enfin la corneille prit la parole :
– Ma chère demoiselle, dit-elle, mon fiancé m'a dit tant de bien de vous, que je suis tout à votre dévotion.
Veuillez prendre la lampe qui est sur l'armoire, et je vous précéderai. Nous pouvons aller tout droit ; je suis sûre ici de ne rencontrer personne. – Et cependant, dit Gerda, on dirait que nous ne sommes pas seules.
Tenez, ne voyez-vous point passer des ombres sur la muraille ? Voici des chevaux montés par des écuyers et des pages, voici des piqueurs, des seigneurs et des dames à cheval ; et de l'autre côté, voyez comme c'est triste : voici une belle jeune fille vêtue tout de blanc, couronnée de roses blanches, couchée dans une bière, et autour d'elle des gens qui pleurent. – Ce sont les rêves qui viennent prendre les pensées des hôtes endormis du château, et qui les emportent vers les plaisirs ou la douleur.
Tout est pour le mieux, car cela nous prouve que le sommeil est déjà entré, attendu que les rêves ne viennent qu'après lui.