FEYDEAU, Georges – Par La Fenêtre : Scène IV
Scène IV
Hector, Emma
Hector. — Boum ! Voilà ! voilà le couvert ! Brrrou ! qu'il fait froid, quand on entre ici ! Emma. — Ah ! vous voilà ! tenez ! venez m'aider ! Elle prend la table par un bout.
Hector — Comment, vous aider !
Emma. — Mais oui ! A porter cette table près de la fenêtre.
Hector, se révoltant et prenant la table par l'autre bout. — Ah ! non, par exemple ! Ah ! non ! j'en ai assez à la fin ! Jeu de scènes d'allées et venues avec la table. Emma, lâchant la table. — Comment, vous refusez ?
Hector. — Oui, je refuse… Ça n'a pas le sens commun : on n'a jamais vu déjeuner à sa fenêtre en plein mois de février… C'est fou !… c'est énor… c'est énor… c'est énormément fou (Il éternue,) Allons ! crac ! ça y est, je suis enrhumé !
Emma. — Que Dieu vous bénisse !
Hector, à part. — Que le diable l'emporte ! Emma. — Monsieur, je vous ferai remarquer que, si vous aviez consenti à faire ce que je vous demandais, il y a longtemps que tout serait terminé.
Hector, très enrhumé. — Badabe, je bous ferai rebarquer, boi aussi, que… que… (Il éternue plusieurs fois.) Allons, je suis tout à fait pris !
Il met sa serviette sur sa tête et la noue à son cou comme un fichu
Emma, — Dans tous les cas, je vous préviens que, si vous ne faites pas ce que je vous demande, j'irai dire à votre femme que vous m'avez fait la cour, là ! Hector. — Hein ! vous iriez… ? non, vous ne ferez pas ça ! c'est impossible… Ce serait infâme (A part.) Oh ! les femmes, mon Dieu ! les femmes !
Il éternue.
Emma, d'un ton câlin. — Alors, consentez.
Hector. — Voyons, madame… c'est impossible… réfléchissez… Emma. — Oh ! c'est tout réfléchi. Mon mari ose douter de moi ! Je veux qu'il soit puni… et cela par sa jalousie même. C'est ma vengeance, à moi… Hector. — Mais avez-vous pensé quels seraient les résultats de votre conduite ?
Emma — Ah ! parbleu, je le sais bien… il vous tuera.
Hector, effrayé. — Hein ! il me… ? Mais qu'est-ce que je ferai, moi, pendant ce temps-là ? Emma. — Oui, il vous tuera !… A moins que ce ne soit vous, mais j'espère bien que vous n'aurez pas l'audace de me tuer mon mari ! Hector. — Mais, madame !…
Emma. — Oh ! ce sera un duel à mort, je ne l'ignore pas ! il me l'a dit souvent. Il se battra, comme on se bat dans notre pays… au vilebrequin…
Elle fait le geste de tourner un vilebrequin.
Hector. — Hein ! au vilebrequin ?
Emma. — Oui, monsieur, au vilebrequin ! C'est comme cela que nous nous battons au Brésil ! Hector. — Mais c'est affreux… ! Emma — Affreux.
Hector. — Mais, c'est épouvantable !… Emma, marchant sur lui. — Comment, cela ne vous convient pas ?
Hector. — Moi ? mais pas du tout, mais pas du tout ! au vilebrequin !… Ah ! pouah !
Emma, avec dégoût. — Quoi ! monsieur, vous avez peur ?
Hector. — Mais, madame, je n'ai jamais été menuisier, moi ! Il remonte et redescend.
Emma, toujours avec dégoût, passant à droite. — Oh ! ces hommes de France !
Hector. — Non ! tenez, madame, j'aurai autre chose à vous proposer. Croyez-moi, plaidez en séparation, c'est bien plus simple et, voyez-vous, c'est moins dangereux. Emma, remarchant sur lui, en le faisant reculer vers la fenêtre. — Plaider !… Mais, ce n'est pas une vengeance, cela ! Je vous répète que j'aime mon mari ! Ce que je veux, c'est me venger de lui ! Ce n'est pas m'en séparer. Hector, près de la fenêtre. — Pourtant, madame…
Emma, de même. — Non, ce n'est pas cela qu'il me faut. (Le forçant à s'asseoir.) Allons, asseyez-vous et faites-moi la cour…
Hector. — Jamais de la vie !
Emma. — Ah ! prenez garde !
Hector. — Mais…Elle regarde en face.
Emma. — Ah ! Ciel ! qu'ai-je vu ? Mon mari en tête-à-tête avec une femme !… Oh ! c'est affreux !… Ah ! le scélérat ! Ah ! le coquin ! Ah ! le misérable ! Ah ! le… (A Hector.) Mon manteau ! Où est mon manteau ?
Elle tourne autour de la table en cherchant son manteau.
Hector, la suivant en cherchant aussi, — Son manteau ! Où est son manteau ?
Emma, apercevant son manteau sur les épaules d'Hector. — Mais vous ne voyez pas que vous avez mon manteau ?
Hector. — Tiens ! c'est vrai ! Il lui rend son manteau, qu'elle met précipitamment ainsi que son chapeau. Emma. — Ah ! Je vais lui arracher les yeux ! Elle sort.