FEYDEAU, Georges – Par La Fenêtre : Scène VI
Scène VI
Hector, Emma
Hector, très agité. — Entrez madame, entrez vite !
Emma, entrant en riant : — Ah ! ah ! ah ! ah ! monsieur, la drôle d'aventure !… Hector. — Ah ! je vous en prie, madame ne riez pas !
Emma. — Mais qu'y a-t-il donc ? Hector: — Il y a, madame, que ce que vous me demandiez tout à l'heure… je l'accepte maintenant avec empressement !… Venez là, près de la fenêtre. Emma. — Ah ! oui !
mais moi, je ne veux plus !
Hector. — Comment ! vous ne voulez pas mais je l'exige, moi, mais vous ne voyez donc pas qu'il faut que je me venge, que le lui fasse subir la peine du talion, dent pour dent ! œil pour œil ! femme pour femme ! vilebrequin pour vilebrequin !
Emma, — Mais, monsieur…
Hector, marchant sur elle. — Ah venez, madame, venez à la fenêtre, que je vous serre entre mes bras, que je vous couvre de baisers, que je vous fasse la cour ; enfin !
Emma, reculant, un peu effrayée. — Ah çà ! vous êtes fou ! Mais qu'est-il donc arrivé ? Hector, allant à la fenêtre. — Quoi ! Vous ne voyez pas que ma femme me trompe, qu'elle est avec votre mari… avec votre Alcibiade ? Emma. — Votre femme ! Vous voulez rire, je crois !
Hector. — Ah ! oui !
je veux rire… Comme si je n'avais pas reconnu sa robe ! Emma. — Sa robe ! Non, vous perdez la tête. C'est la nouvelle femme de chambre. Hector. — A d'autres, Madame ! J'ai des yeux, je crois ? Emma. — Mais, je vous assure ! une nommée Rose que vous devez bien connaître, puisqu'elle sort de chez vous. Hector. — Rose ? Comment, mon ex-femme de chambre ?…
Emma. — Mais, oui !
Hector. — Est-il possible ? Quoi !… Ce serait ?…
Emma. — Elle-même et, comme je n'étais pas là, c'est mon mari qui l'a reçue, voilà tout ! Etes-vous convaincu maintenant ?
Hector, s'asseyant près de la table. — Ah ! madame, quel poids vous m'ôtez ! Emma. — Et voilà comme vous devenez jaloux, vous autres hommes ! Comme cela, sans raison…
Hector, se levant. — Mais, madame, cette robe… à cette femme de chambre… Ah ! mais, au fait, je me rappelle ! mais oui, ma femme la lui avait donnée… (Retombant assis.) Oh ! madame, comme c'est bon ! C'est comme si l'on vous versait de la gelée de groseille sur le cœur… Et ma pauvre petite femme que je soupçonnais !… Oh ! comme je vais lui demander pardon !
Emma. — Et vous aurez raison, monsieur ! Tenez ! c'est ce qu'a fait mon mari !… et j'ai pardonné… Hector. — Alors, vous ne vous vengez plus ?
Emma. — Moi, oh ! non, certes ! mais, vous savez, il nous a vus !
Hector, effrayé. — Il nous a vus ?…
Emma. — Parfaitement ! il m'a même demandé quelle était cette vieille femme avec qui je causais… Hector. — Allons donc ! La vieille femme… c'était… Emma. — Oui ! Et j'ai répondu que vous étiez la belle-mère d'une de mes amies de pension ! Voilà !
Hector. — Belle-mère, moi ? Oh ! belle-mère est dur !… Enfin, cela vaut toujours mieux que le vilebrequin !
Emma. — Et maintenant, monsieur, je vous demanderai la permission de me retirer. Si je suis revenue, c'est pour vous remercier de votre peu d'obligeance. Hector, surpris. — Comment cela ?
Emma. — Mais, Oui, car, sans cela, je me serais vengée de mon mari… et il ne m'aurait pas demandé pardon… Hector. — C'est vrai, pourtant Emma. — Allons, monsieur, ce sera pour une autre fois.
Hector. — Ah ! madame, tout à votre service ! (Saluant.) Madame !
Emma, saluant. — Monsieur ! (On frappe au plafond.) Qu'est-ce que c'est que ça ? Hector. — Ne faites pas attention ! C'est la locataire du dessus qui casse du sucre. (A part.) Allons ! dès demain, je déménage ! (Haut.) Madame.
Emma, saluant, — Monsieur.
RIDEAU