#99 - Faire un bébé sans homme grâce à la PMA (2)
En effet, en Europe, une dizaine de pays autorise la PMA pour toutes les femmes : l'Espagne, le Portugal, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Danemark, le Royaume-Uni, l'Irlande, la Suède, la Finlande. Il y en aussi d'autres qui l'autorisent seulement pour les couples de femmes ou seulement pour les femmes célibataires. Bref, beaucoup de femmes françaises ont déjà fait une insémination artificielle ou une FIV dans un de ces pays. Malheureusement, cela entraînait souvent des problèmes légaux, notamment pour faire reconnaître le deuxième parent. Et cela coûtait cher, puisque ce n'était pas du tout remboursé par la Sécurité Sociale.
[00:16:34] À partir de septembre, tout cela va changer : les femmes qui ne sont pas en couple avec un homme vont pouvoir entrer dans un parcours de PMA. A priori, elles vont surtout faire appel à l'insémination artificielle, puisque beaucoup d'entre elles n'ont pas de problème physique d'infertilité. Si l'insémination artificielle ne marche pas, elles pourront recourir à la FIV, puis en dernier recours à l'accueil d'embryon.
[00:17:06] Le problème, c'est que toutes ces femmes vont avoir besoin de sperme. Or, comme le don est gratuit, en France, il y a déjà une pénurie. «Pénurie», ça veut dire «un manque», quand une société n'a pas un «produit» dont elle a besoin. En plus, il risque d'y avoir de moins en moins de dons parce qu'à partir de septembre (et ça donc c'est un autre changement profond qui vient de cette nouvelle loi), les dons ne seront plus anonymes. Les donneurs vont devoir accepter de révéler leur identité. Ça risque vraiment de faire encore plus baisser la motivation à faire un don.
[00:17:50] Cette nouvelle loi va donc radicalement changer la vie de milliers de personnes et la manière dont notre société aborde la parentalité. La grossesse ne rimera plus avec couple hétérosexuel. Et ça, forcément, ça fait débat, et il y a eu de fortes oppositions à ce grand changement.
[00:18:10] L'ouverture de la PMA à toutes les femmes était une promesse de campagne de l'ex-président de la République François Hollande en 2012. Mais la question a été progressivement abandonnée au cours de son quinquennat (un quinquennat, c'est cinq ans de mandat présidentiel). Puis, cinq ans plus tard donc, c'était une promesse de campagne de l'actuel Président Emmanuel Macron, en 2017. Le projet de loi a finalement été proposé au Parlement en juillet 2019 puis approuvé… Faites le calcul : maintenant, 2021 donc deux ans plus tard. Il a fallu deux ans de débat pour que les élus français acceptent de permettre aux femmes célibataires et aux couples de femmes d'avoir accès à l'assistance médicale à la procréation.
[00:19:03] Ce qu'il s'est passé, c'est que pendant deux ans, la loi a fait des allers-retours entre l'Assemblée, où siègent les députés, et le Sénat, où siègent les sénateurs. Cet aller-retour est obligatoire pour voter une loi, ça s'appelle la navette parlementaire. Chaque chambre (Sénat et Assemblée) doit lire le texte et l'étudier, le modifier, puis le renvoyer à l'autre chambre. Le texte fait en général un ou deux allers-retours jusqu'à être validé, en prenant en compte des modifications faites par différents groupes et différents partis.
19:42 Normalement, pour qu'une loi soit validée, il faut que le texte final soit adopté à la majorité par l'Assemblée et par le Sénat. Mais dans le cas où les deux chambres n'arrivent vraiment pas à se mettre d'accord, c'est l'Assemblée qui a le dernier mot. C'est ce qu'il s'est passé cette fois-ci. Les sénateurs n'ont jamais approuvé l'ouverture de la PMA pour toutes, et les députés ont fini par valider le texte de façon unilatérale. «Unilatérale», c'est donc «d'un seul côté». Sur les deux chambres, une seule a dû dire «oui, on fait passer cette loi».
[00:20:21] Il faut dire qu'à chaque fois que le texte était étudié par le Sénat, il était complètement vidé de sa substance. «Vider de sa substance», c'est une expression très utilisée en politique. Ça veut dire «retirer l'essentiel, enlever le plus important.» En l'occurrence, les sénateurs, qui sont en moyenne plus âgés que les députés, plus masculins, et plus conservateurs, supprimaient à chaque fois l'ouverture de la PMA à toutes les femmes.
[00:20:51] Alors, je pense que c'est important d'expliquer pourquoi ils s'y sont opposés parce qu'ils représentent une partie des Français. Alors c'est parti pour la troisième partie : quels sont les arguments pour et contre l'ouverture de la PMA à toutes les femmes ?
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[00:21:19] Le terme «PMA pour toutes» est une expression utilisée par les personnes en faveur de cette ouverture. Du côté des opposants, c'est une autre expression qui est utilisée. Ils l'appellent «la PMA sans père» (père «p e accent grave r e», le papa). Leur principale préoccupation est de protéger la famille traditionnelle et de ne pas permettre que des enfants grandissent sans un parent masculin.
[00:21:53] La majorité d'entre eux sont proches d'un mouvement appelé «La Manif pour tous». C'est un mouvement issu de la droite catholique, qui a été créé pendant les débats sur l'ouverture du mariage pour les couples homosexuels, que le gouvernement appelait à l'époque le «mariage pour tous». Donc la loi pour le mariage s'appelait «le mariage pour tous», et le mouvement qui s'y est opposé s'est appelé «la manif pour tous».
22:22 Ce nom de mouvement a pu prêter à confusion. J'ai d'ailleurs déjà vu des témoignages d'étrangers qui pensaient que c'était un mouvement de protection des LGBTQ. Alors que pas du tout, c'est tout le contraire : c'est un mouvement qui s'oppose aux familles homoparentales, d'abord en s'opposant au mariage pour les couples homosexuels, ensuite en s'opposant à ce qu'ils accèdent à la PMA. Ils se font appeler comme ça parce qu'ils prétendent défendre les enfants, tous les enfants.
[00:22:54] Le problème de l'argument de la famille traditionnelle, c'est que ce débat a déjà été tranché. Trancher, ça veut dire «décider en choisissant une position claire dans un débat.» En France, les débats sur le mariage pour tous, et l'adoption par les couples homosexuels, ont été l'occasion de parler du bien-être de l'enfant, des besoins essentiels au développement correct des enfants, etc. Des experts sont intervenus, des citoyens ont témoigné. Et les législateurs ont décidé que la France acceptait les familles homoparentales, que les enfants pouvaient être aussi heureux avec deux mamans, deux papas, qu'avec un papa et une maman. Alors, si les familles homoparentales sont acceptées dans le cadre de l'adoption, il n'y a pas de logique à revenir sur ce même débat pour rejeter la PMA pour les couples de femmes.
[00:23:52] De manière générale, en France, seulement 61% des enfants vivent dans une famille dite «traditionnelle». Il y a des parents divorcés, mais aussi il y a de très nombreuses familles monoparentales (ça veut dire avec un seul parent, la plupart du temps, quand il y a un seul parent, c'est une femme). Alors, c'est vrai il peut y avoir des dysfonctionnements et des difficultés quand une femme est seule pour élever ses enfants. Mais ces difficultés viennent plutôt du fait que le père a abandonné la mère, la laissant avec un projet qui n'était pas le sien et des difficultés économiques, en général. Alors bien sûr, ces situations n'ont rien de comparable avec le cas d'une femme célibataire qui aurait mûrement préparé son projet et pris la décision de faire un bébé toute seule.
24:46 Après, tous les arguments des opposants à cette loi découlent de la même idée de la famille traditionnelle. Par exemple, ils évoquent un «droit à l'enfant». Parce que selon eux, les militants qui défendent la PMA pour toutes le font pour défendre le droit des adultes à avoir un enfant. Ce serait égoïste et ce serait en opposition avec le droit de l'enfant.
25:18 Alors, j'ai cherché, et je n'ai trouvé aucune mention à cette la notion de droit à l'enfant dans les arguments en faveur de la nouvelle loi. Au contraire, ce qui est défendu, c'est plutôt l'idée d'une égalité entre les hétérosexuels et les homosexuels, entre les personnes en couple et les personnes célibataires. C'est aussi plutôt l'idée de la reconnaissance de familles qui existent déjà, parce que de nombreuses femmes font déjà des parcours de PMA à l'étranger.
[00:25:47] Les pro-PMA défendent aussi le droit des femmes à disposer de leur corps et à être soutenues par la société dans ce choix, avec une protection médicale et une protection légale. Après tout, avec ou sans aide de la médecine, une femme peut tomber enceinte. Il y a même des femmes célibataires ou des couples de lesbiennes qui trouvent des solutions… artisanales… pour tomber enceinte. Alors, si la médecine peut aider à le faire de façon sûre et en protégeant légalement toutes les parties, pourquoi ne pas laisser le choix à chacun ?
[00:26:26] Bien sûr, la question du remboursement est aussi posée. Et là, on en vient à un troisième argument des anti-PMA pour toutes : selon eux, la PMA ne devrait être remboursée que dans le cadre médical, pour des personnes qui ne peuvent pas avoir d'enfant à cause d'un problème de santé. La médecine servirait dans ce cas à combler un manque du corps, un problème médical physique. Au contraire, dans le cadre de la nouvelle loi, on permet à la médecine d'équilibrer une infertilité sociale. Est-ce que c'est vraiment le rôle de la Sécurité Sociale ?
[00:27:09] En fait, oui, telle qu'elle est aujourd'hui. Ça peut être questionné mais, aujourd'hui, la Sécurité sociale en France, rembourse beaucoup d'actes médicaux qui ne sont pas essentiels à la santé, ou qui ne répondent pas à une maladie physique mais plutôt à un besoin psychologique ou social. D'ailleurs, si on y réfléchit, l'infertilité des couples hétérosexuels n'est pas non plus une question de vie ou de mort. Dans tous les cas, la PMA peut être évitée d'un point de vue de la santé mais on la rembourse parce qu'elle permet à des citoyens d'accéder à un bien-être psychologique et social.
[00:27:53] De manière générale, la nouvelle loi est largement acceptée par la population. Donc sa mise en place, et son remboursement, ne devrait poser aucun problème. En effet, je vous l'ai dit, les élus de droite qui s'opposaient au texte représentent une partie des Français. Mais ils sont très loin d'être majoritaires.
[00:28:16] En effet, à chaque nouveau sondage, la part des Français favorables à la PMA pour toutes augmente. Un sondage, vous savez, c'est une enquête où on pose des questions à la population pour pouvoir connaître l'opinion générale sur un sujet, souvent un sujet de société. Donc le tout dernier sondage sur la PMA a été réalisé par l'Ifop et les résultats ont été publiés le 7 juin 2021. Donc ces chiffres sont tout frais, tout neufs : aujourd'hui, 67% des Français sont favorables à l'ouverture de la PMA pour les couples de femmes et les femmes célibataires.
[00:28:59] L'institut de sondage note qu'il n'y a pas un groupe social ou économique qui se distingue d'un autre. Par contre, il semble que la différence d'opinion soit générationnelle. En effet, 84% des jeunes âgés de 18 à 24 ans sont en faveur de la nouvelle loi, alors qu'ils ne sont que la moitié chez les plus de 65 ans.
[00:29:26] En fait, et là je vous donne mon opinion personnelle, je pense que la majorité des Français voit cette loi comme une évolution naturelle et inévitable. Si la médecine le permet, la société doit l'accepter. On se dit qu'il n'y a aucune bonne raison à s'y opposer, tant que personne ne souffre de cette évolution.
[00:29:50] Le prochain débat, ce sera peut-être celui de la GPA, la gestation pour autrui, dont je vous parlais dans l'introduction. Les sondages montrent aussi que c'est de plus en plus accepté dans l'opinion publique. Cependant, je pense que ce débat va encore beaucoup tarder avant d'arriver à l'Assemblée nationale et au Sénat, car la question de la GPA est bien plus complexe : elle comprend une personne tierce en plus du couple qui veut avoir un bébé, et la question de la marchandisation du corps peut être posée. Alors je laisse ce sujet de côté, et qui sait, peut-être que ce sera un nouveau sujet de podcast, dans quelques années ?
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[00:30:46] Voilà, je pense qu'on a fait le tour de la question. Je pense que j'ai parlé un peu rapidement mais voilà, normalement comme vous êtes un peu plus avancés, on s'est mis d'accord pour que les podcasts commencent à augmenter un peu la vitesse. Mais comme d'habitude, vous trouverez la transcription complète sur le site innerfrench.com. J'espère que ça vous a plu. Je serais très curieuse de connaître votre opinion sur l'épisode et sur le sujet de la PMA, alors n'hésitez pas à commenter ou à nous envoyer un e-mail. À la rentrée, vous retrouverez Hugo pour un épisode spécial pour le numéro 100 du podcast innerFrench. Et moi je vous dis «à bientôt». Salut salut !