Les origines de la Grande Muraille de Chine (2)
En -198, Gaozu conclut avec les Xiongnu un traité de paix, matérialisé par un mariage
et le versement par les Chinois d'un tribut. Le traité est perçu comme humiliant mais il permet
de restaurer une paix relative. Dans les 60 années de paix qui suivent, il n'y a plus que quelques
escarmouches entre les Chinois et les Xiongnu. On le sait malheureusement bien,
la paix a toujours une fin. L'empereur Wu des Han succède à Jingdien -141 et
relance la guerre contre les Xiongnu. Mais l'Empereur est malin : il prépare
cette guerre. L'armée chinoise est réformée, avec la création d'une véritable cavalerie,
des efforts logistiques et l'utilisation de troupes de barbares comme auxiliaires.
Et en plus de ça, il s'appuie largement sur le dispositif de la Grande Muraille.
Wudi sort victorieux de l'affrontement : en -119 il conquiert des territoires importants
sur les barbares et fait construire de nouvelles fortifications, du Gobi jusqu'en Mandchourie,
pour renforcer sa frontière. Mais il ne s'arrête pas là, son but est clair et
affiché : il veut écraser les Xiongnu et par la même développer un commerce avec l'Asie centrale.
A partir des années 111 avant notre ère, il va étendre sa ligne de défense jusqu'à Dunhuang
(Gansu) à l'ouest, et jusqu'en Corée du Nord, à l'est. Des milliers de kilomètres de tours, de
murailles et de forts sont étendues pour marquer la limite de l'Empire grandissant. Le dispositif
est impressionnant et les raids Xiong'nu ne sont alors plus la principale source d'inquiétude pour
le pouvoir. Les murailles permettent en effet de prévenir la désertion des soldats. C'est au
Nord-Ouest de la Chine, que l'on a les vestiges les mieux conservés de cette muraille, comme la
Passe de Jade qui marquait la limite ouest de l'Empire. Les archéologues ont découverts des
milliers de courriers militaires et administratifs rédigés par les soldats et scribes aux frontières.
Les Han et la loi, c'était une grande histoire d'amour. Si un soldat manquait à son devoir,
on le décapitait ou on le coupait en deux. Voilà. Sympa hein ? En tout cas, après cette période
d'expansion de la Grande Muraille, on assiste à un petit stand by de quelques siècles. Il faut un peu
se reposer les muscles avant de pouvoir remettre un coup de pelleteuse si vous voyez ce que je
veux dire ! Il faut attendre le IVe siècle pour que les murs redeviennent à nouveau
d'actualité. Entre-temps, la dynastie Han s'est éteinte vers 220 de notre ère.
Au IVe siècle, les peuples des steppes envahissent la Chine du Nord, tandis que la dynastie chinoise
des Jin se recentre sur le Sud. Ce sont les Xianbei, les barbares qui ont succédé
aux Xiongnu, qui prennent la Chine du Nord et établissent leur capitale à Pingcheng en 386.
Problème, envahir une région c'est une chose, s'y maintenir,
s'en est une autre ! Il faut consolider leurs positions sur leurs nouvelles conquêtes,
contrôler les régions chinoises agricoles sédentaires qui se révoltent régulièrement,
et s'occuper des régions peuplées de barbares nomades dont ils sont originaires.
Tout un programme ! Bon courage les gars ! Les Xianbei s'intègrent progressivement dans
la société chinoise. Pour administrer un large territoire comprenant tout le nord, est, et centre
de la chine, ils vont se proclamer "Dynastie des Wei du Nord". Pourquoi Wei ? Parce que c'est le
nom d'un roi de l'antiquité chinoise, ce qui leur permet de légitimer leur pouvoir. Leur dirigeant
se proclame empereur en 396 et ils s'attaquent à leur tour aux peuples du nord, construisant à leur
tour de nouvelles fortifications pour protéger la Chine du Nord. Des structures qui font là
aussi plus de 1 000 kilomètres de long et qui sont construites sur le même modèle que celles des Han,
avec mur en terre, fossé, tours et casernes. Les Xianbei, devenus Wei, deviennent donc une
dynastie de plus en plus chinoise, même si ils sont d'origine turco-mongole,
et leur participation à la construction de la Grande Muraille est un élément important qui
montre ce changement de mentalité et de culture. Les Wei sont d'ailleurs les premiers à reconnaître
le Bouddhisme du Grand Véhicule venu d'Inde par l'Asie centrale, comme religion d'État.
Mais tout n'est pas rose et progressivement deux entités rivales émergent au sein de l'empire
qui se disloque. Les dynasties qui se battent entre elles pour contrôler la Chine du Nord,
à cette époque, construisent elles aussi des Longues Fortifications sur le même modèle,
jusqu'à ce que le général Yang Jian ne parvienne à réunifier la Chine sous l'Empire des Sui en 581.
Entre 581 et 618, les Sui vont construire beaucoup, mais alors beaucoup de fortifications
en envoyant des centaines de milliers voire des millions de travailleurs forcés,
dont un grand nombre meurt sur les chantiers. Un épisode historique qui a donc aussi participé,
faut bien le dire, à nourrir le rejet des Grandes murailles dans la culture chinoise.
Cette dynastie des Sui disparaît à son tour assez vite, en raison d'une guerre
extérieure contre le royaume de Goguryeo, qui correspond à une partie de la Corée, de la
Mandchourie et de l'extrême-orient russe actuels. Pendant près de 300 ans, les dynasties issues
des steppes du Nord, qui ont adopté la culture chinoise, participent grandement au développement
de la Grande Muraille. Plusieurs milliers de kilomètres de murs sont construits en quelques
années grâce à la facilité de la mise en œuvre de la technique du pisé, mais aussi à l'expérience
des chinois de l'époque en la matière. Pendant les 300 ans qui suivent,
de 618 à 908, la dynastie Tang ne construit pas un seul bout de muraille. Et pour cause,
ils changent radicalement la gestion de leurs frontières en déléguant les postes de commandants
aux frontières à des personnalités non-Han, par exemple à des turcs. La ligne défensive devient
inutile puisque les responsables de ces espaces tampons entre la Chine et les peuples voisins
sont capables de diplomatiquement tenir les relations en réduisant les conflits.
Le IXe siècle est une longue période de déclin pour les Tang : troubles internes
et difficultés sur la frontière nord de l'Empire les font progressivement sombrer au tout début
du Xe siècle. La Chine est alors à nouveau divisée, mais la dynastie Song, chinoise elle,
règne sur la plus grande partie de l'ancien empire, à l'exception du Nord-Est : à savoir la
Mandchourie et la Mongolie intérieure, dominé par les Liao, et le Nord-Ouest contrôlé par les Xixia.
Sans compter les Mongols qui vont bientôt rentrer dans la partie ! En gros les Song
vont avoir besoin de pas mal de motivation pour résister. Et ils vont plutôt bien y arriver !
Plutôt que de reconstruire de nouvelles lignes de défenses, les songs vont consolider les lignes
des dynasties Qin et Han. Cela réduit les coûts et les murs, faits de blocs de pisés, pouvaient être
rapidement révisés et augmentés d'une courtine. En plus des murs de terre classiques, les Song
utilisent de nombreux stratagèmes comme des murs faits de végétation en plantant des arbres, mais
aussi des canaux et des lacs artificiels. Combiné avec leur cavalerie, ils arriveront à contrer la
cavalerie nomade pendant presque 200 ans ! Mais au XIIe siècle les Liao sont battus
par une nouvelle dynastie barbare, les Jin. Après s'être emparés du Nord-Est,
les Jin vont également repousser les Song vers le Sud. Adoptant à leur tour la culture chinoise
et la pratique des Longues Fortifications, ils vont eux aussi en construire énormément. Et ils
leur apportent en plus quelques améliorations, notamment ce qu'on appelle le dédoublement. Les
fortifications des Jin ne sont plus composées d'un seul fossé extérieur avec son mur, mais
d'un premier fossé extérieur, d'un premier mur, d'un fossé intérieur et enfin d'un second mur.
Autant vous dire que pour les traverser, va falloir s'accrocher !
Les Jin ont construit des murs selon deux tracés, un premier à environ 500 kilomètres au Nord de
leur capitale, Zhongdu, proche de l'actuelle Pékin, l'autre à 1 000 kilomètres au Nord,
presque au Sud des montagnes de Sibérie. Une particularité qui a poussé les historiens
à s'interroger sur l'utilité réelle de telles fortifications. Ils ont même émis l'hypothèse
qu'à cette époque, la construction de ces fortifications auraient pu devenir, pour
les Jin, une coutume voire une punition pour les prisonniers. Des murs qui auraient pu mobiliser
jusqu'à 750 000 travailleurs en même temps !On l'a dit tout à l'heure, un nouvelle force va faire son
entrée dans l'Histoire de la Chine, les mongols ! Dès les années 1210, le chef mongol Gengis Khan
est en guerre avec les Jin et il connaît d'importants succès. Mais il faut attendre
1234 pour que les Jin disparaissent, quelques années après la mort de Gengis
Khan. Le dernier empereur Jin, Aizong, se suicide alors que sa capitale est assiégée.
Malgré les améliorations apportées par les Jin à la construction de la Grande Muraille,
celles-ci semblent avoir été sans effet face à l'invasion mongole. Dans les décennies suivantes
les Mongols conquièrent le reste de la Chine : les Song, que les Jin avaient repoussé au Sud, sont
les suivants à succomber à l'invasion mongole. En 1279 la Chine est conquise par Kubilai Khan,
un petit-fils de Gengis Khan, qui renomme sa dynastie “Yuan”. Mais les Mongols ne s'arrêtent
pas à la Chine. Ils prennent possession d'un territoire qui s'étend de la Corée à l'Ukraine,
en passant par l'Asie centrale et le Moyen-Orient. Comme les Song, les Yuan mongols font bon
usage des places fortes chinoises pour les réaffecter et les utiliser à leurs avantages.
Résultat : ils n'avaient pas besoin de la Grande Muraille pour se défendre.
Le seul mur construit par les Yuan sera celui qui entoure leur capitale Dadu l'actuelle Pékin,
avec une muraille protégeant 10km2 de la ville. J'en profite au passage vu que l'épisode est
relativement long, pour rappeler que depuis tout à l'heure j'utilise “Grande Muraille”
pour désigner les fortifications chinoises mais qu'à cette époque là, on utilise pas du tout
ce terme. D'ailleurs le marchand vénitien Marco Polo, présent en Chine à cette période de la fin
du XIIIe siècle et qui a laissé un récit de ses voyages, semble n'avoir jamais entendu parlé des
nombreux murs construits par les chinois au cours de leur histoire. En tout cas, il n'en fait jamais
mention dans ses écrits. Ça ne veut pas dire que les murs n'existaient pas, mais juste qu'ils
n'étaient pas considérés comme un ensemble ! Dès le XIVe siècle la dynastie Yuan est mise
en difficulté par la révolte des turbans rouges, nom donné en référence au foulard
rouge que portaient les rebelles. Ces révoltes, suivant des mauvaises récoltes,
durent en fait plusieurs décennies et font peu à peu plonger la Chine dans la guerre civile.
C'est un des généraux meneurs de la révolte, Zhu Yuanshang, un chinois,
qui fonde la dynastie suivante après la prise de la capitale des Yuan en 1368.
Il baptise sa nouvelle dynastie « Ming », qui signifie « brillant ». Les débuts
de cette nouvelle dynastie sont prospères : le territoire est contrôlé par une armée efficace,
qui se déplace beaucoup, et les chinois ne construisent toujours pas de nouveaux murs.
Pour l'instant ! Si les Ming prennent le contrôle de la Chine,
les Mongols n'ont pas complètement disparu, ils sont seulement repoussés en Mongolie et
les Chinois doivent continuer de se défendre. Au départ les Ming construisent des forteresses
isolées, qu'ils relient ensuite par des murs à proximité de la capitale. On est donc sur des
constructions défensives. Mais plus pour longtemps puisqu'après 1380, ils construisent aussi des
forteresses offensives dans la steppe, qui servent de bases avancées pour attaquer les nomades.
Au début du XVe siècle cependant, une erreur stratégique est commise par l'empereur. A
priori à cause de soucis économiques, ces places fortes sont abandonnées, permettant aux Mongols
de réoccuper une partie de la Chine du Nord et de menacer sérieusement le pouvoir Ming.
Pire encore, la forteresse de Tumu est perdue en 1449 face aux Mongols, à seulement une centaine
de kilomètres de Pékin. L'armée chinoise est vaincue, le jeune empereur Yingzhong est capturé
et une partie de la cour meurt au cours de la bataille. La régence est assurée par son frère,
Jingtai, qui devient encore plus intransigeant avec les Mongols et refuse toute négociation.