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TEDx Talks, S’accepter tel que l’on est, ça ressemble à quoi ? | Matatea CHANGUY | TEDxPapeete (1)

S'accepter tel que l'on est, ça ressemble à quoi ? | Matatea CHANGUY | TEDxPapeete (1)

Transcription: Clara Nathan Relecteur: Claire Ghyselen

J'ai été invitée à intervenir ici, en tant que TED Speaker,

à trois reprises.

La première fois, j'ai dit non,

parce que je n'avais pas assez de temps pour me préparer.

La deuxième fois, je leur ai dit que j'étais trop occupée.

Enfin, la troisième fois,

j'ai dit oui lorsque j'ai réalisé

que quand j'avais dit être trop occupée, j'avais menti.

La vérité, c'est qu'après 13 ans à l'étranger,

quatre continents, un master à Oxford,

un mariage, un divorce,

et huit emplois,

j'étais terrifiée à l'idée de revenir ici pour partager mon histoire avec vous.

Mais pourquoi avais-je si peur ?

Pourquoi pensais-je au pire ?

Et pourquoi avais-je l'impression de m'aventurer sur un territoire aussi

tabou ?

Tabou : c'est un mot fort.

Un mot d'origine polynésienne qui signifie « sacré » ou « mis à part ».

Ce qui est tabou ne prend pas en compte nos sentiments.

Tout comme la vérité, c'est un couteau tranchant, ou un pique-brochette.

Quand je parle de moi aux gens,

je commence souvent mon histoire à l'âge de 17 ans.

C'est comme si je voulais oublier ou effacer mon enfance.

Et c'était peut-être parfois le cas.

Quand les gens me disent :

« Oh waouh, tu viens de Tahiti, tu es née au paradis !

Ça a dû être génial ! »

Mais la vérité, c'est que pour moi, grandir à Tahiti n'était pas un paradis.

Est-ce un paradis pour vous ?

En quoi ça l'est ?

En quoi ça ne l'est pas ?

Quand j'étais petite fille, je souffrais beaucoup.

Je n'aimais pas mon nom, je n'aimais pas mon prénom,

je n'aimais pas mon corps.

Je ne me trouvais pas assez bien, pas assez cool, pas assez riche,

et j'étais convaincue que personne ne pouvait m'aimer telle que j'étais.

Je rejetais tout de moi, et surtout Tahiti.

Pour commencer par le début, j'étais un beau bébé.

J'avais les grands yeux bleus de mon père, qui étaient tout ce que j'avais de lui,

car il n'était pas présent durant cette partie de ma vie.

Un peu avant mes un an,

ma mère me confia aux parents de mon père pour qu'ils m'élèvent.

Voilà comment c'est arrivé.

Un jour, à l'âge de 6 mois,

ma mère m'emmène faire les courses avec elle à Marie Ah You, Faa'a.

Dorothée, la bouchère, me remarque dans ses bras et lui demande :

« Mais qui est ce beau bébé aux grands yeux bleus ?

- C'est ma fille.

- Et qui est le père ?

- Le fils Villierme. »

Quelques semaines plus tard,

ma mère et moi sommes de retour à Marie-Ah Youh,

dans la file d'attente pour passer à la caisse.

La dame devant nous se retourne et me remarque.

Elle demande :

« Oh... Mais qui est ce beau bébé ? »

Dorothée, la bouchère, qui travaillait à la caisse ce jour-là,

lui répond : « Laiza, c'est ta petite-fille. »

La dame devant nous se trouvait être la mère de mon père.

Quelques mois plus tard,

ma mère me confia à elle et son mari pour qu'ils m'élèvent.

L'adoption était leur idée.

Ils avaient les moyens et une maison.

Ma mère avait 19 ans,

elle avait arrêté l'école très jeune, elle était sans emploi, sans maison,

ni père pour son enfant.

Alors, elle m'a laissée partir.

Ça a dû être une décision difficile.

Je sais que moi-même, j'ai eu du mal à la comprendre et l'accepter.

Grandir avec mes grands-parents n'était pas toujours facile.

Il y avait des fantômes dans ma chambre et j'avais peur de mon grand-père.

J'ai été élevée pour être sage, obéissante et studieuse.

Avoir des bonnes notes, travailler dur, être respectueuse et reconnaissante

étaient les piliers de mon éducation.

La prise de parole n'était pas encouragée.

Plus vous étiez petit et invisible, mieux c'était.

Mon grand-père était grand et fort

et ses mains étaient de la taille de ma tête.

Un jour, à l'âge de treize ans,

mon grand-père a été reconnu coupable d'un homicide involontaire

et a été envoyé en prison.

Lorsque c'est arrivé,

mon nom de famille était partout dans les journaux

et j'ai prié pour que mes camarades de classe ne fassent pas le lien avec moi.

Ma prière alternative était d'être kidnappée par des extra-terrestres.

D'une certaine manière, mes prières ont été exaucées,

puisque qu'on m'a ensuite envoyée vivre avec les parents de ma mère à Mahina.

Vivre avec l'autre côté de ma famille a été un choc.

J'avais soudainement plus de liberté et ça m'est monté à la tête.

J'ai commencé à fumer, à me rebeller,

manquer mes cours de catéchèse, répondre à mes professeurs.

Un jour, je suis allée trop loin :

j'ai menti à mon grand-père chinois sur l'endroit où je passais le week-end

et je me suis fait prendre.

Après ce jour-là, il ne m'a plus jamais regardée

de la même manière.

Je l'avais profondément déçu

et il ne m'a pas caché sa désapprobation.

J'ai travaillé dur pour regagner sa confiance.

À l'âge de 14 ans,

il a pris en charge la buvette du stade de Fautau'a.

On y travaillait tous les week-ends, en famille,

pour y vendre du soda, des frites et des brochettes de coeur.

Et chaque semaine, pendant les périodes de championnat,

nous préparions des brochettes de coeur.

Des milliers et des milliers de brochettes de coeur...

Mon grand-père découpait les coeurs de boeuf en petits morceaux,

me les passait et je les enfilais sur un pique-brochette.

J'ai tout fait pour l'impressionner en faisant mes brochettes

exactement comme il les aimait,

en espérant, par la suite, que mon grand-père m'aimerait encore.

Un jour, lors du dernier match de la saison,

nous avons préparé 5 000 brochettes.

J'étais fière de ce que j'avais accompli,

mais mon grand-père... toujours pas impressionné.

Les coeurs de boeuf n'ont pas réussi à reconquérir le coeur de mon grand-père.

J'étais découragée.

Néanmoins, c'était un mal pour un bien,

car j'ai enfin arrêté d'essayer désespérément de conquérir le coeur de tous

et je me suis concentrée sur quelque chose que je pouvais contrôler :

l'école.

Voilà comment c'est arrivé.

Ma marraine, Sandy, assistance sociale, petite de taille mais féroce de caractère,

avait l'habitude de venir me chercher à l'école.

Un jour, elle me demanda :

« Sais-tu pourquoi tu vas à l'école ?

- Parce que je suis obligée ?

- Non, Matatea. Tu vas à l'école pour avoir ce que tu veux dans la vie.

Tu travailles dur aujourd'hui et tu auras des facilités plus tard. »

Je suis restée sans rien dire pendant le reste du trajet.

J'ai pensé à ma mère et à son histoire,

à comment elle avait arrêté l'école très jeune et n'avait pas pu me garder.

Et j'ai commencé à imaginer un avenir différent pour moi

et me dire que l'école était peut-être un moyen d'y arriver.

L'école m'apaisait.

L'école me faisait sentir importante, spéciale,

bien dans ma peau.

Mes cours de langues étaient mes cours préférés.

Ces jours-là, je portais mes plus belles tenues et je m'asseyais au premier rang.

Je regardais mes camarades du fond de classe d'un mauvais air

chaque fois qu'ils se parlaient entre eux.

Je travaillais dur pour perfectionner mon japonais.

Un jour, notre prof nous a dit :

« Pour pouvoir lire le journal en japonais,

il nous fallait maîtriser un minimum de 3 000 symboles.

J'en ai fait une obsession.

À la fin de l'année,

notre prof a proposé de nous emmener à Tokyo pour un voyage d'études.

Sandy savait à quel point le Japon comptait pour moi, alors elle me dit :

« Rapporte-moi les meilleures notes de ta classe et le Japon est à toi. »

Et c'est ce que j'ai fait.

Le Japon était à moi.

Le Japon...

Le Japon était comme un rêve que quelqu'un d'autre était en train d'avoir,

quelqu'un de très étrange et sophistiqué.

Il y avait des gens partout qui marchaient très vite.

Des panneaux mobiles, de grandes lettres, des lumières,

des dessins animés sur les gratte-ciels.

Les piétons s'inclinaient devant chaque voiture, lorsqu'ils traversaient la route.

Les piétons qui étaient pressés s'inclinaient encore plus vite.

Je mangeais de la soupe et des algues pour le petit-déjeuner,

je dormais sur un oreiller rempli de sable et je roulais mon lit chaque matin.

Lorsque j'allais aux toilettes, je ne savais pas tirer la chasse !

Avant que je puisse comprendre comment,

j'ai enclenché de la musique, un séchoir,

et un petit tuyau sorti de nulle part qui essayait de me rincer les fesses.

(Rires)

Faire face à la profondeur de mon ignorance pour la première fois,

c'était choquant...

et j'ai adoré !

Plus je me rendais compte à quel point j'ignorais beaucoup de choses,

plus je devenais excitée et curieuse.

Et de plus en plus, je commençais à me dire que, peut-être,

seulement peut-être, Tahiti n'était pas mon unique option.

J'avais le choix.

Il y avait d'autres possibilités, et j'ai commencé à me dire :

« Et si, moi, Matatea, je pouvais devenir qui je voulais ?

Et si je pouvais aller n'importe où où je voulais aller ? »

Et c'est comme ça que tout a commencé.

Chaque vacance d'été, après ce voyage au Japon,

je partais en Nouvelle-Zélande pour apprendre l'anglais.

Ces étés étaient magiques.

Mes camarades de classe étaient gentils et amicaux.

L'un d'entre eux, Günter, avait 60 ans.

Je ne voulais pas être impolie,

mais je voulais vraiment savoir pourquoi il était là.

Un jour, j'ose lui demander :

« Günter, pourquoi es-tu à l'école ? »

Et là, avec le plus beau des sourires, il m'a répondu :

« Pourquoi pas ? »

Plus tard dans la journée,

j'appelle mon grand-père chinois et je lui demande :

« Grand-père,

pourquoi tu ne viendrais-tu pas à l'école avec moi, en classe d'anglais ?

- Et pourquoi je voudrais faire ça ?

- Pourquoi pas ? »

Après le lycée,

je suis retournée en Nouvelle-Zélande pour poursuivre mes études supérieures

et obtenir un diplôme en études latino-américaines.

Pourquoi des études latino-américaines,

lorsque Sandy voulait que j'intègre une faculté de droit en France ?

Pourquoi pas?

Mes années à Auckland ont été difficiles.

Je les ai passées à construire une nouvelle identité.

Socialement,

il y avait cet accent épais néo-zélandais, livré à vitesse supérieure.

Sur le plan académique,

je ne comprenais pas tout ce que mes professeurs disaient.

En ce qui concerne l'écriture,

tous mes essais revenaient avec de grosses notes rouges :

« Get to the point », « Allez droit au but ».

Mais qu'est-ce qu'il se passe si je ne comprends pas le but ?

Eh bien, j'ai intérêt à comprendre.

Car si je ne le comprends pas, je vais échouer

et si j'échoue, je vais devoir rentrer à Tahiti.

Et je ne voulais pas rentrer.

Les enjeux étaient trop importants

et je voulais vraiment montrer à ma famille que je pouvais réussir.

Peut-être qu'une partie de moi voulait leur montrer que j'étais mieux sans eux.

Quoi qu'il en soit,

maintenir de la distance avec ma famille

m'a permis d'atteindre une vitesse d'évasion dans mon voyage vers l'inconnu.

Après avoir obtenu mon diplôme, en Nouvelle-Zélande,

j'ai simplement continué mon chemin.

Le premier arrêt de mon voyage a été Santiago du Chili.

Pourquoi Santiago du Chili ?

Je ne vais pas vous dire : « Pourquoi pas ? »

C'est parce que j'ai rencontré un Chilien en Nouvelle-Zélande,

qui m'a invitée à lui rendre visite et j'ai dit :

« Pourquoi pas ? »

Contrairement à la Nouvelle-Zélande, je me suis bien intégrée.

J'ai obtenu mon premier vrai travail en tant que coordinatrice de projets,

dans une association qui faisait la promotion des énergies renouvelables.

J'étais fière de mon travail

et j'avais hâte de me faire un nom dans le monde des affaires.

Mais, petit à petit,

mon travail est devenu ma vie.

Et j'ai fini par tomber très malade.

J'ai perdu tout sens à ma vie, motivation.

Tout ce que je voulais, c'était dormir.

Je ne trouvais plus ma place et je n'étais que confusion.

Mais j'étais trop fière et j'avais trop peur pour demander de l'aide.

Comment ces choses arrivent-elles ?

Vous arrive-t-il que dans des moments difficiles,

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S’accepter tel que l’on est, ça ressemble à quoi ? | Matatea CHANGUY | TEDxPapeete (1) ||||||||||CHANGUY|TEDxPapeete |||||||||Matatea|CHANGUY|TEDxPapeete Sich selbst so akzeptieren, wie man ist, wie sieht das aus? | Matatea CHANGUY | TEDxPapeete (1) What does it look like to accept yourself as you are? | Matatea CHANGUY | TEDxPapeete (1) Aceptarse tal y como uno es, ¿qué significa eso? | Matatea CHANGUY | TEDxPapeete (1) Accettarsi per come si è, cosa significa? | Matatea CHANGUY | TEDxPapeete (1) ありのままの自分を受け入れること、それはどのようなことなのか|マタテア・シャングイ|TEDxPapeete (1) Akceptowanie siebie takim, jakim się jest - jak to wygląda? | Matatea CHANGUY | TEDxPapeete (1)

Transcription: Clara Nathan Relecteur: Claire Ghyselen |Clara||||Ghyselen

J'ai été invitée à intervenir ici, en tant que TED Speaker, ||||intervene|||||| I've been invited to speak here, as a TED Speaker, Me han invitado a hablar aquí como conferenciante TED,

à trois reprises. ||Gelegenheiten ||reprises

La première fois, j'ai dit non, The first time, I said no,

parce que je n'avais pas assez de temps pour me préparer. because I didn't have enough time to prepare.

La deuxième fois, je leur ai dit que j'étais trop occupée. The second time, I told them I was too busy.

Enfin, la troisième fois,

j'ai dit oui lorsque j'ai réalisé

que quand j'avais dit être trop occupée, j'avais menti. ||||||||lied

La vérité, c'est qu'après 13 ans à l'étranger, The truth is, after 13 years abroad,

quatre continents, un master à Oxford, four continents, a master's degree at Oxford,

un mariage, un divorce,

et huit emplois,

j'étais terrifiée à l'idée de revenir ici pour partager mon histoire avec vous. |terrified||||||||||| I was terrified of coming back here to share my story with you.

Mais pourquoi avais-je si peur ? But why was I so afraid?

Pourquoi pensais-je au pire ? ||||worst Why did I think the worst?

Et pourquoi avais-je l'impression de m'aventurer sur un territoire aussi ||||||venture||||

tabou ? taboo?

Tabou : c'est un mot fort.

Un mot d'origine polynésienne qui signifie « sacré » ou « mis à part ». |||polynesisch||||||| |||Polynesian||||||| A word of Polynesian origin meaning "sacred" or "set apart".

Ce qui est tabou ne prend pas en compte nos sentiments. What's taboo doesn't take our feelings into account.

Tout comme la vérité, c'est un couteau tranchant, ou un pique-brochette. |||||||scharf||||Spieß ||||||knife|sharp|or|a|skewer|skewer Like the truth, it's a sharp knife, or a skewer. Como la verdad, es un cuchillo afilado, o un pincho.

Quand je parle de moi aux gens,

je commence souvent mon histoire à l'âge de 17 ans.

C'est comme si je voulais oublier ou effacer mon enfance. It's as if I wanted to forget or erase my childhood.

Et c'était peut-être parfois le cas.

Quand les gens me disent :

« Oh waouh, tu viens de Tahiti, tu es née au paradis ! "Oh wow, you're from Tahiti, you were born in paradise!

Ça a dû être génial ! » It must have been great!"

Mais la vérité, c'est que pour moi, grandir à Tahiti n'était pas un paradis. But the truth is, for me, growing up in Tahiti was no paradise.

Est-ce un paradis pour vous ?

En quoi ça l'est ? Why is that?

En quoi ça ne l'est pas ?

Quand j'étais petite fille, je souffrais beaucoup. |||||suffered|

Je n'aimais pas mon nom, je n'aimais pas mon prénom,

je n'aimais pas mon corps.

Je ne me trouvais pas assez bien, pas assez cool, pas assez riche, I didn't think I was good enough, cool enough, rich enough,

et j'étais convaincue que personne ne pouvait m'aimer telle que j'étais. |||||||love me||| and I was convinced that no one could love me as I was.

Je rejetais tout de moi, et surtout Tahiti. I|rejected|||me||| I rejected everything about myself, especially Tahiti.

Pour commencer par le début, j'étais un beau bébé. Pour commencer par le début, j'étais un beau bébé.

J'avais les grands yeux bleus de mon père, qui étaient tout ce que j'avais de lui, |||||||father|who|||||||

car il n'était pas présent durant cette partie de ma vie. ||was||||||||

Un peu avant mes un an, A||before|my|| A little before my first birthday,

ma mère me confia aux parents de mon père pour qu'ils m'élèvent. |||entrusted||||||||raise my mother entrusted me to my father's parents for upbringing. mi madre me confió a los padres de mi padre para que me criaran.

Voilà comment c'est arrivé. That's how it happened.

Un jour, à l'âge de 6 mois,

ma mère m'emmène faire les courses avec elle à Marie Ah You, Faa'a. ||takes me|||shopping|||||||Faa'a my mother takes me shopping with her at Marie Ah You, Faa'a.

Dorothée, la bouchère, me remarque dans ses bras et lui demande : Dorothy||butcher||notices|||||| Dorothée, the butcher, notices me in her arms and asks:

« Mais qui est ce beau bébé aux grands yeux bleus ?

- C'est ma fille.

- Et qui est le père ?

- Le fils Villierme. » ||Villierme ||Villierme - Villierme's son."

Quelques semaines plus tard,

ma mère et moi sommes de retour à Marie-Ah Youh, ||||||||||Youh my mother and I are back at Marie-Ah Youh,

dans la file d'attente pour passer à la caisse. ||||||||checkout in the checkout queue.

La dame devant nous se retourne et me remarque.

Elle demande :

« Oh... Mais qui est ce beau bébé ? »

Dorothée, la bouchère, qui travaillait à la caisse ce jour-là, |||||||checkout|||

lui répond : « Laiza, c'est ta petite-fille. » ||Laiza||||

La dame devant nous se trouvait être la mère de mon père. The lady in front of us happened to be my father's mother.

Quelques mois plus tard,

ma mère me confia à elle et son mari pour qu'ils m'élèvent. my mother entrusted me to her and her husband to bring up.

L'adoption était leur idée.

Ils avaient les moyens et une maison.

Ma mère avait 19 ans,

elle avait arrêté l'école très jeune, elle était sans emploi, sans maison, she had left school at a very young age, was unemployed and homeless,

ni père pour son enfant.

Alors, elle m'a laissée partir. So she let me go.

Ça a dû être une décision difficile.

Je sais que moi-même, j'ai eu du mal à la comprendre et l'accepter. I know I've had a hard time understanding and accepting it myself.

Grandir avec mes grands-parents n'était pas toujours facile.

Il y avait des fantômes dans ma chambre et j'avais peur de mon grand-père. There were ghosts in my room and I was afraid of my grandfather.

J'ai été élevée pour être sage, obéissante et studieuse. ||||||gehorsam||studienbegeistert ||||||obedient||studious I was brought up to be wise, obedient and studious.

Avoir des bonnes notes, travailler dur, être respectueuse et reconnaissante |||||||||grateful Get good grades, work hard, be respectful and grateful

étaient les piliers de mon éducation. ||Säulen||| ||pillars||| were the pillars of my education.

La prise de parole n'était pas encouragée. die|||||| The||||||encouraged Speaking was not encouraged. No se animaba a hablar.

Plus vous étiez petit et invisible, mieux c'était.

Mon grand-père était grand et fort

et ses mains étaient de la taille de ma tête.

Un jour, à l'âge de treize ans,

mon grand-père a été reconnu coupable d'un homicide involontaire ||||||||Totschlag| my grandfather was found guilty of manslaughter

et a été envoyé en prison.

Lorsque c'est arrivé,

mon nom de famille était partout dans les journaux

et j'ai prié pour que mes camarades de classe ne fassent pas le lien avec moi. and I prayed that my classmates wouldn't make the connection with me.

Ma prière alternative était d'être kidnappée par des extra-terrestres. |||||kidnapped|||| |||||rapita|||| My alternative prayer was to be kidnapped by aliens. Mi oración alternativa era ser secuestrado por extraterrestres.

D'une certaine manière, mes prières ont été exaucées, Of a|||||||answered |||||||esaudite In a way, my prayers have been answered,

puisque qu'on m'a ensuite envoyée vivre avec les parents de ma mère à Mahina. |||||||||||||Mahina since I was then sent to live with my mother's parents in Mahina.

Vivre avec l'autre côté de ma famille a été un choc.

J'avais soudainement plus de liberté et ça m'est monté à la tête. I had||||||||||| Suddenly I had more freedom and it went straight to my head.

J'ai commencé à fumer, à me rebeller, ||||||rebel

manquer mes cours de catéchèse, répondre à mes professeurs. ||||catechesis|||| miss my catechism classes, answer my teachers.

Un jour, je suis allée trop loin : One day, I went too far:

j'ai menti à mon grand-père chinois sur l'endroit où je passais le week-end I lied to my Chinese grandfather about where I was spending the weekend

et je me suis fait prendre. |I|||| and I got caught.

Après ce jour-là, il ne m'a plus jamais regardée |||||||||looked After that day, he never looked at me again.

de la même manière.

Je l'avais profondément déçu He was deeply disappointed in me

et il ne m'a pas caché sa désapprobation. |||||||disapproval and he made no secret of his disapproval.

J'ai travaillé dur pour regagner sa confiance. ||||regain||

À l'âge de 14 ans,

il a pris en charge la buvette du stade de Fautau'a. ||||||refreshment stand||||Fautau'a ||||||chiosco|||| he took over the refreshment stand at the Fautau'a stadium.

On y travaillait tous les week-ends, en famille,

pour y vendre du soda, des frites et des brochettes de coeur. ||verkaufen|||||||Spieße|| ||||soda|||||skewers|| to sell soda, French fries and heart skewers. para vender refrescos, patatas fritas y brochetas de corazón.

Et chaque semaine, pendant les périodes de championnat,

nous préparions des brochettes de coeur. |||skewers||

Des milliers et des milliers de brochettes de coeur...

Mon grand-père découpait les coeurs de boeuf en petits morceaux, |||cut||||||| My grandfather used to cut beef hearts into small pieces,

me les passait et je les enfilais sur un pique-brochette. ||||||slipped them|||| passed them to me and I threaded them onto a skewer.

J'ai tout fait pour l'impressionner en faisant mes brochettes ||||impress him||||

exactement comme il les aimait,

en espérant, par la suite, que mon grand-père m'aimerait encore. |||||||||would love| hoping, afterwards, that my grandfather would still love me.

Un jour, lors du dernier match de la saison, One day, during the last match of the season,

nous avons préparé 5 000 brochettes.

J'étais fière de ce que j'avais accompli,

mais mon grand-père... toujours pas impressionné.

Les coeurs de boeuf n'ont pas réussi à reconquérir le coeur de mon grand-père. The beef hearts failed to win back my grandfather's heart.

J'étais découragée. |discouraged I was discouraged.

Néanmoins, c'était un mal pour un bien, Nevertheless, it was a blessing in disguise,

car j'ai enfin arrêté d'essayer désespérément de conquérir le coeur de tous

et je me suis concentrée sur quelque chose que je pouvais contrôler : and I focused on something I could control:

l'école.

Voilà comment c'est arrivé.

Ma marraine, Sandy, assistance sociale, petite de taille mais féroce de caractère, ||Sandy||||||||| |godmother|||||||||| My godmother, Sandy, a social worker, small in stature but fierce in character,

avait l'habitude de venir me chercher à l'école.

Un jour, elle me demanda :

« Sais-tu pourquoi tu vas à l'école ? "Do you know why you go to school?

- Parce que je suis obligée ?

- Non, Matatea. Tu vas à l'école pour avoir ce que tu veux dans la vie.

Tu travailles dur aujourd'hui et tu auras des facilités plus tard. » ||||||||facilities|| You work hard today and you'll have it easy later."

Je suis restée sans rien dire pendant le reste du trajet.

J'ai pensé à ma mère et à son histoire,

à comment elle avait arrêté l'école très jeune et n'avait pas pu me garder. how she'd dropped out of school at an early age and hadn't been able to keep me.

Et j'ai commencé à imaginer un avenir différent pour moi

et me dire que l'école était peut-être un moyen d'y arriver. and thought that school might be the way to do it.

L'école m'apaisait. |calmed me |mi calmava School soothed me.

L'école me faisait sentir importante, spéciale,

bien dans ma peau.

Mes cours de langues étaient mes cours préférés.

Ces jours-là, je portais mes plus belles tenues et je m'asseyais au premier rang. ||||||||outfits|||sat||| On those days, I wore my best clothes and sat in the front row.

Je regardais mes camarades du fond de classe d'un mauvais air I looked at my classmates at the back of the class with a bad look on my face.

chaque fois qu'ils se parlaient entre eux.

Je travaillais dur pour perfectionner mon japonais.

Un jour, notre prof nous a dit :

« Pour pouvoir lire le journal en japonais,

il nous fallait maîtriser un minimum de 3 000 symboles. we had to master a minimum of 3,000 symbols.

J'en ai fait une obsession. I became obsessed with it.

À la fin de l'année,

notre prof a proposé de nous emmener à Tokyo pour un voyage d'études.

Sandy savait à quel point le Japon comptait pour moi, alors elle me dit : Sandy knew how much Japan meant to me, so she said:

« Rapporte-moi les meilleures notes de ta classe et le Japon est à toi. » "Bring me the best grades in your class and Japan is yours."

Et c'est ce que j'ai fait.

Le Japon était à moi.

Le Japon...

Le Japon était comme un rêve que quelqu'un d'autre était en train d'avoir,

quelqu'un de très étrange et sophistiqué. someone very strange and sophisticated.

Il y avait des gens partout qui marchaient très vite.

Des panneaux mobiles, de grandes lettres, des lumières, Moving panels, large letters, lights,

des dessins animés sur les gratte-ciels. |||||scrape| cartoons about skyscrapers.

Les piétons s'inclinaient devant chaque voiture, lorsqu'ils traversaient la route. ||neigten sich||||||| The||leaned||||||| Pedestrians bowed to each car as they crossed the road.

Les piétons qui étaient pressés s'inclinaient encore plus vite. Pedestrians in a hurry bent over even faster.

Je mangeais de la soupe et des algues pour le petit-déjeuner, |was eating||||||seaweed||||

je dormais sur un oreiller rempli de sable et je roulais mon lit chaque matin. ||||Kissen|||||||||| I slept on a pillow filled with sand and rolled up my bed every morning.

Lorsque j'allais aux toilettes, je ne savais pas tirer la chasse ! When I went to the toilet, I didn't know how to flush! Cuando fui al baño, ¡no sabía cómo tirar de la cadena!

Avant que je puisse comprendre comment,

j'ai enclenché de la musique, un séchoir, |eingeschaltet|||||Haartrockner |started|||||dryer |avviato|||||asciugatrice I turned on some music, a dryer, Puse algo de música, un secador,

et un petit tuyau sorti de nulle part qui essayait de me rincer les fesses. |||pipe|||||||||||butt ||||||||||||lavare||il sedere and a little hose that came out of nowhere and tried to rinse my butt.

(Rires)

Faire face à la profondeur de mon ignorance pour la première fois, Facing the depths of my ignorance for the first time,

c'était choquant...

et j'ai adoré !

Plus je me rendais compte à quel point j'ignorais beaucoup de choses, |||realized|||||I ignored||| The more I realized how much I didn't know,

plus je devenais excitée et curieuse. ||became||| the more excited and curious I became.

Et de plus en plus, je commençais à me dire que, peut-être,

seulement peut-être, Tahiti n'était pas mon unique option.

J'avais le choix.

Il y avait d'autres possibilités, et j'ai commencé à me dire : There were other possibilities, and I started thinking:

« Et si, moi, Matatea, je pouvais devenir qui je voulais ?

Et si je pouvais aller n'importe où où je voulais aller ? »

Et c'est comme ça que tout a commencé.

Chaque vacance d'été, après ce voyage au Japon, Every summer vacation, after this trip to Japan,

je partais en Nouvelle-Zélande pour apprendre l'anglais. |was leaving|||||| I went to New Zealand to learn English.

Ces étés étaient magiques.

Mes camarades de classe étaient gentils et amicaux. My classmates were kind and friendly.

L'un d'entre eux, Günter, avait 60 ans. |||Günter|| One of them, Günter, was 60 years old.

Je ne voulais pas être impolie, |||||rude

mais je voulais vraiment savoir pourquoi il était là.

Un jour, j'ose lui demander : One day, I dare to ask him:

« Günter, pourquoi es-tu à l'école ? »

Et là, avec le plus beau des sourires, il m'a répondu :

« Pourquoi pas ? »

Plus tard dans la journée,

j'appelle mon grand-père chinois et je lui demande :

« Grand-père,

pourquoi tu ne viendrais-tu pas à l'école avec moi, en classe d'anglais ? |||would come||||||||| why don't you come to school with me, in English class?

- Et pourquoi je voudrais faire ça ?

- Pourquoi pas ? »

Après le lycée,

je suis retournée en Nouvelle-Zélande pour poursuivre mes études supérieures I returned to New Zealand to continue my higher education

et obtenir un diplôme en études latino-américaines. and obtain a degree in Latin American Studies.

Pourquoi des études latino-américaines,

lorsque Sandy voulait que j'intègre une faculté de droit en France ? ||||I integrate|||||| when Sandy wanted me to go to law school in France?

Pourquoi pas?

Mes années à Auckland ont été difficiles.

Je les ai passées à construire une nouvelle identité. I spent them building a new identity.

Socialement,

il y avait cet accent épais néo-zélandais, livré à vitesse supérieure. there was that thick New Zealand accent, delivered in top gear.

Sur le plan académique,

je ne comprenais pas tout ce que mes professeurs disaient.

En ce qui concerne l'écriture,

tous mes essais revenaient avec de grosses notes rouges : |||returned||||| all my tests came back with big red notes:

« Get to the point », « Allez droit au but ». "Get to the point".

Mais qu'est-ce qu'il se passe si je ne comprends pas le but ?

Eh bien, j'ai intérêt à comprendre.

Car si je ne le comprends pas, je vais échouer Because if I don't understand it, I'll fail

et si j'échoue, je vais devoir rentrer à Tahiti. ||I fail||||||

Et je ne voulais pas rentrer.

Les enjeux étaient trop importants The stakes were too high

et je voulais vraiment montrer à ma famille que je pouvais réussir. and I really wanted to show my family that I could succeed.

Peut-être qu'une partie de moi voulait leur montrer que j'étais mieux sans eux. Maybe part of me wanted to show them that I was better off without them.

Quoi qu'il en soit, Whatever the case,

maintenir de la distance avec ma famille

m'a permis d'atteindre une vitesse d'évasion dans mon voyage vers l'inconnu. allowed me to reach escape velocity on my journey into the unknown.

Après avoir obtenu mon diplôme, en Nouvelle-Zélande,

j'ai simplement continué mon chemin.

Le premier arrêt de mon voyage a été Santiago du Chili. ||||||||Santiago||

Pourquoi Santiago du Chili ?

Je ne vais pas vous dire : « Pourquoi pas ? » I'm not going to say, "Why not?"

C'est parce que j'ai rencontré un Chilien en Nouvelle-Zélande,

qui m'a invitée à lui rendre visite et j'ai dit :

« Pourquoi pas ? »

Contrairement à la Nouvelle-Zélande, je me suis bien intégrée. Unlike in New Zealand, I've integrated well.

J'ai obtenu mon premier vrai travail en tant que coordinatrice de projets,

dans une association qui faisait la promotion des énergies renouvelables.

J'étais fière de mon travail

et j'avais hâte de me faire un nom dans le monde des affaires.

Mais, petit à petit,

mon travail est devenu ma vie. my work has become my life.

Et j'ai fini par tomber très malade.

J'ai perdu tout sens à ma vie, motivation. I've lost all meaning in my life, motivation.

Tout ce que je voulais, c'était dormir. All I wanted was to sleep.

Je ne trouvais plus ma place et je n'étais que confusion. I couldn't find my place anymore and I was nothing but confusion.

Mais j'étais trop fière et j'avais trop peur pour demander de l'aide. But||||||||||| But I was too proud and scared to ask for help.

Comment ces choses arrivent-elles ?

Vous arrive-t-il que dans des moments difficiles,