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Michel De Montaigne – Essais (Livre Premier), On est puni de s’obstiner à défendre une place forte contre toute raison.

On est puni de s'obstiner à défendre une place forte contre toute raison.

1. Comme toutes les autres vertus, la vaillance a ses limites. Si on les franchit, on se retrouve du côté du vice : en passant par chez elle, on peut aboutir à la témérité, à l'obstination et à la folie, si on n'en connaît pas bien les bornes, en vérité malaisées à déterminer sur les confins de ces trois-là. De ces considérations est née l'habitude que nous avons, dans les guerres, de punir, et même de mort, ceux qui s'obstinent à défendre une place-forte qui, selon les règles militaires, ne pourra résister au siège qui en est fait. Car sinon, et avec l'espoir de l'impunité, n'importe quelle bicoque suffirait pour tenter d'arrêter une armée ! 2. Monsieur le Connétable de Montmorency, au siège de Pavie, ayant été chargé de franchir le Tessin et de s'installer dans les faubourgs Saint-Antoine, et empêché de le faire par une tour située au bout du pont, qui s'obstina jusqu'au bout, fit pendre tous ceux qu'il trouva encore dedans. 3. Et depuis encore, comme il accompagnait Monsieur le Dauphin dans son voyage en Italie, ayant pris d'assaut le château de Villane, et tout ceux qui étaient dedans ayant été taillé en pièces par la furie des soldats, hormis le Capitaine et l'Enseigne, il les fit pendre et étrangler pour la même raison. C'est aussi ce que fit le Capitaine Martin Du Bellay, alors Gouverneur de Turin, dans le même pays, au Capitaine commandant Saint-Bony, le reste de ses gens ayant été massacré lors de la prise de la place. 4. Mais comme le jugement sur la valeur ou la faiblesse du lieu se fait selon l'estimation des forces qui l'assaillent (car on aurait raison de résister à deux couleuvrines seulement, alors qu'il faudrait être enragé pour affronter trente canons), et tient compte aussi de l'importance du Prince conquérant, de sa réputation, du respect qu'on lui doit, on risque fort de faire pencher un peu la balance de ce côté-là. 5. Et c'est pour les mêmes raisons que certains ont une si haute opinion d'eux-mêmes et de leurs capacités, que ne pouvant s'imaginer qu'il y ait qui que ce soit capable de leur tenir tête, ils portent le fer partout où ils trouvent de la résistance, tant que leur chance ne tourne pas ; c'est ce que l'on voit par les formes des sommations et des défis que les Princes d'Orient et leurs successeurs encore ont l'habitude de s'adresser, fières, hautaines, et pleines d'un ton barbare[61]. 6. Et dans la région par laquelle les Portugais s'attaquèrent aux Indes, ils trouvèrent des États observant cette loi universelle et inviolables, que tout ennemi vaincu par le roi en personne, ou par son lieutenant, est exclu de tout accord de rançon ou de grâce. Ainsi, par dessus tout, il faut se garder, si l'on peut, de tomber entre les mains d'un juge ennemi, victorieux et armé.

On est puni de s’obstiner à défendre une place forte contre toute raison. We are punished for stubbornly defending a stronghold against all reason. É castigado por defender obstinadamente uma fortaleza contra toda a razão. Her şeye rağmen bir kaleyi inatla savunduğunuz için cezalandırılıyorsunuz.

1. Comme toutes les autres vertus, la vaillance a ses limites. Si on les franchit, on se retrouve du côté du vice : en passant par chez elle, on peut aboutir à la témérité, à l'obstination et à la folie, si on n'en connaît pas bien les bornes, en vérité malaisées à déterminer sur les confins de ces trois-là. De ces considérations est née l'habitude que nous avons, dans les guerres, de punir, et même de mort, ceux qui s'obstinent à défendre une place-forte qui, selon les règles militaires, ne pourra résister au siège qui en est fait. Car sinon, et avec l'espoir de l'impunité, n'importe quelle bicoque suffirait pour tenter d'arrêter une armée ! 2. Monsieur le Connétable de Montmorency, au siège de Pavie, ayant été chargé de franchir le Tessin et de s'installer dans les faubourgs Saint-Antoine, et empêché de le faire par une tour située au bout du pont, qui s'obstina jusqu'au bout, fit pendre tous ceux qu'il trouva encore dedans. 3. Et depuis encore, comme il accompagnait Monsieur le Dauphin dans son voyage en Italie, ayant pris d'assaut le château de Villane, et tout ceux qui étaient dedans ayant été taillé en pièces par la furie des soldats, hormis le Capitaine et l'Enseigne, il les fit pendre et étrangler pour la même raison. C'est aussi ce que fit le Capitaine Martin Du Bellay, alors Gouverneur de Turin, dans le même pays, au Capitaine commandant Saint-Bony, le reste de ses gens ayant été massacré lors de la prise de la place. 4. Mais comme le jugement sur la valeur ou la faiblesse du lieu se fait selon l'estimation des forces qui l'assaillent (car on aurait raison de résister à deux couleuvrines seulement, alors qu'il faudrait être enragé pour affronter trente canons), et tient compte aussi de l'importance du Prince conquérant, de sa réputation, du respect qu'on lui doit, on risque fort de faire pencher un peu la balance de ce côté-là. 5. Et c'est pour les mêmes raisons que certains ont une si haute opinion d'eux-mêmes et de leurs capacités, que ne pouvant s'imaginer qu'il y ait qui que ce soit capable de leur tenir tête, ils portent le fer partout où ils trouvent de la résistance, tant que leur chance ne tourne pas ; c'est ce que l'on voit par les formes des sommations et des défis que les Princes d'Orient et leurs successeurs encore ont l'habitude de s'adresser, fières, hautaines, et pleines d'un ton barbare[61]. 6. Et dans la région par laquelle les Portugais s'attaquèrent aux Indes, ils trouvèrent des États observant cette loi universelle et inviolables, que tout ennemi vaincu par le roi en personne, ou par son lieutenant, est exclu de tout accord de rançon ou de grâce. Ainsi, par dessus tout, il faut se garder, si l'on peut, de tomber entre les mains d'un juge ennemi, victorieux et armé.