05b. Le chemin du Diable. Partie 2/2.
Tout à coup il entendit qu'on l'appelait par son nom ; il se retourna.
Au haut de l'échelle qui conduisait de la galerie inférieure au jour, et sur le dernier échelon, se tenait debout un vieux petit homme, haut d'une coudée à peine, dont les cheveux et la barbe étaient blanchis par l'âge, et dont cependant les yeux brillaient comme ceux d'un jeune homme. – Chevalier de Sagen !
dit encore une fois le nain. – Eh bien !
que me veux-tu ? demanda le chevalier en regardant (qu')avec étonnement cette étrange apparition. – Je veux t'offrir mes services ; j'ai entendu ce que tu demandais au vieux mineur.
– Après ?
– Mais j'ai entendu aussi ce qu'il t'a répondu.
Le chevalier poussa (un) soupir.
– Ben, c'est un brave garçon qui sait bien son métier, continua le nain, mais moi je le sais encore mieux que lui.
– Et combien te faudrait-il de temps, à toi, pour faire ce chemin ?
– Ah, avec l'aide de mes compagnons, bien entendu ?
– Oui, avec l'aide de tes compagnons.
– À moi, il me faudrait une heure.
Le chevalier poussa un cri de joie.
– Une heure !
Mais qui donc es-tu ? – Je suis le chef des lutins qui habitent les profondeurs de la montagne.
Le chevalier se signa.
– Oh !
ne crains rien, dit le nain, nous ne sommes ni ennemis des hommes ni maudits de Dieu ; nous sommes un des anneaux invisibles qui unissent la terre au ciel, seulement, autant au-dessus des hommes que les hommes sont au-dessus de la bête, nous avons mille moyens qui sont inconnus de tes pareils. – Et parmi ces moyens, tu auras celui de faire le chemin en une heure ?
– Oui, mais tu sais, rien pour rien.
– Que veux-tu dire ?
demanda le chevalier avec inquiétude. – Et, je te parle la langue des hommes, cependant.
– Eh bien !
demande ce que tu voudras, et tout ce qui est au pouvoir de l'homme, tout ce qui ne compromettra pas le salut de mon âme, je te l'accorderai. – Fais cesser aujourd'hui même la mine de Sainte Marguerite, qui est déjà si près de mon palais souterrain que j'entends de mon lit les coups de marteau de tes ouvriers.
Je ne te demande pas un grand sacrifice, car tu dois remarquer que le filon s'épuise et que le minerai devient rare. – Oh !
N'est-ce que cela ? s'écria le chevalier. – Pas davantage, dit le nain, et encore je te donnerai un dédommagement.
À gauche de la mine, à l'endroit où tu trouveras la tête d'un cheval, creuse, et tu trouveras deux filons abondants à enrichir un roi. – Oh, cent fois merci !
dit le chevalier. À compter de demain, tu dormiras tranquille. – Ta parole ?
– Foi de chevalier !
La tienne ? – Foi de lutin !
– Et qu'y a-t-il à faire maintenant ?
– Rien, va te coucher, rêve à ta belle, et demain à cinq heures, monte à cheval, tu trouveras la route faite.
Et, à ces mots, le petit vieux disparut comme si l'échelon eût manqué sous ses pieds et qu'il se fût abîmé dans un puits.
Le chevalier rentra chez lui, fit appeler Wigfrid, lui donna ordre de (chargeau !
changer dès le lendemain la direction des travaux, puis il attendit avec impatience. Lorsque la nuit fut tout à fait tombée, il s'avança vers son balcon qui donnait sur Falkenstein, et comme il en était éloigné d'une demi-lieue à peu près, il n'entendit rien, mais il vit une multitude de lueurs qui montaient et qui descendaient aux flancs de la montagne, si nombreuses qu'on eût dit un essaim de lucioles.
Le vieux comte de Falkenstein entendit, au contraire, un grand bruit et courut à sa fenêtre, mais ne vit rien ; il lui semblait que des milliers de mineurs sapaient la montagne par sa base ; il entendait le marteau retentir, il entendait la pioche mordre, il entendait les roches rouler, et il se dit :
« Hein… C'est mon gendre qui est à la besogne.
Demain, il fera jour, nous verrons où il en sera. Et il se recoucha bien tranquille, attendant le jour.
À six heures du matin, il fut réveillé par le hennissement d'un cheval, et en même temps sa fille entra toute joyeuse dans sa chambre, criant :
– Mon père, mon père, le chemin est fait, et voilà le chevalier Cuno de Sagen qui vient vous faire visite, monté sur son bon cheval de bataille.
Oh !
Le vieux comte ne voulut pas croire ce que lui disait sa fille, et il se mit à rire en haussant les épaules. Cependant, ayant entendu une seconde fois les hennissements d'un coursier, il se leva et alla à sa fenêtre. Le chevalier était dans la cour, caracolant sur le plus beau et le plus fringant de ses palefrois.
En ce moment six heures sonnèrent à l'horloge du château. – Comte, dit le chevalier en saluant le vieux seigneur, j'espère que vous serez aussi fidèle à votre promesse que j'ai été exact au rendez-vous, et qu'aujourd'hui même vous essaierez, en venant à l'église, le chemin que je vous ai fait faire cette nuit.
– Un gentilhomme n'a que sa parole, et ma parole est donnée, répondit le vieux comte ; si le chemin est tel que vous le dites, ma fille est à vous.
Le même jour, une cavalcade descendit du château de Falkenstein, se dirigeant vers l'église de Kronberg, par le chemin taillé dans le roc qui existe encore aujourd'hui, et qu'aujourd'hui encore on appelle le chemin du diable.