Avoir deux poids et deux mesures
Juger différemment une même chose, selon les personnes, les circonstances, les intérêts... Voilà une expression qui date du milieu du XVIIIe siècle (chez Voltaire, paraît-il) mais qui n'a visiblement pas du tout passionné les lexicographes.
C'est dommage parce qu'elle est bizarrement construite et un éclairage d'un linguiste distingué aurait été le bienvenu pour nos lanternes, compte tenu des possibilités d'interprétation.
Imaginez un béni-oui-oui qui, face à deux personnes d'avis différents, approuve tour à tour l'opinion de chacune sur un même film que les trois ont vu.
Selon l'expression, on peut dire que cette personne a deux poids et deux mesures à propos de ce film. Alors on comprend bien que, parce qu'il n'est pas capable de se forger une opinion par lui-même ou bien qu'il souhaite ne se heurter avec personne, il ait deux mesures (donc deux manières de juger), mais elles ne portent que sur un seul 'poids' ou une seule chose, le film. La bonne expression serait alors "avoir un poids et deux mesures" dont l'image semble assez limpide puisque, sauf en cas de changement brutal de la gravité, un même poids (ou plutôt une même masse, pour les puristes) ne peut donner lieu qu'à la même mesure. A moins qu'il ne faille l'interpréter différemment ?
En effet, la sixième édition du dictionnaire de l'Académie Française (1832) indique que, pour signifier la même chose, on disait aussi "changer de poids et de mesure". Avec un tel éclairage, selon le type de chose, soit on la 'pèserait', soit on la 'mesurerait' de deux manières différentes. Et, dans ce cas, le 'deux poids' et le 'deux mesures' désigneraient simplement deux manières différentes de mesurer ou juger, dans une expression qui aurait alors pu s'écrire "avoir deux poids ou deux mesures" ou même se réduire à "avoir deux mesures".